Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

« ... Si ta parole devait cesser de prévaloir ... »

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« ... Chrétiens ! soyez dans l'allégresse !... »
Sur les dernières paroles du cantique, les voix rudes s'étaient tues. Notre fête de Noël était terminée et je m'avançai, une fois encore, sur l'estrade. Dans le silence qui régnait maintenant dans la salle, je parcourus des yeux l'assemblée de quelque 500 jeunes gens qui s'y trouvait réunie. Tous étaient chômeurs. Nous avions organisé à leur intention, dans notre Home pour la jeunesse, toute sorte de cours afin d'occuper leurs loisirs. C'est ainsi qu'avait été créée l'U.d.S., l'Université des Sans-travail. Ils formaient une communauté des plus disparate où se trouvaient représentés tous les partis politiques, toutes les classes sociales, des professions de toute sorte et toutes les confessions religieuses.

« Jeunes gens, mes frères ! - leur dis-je - j'ai la grande joie de vous annoncer que je vais pouvoir vous remettre un petit cadeau de Noël. »

Les visages s'animèrent et je poursuivis : « je voudrais donner à chacun de vous un Nouveau Testament... »

Un mutisme éloquent accueillit mes paroles. Ils se regardaient l'un l'autre d'un air déçu. Puis une voix s'éleva des dernières rangées : « Rien que ça ? »
Rien que ça ?... je vis soudain cette question se dresser devant moi et non pas seulement posée par celui qui l'avait prononcée, mais bien par l'assemblée tout entière.
« Eh bien ! non, répondis-je. je suis à même de donner de plus, à chacun de vous, un couteau de poche, quelques douceurs et un paquet de cigarettes. »

Les figures s'éclairèrent et c'est l'air rassuré que je vis ces jeunes gens reprendre pied dans ce qui était pour eux la véritable « atmosphère de Noël »...

O misère de la Parole de Dieu !... ou plutôt, non : misère de ce pauvre peuple qui n'a plus que faire de cette Parole souveraine ! Faut-il s'étonner, dès lors, de son ignorance du bien et du mal ?... de son ignorance de l'existence même de Dieu et de sa propre essence à lui ?... de son rôle de jouet de tous les meneurs et de tous les idéologues ?

La première fois que nous nous réunîmes de nouveau après cette fête de Noël, je racontai à ces jeunes gens l'histoire d'une Bible que l'on m'avait montrée quelque part en Autriche. C'était un épais et vieux volume relié en peau de porc et pourvu de lourds fermoirs d'argent. Lorsqu'on l'ouvrait, les pages se divisaient d'elles-mêmes à l'endroit des Psaumes et l'on y apercevait alors d'étranges taches et éclaboussures d'un brun noirâtre. « C'est du sang - m'avait-on expliqué - du sang humain... » Et j'avais été bouleversé à l'ouïe de l'histoire de cette Bible.

Au XVIIIe siècle, la lecture des Écritures fut sévèrement interdite sur le territoire autrichien. Les sanctions les plus rigoureuses y frappaient ceux que l'on trouvait en possession de ce dangereux livre...

Par une nuit très sombre, une seule lumière brûle encore dans une ferme solitaire. Les volets sont soigneusement clos et l'on n'aperçoit du dehors aucune lueur. Tous les habitants de la maison sont rassemblés dans la grande chambre et quelques voisins se sont même joints à eux. Le maître du lieu se baisse alors et soulève quelques lattes du plancher, découvrant ainsi une cachette d'où il tire une épaisse Bible. Avec circonspection, il l'approche de la lumière. Il l'ouvre et tous les assistants se serrent autour de lui, unis dans une même attention et dans une même avidité à se nourrir de la Parole de Vie. Il se met à lire : « Je t'aime ô Éternel, toi qui es ma force ! L'Éternel est mon rocher, ma forteresse et mon libérateur ! Mon Dieu est le roc où je trouve un refuge, mon bouclier, mon puissant sauveur, mon rempart ! Et je suis délivré de mes ennemis... »

... Il s'interrompt, ... tous tendent l'oreille, ... des voix étouffées se font entendre au dehors... Voilà qu'on frappe au volet, un ordre brutal retentit : « Ouvrez ! »

Ils restent un instant interdits et, avant qu'ils n'aient eu le temps de se ressaisir, la porte est enfoncée avec fracas et une horde de soldats, telle une meute féroce, envahit la chambre sous la conduite d'un voisin ricanant.
Mais déjà le chef de la troupe avise la Bible : « Haha ! On t'attrape enfin ! » Et à deux mains il se saisit du livre. Le paysan l'agrippe de son côté et le tire vigoureusement à soi.

