Ce n'est pas sans raison, chères
Soeurs Diaconesses, que je vous dédie ces
pages qui renferment des paroles prononcées
il y a plus de quarante ans, dans votre Maison de
Strasbourg, par le pasteur Christophe Blumhardt de
Bad-Boll.
Il est venu chez vous en ce mois de juin
1887 parce qu'il savait qu'il trouverait dans votre
communauté ce qui fait la force du travail
avec Dieu, l'abnégation de soi-même et
l'amour du prochain. Il pensait que dans votre
milieu si compatissant à la souffrance,
l'atmosphère bienfaisante
créée par la communion de
pensées avec Jésus, était,
mieux que toute autre, propice à l'oeuvre
qu'il avait entreprise et c'est ainsi qu'il a
voulu, en toute confiance, travailler avec vous,
une fois de plus, à la réalisation
pratique et effective de ce qui fut l'espoir et le
but de toute sa vie.
Je ne reviendrai pas ici sur l'histoire des
Blumhardt, ni sur une époque que les
événements ont largement
dépassée, je m'appuierai uniquement
sur les propres paroles de Christophe Blumhardt,
extraites de la lettre qu'il écrivit en mars
1899 à ses amis : (1) « Dieu,Père
de
Jésus-Christ et par lui Père des
hommes fonda sur la terre un vrai Royaume qui doit
se développer historiquement et
parallèlement aux autres royaumes et
puissances du monde visible et
invisible. »
D'après ces mots, il apparaît
clairement que Blumhardt a voulu poursuivre
l'histoire de ce Royaume qu'il considérait
comme une période réelle et effective
de l'histoire, se développant sur la terre,
et qu'il travaillait à son aboutissement
final. Commencée par Jésus qui est
pour nous le commencement et la fin de toutes
choses, cette histoire doit aussi avoir une fin,
c'est-à-dire une réalisation dans le
temps ; et c'est à cela que tendaient
tous les efforts de Blumhardt
Nous aussi nous voulons tendre tous nos
efforts vers cette réalisation ; car
enfin, si Dieu garde, depuis le début, en sa
puissance le monde qu'il a créé et
gouverne invisiblement, il n'en est pas moins vrai
que par la venue de Jésus-Christ sur la
terre, Dieu manifesta sa volonté de le
gouverner aussi matériellement, et inaugura
ainsi une histoire nouvelle qui doit se terminer de
même d'une manière visible, ainsi
qu'il l'a prédit, par l'apparition
triomphale parmi nous et le retour de
Jésus-Christ. C'est donc à cette fin
que nous devons travailler, dans l'espoir d'un
monde nouveau dirigé par Lui.
Je me bornerai à rappeler ici le fait
qu'en 1842, l'année même de la
naissance de Christophe Blumhardt, Dieu accorda
à son père, J. Chr. Blumhardt, une
victoire éclatante sur le monde des
ténèbres qu'aucune puissance humaine n'avait pu
vaincre jusque-là. Il lui apparut donc
clairement que Dieu manifestait ainsi ses
desseins ; et cette victoire fut une des
causes primordiales de la conviction des Blumhardt,
que l'Éternel avait décidé
d'intervenir dans nos misères afin d'en
finir avec les puissances mauvaises et
délivrer enfin la pauvre humanité de
l'oppression des siècles passés.
Mais pour réaliser ce dessein, il
fallait à Dieu des hommes sur lesquels il
pût compter d'une manière certaine.
Avait-il trouvé en Blumhardt l'homme qu'il
lui fallait et celui-ci trouverait-il à son
tour des disciples fidèles ? Blumhardt
avait compris, en ayant fait l'expérience,
que Dieu l'appelait à combattre
lui-même et à entraîner les
autres au combat pour l'achèvement de
l'oeuvre du Sauveur. Dès cet instant, et
pendant toute sa vie, il mit toutes ses forces et
il tendit sa volonté à écouter
et à suivre les ordres d'en-haut, et ne se
lassa jamais de lutter.
