Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

I

La situation

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« Un chien aboie quand son maître est attaqué ;
je serais bien lâche si, voyant la vérité de Dieu assaillie,
je faisais du muet, sans sonner mot ».

CALVIN.



Avec une virulence de termes et une véhémence agressive, qui auront sûrement été remarquées, un de nos meilleurs journalistes religieux dénonçait récemment, dans son hebdomadaire, les périls menaçants de la patrie.
Quelques réserves qui fussent faites sur cette véritable catilinaire, on ne pouvait qu'admirer l'ardeur, le courage avec lequel notre confrère parlait.

Les personnes y étaient aussi violemment prises à partie que les idées et les choses, et en lisant on était saisi d'une véritable angoisse. Car un chrétien, si mystique qu'il soit, ne peut se désintéresser du sort de son pays, berceau de ses ancêtres, à qui le lient tant de dettes de reconnaissance.
Plus : il aime sa patrie, il est prêt à faire pour elle tous les sacrifices que ses intérêts vitaux commandent, et il prie pour elle avec une ardeur qui ne peut se lasser. C'est-ce à quoi paraît formellement nous inviter l'Évangile.
La vieille devise huguenote Christ et France est belle, fière et vraie.

Aimerions-nous d'un moins grand amour notre patrie céleste, et avec elle l'Eglise, sur qui repose en définitive la patrie terrestre, je veux dire sans qui tout s'écroule, puisque c'est par l'entremise de l'Eglise que nous avons les promesses, non seulement de la vie à venir mais de la vie présente. Plus d'Eglise, plus de famille, plus de patrie. L'abîme.
Alors, quand nous voyons de nos yeux, quand nous sentons dans nos âmes, que l'Eglise est menacée gravement, qu'elle est à la veille de la pire catastrophe, c'est sur des airs de flûte que nous chanterions notre angoisse ?

Si nous, les défenseurs de l'Eglise, assistons froidement à ses convulsions dernières, comment nous étonner que le monde prenne si peu au sérieux notre ministère ?



Notre patrie, la France, on l'a dit, est en danger. Et toutes les nations de la terre, à cette heure, en sont là. Mais, démontrer que l'Eglise est autant, sinon plus, en danger, c'est une autre affaire. On s'expose, à le déclarer, à mille fois plus d'embarras, de reproches, de méfiances, de contradictions.
Pourquoi cela ?
Premièrement, parce qu'on ne voit en vous qu'un pessimiste, un douteur. Vous manquez de foi.
- Notre Église réformée (1), nous dit-on, partie de l'Eglise fondée par Jésus-Christ, éprouvée par deux siècles de souffrances et de persécutions, rien ne peut l'ébranler. Des éclipses passagères, oui. Mais elle en a vu d'autres. Dieu l'a toujours secourue.
Et puis, n'exagérons pas. Nos déficits financiers, dites-vous ? Mais comparez les budgets de nos oeuvres et de nos églises actuels avec ceux d'il y a cinquante ans. Et puis ne finissent-ils toujours point par se combler ?

Nos cultes sont de moins en moins fréquentés ? Le côté spirituel vous inquiète ? Mais soyez juste. Qu'était le protestantisme au début du siècle dernier ? Une ruine. Le réveil est venu. Le grand réveil de 1825...
Et puis, d'une façon plus générale, comparez l'Eglise du Moyen-Age avec ce qu'elle est aujourd'hui. Voyez enfin les Missions ! Quel bond formidable depuis que prit son élan, il y a cent ans, le mouvement de conquête missionnaire !

Tout ceci est parfaitement juste, et par d'autres beaux côtés encore on pourrait contempler ce splendide édifice qu'est l'Eglise, tout aussi bien l'Eglise romaine que les Églises issues de la Réforme.
Mais tout ce même bien que l'on peut ainsi trouver dans l'Eglise, on peut le constater également dans le monde, et l'on peut dire :

« Vous trouvez que le monde va mal ? Allons, allons, quittez ces lunettes noires, regardez sans parti-pris autour de vous. Est-ce que jamais les conditions matérielles de la vie ont été aussi faciles, aussi avantagées, ont assuré autant de bonheur ? Voyez ces lois multiples de solidarité, d'assurances, de préservation sociale... Mais ce monde est un paradis en comparaison de ce qu'il était il y a seulement cent ans. »
Ainsi raisonnait Candide.

