Avec une virulence de termes et une
véhémence agressive, qui auront
sûrement été remarquées,
un de nos meilleurs journalistes religieux
dénonçait récemment, dans son
hebdomadaire, les périls menaçants de
la patrie.
Quelques réserves qui fussent
faites sur cette véritable catilinaire, on
ne pouvait qu'admirer l'ardeur, le courage avec
lequel notre confrère parlait.
Les personnes y étaient aussi
violemment prises à partie que les
idées et les choses, et en lisant on
était saisi d'une véritable angoisse.
Car un chrétien, si mystique qu'il soit, ne
peut se désintéresser du sort de son
pays, berceau de ses ancêtres, à qui
le lient tant de dettes de
reconnaissance.
Plus : il aime
sa
patrie, il est prêt à faire pour elle
tous les sacrifices que ses intérêts
vitaux commandent, et il prie pour elle avec une
ardeur qui ne peut se lasser. C'est-ce à
quoi paraît formellement nous inviter
l'Évangile.
La vieille devise huguenote Christ et France
est belle, fière et
vraie.
Aimerions-nous d'un moins grand
amour notre patrie céleste, et avec elle
l'Eglise, sur qui repose en définitive la
patrie terrestre, je veux dire sans qui tout
s'écroule, puisque
c'est par l'entremise de l'Eglise que nous avons
les promesses, non seulement de la vie à
venir mais de la vie présente. Plus
d'Eglise, plus de famille, plus de patrie.
L'abîme.
Alors, quand nous voyons de nos
yeux, quand nous sentons dans nos âmes, que
l'Eglise est menacée gravement, qu'elle est
à la veille de la pire catastrophe, c'est
sur des airs de flûte que nous chanterions
notre angoisse ?
Si nous, les défenseurs de
l'Eglise, assistons froidement à ses
convulsions dernières, comment nous
étonner que le monde prenne si peu au
sérieux notre ministère ?
Notre patrie, la France, on l'a dit, est en
danger. Et toutes les nations de la terre, à
cette heure, en sont là. Mais,
démontrer que l'Eglise est autant, sinon
plus, en danger, c'est une autre affaire. On
s'expose, à le déclarer, à
mille fois plus d'embarras, de reproches, de
méfiances, de contradictions.
Pourquoi cela ?
Premièrement, parce qu'on ne
voit en vous qu'un pessimiste, un douteur. Vous
manquez de foi.
- Notre Église
réformée (1), nous dit-on, partie
de
l'Eglise
fondée par Jésus-Christ,
éprouvée par deux siècles de
souffrances et de persécutions, rien ne peut
l'ébranler. Des éclipses
passagères, oui. Mais elle en a vu d'autres.
Dieu l'a toujours secourue.
Et puis, n'exagérons pas. Nos
déficits financiers, dites-vous ? Mais
comparez les budgets de nos oeuvres et de nos
églises actuels avec ceux d'il y a cinquante
ans. Et puis ne finissent-ils toujours point par se
combler ?
Nos cultes sont de moins en
moins
fréquentés ? Le
côté spirituel vous
inquiète ? Mais soyez juste.
Qu'était le protestantisme au début
du siècle dernier ? Une ruine. Le
réveil est venu. Le grand réveil de
1825...
Et puis, d'une façon plus
générale, comparez l'Eglise du
Moyen-Age avec ce qu'elle est aujourd'hui. Voyez
enfin les Missions ! Quel bond formidable
depuis que prit son élan, il y a cent ans,
le mouvement de conquête
missionnaire !
Tout ceci est parfaitement
juste, et
par d'autres beaux côtés encore on
pourrait contempler ce splendide édifice
qu'est l'Eglise, tout aussi bien l'Eglise romaine
que les Églises issues de la
Réforme.
Mais tout ce même bien que
l'on peut ainsi trouver dans l'Eglise, on peut le
constater également dans le monde, et l'on
peut dire :
« Vous trouvez que le
monde va mal ? Allons, allons, quittez ces
lunettes noires, regardez sans parti-pris autour de
vous. Est-ce que jamais les conditions
matérielles de la vie ont été
aussi faciles, aussi avantagées, ont
assuré autant de bonheur ? Voyez ces
lois multiples de solidarité, d'assurances,
de préservation sociale... Mais ce monde est
un paradis en comparaison de ce qu'il était
il y a seulement cent ans. »
Ainsi raisonnait Candide.