« Eh ! vieux - hurle l'autre - donne cette Bible ! » Bravant la fureur du soldat, le paysan se tait et tient bon. Mais il est pâle comme la mort. Ses doigts retiennent d'une poigne de fer le livre bien-aimé.
« Lâche ce livre ! » Le sergent se cramponne de toute sa force au lourd volume et une lutte muette se poursuit de part et d'autre de la table.
« Vas-tu lâcher ? », crie de nouveau le chef. Le paysan se tait toujours, retenant de ses doigts puissants le livre ouvert.

Alors le soldat laisse libre cours à sa rage. D'une rapide secousse il parvient à refermer la Bible massive sur les doigts du paysan et les écrase entre les feuillets en pesant dessus de tout son poids. Le vieillard ne lâche pas prise et, bien que le sang jaillisse de l'extrémité de ses mains, il continue à retenir inexorablement sa Bible...

... Mes jeunes auditeurs étaient saisis, sous le coup de ce récit. « Et après ? » - dit enfin l'un d'eux.
« Après ? eh bien ! les paysans furent mis en demeure de choisir entre le reniement de leur Bible et la perte de tous leurs biens, puis l'exil. » Et je leur décrivis la patrie de ces persécutés, telle que je l'avais visitée jadis, la merveilleuse vallée autrichienne qui était leur terre natale. Toute parsemée de vastes fermes, elle ressemblait à un jardin de Dieu qu'encadraient et protégeaient à la fois de puissantes montagnes.
« C'est tout cela qu'ils quittèrent, et on ne les laissa même pas emmener leurs enfants. Rien d'autre que leur Bible à la main et la misère devant soi, ils partirent... »

Or c'était plus que mes jeunes gens n'en pouvaient entendre. « Mais c'est insensé ! C'est de l'exaltation ! Fanatisme religieux ! » Leurs exclamations s'entrecroisaient et j'eus quelque peine à rétablir le silence. je poursuivis alors :

« Furent-ils vraiment si fous ? Réfléchissez un peu. Ces paysans se disaient : si nous n'avons plus notre Bible, il ne nous est plus possible de reconnaître le bien ou le mal, ni de discerner le chemin qui mène à Dieu. Nous sommes à la merci du premier séducteur venu et nous errons comme des gens qui parcourent un pays étranger et inconnu après en avoir perdu la carte. Si nous renonçons à notre Bible, comment nous instruirons-nous de l'Évangile de Dieu et de notre salut ? Et c'est alors que les hommes nous contraindront à adopter des évangiles de leur propre invention. Aucun fil ne nous conduira plus vers la vérité, aucun guide ne nous indiquera plus le chemin... N'avaient-ils pas raison ? »

Et comme ils se taisaient, je songeais avec douleur aux séducteurs dont ils allaient devenir la proie, eux qui, depuis longtemps déjà, avaient rejeté la Bible...

Une année plus tard, Hitler s'emparait du pouvoir.




« Qu'ai-je affaire de Golgotha !... »


« Oui, oui !... c'est entendu ! moi aussi, je suis chrétien... et quand même ce n'est pas tout à fait dans le sens de l'Eglise... D'ailleurs, il faut de la religion ! C'est bien pour cela que j'envoie mon garçon faire son instruction religieuse. Mais écoutez-moi ça : un beau jour, je rentre chez moi et je trouve le gamin en train d'aller et de venir dans la chambre en apprenant un chant. « Qu'est-ce que tu apprends là ? », lui demandais-je. Il me montre son livre et, le vers qu'il répétait en ce moment, vous savez ce que c'était ?... évidemment, je ne peux pas vous le dire textuellement ; il signifiait à peu près ceci : « Ce que tu as enduré, Seigneur, c'est tout de ma faute... je suis celui qui a manqué... » - Oui, c'était à peu près ça. Eh ! bien sûr ! Moi aussi j'ai appris ce fatras, autrefois. Mais, à vrai dire, ça ne m'a jamais servi à grand-chose. Et enfin, est-ce que l'Eglise n'a pas fait de progrès, qu'elle en soit aujourd'hui encore à colporter cette camelote ? J'estime que l'Eglise devrait davantage... comment dire ?... oui, qu'elle devrait tendre davantage à répandre des conceptions pratiques de la vie. Voilà ce que j'en pense... Cigarette ? Non ? »

Satisfait de sa tirade, mon interlocuteur aspira quelques bouffées et, tout en exhalant la fumée, se renversa dans son fauteuil. je considérais cet homme élégant, cette tête grisonnante, et je me taisais. Qu'avais-je à répondre à de pareilles insanités ? Mais lui, déjà, poursuivait son monologue.