Mais ces raisons ne nous persuadent pas. Ne savons-nous point, par exemple, que jamais la criminalité juvénile n'a été aussi élevée que de nos jours ; qu'elle s'est accrue de plus de 450 % ces derniers 75 ans ? Ne savons-nous pas que jamais le passif moral du monde n'a été aussi effrayant ? (2)
Et quel est le passif de l'Eglise ?

Notre but n'est pas de passer en revue ses péchés moraux, ses compromis mondains de toute nature, souvent stigmatisés du reste par de courageux serviteurs de Dieu. Chacun sait s'ils sont graves.
Nous nous bornons à dénoncer ici ses péchés d'ordre spirituel, cause majeure des premiers.

Écoutons-donc les voix les plus diverses :
« L'Eglise a généralement été du mauvais côté... Ne dit-on pas quel formidable passif révèle l'histoire de la chrétienté... Plus que jamais ce monde appartient aux puissances de ténèbres qui ont crucifié le Fils de l'Homme sur le Golgotha européen (3). »
« Il faut bien avouer, lit-on autre part (4) que le déroulement même des événements semble impliquer en Occident un recul sensible de l'influence de l'Eglise, peut-être même une dégradation progressive du sentiment religieux.. Les faits semblent accuser, à travers l'histoire de l'Europe, un déclin inexorable de l'Esprit... C'est au-dessous de lui, vers la terre, vers la matière que se porte l'attention de l'homme. »

Et il y a deux ans, dans sa leçon d'ouverture à la Faculté de théologie de Paris, le professeur Wautier d'Aygalliers, ayant passé en revue les causes de l'effondrement de l'empire Gréco-Romain au IIIe siècle, pouvait conclure par le rapprochement entre cette civilisation écroulée et nos temps modernes. Un cri d'alarme est donc poussé par quiconque voit clair aujourd'hui dans ce monde et dans l'Eglise.
Mais voici qui pourra mieux encore nous permettre de mesurer dans quels bas-fonds de pauvreté spirituelle en est arrivée l'Eglise :
La « Conférence missionnaire » se réunissait à Jérusalem, il y a trois ans. Dans son message adressé aux Églises, après avoir en quelques mots saisissants dépeint l'état actuel du monde, état à peu près désespéré, le Comité déclarait :
« Il n'est pas jusqu'aux règles de la vie morale les mieux établies qui ne soient aujourd'hui contestées. Et pour beaucoup, c'est même une question de savoir s'il y a vraiment une Vérité et un Bien absolus. L'inquiétude humaine n'a jamais été plus universelle qu'aujourd'hui. »
Or, après une telle constatation, que nous propose, pour la rénovation des Églises et du monde, la plus haute expression spirituelle du Christianisme évangélique qu'était cette Conférence missionnaire de Jérusalem. On demeure confondu.
Voici comment conclut ce document extraordinaire :

« Nous reconnaissons comme constituant des éléments de la Vérité unique :
« Le sentiment profond de la majesté de Dieu, l'esprit de respect apporté dans le culte, tels que nous les trouvons dans la religion musulmane ;
« La profonde sympathie pour la souffrance humaine, et la recherche désintéressée pour s'en échapper qui sont à la base du Bouddhisme ;
« Le désir d'un contact avec la Réalité suprême conçue comme une entité spirituelle, qui est la marque distinctive de l'Hindouisme,
« La croyance en une loi morale qui régit l'univers entier, telle qu'elle est professée par le Confucianisme,
« La poursuite désintéressée de la Vérité et la recherche de l'accroissement du bien-être humain, que l'on trouve fréquemment chez ceux qui croient au progrès de la civilisation, mais n'acceptent pas Jésus-Christ pour leur Seigneur et Sauveur.



« Nous convions les adeptes des religions non chrétiennes à demeurer fermes dans la foi au monde invisible et éternel, et à se joindre à nous pour une lutte acharnée contre tous les maux engendrés par la civilisation moderne. »




On aurait pu nommer le Judaïsme. On se trouvait à Jérusalem. C'eût été déférent.
Qui sondera la profondeur d'anarchie doctrinale de notre protestantisme mondial sur les notions élémentaires du salut et de la naissance d'En-Haut, pour qu'une pareille déclaration, qui contient bien d'autres idées aussi stupéfiantes, ait pu passer sans protestation, à notre connaissance du moins, dans nos grands organes religieux d'Europe, d'Amérique et d'ailleurs ?

