Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !


L'étranger du Rodenhof a posé sa plume et ne l'a jamais reprise pour achever son récit. Je veux, en le publiant, y ajouter la fin de son histoire pour satisfaire les lecteurs qui m'auront, suivi jusqu'ici ; ils se demandent, sans doute : « Comment sa vie a-t-elle continué ? Que lui est-il arrivé ? A-t-il été enfin sauvé ? »

Dans la vie ordinaire, le salut des gens dépravés semble parfois bien simple. Peu à peu, l'homme déchu perd toute profondeur de sentiments : espérances, aspirations de la jeunesse, souffrances du remords, tout a disparu. Le monde ne prend pas garde à ces pertes; il se préoccupe seulement de celle des cheveux et des dents; aussi la science cherche-t-elle avec zèle les moyens de remédier à ces désastres. Il semble tout naturel qu'après les années orageuses de la jeunesse l'homme devienne un paisible bourgeois - ein philister, comme on dit en allemand. - Cette transition est le remède indiqué, pour calmer les tourments de la conscience. Ce remède s'appelle « l'hébétement » ; il fait taire toutes les voix qui ont, une fois, parlé à l'âme dans la solitude et le silence. Le bon bourgeois hébété oublie les heures sombres de sa vie ; satisfait de lui-même, il jouit en paix du présent. La voix du passé, parfois, vient retentir à ses oreilles ; il la repousse avec indignation ; il ne vit que pour la réalité, dit-il lui-même ; il chasse au loin le rêve et dirige toutes ses forces vers le côté pratique de la vie. Souvent il expose ses vues à cet égard à ses commensaux du restaurant, en promenant les yeux d'un air de triomphe autour de lui.

Il est aisé de se figurer la transition salutaire qui aurait fait de notre ami Ernst, lui aussi, un « bon bourgeois ». De bons amis lui disent : « Tu es malade ; c'est folie de ne pas faire quelque chose de sérieux ; appelle donc un docteur. » Il se rend chez un médecin de renom qui, très vite, obtient sa confiance et, après un examen minutieux de sa personne, lui dit : « Votre digestion et vos nerfs sont détruits. Il était grand temps de venir à moi. Vous avez trop follement mené la vie, jeune homme, mais je vous remettrai sur pied. Un régime sévère, une cure d'eau froide feront merveille. » Le jeune homme suit les conseils du docteur et, durant sa cure il devient un croyant - en médecine, s'entend - et adopte cette profession de foi : « Je crois à la matière et à la force qui crée et conserve tout ce qui est, soit le visible, soit l'invisible. » La foi rend heureux et fait des miracles.

Le jeune homme se rétablit et, constatant que ses souffrances et ses idées noires étaient causées par ses mauvaises digestions et ses nerfs malades, il se moque de lui-même : « J'étais vraiment fou, se dit-il, de me faire tant d'inutiles tourments. » Et il devient un homme du nouveau siècle : un homme raisonnable, pratique, bon père de famille, employé capable, directeur d'un cercle littéraire, membre d'une société scientifique, président d'un club, bref, un homme de mérite ! Enfin, il meurt ou, plutôt, « il est rappelé ». Le pasteur, qui le voyait souvent et dont il entendait le sermon le jour de naissance de l'empereur, l'accompagne au cimetière pour douze francs et fait sur sa tombe son éloge comme homme, comme citoyen, comme chrétien. 0 science merveilleuse ! tu transformes et renouvelles l'homme, tu le fais sortir du champ de bataille étroit de l'âme pour le conduire dans la vaste arène de la vie publique où il n'a plus à s'occuper de sombres et mystérieuses questions !

Notre ami Ernst n'est point entré dans ce chemin pour obtenir la guérison de son âme. Malgré les ténèbres répandues sur sa vie, il ne voulait, à aucun prix, chercher l'oubli dans « l'embourgeoisement », dans « l'hébétement ».

