Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'application de la méthode.





Ainsi donc vous réduisez la religion au rôle d'une vulgaire amitié. Une vulgaire amitié ! Qui parle ici de vulgaire amitié ? Nous protestons contre l'association de ces deux termes, car nous ne connaissons rien sur la terre d'aussi sublime que l'amitié. Elle est à nos yeux ce qui se rapproche le plus de la religion. Dieu est amour et faire de la religion une proche parente de l'amitié, c'est lui donner la plus haute expression que l'homme puisse imaginer. Mais si, en refusant d'admettre que la religion soit une relation d'ami à ami, on veut protester contre tout effort tendant à faire descendre du domaine de l'abstraction dans le domaine des choses intelligibles les vérités les plus grandes et les plus saintes de la religion, alors, je le crains, l'objection présentée plus haut n'est que trop réelle. Quand on lui parle de sanctification, l'homme s'attend toujours à quelque chose de mystérieux, à quelque mystère spécial différent de tous les autres mystères inséparables d'une religion spirituelle.

Derrière ce mot de sanctification on soupçonne quelque secret particulier, quelque expérience occulte que les initiés seuls connaissent. Des milliers de personnes se rendent chaque dimanche à l'église dans l'espoir de trouver la clef de ce mystère. Souvent, dans des réunions, dans des conférences, elles ont cru en toucher le bord, mais, pour une cause ou pour une autre, la révélation ne s'achevait pas. Que de fois, plongées dans la méditation d'ouvrages religieux, elles se sont dit : C'est la phrase suivante, c'est la page suivante qui me dévoilera tout. Mais les pages succédaient aux pages, et la solution désirée se faisait toujours attendre. Le lecteur était tenu en haleine par la promesse d'une réponse et cependant le dernier chapitre le laissait encore anxieux.

Pourquoi ne s'était-il rien produit ? Parce que rien ne pouvait se produire - rien qui ressemblât à l'effet attendu - et cela tout simplement parce qu'il poursuivait une chimère. Quand donc apprendrons-nous que la recherche de la sainteté n'est autre que la recherche de Christ ? Quand donc saurons-nous substituer à une aspiration fictive l'union avec un ami vivant ? La sainteté est dans le caractère et non dans l'imagination. La divinité doit éclore dans notre humanité calme et simple et non dans quelque mystique ravissement de l'âme.

Et cependant il est des hommes qui, pour une raison exactement opposée, ne trouveront ici qu'une mince satisfaction. Ils accuseront une religion dont l'essence est une relation d'amitié, d'être, non pas trop ordinaire, mais trop mystique. « Demeurer en Christ, faire de Christ notre compagnon le plus habituel, » est pour eux du pur mysticisme. Ils veulent quelque chose d'absolument tangible et précis. Nous n'avons pas affaire ici à des âmes poétiques qui soupirent après un signe, après le mysticisme à outrance, mais à des esprits prosaïques qui exigent des définitions mathématiques jusque dans les plus petits détails. Ce problème cependant ne pourrait être réduit à des éléments plus précis. La beauté de l'amitié réside dans sa nature infinie. Il est impossible de supprimer de la vie le mysticisme. Le home en est rempli, l'amour en est rempli, la religion en est remplie. Pourquoi donc, dans les relations de l'homme avec Christ, faudrait-il considérer comme une pierre d'achoppement ce qui est naturel dans les relations humaines ?

Pour illuminer aux yeux de ces gens-là les relations mystiques de l'âme avec Christ, il suffira peut-être d'avoir recours à des analogies plus simples tirées de la vie ordinaire. Comment ai-je appris à connaître Shakespeare ou Dante ? En entrant en communion avec leurs paroles et leurs pensées. Bien des hommes connaissent Dante mieux qu'ils ne connaissent leur propre père. Son influence sur eux est plus puissante. Comme présence spirituelle, il est plus près d'eux : comme force spirituelle, il est plus réel. Se pourrait-il qu'un être plus grand que Dante et Shakespeare, qui lui aussi a foulé notre terre de ses pieds, qui a laissé après lui des paroles sublimes, qui actuellement encore accomplit partout de grandes oeuvres, se pourrait-il que cet être ne soit aussi capable d'instruire, d'inspirer et de façonner le caractère des hommes ?