Qui dira la confusion inextricable qui règne dans la mentalité « évangélique » moderne, sur les notions d'autorité de la Parole de Dieu, les notions d'Eglise, de sacrements, de moyens de grâce, sur l'application des plus simples et des plus positifs des commandements de Jésus et du Saint-Esprit, que sous-entend l'élaboration d'un tel programme où Bouddhistes, Hindouistes, Juifs, Musulmans, Incrédules de tout horizon, sont invités à s'unir pour le salut du monde sous la bannière de Jésus-Christ ?

L'Eglise de Jésus-Christ est en danger.
Mais est-ce assez dire qu'elle est en danger ?




II

Les péchés de la chair et les péchés de l'esprit

Perversions de l'esprit, dans l'Eglise


Au fait, il n'y a pas crise de l'Eglise. Il y a crise de la Vérité dans l'Eglise. On trahit l'Eglise.
Le cadre de l'Eglise, ses liturgies, ses oeuvres, sa science, tout cela reste intact, relativement. Et du reste l'Eglise, en soi, institution fondée par Jésus-Christ, défie toute attaque des hommes.
On n'attaque donc pas ici l'Eglise.
Mais on fait le procès des ennemis de l'Eglise, funestes amis, qui, persuadés de la protéger, de la servir, y dénaturent à qui mieux mieux la pensée de son Fondateur.
C'est à eux que nous parlons.

On nous reprochera d'exagérer, d'être d'une insupportable injustice. l'Église moderne a une tenue si haute, si digne...
Nous répondrons, pour commencer, par la déclaration de principe trouvée dans l'étude si profondément spirituelle et vraie : Les tendances païennes dans le protestantisme. de M. Henri Leenhardt (5) :
- « Toutes les confusions qui égarent la pensée chrétienne sur ce sujet, y est-il dit, viennent de mauvaises définitions du péché. Pour la plupart, le péché est l'ensemble des fautes morales (au sens vulgaire), alors que le péché est l'ensemble des fautes spirituelles. »

C'est bien cela : La grossière idolâtrie, les dépravations de la chair, le blasphème, le crime, sont seuls considérés « péchés graves » et soulèvent l'indignation d'un « évangélisme » païen. Mais le libertinage spirituel - que l'on recouvre du manteau du libre examen - est péché « véniel », si même péché du tout (6).

Relevons également cette pensée, de l'étude citée :
« La valeur des actions humaines (dans un protestantisme à tendances païennes) est estimée d'après leur portée sociale. Les fautes les plus graves sont celles qui troublent l'ordre social, tandis que les fautes qui dérangent, ou même renient l'ordre spirituel sont qualifiées de défauts ou de travers... On perd de vue que les plus grands péchés spirituels ne sont pas les plus grandes fautes morales. »
Admirablement dit. Cette norme est la nôtre.
Combien nous sommes reconnaissant à M. H. Leenhardt d'avoir formulé si nettement, si fortement, ces discriminations. Quel soulagement pour l'esprit !

Je conclus donc que les théologies libertines qui nient la déité de Jésus-Christ, qui nient, ou rejettent, la valeur de l'expiation sanglante du Calvaire, qui tendent, par leurs doutes ou leurs critiques, à ébranler l'autorité souveraine de l'Écriture, sont le fruit d'une perversion de l'esprit dont les conséquences sont autrement plus graves que le péché de l'ivrogne ou de l'assassin. Ceux-ci peuvent tuer le corps, pour le temps, celles-là, les théologies libertines, damnent les âmes pour l'éternité.

Le porte-parole du Judaïsme (7) se félicitait dans un livre récent de l'abandon progressif du dogme chrétien par un protestantisme de plus en plus « spiritualisé », escomptant la fusion des deux religions dans un avenir plus ou moins prochain.

Il vaut la peine de citer :
- « Le protestantisme a abandonné, suivant l'impulsion irrésistible de l'esprit d'examen et du besoin de sincérité qui l'a fait naître, plus d'une position dogmatique ancienne intenable... Après des siècles d'intense méditation spirituelle, de haute psychologie religieuse, d'approfondissement des Livres saints, ses pasteurs d'extrême gauche ont fait en quelque sorte descendre Jésus du ciel trinitaire sur la terre, ils ne voient plus dans les rites sacramentels que des symboles, dans des dogmes comme l'Incarnation ou la Résurrection que des sortes de métaphores. Tout en maintenant, par une tendresse d'autant plus intense qu'elle n'idolâtre plus, un Fils de Dieu tout humain, le plus haut des humains, le révélateur-type de l'Esprit, ils souhaitent d'ériger de plus en plus le « Temple de l'Esprit » au-dessus des Églises particulières. »

Un pareil hommage fait frémir de douleur et de honte.
Hâtons-nous d'ajouter : Sont tout autant coupables et relèvent de la même perversion de l'esprit, le pharisaïsme hypocrite et méprisant du chrétien doctrinaire, l'odieux esprit sectaire, l'égoïsme religieux.
Nous espérons que ces quelques mots de mise au point et de franche explication coupent court à toute équivoque.