Depuis lors, le combat contre les
ténèbres n'a pas cessé.
L'éclosion du mal sous toutes ses formes
à laquelle nous assistons, les cataclysmes
de toutes sortes, les guerres, les
révolutions, avec toutes les
calamités qu'elles amènent et qui
s'étendent sur le monde entier, la
multiplicité même des maladies et leur
acuité, des meurtres et des attentats
à la vie humaine, prouvent
l'intensité de la lutte encore
engagée. Rien ni personne n'est
épargné. Le monde est en plein chaos,
le mal caché jusqu'ici surgit de tous
côtés, les catastrophes
succèdent aux catastrophes et la
misère à la souffrance. Et les
hommes, comme endormis dans le malheur, restent
aveuglés devant cet immense brasier qui
menace de tout consumer, et ne voient même
plus ce qui sépare le bien
du mal, le bonheur du malheur, le vrai du faux. Ils
se plongent dans le désordre, tentés
qu'ils sont, de prendre pour normal ce qui n'est
que le fruit de la désobéissance et
du péché.
L'époque où nous vivons est
une terrible époque.
L'orgueil incommensurable des hommes subit
une lourde épreuve, et leurs efforts
gigantesques pour ne s'appuyer que sur leurs
propres forces doivent être réduits
à néant pour que Jésus puisse
manifester sa présence dans toute chose et
secourir les hommes. Car il faut aujourd'hui qu'il
soit accepté comme le véritable
Sauveur. Les temps actuels ressemblent
étrangement à ceux de sa
première venue dans le monde à
l'apogée de l'empire romain, où la
furie du plaisir et de la jouissance, au
mépris de la morale, dominaient toute autre
préoccupation. Un vent de folie traverse
l'univers, temps d'épouvante
précédant celui du jugement.
De tous côtés les efforts des
puissances mauvaises assaillent l'humanité
et témoignent de l'intensité du mal
qui reste à détruire et de sa
violence. Elles tentent d'entraver sur terre la
victoire de Jésus, mais Celui qui l'a
déjà remportée dans le ciel,
la remportera aussi sur terre ; et nous devons
l'aider ici-bas.
Le mensonge a tout corrompu. Et, cependant,
le monde n'était pas créé pour
cela : les hommes sont devenus mauvais parce
que le malheur les a rendus méchants. Aussi
Dieu a-t-il résolu de les tirer de
là, il veut les sauver malgré
eux.
Déjà une grande aspiration
s'élève de la terre et monte vers le
ciel. L'excès même du mal
prépare sa défaite, on souffre trop
pour que les cris d'angoisse de l'humanité
harcelée
ne soient pas entendus. L'homme à demi
terrassé demande grâce.
Est-ce à dire pour cela que nous
dussions perdre patience et nous
décourager ? Non, mille fois non. Plus
la lutte est ardente, plus aussi nous savons
qu'elle touche à sa fin : Jésus
est le grand Vainqueur. mais il veut nous faire
contribuer à sa victoire pour
l'avènement d'un monde meilleur. La
période de l'histoire commencée au
siècle dernier se poursuit donc encore
aujourd'hui et c'est Jésus qui mène
la bataille ; mais il a besoin de combattants,
nous sommes ses représentants sur la terre,
nous devons nous unir à lui dans une
même pensée, et afin que notre foi
serve, l'appeler de tout notre coeur dans nos
prières, et tenir nos lampes allumées
dans une aspiration commune, dans l'attente de sa
venue libératrice.
Ne nous laissons donc pas surprendre comme
les vierges folles de la parabole ; ce que
Jésus a planté pousse, et tout
à coup l'événement
imprévu vient, alors qu'on l'avait
momentanément oublié. Longtemps on ne
voit rien, les choses semblent
arrêtées et la victoire lointaine. Et,
soudain, au moment choisi par Dieu, quand tout est
prêt, quelque chose de nouveau surgit. Alors,
comme il était un temps où le mal
seul semblait dominer, de même un temps
paraît où le bien prend sa place.