Je ne borne pas à cela l'influence de Christ : c'est cela et c'est plus encore. Bien loin de blâmer ou de décourager ces relations d'amitié, Jésus-Christ les propose lui-même. « Demeurez en moi ; » ce furent là pour ainsi dire les dernières paroles qu'il adressa au monde ; et il vient en aide à ceux auxquels elles paraissaient incompréhensibles en ajoutant ce commentaire pratique : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous. »

Commençons donc par prendre au sérieux ses paroles. Il est difficile que des paroles restent longtemps impersonnelles. Jésus-Christ lui-même était une Parole, une Parole faite chair. Faites ses paroles « chair ; » accomplissez-les, vivez-les et il faudra bien que vous viviez en Christ.
« Celui qui garde mes commandements, c'est celui-là qui m'aime. »

Obéissez-lui, et vous serez forcés de l'aimer. Demeurez en lui et vous serez forcés de lui obéir. Cultivez son amitié ! Vivez selon Christ, dans son esprit comme en sa présence et il serait difficile d'imaginer ce que vous pourriez faire de plus. Appliquez-vous à franchir ce premier pas, à étudier cette première leçon. Si vous ne parvenez pas à sentir dès l'abord et sans cesse l'action de sa vie sur la vôtre, cherchez-en les traces dans le monde qui vous entoure. « Toute la terre est pleine du caractère du Seigneur. » Christ est la lumière du monde et une grande partie de cette lumière est reflétée par les objets terrestres - même par les nuages. La lumière du soleil est recueillie par chaque feuille et s'incorpore dans chaque plante ; elle passe de la plante dans la houille et elle nous réconforte pendant les jours sombres où le soleil se dérobe à nos regards. Christ rayonne au travers des hommes, des livres, de l'histoire, de la nature, de la musique, de l'art, c'est là que vous le chercherez tout d'abord. Quelqu'un a dit que chaque jour nous devrions soit contempler un beau tableau, soit entendre de la belle musique, soit lire un beau poème. Le vrai danger du mysticisme, c'est de ne pas élargir assez ses limites.

Croyez-vous donc qu'il ne se passe rien en vous parce que vous ne vous voyez pas croître ou que vous n'entendez pas le bruit des rouages de votre organisme physique ? Toutes les grandes choses se développent sans bruit. Vous pouvez voir pousser un champignon, mais non pas grandir un enfant. Darwin nous apprend que l'évolution procède par des modifications multiples, successives et légères. Saint Paul connaissait cette vérité et il l'a placée, mais en lui donnant une plus belle expression, au coeur même de sa formule de la sanctification. Pour l'encouragement des âmes qui s'affligent de leur lent développement, il déclare qu'elles grandissent « de caractère en caractère. » « L'homme intérieur, dit-il ailleurs, est renouvelé de jour en jour. »
Toute oeuvre complète est lente ; tout vrai développement s'accomplit par de minutieuses et insensibles métamorphoses. Plus la structure de l'édifice est élevée, plus les progrès seront lents. Le biologiste qui parcourt des yeux la longue échelle ascendante de la vie, voit les formes animales de l'ordre le plus inférieur se développer en une heure ; celles qui les suivent atteignent leur maturité en un jour ; d'autres plus élevées ont besoin de semaines et de mois pour devenir parfaites ; mais les rares espèces qui occupent le sommet de l'échelle exigent le long travail des années. Voyez un enfant et un singe nés le même jour ; le dernier sera en pleine possession de ses facultés et accomplira sa destinée avant que l'enfant ait quitté son berceau. La vie est le berceau de l'éternité. Ce qu'est l'homme par rapport à l'animal dans la lenteur de son évolution, l'homme spirituel l'est par rapport à l'homme naturel. Les fondements qui ont à supporter le poids d'une vie éternelle doivent être posés solidement. Le caractère est destiné à durer toujours. Qui s'étonnera s'il ne peut se développer en un jour et qui oserait le lui reprocher ?

