Nous oublions notre propre enfance. Nous
oublions, en parlant aux enfants, notre goût
prédominant pour les belles histoires, quand
nous étions nous-mêmes des enfants. Et
nous abreuvons ces pauvres petits de sermons, de
doctrines, de formules morales que leur esprit ne
saurait digérer, et qu'il rejettera tout
simplement.
Oui, il faut raconter des histoires à
nos enfants, mais en nous gardant des
réflexions morales dont nous sommes enclins
à les assaisonner. Laissons aux enfants le
soin de trouver par eux-mêmes la leçon
que nous en voulons tirer. Elle leur sera d'autant
plus profitable.
Surtout ne donnons pas en pâture
à nos enfants de ces histoires visiblement
fabriquées pour les besoins de la cause. Ils
sauraient vite les comparer avec les histoires
vraies qu'on leur apprend à l'école,
et la comparaison ne serait pas flatteuse pour nos
récits fictifs et truqués. Apprenons
à nos enfants les histoires de la Bible,
sans y mettre autre chose que ce qu'il y a dedans.
Apprenons-leur aussi les histoires des premiers
martyrs et des grands chrétiens
jusqu'à nos jours.
Comment faut-il raconter les histoires de la
Bible, pour qu'elles fassent de l'impression sur
les enfants ?
Avant tout, il faut les raconter en un
langage aussi simple et aussi familier que
possible, de manière qu'elles soient tout
à fait accessibles aux enfants. Remarquez
qu'il n'est pas du tout nécessaire, avant de
raconter une de ces histoires, d'annoncer que c'est
une histoire « tirée de la
Bible ». C'est une histoire, voilà
tout, et qui porte en elle-même son
intérêt.
Il vaut mieux que vous ne commenciez pas
votre histoire tout de suite, surtout si vous
êtes devant un groupe d'enfants
réunis. Il faut d'abord qu'ils se calment un
peu, qu'ils soient disposés à
écouter en silence, qu'ils n'aient pas autre
chose qui les préoccupe. Ne vous imaginez
pas qu'il vous suffira de dire :
« Mes enfants, je vais vous raconter une
histoire tirée de la Bible » pour
que vos petits auditeurs soient tout oreilles.
Presque toujours ils ont quelque chose à
vous raconter eux-mêmes qui est pour eux du
plus haut intérêt. Laissez-les donc,
dans les deux ou trois premières minutes,
avoir la satisfaction de dire quelque chose, de
vous raconter un incident qui les a frappés,
par exemple la rencontre d'un animal curieux.
Cela ne durera pas bien longtemps parce que
les autres enfants en ont vite assez de ce que l'un
d'eux est fier de raconter. Ils seront tous
attentifs quand vous leur direz :
« Eh ! bien, moi, je sais une
histoire d'il y a très, très
longtemps » ou bien :
« J'en sais une autre, moi, une vieille
histoire, mais très intéressante;
vous allez voir » - enfin quelque chose
qui pique leur attention.
Quand vous voulez raconter une histoire de
la Bible de manière qu'elle fasse le plus
d'impression possible sur les enfants, il y a cinq
points différents sur lesquels je voudrais
ici faire quelques remarques :
1° La préparation,
2° Le récit ;
3° Les gestes et la mise en
scène ;
4° L'illustration ;
5° La répétition de
l'histoire par les enfants eux-mêmes.
1° La préparation.
Lisez et relisez l'histoire pour vous-même
plusieurs fois, bien avant de la raconter, dans un
ou de préférence dans plusieurs des
innombrables recueils d'histoires de la Bible pour
les enfants que vous trouverez en librairie. Il en
existe dans chacune de nos confessions
différentes. Choisissez pour votre
première lecture celui qui vous satisfait
personnellement le mieux. Relisez ensuite ce
même récit dans le recueil dont le
langage est le mieux adapté à
l'âge des enfants auxquels vous vous proposez
de le raconter. Enfin, après tout cela,
relisez-le dans le texte même de la Bible.
Faites cette lecture à haute voix, pour que
votre oreille saisisse mieux toutes les
beautés du texte, les traits saillants, les
détails impressifs. Et maintenant
préparez votre propre version.