Quelque chose se passa en lui qui est assez rare ici-bas et qui donne assez de valeur à sa vie pour qu'elle mérite d'être écrite. Un homme peut rencontrer Dieu sur son chemin ; à première vue, même, cela ne parait pas surprenant. De nos jours, tous les gens riches et cultivés sont plus ou moins religieux. On dit même que l'homme moderne a la fibre religieuse. Pourquoi non ? Il cherche à tout comprendre, à tout juger ; pourquoi n'aurait-il pas aussi le désir de s'occuper de Dieu ? pourquoi ne pas employer le superflu de l'activité de sa pensée à ce sujet, si respectable d'ailleurs ! Aussi, de nos jours, chacun, durant le cours de sa vie, s'occupe-t-il de temps à autre de Dieu. Sans doute, la Majesté suprême apprécie cette faveur que lui accordent les enfants de la terre, comme autrefois les dieux des païens appréciaient les hécatombes des Grecs.
Mais la réalité manque d'esprit, d'idéal, d'enthousiasme ; elle commence par une heure d'effroi. Au sortir de ses bavardages sur l'existence de Dieu, l'homme ou plutôt le pécheur se trouve seul devant Lui. Moment d'épouvante, en effet.

Le pécheur seul subit cette épreuve. La plupart des hommes « agissent mal », « font le mal » sans être ce qu'on appelle de « vrais pécheurs ». Le « vrai pécheur » est celui qui fait le mal tout en ayant le sentiment de la présence de Dieu et ce pécheur-là sent vraiment sa rencontre avec Lui.
Notre ami l'a sentie vers la fin de son existence. C'est ce qu'il me reste à vous raconter.

Jamais je ne le revis après cette soirée d'intimité au Rodenhof. Une seule fois il m'écrivit de Göttingue quelques ligues pour me prier de lui envoyer les manuscrits qu'il m'avait confiés. « Il ne pouvait, ni ne voulait reprendre ses confidences par écrit, disait-il ; elles ne satisferaient ni moi, ni lui, mais il espérait revenir en été au Rodenhof et recommencer nos entretiens. » En terminant, il disait : « Pour ce qui concerne ma vie extérieure, j'ai trouvé une sphère d'activité satisfaisante ; quant à ma vie intérieure, je vois un gigantesque travail au devant de moi ; l'accomplirai-je jamais ? »

Au lieu de l'annonce de sa visite, je reçus celle de sa mort au commencement de l'automne ; timbrée à la poste de Dusseldorf et signée par Agathe et par son mari, elle ne donnait aucune adresse ; je ne pouvais donc pas même leur faire part de mes condoléances.

Quelques semaines plus tard, je reçus d'Agathe une lettre datée de la lande lunébourgeoise. « Sur son lit de souffrance, me disait-elle, mon frère a pensé à vous jusqu'à ses derniers moments. Le récit de sa fin vous intéresserait ; je suis toute prête à vous le faire. Si vos voyages vous amènent un jour dans notre contrée, vous serez le bienvenu chez nous. J'ajoute avec tristesse ceci : outre mon mari et moi, vous êtes le seul être que la mort de mon malheureux frère touche de près. Son tuteur l'avait précédé dans la tombe. »

En lisant cette lettre, je vis Agathe, telle que son frère me l'avait décrite l'attendant au débarcadère du bateau à Hambourg. Je pensai à ces longues années durant lesquelles, tristement préoccupée à son égard, elle avait sûrement beaucoup prié pour lui. Écrite par cette soeur si tendre et si fidèle, cette lettre fut pour moi un objet sacré. Qui n'aurait du respect pour une telle affection, de la vénération pour une si noble femme ?

Il n'était guère probable que mes devoirs m'appelassent jamais dans la lande de Lunébourg ; mais, ayant un vif désir d'entendre, de la bouche de sa soeur, le récit de la fin du pauvre Ernst, je lui répondis, sans hésiter, que j'espérais me rendre à son invitation encore avant Noël.

Un an s'est écoulé depuis ma visite chez elle, mais tout est encore vivant dans ma mémoire. Je vois distinctement le village de la lande avec ses toits de chaume, la maison du docteur où Agathe veille comme un bon ange an bonheur des siens. Je conserve, comme un précieux joyau, le souvenir des heures que j'y ai passées. Mes devoirs de pasteur accomplis, je rentre le soir dans le village de montagne qui est devenu ma patrie. Le son des cloches, les maisons et les chaumières groupées autour de l'église, tout me transporte pour quelques moments dans la lande lunébourgeoise, chez Agathe, à son foyer qui est pour moi le lieu idéal de la paix sur la terre.