Néanmoins, attendre la croissance d'une âme, c'est presque un divin acte de foi. Combien est pardonnable, en vérité, l'impatience qu'éprouve l'homme imparfait à l'égard de son imperfection, celle que ressent, devant la figure de Christ, un caractère conscient de sa misère, tandis qu'il admire Jésus-Christ, qu'il soupire, qu'il est altéré du désir de devenir semblable à lui.
Et cependant ayons confiance dans la marche des choses, sans nous laisser troubler par aucune crainte ni par aucun pressentiment. L'esprit du Seigneur fera son oeuvre.

Ici toutefois un écueil pourra se présenter, l'attrait de quelque méthode moins spirituelle pour obtenir des progrès prompts et visibles, ou bien le danger de manquer le but en regardant aux effets, au lieu de tenir les yeux fixés sur la cause. Le photographe ne peut reproduire une image qu'en exposant le négatif au soleil. Chaque fois que l'artiste veut se rendre compte de la marche du travail, il arrête tout simplement ce travail. Quelle que soit la nécessité d'une sage surveillance exercée sur l'âme, une chose est certaine, c'est que cette âme ne subira jamais trop fortement l'action divine et que, d'autre part, une fois placée sous cette action, aucune autre influence au monde ne pourra soit perfectionner soit hâter le résultat attendu. La création d'un coeur nouveau, le renouvellement d'un esprit droit, sont l'oeuvre de la toute-puissance de Dieu. Abandonnez-la au Créateur. « Celui qui a commencé cette bonne oeuvre en vous la perfectionnera jusqu'à la journée de Christ. »

Cependant aucun homme, pénétré du sentiment de l'importance et de la grandeur du travail qui s'accomplit en lui, ne restera indifférent à ses progrès.

Devenir semblable à Christ, voilà la seule chose au monde dont il vaille la peine de s'inquiéter, voilà le fait devant lequel toute ambition humaine est folie, tout perfectionnement d'un ordre inférieur, vanité. Ceux-là seulement qui feront de cette recherche le suprême désir et la suprême passion de leur vie pourront espérer d'atteindre le but. C'est pourquoi si, dans ce que nous venons de dire, tout semblait dépendre de la passivité, laissez-moi affirmer maintenant, avec une conviction plus intense encore, que tout dépend de l'activité humaine. Une religion d'adoration sans effort peut être la religion d'un ange, mais elle ne saurait être celle d'un homme. Le véritable espoir du succès, gît, non dans la contemplation, mais dans l'action ; la vraie vie réside, non dans l'extase, mais dans la réalité ; la sanctification de l'homme s'accomplit, non dans le royaume de l'idéal, mais sur le théâtre de l'existence journalière. La résolution, l'effort, la souffrance, le crucifiement de soi-même, l'agonie - toutes ces choses que nous avions éliminées auparavant comme inefficaces en elles-mêmes, doivent maintenant reprendre leur rôle et réclamer leur part de responsabilité. Leur part et leur fonction ne sont rien moins que de mettre en mouvement l'inertie naturelle de l'âme, de placer celle-ci et de la maintenir dans l'état et les dispositions où les forces spirituelles pourront agir sur elle, de ranimer l'énergie de la volonté et de conserver brillante et toujours dans une position favorable la surface du miroir, en relevant le voile du côté tourné vers Christ et en l'abaissant à l'approche d'images profanes.