Peut-être qu'au début vous
éprouverez le besoin de l'écrire tout
au long, de peur que votre mémoire ne vous
trahisse. Mais vous arriverez bientôt
à n'avoir plus besoin que d'un
résumé, d'un simple mémento
qui vous rappelle la suite des
faits, les points saillants, les versets de la
Bible que vous citerez textuellement, et cela
suffira. Les enfants ne sont pas du tout refroidis
par le fait que vous consultez vos notes, alors
même qu'ils préfèrent que vous
ne lisiez pas tout du long une histoire dans un
livre. D'ailleurs, lire à des enfants et
leur raconter une histoire sont deux choses
très différentes ; la même
personne est rarement capable de faire les deux
choses également bien. Les enfants acceptent
très bien que vous vous serviez de notes, et
quand vous serez arrivé à bien
posséder l'art de raconter une histoire,
alors ils ne s'apercevront même plus que vous
avez des notes. Mais pour vous, il est essentiel
que vous rédigiez ce résumé,
même si vous racontez l'histoire sans y jeter
les yeux.
Un élément très
important de la préparation, c'est le choix
de l'illustration de votre histoire. J'y reviendrai
en traitant de ce quatrième point, mais ici
je veux seulement rappeler que toute cette
illustration doit être soigneusement choisie
à l'avance. Il arrive souvent qu'une
histoire très bien racontée perd son
effet parce que les images montrées aux
enfants ont été choisies trop
à la hâte, ou mal choisies ;
parce que les images manquaient tout à fait,
ou au contraire, parce qu'il y en avait trop, que
l'ensemble devenait confus et dispersait trop
l'attention.
2° Le récit.
Servez-vous de mots colorés, vigoureux, et
ne craignez pas de les répéter. La
plupart des enfants ont pour les mots en
général, mais tout
spécialement pour les mots nouveaux et
frappants, un goût tout particulier.
Très souvent, quand ils demandent qu'on leur raconte
de nouveau une
histoire,
ils font cette demande en se servant des mots qui
les ont spécialement frappés. J'ai
connu des enfants qui réclamaient toujours
l'histoire de Chadrak, Méchak et Abed-Nego
en l'appelant l'histoire des hommes qui
étaient dans « la fournaise
ardente ». L'histoire de l'armée
de Gédéon, qu'ils aimaient aussi
beaucoup, c'était l'histoire des hommes qui
avaient « lapé » l'eau.
Joseph, c'était toujours le garçon
qui avait « la tunique de couleurs
bigarrées ». Sans doute, ce
n'était pas les seuls mots de l'histoire
qu'ils eussent retenus, mais ces mots-là
s'étaient gravés dans leur
mémoire, comme des clous brillants où
tout le reste était accroché.
Ne craignez pas de répéter
plusieurs fois la même phrase ou le
même mot, quand cela en vaut la peine. Cela
enfonce mieux les faits dans l'esprit des enfants.
Cela permet à ceux qui n'ont pas saisi tout
de suite de se rattraper. Ces mots
répétés restent mieux dans
leur souvenir : ce sont les clous brillants
dont je viens de parler. Si vous avez bien choisi
tous vos termes, si vos phrases sont bien
équilibrées et faciles à
retenir, si elles sonnent bien, les enfants y
seront sensibles, et cela les aidera à mieux
comprendre et à mieux saisir
l'élément moral et religieux.
Employez autant que possible les mots
mêmes que vous trouvez dans la Bible,
à condition qu'ils ne soient pas de nature
à paraître à l'enfant des mots
traditionnels, raides et empesés, ou tout
simplement des mots incompréhensibles. Les
mots colorés que j'ai cités plus haut
sont dans le texte même de la Bible. Les
paraboles de Jésus sont pleines de mots et
d'expressions tout à fait accessibles,
même aux tout-petits :
« D'abord une herbe, puis un épi, puis tous
les
grains de blé qui remplissent
l'épi. » - « Une perle
de grand prix » - « Des pleurs
et des grincements de dents » -
« Celui qui a des oreilles pour entendre,
qu'il entende ! » - Toute la
parabole de la maison bâtie sur le roc et de
la maison bâtie sur le sable. Toute la
parabole des vierges folles et des vierges sages.
Toute la parabole des talents.
Ce n'est pas seulement parce que ces
expressions sont colorées qu'il est bon de
les employer. C'est aussi parce qu'elles
familiarisent l'enfant avec le texte de la Bible.
Désormais la Bible ne pourra plus être
pour eux un terrain absolument inconnu où
l'on ne peut pas s'aventurer
L'enfant, plus tard, en ouvrant sa Bible,
sans un guide retrouvera ces mots qui l'avaient
frappé tout petit quand on lui racontait de
belles histoires, et ces mots familiers feront
qu'il se sentira un peu chez lui. Je plains de tout
mon coeur ces centaines de jeunes gens,
garçons et filles, que je rencontre un peu
partout, et qui n'ont jamais dans leur enfance eu
de contact avec la Bible et avec le langage de la
Bible. Il leur manque un élément
important de la culture littéraire, aussi
bien qu'un précieux secours pour leur vie
spirituelle. Comment obéir à Dieu
quand nous ne connaissons pas la Parole de
Dieu ?