Après un long voyage, je descendis un soir à une station près du village d'Agathe. Le docteur m'y attendait et me souhaita cordialement la bienvenue. Ses regards affables s'harmonisaient avec la mélodie de son langage plat-allemand. Il m'exprima sa joie d'avoir pu, malgré sa nombreuse et lointaine clientèle, trouver le temps de venir me chercher et de passer avec moi la soirée. Son traîneau nous attendait sur la route. La violence du vent empêchant toute conversation, nous restâmes silencieux et recueillis durant notre trajet. Nous descendîmes du traîneau devant une porte-cochère et fîmes quelques pas dans une grande cour, sur de la neige nouvellement tombée. La lumière brillait dans la pièce commune, cette lumière si souvent allumée pour le frère dans l'espoir, toujours déçu, de son arrivée, si ardemment attendue. Tout était fini maintenant ; elle brillait pour un étranger.

Je vis par la fenêtre Agathe inclinée sur un ouvrage. Comment la dépeindre ? je l'ose à peine ; les mots me manquent pour parler dignement de sa beauté. Le poète en trouve pour décrire la grâce de la jeune fille en habits de fête ; il n'y en a pas pour rendre celle de l'épouse dévouée, de la ménagère accomplie.

Tout le long de mon voyage j'avais été inquiet au sujet de la manière de nouer, avec la soeur, l'entretien sur son frère dont je connaissais toute la vie jusque dans ses plus honteux détails. Le tact d'Agathe et sa dignité féminine me tirèrent d'embarras dès l'abord. Après le repas du soir, nous nous assîmes tous trois près du poêle et je me sentis comme en famille.

Nous restâmes ensemble jusque bien avant dans la nuit. Évidemment, Agathe trouvait de la douceur à parler de son frère avec un ami sympathique ; l'émotion la forçait-elle à interrompre son récit, son mari le continuait. Elle parlait d'une voix suave et douce, comme si elle voulait exprimer toute sa tendresse à son frère, lui en envoyer le témoignage au-delà de sa tombe.

J'appris en cette soirée comment sa vie se termina, comment il arriva au but. Saisissante histoire ! Une lettre qu'il écrivait les premiers jours des vacances d'automne en était le début ; il disait entre autre à sa soeur : « Mon médecin me presse de faire un voyage pour me reposer. J'en ai besoin, en effet, je le sens. Je compte partir cette semaine et consulter à Bonn le professeur E.... un ami de notre père. Tu te souviens de lui, n'est-ce pas ? Ensuite j'irai passer quelques jours dans un endroit tranquille des bords du Rhin et, de là, je me rendrai chez vous, chez toi, soeur bien-aimée. La tonnelle de vigne vierge plantée par ton mari doit être bien feuillée, à présent. Vous me permettrez d'y passer de longues heures à contempler la lande. Cette vue me fera plus de bien que toutes les splendeurs du Rhin.
Ne t'effraye pas quand tu me reverras. Je suis, ou plutôt - pour dire la vérité - j'ai fait de moi un vieillard, bien avant le temps ; je suis harassé, exténué. »

Quelques jours plus tard, le mari d'Agathe reçut, d'un de ses collègues de Dusseldorf, l'avis que leur frère était gravement malade d'un épuisement au plus haut degré et que l'on pouvait s'attendre à une issue fatale dans peu de temps.

Épuisé de fatigue, Ernst, interrompant son voyage, était descendu à Dusseldorf pour se reposer quelques heures dans un lieu paisible au bord du fleuve. Près du nouveau pont, la vieille église des Jésuites attira ses regards, et bientôt il fut fasciné par une peinture, représentant la crucifixion de Jésus-Christ, et surtout par la différence d'expression chez les deux criminels. Longtemps il les contempla, puis il se remit en marche... ce furent ses derniers pas ; au bout de quelques instants, il tomba inanimé sur le sol. Des passants le transportèrent à l'hôpital des Carmélites, non loin de là. Il reprit ses sens durant son transport et dit à la concierge en arrivant : « Ma soeur, je vous en prie, donnez-moi une chambre pour y mourir ; je suis arrivé au but. »