L'Église et la Société des Nations

Le consentement de l'Eglise aux programmes illusoires de paix universelle de la politique de ce monde, en dépit et au mépris des plus solennels avertissements du Christ, est l'un de ces graves péchés de l'esprit.

C'est Jésus-Christ seul qui établira la paix définitive sur la terre.

Le monument gigantesque auquel, pendant de longs mois, ont collaboré les hommes politiques les plus illustres de notre siècle, reçut, le 28 juin 1919, à Versailles, dans une explosion de manifestations populaires, la plus éclatante consécration officielle.
Une plume d'or en main, 80 ministres plénipotentiaires des principales nations civilisées du monde ont apposé leur paraphe au bas du document considéré, non pas seulement comme un simple traité conclu avec l'Allemagne par les nations alliées, mais comme la Charte de paix de la Société universelle des Nations.

Nos soldats, nos héros tombés dans la lutte atroce, recevaient enfin la récompense de leurs efforts. N'étaient-ils pas partis pour faire la guerre non seulement à l'Allemagne, mais à la guerre elle-même ? Et en ce jour mémorable, digne pendant du 11 novembre 1918, une vraie paix succédait à l'armistice, la Paix définitive était déclarée au monde.
Quelle date ! proclamaient à l'envi tous les journaux. Aucune date ne lui est comparable. Et les mots millénium, paradis terrestre, commencement de l'âge d'or, furent souvent prononcés en cette semaine d'ivresse.

Douze ans ont passé. Qui se souvient encore de ce jour ? Et que reste-t-il du traité de Versailles ? Moins qu'un chiffon de papier.
Quel écrit fameux a été plus froissé, piétiné, galvaudé... ?

D'autres traités ont suivi, se substituant les uns aux autres, collés les uns sur les autres telles des tapisseries nouvelles sur de vieilles tapisseries sales et déchirées, des plans ont été élaborés sur ces ruines, rapiéçant, ravaudant au petit bonheur tout ce travail de Pénélope.

En ces derniers jours de mai 1931, la rubrique apparaissait pour la cinquantième fois au moins dans nos journaux :
- L'Allemagne demandera-t-elle la révision du plan Young ?
Pauvre plan Young ! Que peut-il bien en rester après l'acceptation, quelles que soient les réserves faites, de la Proposition du Président Hoover ?

Quoi qu'il en soit, l'Europe, le monde, sont dans un état d'effervescence et d'inquiétude qui fait parfois songer à celui du mois de juillet 1914.
La Russie, armée jusqu'aux dents, prépare « sa guerre », ivre de massacres.
L'Allemagne, de façon plus ou moins occulte, active ces mêmes préparatifs, ivre de revanche.
Les États-Unis, la France, l'Italie, l'Angleterre, le Japon, sont plus formidablement armés que jamais. D'où partira l'étincelle qui fera à nouveau tout sauter ? Des Balkans ? De la Pologne ? De la Chine ? Nul ne le sait. Inquiet, on attend. Et on se prépare...
À l'intérieur de chaque nation, les partis politiques ont repris leurs positions d'avant-guerre, et les luttes intestines y sont plus âpres, plus cyniques que jamais.
Dans le domaine économique, industriel, les rivalités entre producteurs nationaux, entre producteurs internationaux, s'inspirent des mêmes jalousies, des mêmes fièvres d'avarice, des mêmes homicides égoïsmes.

En sorte que ce monde tout pantelant encore de ses effroyables blessures, toujours ouvertes, semble danser comme avant la guerre, son atroce ronde du scalpel, le poignard aux dents, le hanap de tous les stupéfiants aux lèvres.
Comme avant la guerre, plus qu'avant la guerre, ce monde « touche le fond », est mûr pour le feu des jugements divins.