Tâchez de raconter votre histoire tout
d'une traite, sans vous laisser troubler ou
détourner par les interruptions de quelques
enfants, pourvu que ces interruptions se rapportent
directement à l'histoire elle-même,
à son explication ou au désir d'en
savoir davantage. Vous trouvez là une
occasion excellente de répéter
certaines des choses que vous avez dites, et vous
pouvez compter que les enfants
ne perdront pas le fil de votre histoire, pourvu
que vous ne le perdiez pas. Si par contre il y a
beaucoup d'interruptions intempestives, et si le
fil de l'histoire se perd, c'est que vous avez
commis vous-même quelque erreur en
préparant votre histoire. Peut-être en
avez-vous mal calculé la longueur.
Peut-être est-elle trop longue, ou bien trop
monotone. Peut-être n'avez-vous pas su mettre
en lumière les points saillants.
Peut-être enfin que ce qui lui manque, c'est
l'un ou l'autre des deux points que nous allons
maintenant examiner, la mise en scène ou
l'illustration.
3° Les gestes et la mise en
scène. Au fond cela fait partie
intégrante du récit lui-même,
mais cela me parait si important que je
préfère en traiter
séparément. Soyez plein de vie et
d'entrain en racontant votre histoire ;
faites-en un petit drame, sans tomber dans la
vulgarité. Que vos gestes soient
éloquents et naturels. Quand vous racontez
l'histoire du festin de Belschatsar et de ces
doigts mystérieux qui écrivent sur la
chaux de la muraille, dans le palais du roi,
levez-vous et faites le simulacre d'écrire
avec votre doigt sur le mur. Trouvez moyen que ces
mots : « Pesé, pesé
dans la balance, et trouvé
léger » semblent briller sur le
mur comme des étincelles.
Servez-vous pareillement de l'instinct
dramatique qui existe chez tous les enfants.
Faites-leur jouer à eux-mêmes les
histoires que vous leur racontez. Un jour, à
Noël, j'entrai dans une salle, et qu'est-ce
que je vis ? la monitrice racontait et les
enfants jouaient en même temps l'histoire des
rois mages. Les chaises représentaient des
chameaux, le pupitre du pasteur
était la crèche, la monitrice
représentait Marie - enfin on s'était
servi de tout, et l'imagination colorait tout cela.
- je n'ai jamais vu de spectacle plus
émouvant et plus
pénétré d'adoration que la
représentation qui eut lieu pour Noël
à notre École l'an dernier. Les
adultes eux-mêmes dans l'assistance
étaient émus par ces tableaux vivants
où les enfants faisaient revivre la
merveilleuse histoire de la Nativité.
En choisissant vos histoires, recherchez
toutes celles que vous pouvez mettre en
scène et traduire en action. Cela est
surtout important avec les tout-petits. Et
même pour les grands, j'irai jusqu'à
dire même pour les adultes, un petit drame
représenté devant eux se grave
infiniment mieux dans leur esprit que les plus
belles descriptions ou les plus beaux
raisonnements.
4° L'illustration. Que
votre histoire parle aux yeux. Si vous racontez
l'histoire de David et de Goliath, montrez aux
enfants, sur une carte de la Palestine, la
vallée des Térébinthes, la
montagne d'un côté où campaient
les Philistins, et la montagne de l'autre
côté où se tenait
l'armée d'Israël. Sur un tableau noir
dessinez des tentes (des triangles peuvent suffire)
pour montrer les deux armées campées
l'une contre l'autre. Montrez aux enfants l'image
d'un géant, et puis celle d'un jeune berger.
Dessinez rapidement au tableau le casque de Goliath
et sa cotte de mailles. Il n'est pas
nécessaire que votre dessin soit très
artistique. Ayez une fronde et « cinq
cailloux polis ». Montrez-les quand vous
arrivez à cet endroit de l'histoire. Enfin
procurez-vous une image passable de David combattant
Goliath, comme
on en
trouve un peu partout, et montrez-la pour finir
à vos enfants.