Le médecin vit aussitôt la gravité de l'état du malade, écrivit à Agathe, qui, deux jours après, frappait à la porte du couvent des Carmélites. Durant son triste et long voyage, elle avait pris la résolution de paraître sereine et même gaie devant son frère, d'être pour lui un rayon de soleil, de lui rappeler le bon vieux temps, leur joyeuse jeunesse ; elle espérait qu'il reprendrait assez de forces pour faire prochainement le voyage jusque chez elle où, sous ses tendres soins, il finirait par se rétablir. Mais toutes ses espérances s'évanouirent quand elle entra dans la chambre du malade. À sa vue, elle s'arrêta tremblante, bouleversée... devant elle se trouvait un moribond blême, les joues creuses, les cheveux clairsemés et déjà gris, la respiration courte et gênée. Ernst, pensant que c'était la garde, resta immobile quand sa soeur entra ; elle l'appela par son nom... cette voix bien-aimée l'eût tiré de l'agonie ; il ne put se dresser sur sa couche, mais il leva sur Agathe ses grands yeux bleus en murmurant : « Enfin, te voilà, soeur bien-aimée ! Tu resteras jusqu'à la fin auprès de moi, n'est-ce pas ? Je ne désirais, n'espérais plus rien que te voir, t'avoir là tout près de moi. »

Leur dernière réunion ici-bas dura trois semaines. Jamais il ne fut question entre eux de la guérison possible du frère, ni de sa mort prochaine, quoique leurs entretiens eussent souvent la mort pour objet. Le frère et la soeur semblaient avoir fait un accord silencieux pour rester ensemble jusqu'à l'heure suprême de la séparation. Agathe, par ses regards, disait à son frère : « Ne crains rien, je t'aiderai à vaincre les affres de la mort. »

Un être humain ne peut donner une plus grande preuve d'amour à son semblable que de l'aider à mourir. En venant assister dans leur agonie ceux que nous aimons, nous prouvons que l'amour est plus fort que la mort. J'en suis convaincu depuis cette soirée chez le docteur de la lande de Lunébourg. Le frère avait dit : « 0, soeur chérie, aide-moi à mourir ! » La soeur avait répondu : « Me voici auprès de toi, je t'aiderai à mourir.
Ah ! si je pouvais, moi aussi, avoir un ami auprès de moi pour m'assister à ma dernière heure !

Après l'arrivée de sa soeur, le malade passa la journée dans une violente agitation ; le docteur craignait pour le soir une augmentation de fièvre et Agathe, sans se lasser, rafraîchissait le front de son frère. La garde vint faire son service, souhaita une bonne nuit et se retira.

Restée seule, Agathe écoutait avec angoisse la respiration haletante du malade. Tout était silencieux, le tumulte de la grande ville s'était peu à peu calmé. On n'entendait que le sourd grondement du fleuve et des pas de promeneurs attardés. Seul, le pauvre Ernst n'avait ni sommeil, ni repos ; sans cesse, il s'agitait sur sa couche ; tantôt, il élevait en l'air ses mains avec des gestes violents ; tantôt, il saisissait convulsivement celles de sa soeur. Pauvre Agathe ! elle sentait que la fièvre seule n'agitait pas ainsi son frère ; elle y voyait une autre cause encore sans en comprendre la force et la puissance.

Le malade ouvrit les yeux et les promena hagards autour de lui comme pour chercher où il pourrait les arrêter en paix. À la voix de sa soeur, il les posa sur elle et sa vue le calma.
- O, Agathe ! balbutia-t-il, j'ai peur, J'ai peur... que ne suis-je mort au berceau ! ... Tu ne sais pas, tu ne sauras jamais la vie que j'ai menée. Mais représente-toi un homme qui a commis beaucoup d'actions détestées de Dieu et défendues par Lui. Cet homme, c'est ton frère, c'est moi... et... chargé du poids de mes affreux péchés, je vais... paraître... devant Dieu... devant Dieu qui sait tout, qui a tout vu et n'a rien oublié ! ... Cette pensée me remplit de terreur...

Nouvelle et terrible crise de violence, calmée encore par la douce voix d'Agathe.
Il reprit :
- J'ai beaucoup pensé à Dieu, ces dernières années. À Göttingue, quelques amis et moi nous discutions souvent sur Dieu, sur son existence, son essence. Ah ! aujourd'hui, je ne me demande pas s'il y a un Dieu ; la seule question de mon âme tourmentée est : « Comment paraître devant Lui avec mes péchés, mes péchés monstrueux, grands comme de hautes montagnes ?