Mais ces raisons ne nous
persuadent
pas. Ne savons-nous point, par exemple, que jamais
la criminalité juvénile n'a
été aussi élevée que de
nos jours ; qu'elle s'est accrue de plus de
450 % ces derniers 75 ans ? Ne savons-nous pas
que jamais le passif moral du monde n'a
été aussi effrayant ?
(2)
Et quel est le passif de
l'Eglise ?
Notre but n'est pas de passer en
revue ses péchés moraux, ses
compromis mondains de toute nature, souvent
stigmatisés du reste par de courageux
serviteurs de Dieu. Chacun sait s'ils sont
graves.
Nous nous bornons à
dénoncer ici ses péchés
d'ordre spirituel, cause majeure des
premiers.
Écoutons-donc les voix les
plus diverses :
« L'Eglise a
généralement été du
mauvais côté... Ne dit-on pas quel
formidable passif révèle l'histoire
de la chrétienté... Plus que jamais
ce monde appartient aux puissances de
ténèbres qui ont crucifié le
Fils de l'Homme sur le Golgotha européen
(3). »
« Il faut bien avouer,
lit-on autre part (4) que le
déroulement
même des événements semble
impliquer en Occident un recul sensible de
l'influence de l'Eglise, peut-être même
une dégradation progressive du sentiment
religieux.. Les faits semblent accuser, à
travers l'histoire de l'Europe, un déclin
inexorable de l'Esprit... C'est au-dessous de lui,
vers la terre, vers la matière que se porte
l'attention de l'homme. »
Et il y a deux ans, dans sa
leçon d'ouverture à la Faculté
de théologie de Paris, le professeur Wautier
d'Aygalliers, ayant passé en revue les
causes de l'effondrement de l'empire
Gréco-Romain au IIIe siècle, pouvait
conclure par le rapprochement entre cette
civilisation écroulée et nos temps
modernes. Un cri d'alarme est donc poussé
par quiconque voit clair aujourd'hui dans ce monde
et dans l'Eglise.
Mais voici qui pourra mieux
encore
nous permettre de mesurer dans quels bas-fonds de
pauvreté spirituelle en est arrivée
l'Eglise :
La « Conférence
missionnaire » se réunissait
à Jérusalem, il y a trois ans. Dans
son message adressé aux Églises,
après avoir en quelques mots saisissants
dépeint l'état actuel du monde,
état à peu près
désespéré, le Comité
déclarait :
« Il n'est pas
jusqu'aux
règles de la vie morale les mieux
établies qui ne soient aujourd'hui
contestées. Et pour beaucoup, c'est
même une question de savoir s'il y a vraiment
une Vérité et un Bien absolus.
L'inquiétude humaine n'a jamais
été plus universelle
qu'aujourd'hui. »
Or, après une telle
constatation, que nous propose, pour la
rénovation des Églises et du monde,
la plus haute expression spirituelle du
Christianisme évangélique
qu'était cette Conférence
missionnaire de Jérusalem. On demeure
confondu.
Voici comment conclut ce
document
extraordinaire :
- « Nous reconnaissons comme constituant des éléments de la Vérité unique :
- « Le sentiment profond de la majesté de Dieu, l'esprit de respect apporté dans le culte, tels que nous les trouvons dans la religion musulmane ;
- « La profonde sympathie pour la souffrance humaine, et la recherche désintéressée pour s'en échapper qui sont à la base du Bouddhisme ;
- « Le désir d'un contact avec la Réalité suprême conçue comme une entité spirituelle, qui est la marque distinctive de l'Hindouisme,
- « La croyance en une loi morale qui régit l'univers entier, telle qu'elle est professée par le Confucianisme,
- « La poursuite désintéressée de la Vérité et la recherche de l'accroissement du bien-être humain, que l'on trouve fréquemment chez ceux qui croient au progrès de la civilisation, mais n'acceptent pas Jésus-Christ pour leur Seigneur et Sauveur.
« Nous convions les adeptes des religions non chrétiennes à demeurer fermes dans la foi au monde invisible et éternel, et à se joindre à nous pour une lutte acharnée contre tous les maux engendrés par la civilisation moderne. »
On aurait pu nommer le Judaïsme. On se
trouvait à Jérusalem. C'eût
été
déférent.
Qui sondera la profondeur
d'anarchie
doctrinale de notre protestantisme mondial sur les
notions élémentaires du salut et de
la naissance d'En-Haut, pour qu'une pareille
déclaration, qui contient bien d'autres
idées aussi stupéfiantes, ait pu
passer sans protestation, à notre
connaissance du moins, dans nos grands organes
religieux d'Europe, d'Amérique et
d'ailleurs ?