Si vous racontez l'histoire de Ruth et de
Naomi, montrez aux enfants sur une carte où
se trouvent Moab et Juda. Indiquez le chemin pour
se rendre à Bethléem. Montrez-leur
l'image d'un champ d'orge. Faites des dessins pour
montrer un champ au temps de la moisson et le
même champ au temps de la famine. Montrez aux
enfants l'image bien connue de Ruth et de Naomi,
avec Orpa qui retourne dans son pays.
Autant que possible, ayez des images en
couleur. Ayez à votre disposition tous les
objets qui sont de nature à faire mieux
comprendre les détails de votre histoire,
pourvu qu'ils ne risquent pas d'attirer sur
eux-mêmes une attention trop exclusive. Pour
vos images et tout ce qui sert à illustrer
votre récit, employez-les surtout
après le récit, en le résumant
peut-être, ou en répétant
certains épisodes, de manière que
l'attention de l'enfant ne risque pas d'être
détournée des mots importants et des
gestes dont vous accompagnez le récit par
tel ou tel détail insignifiant d'une
gravure.
5° La répétition de
l'histoire par les enfants eux-mêmes.
D'une manière ou d'une autre, arrangez-vous
pour que les enfants puissent, à leur tour,
vous raconter l'histoire qu'ils ont entendue. Les
enfants aiment beaucoup raconter eux-mêmes
des histoires, aussi bien que de les entendre.
Donnez-leur l'idée de raconter l'histoire
que vous venez de leur exposer à des enfants
plus jeunes ou tout simplement à des
camarades. Engagez les aînés à
mettre le récit par
écrit, en employant les mots qu'ils veulent.
Les tableaux vivants, la représentation
dramatique sont d'excellents moyens de faire
reproduire par les enfants ce qu'ils ont
entendu.
On peut aussi leur faire faire des petits
dessins, ou bien découper des personnages en
papier, ou bien reproduire la scène avec des
petites poupées, des bouts d'étoffe,
des bouts de bois, des cartonnages, etc.
J'ajouterai à ces cinq points un
conseil final : ne cherchez pas à
conclure chacune de vos histoires par une
leçon de morale ou de religion. Laissez les
enfants tirer eux-mêmes leurs
conclusions : ils n'y manqueront pas. Ils
n'ont que trop l'idée que votre but est de
les endoctriner ; et à cela ils sont
toujours enclins à faire la sourde oreille.
Mais leur curiosité instinctive les pousse
à chercher quelle peut bien être la
signification de l'histoire, et cet effort
personnel leur sera beaucoup plus profitable que
tout ce que vous essaierez de leur enfoncer du
dehors. C'est là au fond de la
pédagogie élémentaire. Nous en
parlons beaucoup, et nous ne la pratiquons
guère.
Je transcris ici deux listes qui m'ont
été personnellement très
utiles. L'une et l'autre sont dans l'ordre des
livres de la Bible. La première contient les
histoires qui captivent le plus les enfants,
d'après mon expérience. La seconde
est une liste complémentaire qui me parait
nécessaire pour compléter ce que les
enfants devraient connaître de la Bible.
HISTOIRES DE LA BIBLE QUI CAPTIVENT LE PLUS
LES ENFANTS
- L'arche de Noé
- Joseph vendu par ses frères
- Moïse dans les roseaux
- Le petit Samuel David et Goliath
- Le jugement de Salomon
- Le festin de Belschatsar
- Daniel dans la fosse aux lions
- La fournaise ardente
- Le Bébé dans la crèche
- Les rois mages
- Jésus calmant la tempête
- Le dernier souper de Jésus
- Ananias et Saphira
- Saul sur le chemin de Damas
- La maison sur le roc et la maison sur le sable
- Le bon Samaritain
- La brebis perdue
- L'enfant prodigue
LISTE SUPPLÉMENTAIRE
LES HISTOIRES DE LA BIBLE
- Moïse au Sinaï
- La chute des murailles de Jéricho
- L'armée de Gédéon
- Ruth et Naomi
- David et Jonathan
- Salomon et la reine de Saba
- Élisée, les enfants, et les ours
- Esther
- Jésus dans le Temple
- La guérison du fils de l'officier royal
- La multiplication des pains
- La guérison de l'aveugle
- La guérison du paralytique
- Le dimanche des Rameaux
- Gethsémané
- La trahison de Judas
- Les pèlerins d'Emmaüs
- La lapidation d'Étienne
- Lydie
- Timothée
- Le grain de moutarde
- Les différents terrains
- Les deux débiteurs
- La drachme perdue
- Le grand dîner
- Les vierges sages et les vierges folles
- Les talents
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