« Ainsi... Golgotha, et caetera... qu'ai-je affaire de tout cela ? Ah ! mais... - et il fit de sa main soignée un geste de protestation - je vous en prie, ne venez pas me parler de péché ! je trouve que l'Eglise nous en fait trop un plat, du péché ! C'en est risible !... Voyez-vous, moi, j'étais soldat. J'étais officier, moi ! Et ma foi, quand un homme avait commis quelque chose, il suffisait d'un coup de sifflet et c'était réglé. Pourquoi est-ce que votre Dieu en ferait plus de cas ? »

Je continuais à me taire. Mais une idée me traversa soudain l'esprit : bien sûr ! cet homme avait été officier, mais officier de JUSTICE. je me pris à sourire. Il le remarqua et force me fut, à présent, de parler à mon tour.

«En qualité d'officier de justice, vous avez vu défiler devant vous une foule de gens. Et vous les avez tous congédiés d'un coup de sifflet. C'est bien ce que vous avez dit, n'est-ce pas ? Mes compliments !
- C'est-à-dire, M'interrompit-il avec une pointe de nervosité, il est évident que si quelqu'un avait réellement fait le salaud...
- Pardon, qu'entendez-vous au juste par là ?
- Eh bien !... si quelqu'un avait violé les lois, il va sans dire qu'il était condamné, c'est clair !...
- Ah ! oui ? Pourquoi ? Comment ça ?
- Mais voyons ! Parce qu'il y a un droit ! - une certaine agitation le gagnait - et celui qui le transgresse s'attire une condamnation.
- Ah ! - dis-je en me levant - parce qu'il y a un droit ! Sans doute... Alors, moi, je vous dirai ceci : quand il s'agit de Dieu, il y a aussi un droit. Vous qui êtes expert en la matière, vous savez ce que c'est : le droit reste le droit. Et celui qui a failli aux dix commandements, ne fût-ce qu'une seule fois, s'attire la condamnation ! Dieu est juste. » - Je vis mon respectable interlocuteur dresser l'oreille, comme si une lueur pointait dans son esprit. Et, devant son silence perplexe je poursuivis : « Mon cher Monsieur, cela signifie que vous allez au-devant de votre condamnation conformément au droit de Dieu ! »

Il eut un bref éclat de rire et me rétorqua : « Tiens !... Et vous donc ?
- Moi ? j'ai déjà été condamné, j'ai passé en jugement.
- Quoi ? s'écria-t-il stupéfait - déjà passé en jugement ? Et vous avez été acquitté ?
- Non ! Condamné à mort. J'ai accepté le verdict et me suis incliné devant lui. je pouvais le faire, car il y avait là un répondant qui payait pour moi et qui subit la peine de mort... à ma place.
- Un répondant ? Mais qui donc ?
- Jésus... à Golgotha ! Et voilà : ou bien vous accepterez, vous aussi, le verdict capital de Dieu et vous vous en remettrez à ce répondant ; ou bien... votre sort est tel que je ne voudrais pas me trouver dans votre peau. Avez-vous bien compris ?
- Oui... il me semble voir, comme de très loin, quelque chose qui s'éclaire...
- Bon, tenez-vous-y donc ! »




Par une sombre nuit


Étrange est le silence qui peut régner à 2 heures de la nuit dans les rues d'une grande ville après le bruit qui les a remplies durant la journée ! Les maisons se dressent noires et silencieuses. Seule, la clarté trouble des réverbères perce l'obscurité et le brouillard.
Grelottant de froid, je m'engage dans une rue latérale où se trouve l'hôpital. On vient de m'y appeler par téléphone au chevet d'un mourant qui réclamait le pasteur.
Il y a de la lumière à une fenêtre d'une des maisons que je longe. On entend des voix qui se querellent. Leurs éclats troublent la paix nocturne. Quel peut bien être l'objet futile de cette dispute... pendant qu'un peu plus loin, à l'hôpital, une âme se dispose à entrer dans l'éternité... ?

Chose étonnante, moi qui aurais lieu d'être familiarisé avec la mort depuis le temps que j'y assiste sur les champs de bataille et dans les hôpitaux, je suis toujours aussi bouleversé d'en être le témoin au moment où le Dieu vivant rappelle à lui un enfant des hommes.
Je presse le pas et ne tarde pas à franchir l'entrée du grand édifice tandis que le portier, qui guettait mon arrivée, m'indique la direction à prendre.