Qui dira la confusion
inextricable
qui règne dans la mentalité
« évangélique »
moderne, sur les notions d'autorité de la
Parole de Dieu, les notions d'Eglise, de
sacrements, de moyens de grâce, sur
l'application des plus simples et des plus positifs
des commandements de Jésus et du
Saint-Esprit, que sous-entend l'élaboration
d'un tel programme où Bouddhistes,
Hindouistes, Juifs, Musulmans, Incrédules de
tout horizon, sont invités à s'unir
pour le salut du monde sous la bannière de
Jésus-Christ ?
L'Eglise de Jésus-Christ est en danger.
Mais est-ce assez dire qu'elle est en danger ?
Au fait, il n'y a pas crise de l'Eglise. Il y a
crise de la Vérité dans l'Eglise. On
trahit l'Eglise.
Le cadre de l'Eglise, ses
liturgies,
ses oeuvres, sa science, tout cela reste intact,
relativement. Et du reste l'Eglise, en soi,
institution fondée par Jésus-Christ,
défie toute attaque des hommes.
On n'attaque donc pas ici
l'Eglise.
Mais on fait le procès des
ennemis de l'Eglise, funestes amis, qui,
persuadés de la protéger, de la
servir, y dénaturent à qui mieux
mieux la pensée de son Fondateur.
C'est à eux que nous
parlons.
On nous reprochera
d'exagérer, d'être d'une insupportable
injustice. l'Église moderne a une tenue si
haute, si digne...
Nous répondrons, pour
commencer, par la déclaration de principe
trouvée dans l'étude si
profondément spirituelle et vraie : Les tendances païennes
dans le
protestantisme. de M. Henri Leenhardt
(5) :
- « Toutes les
confusions
qui égarent la pensée
chrétienne sur ce sujet, y est-il dit,
viennent de mauvaises définitions du
péché. Pour la plupart, le
péché est l'ensemble des fautes
morales (au sens vulgaire), alors que le
péché est l'ensemble des fautes
spirituelles. »
C'est bien cela : La
grossière idolâtrie, les
dépravations de la chair, le
blasphème, le crime, sont seuls considérés
« péchés graves »
et soulèvent l'indignation d'un
« évangélisme »
païen. Mais le libertinage spirituel - que
l'on recouvre du manteau du libre examen - est
péché
« véniel », si
même péché du tout
(6).
Relevons également cette
pensée, de l'étude
citée :
« La valeur des actions
humaines (dans un protestantisme à
tendances païennes) est estimée
d'après leur portée sociale. Les
fautes les plus graves sont celles qui troublent
l'ordre social, tandis que les fautes qui
dérangent, ou même renient l'ordre
spirituel sont qualifiées de défauts
ou de travers... On perd de vue que les plus grands
péchés spirituels ne sont pas les
plus grandes fautes morales. »
Admirablement dit. Cette norme
est
la nôtre.
Combien nous sommes
reconnaissant
à M. H. Leenhardt d'avoir formulé si
nettement, si fortement, ces discriminations. Quel
soulagement pour l'esprit !
Je conclus donc que les
théologies libertines qui nient la
déité de Jésus-Christ, qui
nient, ou rejettent, la valeur de l'expiation
sanglante du Calvaire, qui tendent, par leurs
doutes ou leurs critiques, à ébranler l'autorité souveraine de
l'Écriture, sont le fruit d'une
perversion de l'esprit dont les conséquences
sont autrement plus graves que le
péché de l'ivrogne ou de l'assassin.
Ceux-ci peuvent tuer le corps, pour le temps,
celles-là, les théologies libertines,
damnent les âmes pour
l'éternité.
Le porte-parole du Judaïsme
(7) se
félicitait dans un livre récent de
l'abandon progressif du dogme chrétien par un
protestantisme de plus en plus
« spiritualisé »,
escomptant la fusion des deux religions dans un
avenir plus ou moins prochain.