Avez-vous jamais vu comment procède l'astronome qui va photographier l'image d'une étoile ? Entrez avec lui sous la voûte sombre de l'observatoire. Vous le verrez d'abord allumer une lampe. Pourquoi faire ? Pour regarder l'étoile ? Non, mais pour ajuster l'instrument au moyen duquel il regardera l'étoile. C'est l'étoile qui va se photographier, mais c'est aussi l'oeuvre de l'astronome. Pendant longtemps il travaille dans cette obscurité relative, vissant des tubes, polissant des lentilles, et ajustant des réflecteurs ; ce n'est guère qu'après un long labeur que l'instrument, soigneusement placé, à son point, est en état de recevoir l'image présentée. Alors seulement il éteint la lampe et laisse l'étoile accomplir seule son oeuvre sur la plaque. La tâche journalière du chrétien est de mettre son instrument en état de réceptivité. Cela fait, il n'a plus qu'à éteindre sa lumière.

Toutes les preuves de la vérité du christianisme qui l'ont amené jusque là, tout ce qui a aidé au développement de sa foi, tous les actes d'adoration, tous les appuis de l'Église, toutes les prières, toutes les méditations, tout ce qui a contribué à tremper sa volonté, ces procédés d'un ordre inférieur, ces activités comparables à la lampe de l'astronome pourront être mises de côté pour cette heure suprême. Mais souvenez-vous que ce n'est que pour une heure. L'homme sage sera celui qui rallumera le plus vite sa lampe ; le plus sage celui qui ne la laissera jamais s'éteindre. Demain, dans un instant, lui, cette âme misérable, obscurcie, souillée, en aura de nouveau besoin pour mieux remettre l'image au point, pour enlever un fétu de la lentille, pour essuyer sur le miroir un souffle dont le monde l'a terni.

L'étoile, elle, n'a jamais besoin d'être remise au point. Elle est l'objet immuable dans cet univers changeant. Mais le monde se meut ; et chaque jour, chaque heure exige un mouvement en avant et une remise au point pour l'âme. Le télescope d'un observatoire suit une étoile par le moyen d'un mécanisme d'horlogerie ; le rouage de l'âme, c'est la volonté. Par conséquent, tandis que l'âme, dans son état de passivité réfléchit l'image du Seigneur, la volonté, dans une activité intense, tient le miroir dans la position voulue, de peur qu'une secousse imprimée par la terre ne l'écarte de la ligne visuelle : « Suivre Christ, » c'est maintenir l'âme dans une position telle qu'elle ne soit pas dérangée par les mouvements de la terre. En cette contre-action calculée sur les mouvements du monde, cet effort pour maintenir le miroir exactement en face de l'objet à refléter, cet affermissement absolu des facultés au travers des orages et des tremblements de terre, au travers du feu et de l'épée, c'est l'étonnante coopération de la volonté. C'est l'oeuvre tout entière de l'homme ; c'est l'oeuvre tout entière de Christ ; toutes deux sont nécessaires dans la théorie ; mais, dans la pratique, le sage dira : « Tout dépend de moi. »

Dans la galerie des Beaux-Arts à Paris, se trouve une statue célèbre. Elle est l'oeuvre d'un grand artiste, pauvre comme le sont bien des artistes, et vivant dans une mansarde qui lui servait à la fois d'atelier et de chambre à coucher. Une nuit, au moment où la statue était presque terminée, une subite gelée survint à Paris. Le sculpteur était couché dans sa chambre sans feu, mais il ne dormait pas. Il pansait à l'argile encore humide, à l'eau qui allait geler dans les pores et détruire en une heure le rêve de sa vie. Alors le vieillard descendit de sa couche et en ôta les couvertures dont il enveloppa respectueusement son oeuvre. Au matin, lorsqu'on entra dans sa chambre, le sculpteur était mort, mais la statue était sauvée.

Former au dedans de nous l'image de Christ, voilà le but suprême de l'existence terrestre. Que toute autre préoccupation cède le pas à celle-là. « Jusqu'à ce que Christ soit formé en nous, » aucun travail humain n'est terminé, aucune religion n'a reçu son couronnement, aucune vie n'a accompli sa destination.
La tâche infinie est-elle commencée en vous ?
Quand, comment et par quel moyen espérez-vous être transformés ?

Le temps ne peut changer les hommes ; la mort n'en a pas davantage le pouvoir. Christ le peut. C'est pourquoi « revêtez-vous de Christ. »



Chapitre précédent Table des matières -