Dans la chambre du mourant, je trouve couché dans son lit un homme encore jeune. Sa femme est assise à son chevet. Elle contient mal son émotion et, dès qu'elle m'aperçoit, se précipite vers moi en disant : « Oh ! Monsieur le pasteur, donnez vite la sainte cène à mon mari ! »
Je considère celui-ci. La mort a déjà altéré ses traits. Il ne remarque pas ma présence... Non ! je ne vais pas tourmenter cet homme en lui imposant la communion. Mais je suis convaincu, par contre, que ceux qui sont sur le point de mourir saisissent encore nos paroles quand bien même ils n'en donnent plus aucun signe extérieur. C'est pourquoi je vais accompagner celui-ci de ma prière et d'invocations de grâce durant son passage dans l'éternité.
L'épouse, cependant, me retient par la main en répétant : « Vite !... Monsieur le pasteur ! Donnez la sainte cène à mon mari ! »

Je l'écarte doucement. Son agitation a quelque chose d'oppressant. Puis je me penche sur le malade et je prononce très lentement la parole biblique: « Le sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péché... » Alors les yeux de l'homme s'ouvrent peu à peu et leur regard se pose sur moi, tandis que la femme me saisit de nouveau le bras et me répète son injonction obsédante. Il faut qu'elle quitte la pièce ! Je l'emmène jusqu'au corridor et m'efforce de lui faire comprendre l'inanité de sa demande : « Voyez-vous, lui dis-je, votre mari est déjà beaucoup trop bas. La sainte cène ne ferait que le tourmenter. »

Là-dessus, elle sanglote : « Mais il faut pourtant qu'il soit sauvé ! »

Que répondre à cela ? « Femme, lui dis-je d'une voix altérée, croyez-vous donc qu'une cérémonie extérieure ait le pouvoir de le soustraire au jugement de Dieu ? Si votre mari reconnaît le Seigneur Jésus-Christ pour son Sauveur et s'il croit en lui, alors il est sauvé, qu'il ait ou non pris la communion en ce moment. Et sinon... alors la communion ne peut lui être d'aucun secours ! »
Mais elle ne lâche pas prise et me dit à quel point son mari lui-même tenait à cette célébration de la cène, elle insiste...

Hélas - J'étais alors jeune débutant dans le ministère pastoral. Personne, à l'université, ne m'avait préparé à résoudre un cas semblable. Désemparé, ne sachant quel parti prendre, je cédai.
Nous rentrâmes donc dans la chambre et je me mis à préparer le pain et la coupe de communion. L'homme, tiré de sa somnolence par nos mouvements, reposait dans le calme et, à ce qu'il me sembla, recueilli et attentif à ce qui se passait.

« Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des péchés... » En cette heure de la nuit, au milieu d'un calme infini, ces puissantes paroles semblaient dresser là le rocher du salut éternel.

Un infirmier priait à l'écart. je le savais homme de foi et chrétien dans son coeur.
Lorsque nous eûmes fini, l'homme retomba, satisfait, sur ses oreillers et je quittai la chambre en compagnie de l'infirmier, laissant les époux en présence, seuls et à leurs adieux.
Mais je ne pus aller bien loin, car mon compagnon s'était mis à causer et je m'entretins volontiers avec lui. Et puis... un vague pressentiment m'avertissait que tout n'était pas encore fini.

Une demi-heure s'écoula. Tout était tranquille. Puis je dis :
« Allons voir où en est notre malade », et j'ouvris la porte de la chambre.

Nous nous arrêtâmes sur le seuil, stupéfaits du spectacle qui s'offrait à nous : assis droit dans son lit, l'homme s'adressait à nous en s'écriant : « J'ai franchi la montagne ! je vais mieux ! » Tandis que, riant et pleurant à la fois, il étreignait sa femme dans ses bras.

Dirai-je notre étonnement ?... Et pourquoi, après tout, une chose semblable n'arriverait-elle pas ? Combien de gens courent les rues, que leurs médecins avaient désespéré de guérir et abandonnés à leur sort ! Enfin l'allégresse de ces deux êtres était contagieuse, on se sentait forcé d'y participer.

Je pris dans la mienne la main du malade et lui dis :
« Que je suis heureux d'être le témoin de ce qui vous arrive ! » Puis, fortement saisi par ce renversement des choses, j'ajoutai ces quelques mots :
« Cher ami, c'est le Seigneur Jésus-Christ qui est venu à vous tandis que vous vous trouviez aux portes de l'éternité et qui vous a apporté sa grâce. Ne vous séparez plus de ce Sauveur désormais ! »

Alors un rictus atroce défigura tout à coup les traits de l'homme, comme si le feu de l'enfer projetait sur eux son reflet. Il ricana : « Haha ! je n'ai plus besoin de tout cela, puisque je vis de nouveau ! »

Je me tenais là, bouleversé. Les mots s'étranglaient dans ma gorge. Et je n'avais pas fait encore un seul mouvement que, soudain, l'homme portait la main à son coeur et s'affaissait lentement. Il était mort.

... Et je m'enfuis dans la nuit...

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