Il vaut la peine de
citer :
- « Le protestantisme a
abandonné, suivant l'impulsion
irrésistible de l'esprit d'examen et du
besoin de sincérité qui l'a fait
naître, plus d'une position dogmatique
ancienne intenable... Après des
siècles d'intense méditation
spirituelle, de haute psychologie religieuse,
d'approfondissement des Livres saints, ses pasteurs
d'extrême gauche ont fait en quelque sorte
descendre Jésus du ciel trinitaire sur la
terre, ils ne voient plus dans les rites
sacramentels que des symboles, dans des dogmes
comme l'Incarnation ou la Résurrection que
des sortes de métaphores. Tout en
maintenant, par une tendresse d'autant plus intense
qu'elle n'idolâtre plus, un Fils de Dieu tout
humain, le plus haut des humains, le
révélateur-type de l'Esprit, ils
souhaitent d'ériger de plus en plus le
« Temple de l'Esprit »
au-dessus des Églises
particulières. »
Un pareil hommage fait frémir
de douleur et de honte.
Hâtons-nous d'ajouter :
Sont tout autant coupables et relèvent de la
même perversion de l'esprit, le
pharisaïsme hypocrite et méprisant du
chrétien doctrinaire, l'odieux esprit
sectaire, l'égoïsme
religieux.
Nous espérons que ces
quelques mots de mise au point et de franche
explication coupent court à toute
équivoque.
Le consentement de l'Eglise aux programmes
illusoires de paix universelle de la politique de
ce monde, en dépit et au mépris des
plus solennels avertissements du Christ, est
l'un de ces graves péchés de
l'esprit.
C'est
Jésus-Christ seul qui établira la
paix définitive sur la
terre.
Le monument gigantesque auquel,
pendant de longs mois, ont collaboré les
hommes politiques les plus illustres de notre
siècle, reçut, le 28 juin 1919,
à Versailles, dans une explosion de
manifestations populaires, la plus éclatante
consécration officielle.
Une plume d'or en main, 80
ministres
plénipotentiaires des principales nations
civilisées du monde ont apposé leur
paraphe au bas du document considéré,
non pas seulement comme un simple traité
conclu avec l'Allemagne par les nations
alliées, mais comme la Charte de paix de la
Société universelle des
Nations.
Nos soldats, nos héros
tombés dans la lutte atroce, recevaient
enfin la récompense de leurs efforts.
N'étaient-ils pas partis pour faire la
guerre non seulement à l'Allemagne, mais
à la guerre elle-même ? Et en ce
jour mémorable, digne pendant du 11 novembre
1918, une vraie paix succédait à l'armistice, la Paix
définitive
était déclarée au
monde.
Quelle date !
proclamaient
à l'envi tous les journaux. Aucune date ne
lui est comparable. Et les mots millénium, paradis terrestre,
commencement de l'âge d'or, furent souvent
prononcés en cette semaine
d'ivresse.
Douze ans ont passé. Qui se
souvient encore de ce jour ? Et que reste-t-il
du traité de Versailles ? Moins qu'un
chiffon de papier.
Quel écrit fameux a
été plus froissé,
piétiné, galvaudé... ?
D'autres traités ont suivi,
se substituant les uns aux autres, collés
les uns sur les autres telles des tapisseries
nouvelles sur de vieilles tapisseries sales et
déchirées, des plans ont
été élaborés sur ces
ruines, rapiéçant, ravaudant au petit
bonheur tout ce travail de
Pénélope.
En ces derniers jours de mai
1931,
la rubrique apparaissait pour la
cinquantième fois au moins dans nos
journaux :
- L'Allemagne
demandera-t-elle la
révision du plan Young ?
Pauvre plan Young ! Que
peut-il
bien en rester après l'acceptation, quelles
que soient les réserves faites, de la
Proposition du Président
Hoover ?
Quoi qu'il en soit, l'Europe, le
monde, sont dans un état d'effervescence et
d'inquiétude qui fait parfois songer
à celui du mois de juillet 1914.
La Russie, armée jusqu'aux
dents, prépare « sa
guerre », ivre de massacres.
L'Allemagne, de façon plus ou
moins occulte, active ces mêmes
préparatifs, ivre de revanche.
Les États-Unis, la France,
l'Italie, l'Angleterre, le Japon, sont plus
formidablement armés que jamais. D'où
partira l'étincelle qui fera à
nouveau tout sauter ? Des Balkans ? De la
Pologne ? De la Chine ? Nul ne le sait.
Inquiet, on attend. Et on se
prépare...
À l'intérieur de
chaque nation, les partis politiques ont repris
leurs positions d'avant-guerre, et les luttes
intestines y sont plus âpres, plus cyniques
que jamais.