Ce n'est ni avec de l'encre de Chine, Messieurs les Politiciens de ce siècle, ni avec une plume d'or que sera jamais signé le Traité qui peut donner la paix au monde, c'est avec les clous et le sang de la Croix.
Vous en ferez de plus en plus l'amère et l'humiliante expérience.




Et le péché de l'Eglise, c'est d'y avoir cru à cette paix définitive du monde par la Société des Nations et le traité de Versailles. Dans ses journaux religieux, - leur immense généralité, elle a célébré les noms des Wilson et des autres à l'égal des noms des prophètes d'Israël.
Dans des épithalames attendris, elle a chanté les fiançailles de la paix et du monde ; elle a embouché les trompettes d'argent pour le rassemblement de la chrétienté autour de l'autel nouveau, et a convié tous les hommes à communier dans la fraternité universelle.

L'Eglise a répondu à l'invitation des nations et des grands de la terre ; elle s'est assise aux premières places du festin, elle a trempé ses lèvres dans la coupe d'honneur, elle a acclamé sans réserve l'avènement des temps nouveaux où la justice et la paix rempliront la terre.
Et son aveuglement fut tel qu'elle ne s'est même pas aperçue qu'à ces noces glorieuses quelqu'un manquait, quelqu'un était tenu à la porte, quelqu'un n'avait même pas été invité.
Ce n'était pourtant pas un mince personnage, quelque valet de basse besogne.

Oui, ce quelqu'un, ô Église, non seulement tu n'as pas osé exiger sa présence sous peine de refus de ta part d'entrer dans la salle du festin, mais tu n'as même pas remarqué son absence. Et ce quelqu'un c'était le Prince de la paix, l'Admirable, le Conseiller, l'Auteur de toute paix possible sur la terre, ton Créateur et ton Époux.

Oui, telle est ta tiédeur, telle est ton indifférence vis-à-vis de Jésus-Christ, que cette insulte, tu ne parais pas même t'en être rendu compte ! Ce retentissant soufflet donné à ton Maître n'a pas fait rougir tes joues, et tu continues à penser et à croire, ô Église, que tu n'as nullement à prendre le sac et la cendre pour cet affront dont tu t'es, par ton silence, faite complice, cet affront à Celui que tu continues à appeler, dans ton inconscience inouïe, ton grand Ami, ton Chef suprême...




Ainsi, l'Eglise est en danger, parce qu'elle s'est solidarisée avec le monde, parce qu'elle n'a rien fait ni pour conjurer la crise qui va rapidement vers son paroxysme, ni pour sonner l'alarme.
Tout au contraire, l'Église se pâme d'admiration devant le monde, devant ses retentissants programmes de pacification universelle, et si Rome, en de nombreuses occasions a protesté de sa méfiance vis-à-vis de la Société des Nations, par dépit probablement d'en avoir été évincée, les Églises de la Réforme, elles, n'ont eu pour cette institution, saluée presque de divine, que louanges et applaudissements sans réserve.

Lorsque le 27 janvier 1918 le Conseil de la Fédération protestante fut reçu à Paris par le Président Wilson, les discours des délégués du protestantisme, M. le pasteur Wilfred Monod et M. Cornélis de Witt, furent frémissants d'enthousiasme ; et les prophètes du Nouvel Évangile, un Évangile qui propose au monde une paix universelle dont Jésus-Christ est exclu, conjuraient l'Eglise d'examiner « le problème de la Société des Nations dans ses rapports avec l'idéal prophétique et chrétien du Royaume de Dieu (8) ».

Tous nos journaux religieux battaient à l'unisson. Contentons-nous de résumer l'article de tête du « Témoignage ». Sous la plume du pasteur P. Pfender, on pouvait lire, à la date du 22 janvier 1919 :
- « Nous saluons avec joie - je dirai plus, avec respect, - l'ouverture du Congrès de la Paix qui sera sans doute l'un des événements les plus importants de l'histoire du monde... Le vieux monde est fini, un monde nouveau va naître que nous saluons d'avance. Nous demandons au Seigneur de bénir les travaux de tous les représentants de la Civilisation, réunis en ce moment à Paris ; il faut que le Saint-Esprit inspire leurs délibérations et leurs décisions, que de tous les points de la terre cette prière s'élève vers le trône de Dieu : « Que ton règne vienne ! » Nous avons la certitude qu'un grand pas va être fait vers cet idéal que tous les chrétiens aspirent à voir se réaliser : le royaume de Dieu sur la terre. »

Qu'a dû penser le Saint-Esprit du comminatoire : « il faut que le Saint-Esprit inspire leurs délibérations ! » quand il s'agissait des délibérations d'hommes, dont la grande majorité étaient des indifférents religieux, des païens, ou des athées ?...