Ainsi la prière de la veuve qui
implorait avec insistance, eut raison même de
son juge inique. Les nôtres resteraient-elles
sans effet ?
Arrêter une fois le mal, est notre
tâche actuelle. Mais cela ne signifie pas
seulement : « ne pas pactiser avec
lui » ; cela implique aussi :
lui opposer toutes nos forces et
les unir contre lui. Ensuite, Dieu nous rendra
notre Chef pour rétablir l'ordre sur la
terre.
Tel est le but.
Chères petites soeurs, il est sur
terre des gens heureux, ou se croyant tels, et qui
n'ont aucun désir d'un changement dans la
situation présente ; d'autres qui n'ont
pas le temps d'y penser ; d'autres sont si
malheureux que leur misère les accable et
que la force de penser et la volonté leur
manque....
Mais il en est aussi qui veulent suivre et
servir le Sauveur ; et vous pouvez vous dire
en toute humilité que vous êtes ses
servantes, vous qui consacrez votre vie à
soulager en son nom la souffrance humaine.
Semblables aux abeilles d'une ruche qui partent
toutes ensemble comme sur un signal donné,
toujours attentives à réaliser dans
votre vie journalière les ordres venus du
Ciel, de même vous serez prêtes, au
moment voulu, à contribuer par vos
prières à la tâche du peuple de
Dieu.
Et j'ai idée que c'est pour cela que
Blumhardt vint vers vous et qu'il s'y attarda avec
tant de joie, vous demandant, en plus de votre
tâche, de prendre un peu sur vous la peine du
monde entier. D'où que partent vos
prières, elles sont attendues et seront
entendues. Au milieu de toutes les afflictions qui
vous environnent, vos combats aideront à la
grande victoire qui doit être
remportée sur les oeuvres de mort.
Car la situation présente doit finir
et quelque chose de nouveau doit venir ;
déjà la lumière perce les
ténèbres et brille au firmament.
Nous sommes devant la porte et nous devons
l'ouvrir pour les autres. Servir est notre
tâche. Associons donc nos efforts pour
appeler Jésus et demandons au Dieu
tout-puissant qu'il se révèle au
monde, et le délivre enfin !
Ce qui fit la force de Blumhardt, ce fut sa
grande obéissance. Obéissons comme
lui, écoutons les ordres qui nous viennent
d'en-haut, afin que vienne le véritable jour
de Dieu.
Souvenons-nous que nous sommes ici-bas les
ouvriers de Jésus, n'oublions pas que de
notre fidélité dépend en
partie la victoire qui le fera Maître de la
terre comme il l'est déjà dans le
Ciel. Nous attendons une terre nouvelle dans un
monde nouveau. Lui seul est notre véritable
sauveur. Prier pour sa venue est prier pour tout et
pour tout le monde. Car, sans lui nous ne pouvons
rien : lui seul anéantira le mal et la
misère de la terre ; notre
vêtement usagé éclate de toute
part et ce que nous réparons ne tient que
momentanément. Un monde neuf doit
naître sous un gouvernement nouveau, et nous
n'avons pas d'autre secours à
espérer.
Unissons donc toutes les forces de notre
coeur dans une seule prière à notre
Père au Ciel, afin qu'il renvoie
bientôt sur notre pauvre terre notre Sauveur
et notre Roi.
Paris, Noël 1930.
Armand LEDERLIN.
(1) Cette lettre accompagne la brochure intitulée: Joh.-Chr. Blumhardt. Vom Glauben bis ans Ende. Mit einer Einführung in die Gedankenwelt Joh.-Chr. Blumhardts, aus der Feder seines Sohnes Chr. Blumhardt.
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