Dans le domaine économique,
industriel, les rivalités entre producteurs
nationaux, entre producteurs internationaux,
s'inspirent des mêmes jalousies, des
mêmes fièvres d'avarice, des
mêmes homicides
égoïsmes.
En sorte que ce monde tout
pantelant
encore de ses effroyables blessures, toujours
ouvertes, semble danser comme
avant la guerre, son atroce ronde du scalpel, le
poignard aux dents, le hanap de tous les
stupéfiants aux lèvres.
Comme avant la guerre, plus
qu'avant
la guerre, ce monde « touche le
fond », est mûr pour le feu des
jugements divins.
Ce n'est ni avec de l'encre de Chine, Messieurs
les Politiciens de ce siècle, ni avec une
plume d'or que sera jamais signé le
Traité qui peut donner la paix au monde,
c'est avec les clous et le sang de la
Croix.
Vous en ferez de plus en plus
l'amère et l'humiliante expérience.
Et le péché de l'Eglise, c'est d'y
avoir cru à cette paix définitive du
monde par la Société des Nations et
le traité de Versailles. Dans ses journaux
religieux, - leur immense
généralité, elle a
célébré les noms des Wilson et
des autres à l'égal des noms des
prophètes d'Israël.
Dans des épithalames
attendris, elle a chanté les
fiançailles de la paix et du monde ;
elle a embouché les trompettes d'argent pour
le rassemblement de la chrétienté
autour de l'autel nouveau, et a convié tous
les hommes à communier dans la
fraternité universelle.
L'Eglise a répondu à
l'invitation des nations et des grands de la
terre ; elle s'est assise aux premières
places du festin, elle a trempé ses
lèvres dans la coupe d'honneur, elle a
acclamé sans réserve
l'avènement des temps nouveaux où la
justice et la paix rempliront la terre.
Et son aveuglement fut tel
qu'elle
ne s'est même pas
aperçue qu'à ces noces glorieuses
quelqu'un manquait, quelqu'un était tenu
à la porte, quelqu'un n'avait même pas
été invité.
Ce n'était pourtant pas un
mince personnage, quelque valet de basse
besogne.
Oui, ce quelqu'un, ô
Église, non seulement tu n'as pas osé
exiger sa présence sous peine de refus de ta
part d'entrer dans la salle du festin, mais tu n'as
même pas remarqué son absence. Et ce
quelqu'un c'était le Prince de la paix,
l'Admirable, le Conseiller, l'Auteur de toute paix
possible sur la terre, ton Créateur et ton
Époux.
Oui, telle est ta tiédeur,
telle est ton indifférence vis-à-vis
de Jésus-Christ, que cette insulte, tu ne
parais pas même t'en être rendu
compte ! Ce retentissant soufflet donné
à ton Maître n'a pas fait rougir tes
joues, et tu continues à penser et à
croire, ô Église, que tu n'as
nullement à prendre le sac et la cendre pour
cet affront dont tu t'es, par ton silence, faite
complice, cet affront à Celui que tu
continues à appeler, dans ton inconscience
inouïe, ton grand Ami, ton Chef
suprême...
Ainsi, l'Eglise est en danger, parce qu'elle
s'est solidarisée avec le monde, parce
qu'elle n'a rien fait ni pour conjurer la crise qui
va rapidement vers son paroxysme, ni pour sonner
l'alarme.
Tout au contraire, l'Église
se pâme d'admiration devant le monde, devant
ses retentissants programmes de pacification
universelle, et si Rome, en de nombreuses occasions
a protesté de sa méfiance
vis-à-vis de la Société des
Nations, par dépit probablement d'en avoir
été évincée, les
Églises de la Réforme, elles, n'ont
eu pour cette institution, saluée presque de
divine, que louanges et
applaudissements sans réserve.
Lorsque le 27 janvier 1918 le
Conseil de la Fédération protestante
fut reçu à Paris par le
Président Wilson, les discours des
délégués du protestantisme, M.
le pasteur Wilfred Monod et M. Cornélis de
Witt, furent frémissants
d'enthousiasme ; et les prophètes du
Nouvel Évangile, un Évangile qui
propose au monde une paix universelle dont
Jésus-Christ est exclu, conjuraient l'Eglise
d'examiner « le problème de la
Société des Nations dans ses rapports
avec l'idéal prophétique et
chrétien du Royaume de Dieu
(8) ».
Tous nos journaux religieux
battaient à l'unisson. Contentons-nous de
résumer l'article de tête du
« Témoignage ».