« Le vieux monde est fini, un monde nouveau va naître... » Ces grandes phrases feraient rire, n'étaient la honte et la tristesse de voir méconnues à ce point les paroles du Souverain Maître et Fondateur de l'Eglise, avertissant les générations futures que c'est exactement le contraire qui se passerait, prédisant qu'à son retour ce monde serait dans les conditions mêmes où se trouvait le monde contemporain de Noé au moment du déluge, ou de Lot, au moment de la destruction de Sodome et de Gomorrhe... « Lorsque le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » St Luc XVIII, 8.

Si du moins ce mépris absolu des avertissements tragiques de Jésus et des apôtres eût été le fait d'agnostiques obstinés on comprendrait. Mais non, les hommes qui font ainsi fi des paroles prophétiques du Sauveur, sont sincèrement persuadés d'être demeurés les défenseurs les plus fidèles et les plus qualifiés de l'Évangile, les interprètes les plus sûrs de son esprit !

Et lorsque dans le recul du temps on relit toutes ces étranges prophéties, et que l'on repasse les expériences des années dernières avec leurs amères déceptions, le manque absolu de parole aux engagements solennels, aux pactes, aux traités successifs qui se contredisent, se renient les uns les autres, quand on voit ce monde toujours aussi matérialiste, aussi jouisseur, égoïste et impie, comment ne pas être humilié du démenti cynique infligé par les faits aux prédictions des plus en vue de nos conducteurs religieux ?

Et quelle confiance nos troupeaux, pour peu qu'ils soient capables de logique et de réflexion, peuvent-ils désormais avoir en l'autorité spirituelle de leurs chefs de file ?




Ainsi l'Eglise est donc bien solidaire du monde puisqu'elle encense les mêmes idoles, qu'elle en épouse sans réserve les illusions inouïes. D'autant plus terrible sera le réveil.
- « ... Plus tard, les autres vierges vinrent et dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous ! Mais il répondit : Je vous le dis en vérité, je ne vous connais pas ! »

Si l'Eglise ne se repent pas, si elle ne prend pas le sac et la cendre, c'est devant une porte fermée qu'elle se réveillera, une porte qu'aucune objurgation, aucune puissance humaine ne sera capable d'entr'ouvrir.
Alors, l'Eglise comprendra. Mais ce sera trop tard :
- « Et en un même jour ses fléaux arriveront, la mort, le deuil et la famine et elle sera consumée par le feu. Car il est puissant, le Seigneur Dieu qui l'a jugée... » Apoc. XVIII, 8.

Dans la salle en fête, ce sera le festin des noces de l'Agneau, la joie ineffable de la contemplation de l'Époux. Au dehors rugira la tempête déchaînée sur le monde.
Jugée avec le monde, qui ? - l'Eglise infidèle, rétive à la parole de son Maître, la veuve joyeuse qui s'est amourachée du monde, qui s'est prostituée aux nations de ce siècle mauvais.




(1) Nous pensons. avec la même angoisse, à toutes les Églises issues de la réforme dont nous appelons l'ensemble : l'Église tout court. 

(2) « La soif de jouir, même bassement, est effrénée, les subordinations naturelles sont foulées aux pieds, le respect s'en va, les notions les mieux assises chancellent... Si la gangrène n'a pas gagné le corps tout entier, c'est parce qu'il il a encore des âmes d'élite qui réagissent, empêchant ainsi l'effondrement total... » (Le Christianisme au XXe siècle, août 1925.) 

(3) Revue du Christianisme Social, numéro de Stockholm, pages 1053. 1054. 

(4) Le Christianisme au XXe siècle, 12 juillet 1928, Eric Dardel.

(5) Revue du Christianisme Social, mars-mai 1931. 

(6) Rome est au pôle opposé : Peccato di carne, peccato di nulla. y entend-on dire tout bas ; là ou passe l'éponge sur le péché « mortel », mais on ne transige pas sur le péché d'« hérésie ». Extrême contraire dans une même aberration. 
(7) Le Judaïsme, par Julien Weill. p. 217.

(8) Évangile et Liberté du 4 janvier 1919, 
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