Sous la plume du pasteur P. Pfender, on pouvait
lire, à la date du 22 janvier
1919 :
- « Nous saluons avec
joie
- je dirai plus, avec respect, - l'ouverture du
Congrès de la Paix qui sera sans doute l'un
des événements les plus importants de
l'histoire du monde... Le vieux monde est fini, un
monde nouveau va naître que nous saluons
d'avance. Nous demandons au Seigneur de
bénir les travaux de tous les
représentants de la Civilisation,
réunis en ce moment à Paris ; il
faut que le Saint-Esprit inspire leurs
délibérations et leurs
décisions, que de tous les points de la
terre cette prière s'élève
vers le trône de Dieu : « Que
ton règne vienne ! » Nous
avons la certitude qu'un grand pas va être
fait vers cet idéal que tous les
chrétiens aspirent à voir se
réaliser : le royaume de Dieu sur la
terre. »
Qu'a dû penser le Saint-Esprit
du comminatoire : « il faut
que le Saint-Esprit inspire leurs
délibérations ! »
quand il s'agissait des délibérations d'hommes,
dont la grande
majorité étaient des
indifférents religieux, des païens, ou
des athées ?...
« Le vieux
monde est
fini, un monde nouveau va
naître... » Ces grandes phrases
feraient rire, n'étaient la honte et la
tristesse de voir méconnues à ce
point les paroles du Souverain Maître et
Fondateur de l'Eglise, avertissant les
générations futures que c'est
exactement le contraire qui se passerait,
prédisant qu'à son retour ce monde
serait dans les conditions mêmes où se
trouvait le monde contemporain de Noé au
moment du déluge, ou de Lot, au moment de la
destruction de Sodome et de Gomorrhe...
« Lorsque le Fils de l'homme viendra,
trouvera-t-il la foi sur la
terre ? » St
Luc XVIII, 8.
Si du moins ce mépris absolu
des avertissements tragiques de Jésus et des
apôtres eût été le fait
d'agnostiques obstinés on comprendrait. Mais
non, les hommes qui font ainsi fi des paroles
prophétiques du Sauveur, sont
sincèrement persuadés d'être
demeurés les défenseurs les plus
fidèles et les plus qualifiés de
l'Évangile, les interprètes les plus
sûrs de son esprit !
Et lorsque dans le recul du
temps on
relit toutes ces étranges prophéties,
et que l'on repasse les expériences des
années dernières avec leurs
amères déceptions, le manque absolu
de parole aux engagements solennels, aux pactes,
aux traités successifs qui se contredisent,
se renient les uns les autres, quand on voit ce
monde toujours aussi matérialiste, aussi
jouisseur, égoïste et impie, comment ne
pas être humilié du démenti
cynique infligé par les faits aux
prédictions des plus en vue de nos
conducteurs religieux ?
Et quelle confiance nos
troupeaux,
pour peu qu'ils soient capables de logique et de
réflexion, peuvent-ils désormais
avoir en l'autorité spirituelle de leurs
chefs de file ?
Ainsi l'Eglise est donc bien solidaire du monde
puisqu'elle encense les mêmes idoles, qu'elle
en épouse sans réserve les illusions
inouïes. D'autant plus terrible sera le
réveil.
- « ... Plus
tard, les
autres vierges vinrent et dirent : Seigneur,
Seigneur, ouvre-nous ! Mais il
répondit : Je vous le dis en
vérité, je ne vous connais
pas ! »
Si l'Eglise ne se repent pas, si
elle ne prend pas le sac et la cendre, c'est devant
une porte fermée qu'elle se
réveillera, une porte qu'aucune objurgation,
aucune puissance humaine ne sera capable
d'entr'ouvrir.
Alors, l'Eglise comprendra. Mais
ce
sera trop tard :
- « Et en un
même
jour ses fléaux arriveront, la mort, le
deuil et la famine et elle sera consumée par
le feu. Car il est puissant, le Seigneur Dieu qui
l'a jugée... » Apoc.
XVIII, 8.
Dans la salle en fête, ce sera
le festin des noces de l'Agneau, la joie ineffable
de la contemplation de l'Époux. Au dehors
rugira la tempête
déchaînée sur le
monde.
Jugée avec le monde,
qui ? - l'Eglise infidèle,
rétive à la parole de son
Maître, la veuve joyeuse qui s'est
amourachée du monde, qui s'est
prostituée aux nations de ce siècle
mauvais.
- | Table des matières | Chapitre suivant |