Le moribond cacha la tête dans ses oreillers en gémissant comme s'il avait perdu toute lueur d'espoir. Sa pauvre soeur, les mains jointes, demandait à Dieu la force de le consoler.
- Agathe, dit-il plus tard, dans maintes nuits d'insomnie, en pensant à ce que je suis et à ce que j'aurais pu être, j'ai amèrement pleuré d'avoir gaspillé ma vie, d'avoir foulé aux pieds le souvenir de mon père et ta fidèle affection ; mais je ne pensais pas qu'il me faudrait, chargé de mes péchés, paraître un jour devant Dieu. Souvent j'ai désiré que la mort mit fin à mon inutile vie, qu'elle donnât le repos à mon âme fatiguée... mais, à présent, oh ! J'ai peur de la mort ; elle m'épouvante ! ... je le sens, mourir n'est pas arriver au repos après les luttes de la vie... mourir, c'est comparaître devant Dieu et lui rendre ses comptes. 0, ma soeur, que faire ? où aller ? Si tu connais Dieu, intercède auprès de lui pour ton malheureux frère.

Les ténèbres de ces lugubres moments remplissaient l'âme limpide de cette soeur ; elle connaissait Dieu comme un tendre père qui dirige avec amour son enfant dans le labyrinthe de la vie et pardonne doucement à l'être qui se repent ; elle n'avait jamais plongé ses regards dans les abîmes d'une mauvaise conscience, ne se doutait pas de l'effroi et des tourments qu'elle éprouve à la pensée de la mort. Cependant son affection lui inspirait une profonde sympathie pour la détresse morale de son frère. En voyant perler sur son front, la sueur de l'angoisse, en entendant ses cris de désespoir, elle fit comme dernièrement encore elle avait fait près du berceau de son enfant malade : sur les mains frémissantes de son frère désespéré, elle joignit les siennes et implora de toute son âme le secours du Père céleste.

Il me semble voir ce mourant, l'âme suspendue aux lèvres de sa soeur, pressant ses mains et s'y retenant comme un naufragé à sa dernière planche de salut.

Quel tableau saisissant ! Deux mortels sous le regard de Dieu... l'amour humain demandant à l'amour divin le salut d'un être aimé !
Après la prière d'Agathe, leurs mains restèrent, encore longtemps unies. Avec un accent d'infinie reconnaissance, le frère murmura : « Chère, chère soeur. » Agathe ouvrit la fenêtre pour laisser entrer l'air pur de la nuit. La lune brillait paisible ; ses rayons scintillaient sur l'eau du fleuve, l'ange de la paix traversait la chambre.

Cependant le combat n'était pas fini, la victoire pas encore gagnée. Des heures revinrent où l'angoisse assaillit le malade avec une nouvelle violence, où les tourments de sa conscience le mirent en face d'une justice divine inexorable. Dans ces moments cruels et décisifs, l'affection même la plus dévouée ne peut nous apporter le salut ; elle peut nous en montrer le chemin, se tenir consolatrice auprès de nous, nous accompagner jusqu'à la porte... mais, cette porte, chacun doit la franchir seul et se trouver sans témoin en présence de Dieu. Ce moment ne peut se décrire, ni se concevoir. Chaque âme ne connaît qu'elle-même ; le secret des autres ne la concerne pas. Dans la richesse infinie de son amour, Dieu a pour chacune d'elle un accueil particulier. Il serait affreux de traiter ces sujets, ainsi que le font certaines gens, d'une manière banale, comme on traite, par exemple, ceux du temps ou de la mode.

Quant à moi, je crois fermement que l'amour divin peut amener chacun sur les hauteurs lumineuses où règnent la paix et le silence. On parle beaucoup dans le monde de la grandeur de Dieu. Les poètes la célèbrent en des cantiques sur le bruissement des forêts, sur les fureurs de la mer, sur la hardiesse des cimes neigeuses. Pourtant cette grandeur infinie de Dieu ne se trouve dans aucun temple de la nature ; ce qui rend sa majesté incommensurable, c'est qu'elle est plus grande que notre coeur, plus grande que le coeur qui s'accuse lui-même. Le voyageur contemple avec effroi et ravissement les abîmes des Alpes, leurs gigantesques sommets. Bien plus hauts sont les sommets, bien plus profonds les abîmes d'un coeur qui s'accuse lui-même. Avec épouvante, le marin voit la mer en furie briser comme des roseaux les ouvrages des hommes. Plus furieuse encore mugit la tempête dans un coeur qui s'accuse lui-même. Rien ici-bas n'est aussi puissant que le coeur humain en cet état... Mon Dieu, tu es plus grand encore... Oui, tu étais plus grand que ce coeur qui s'accusait lui-même, en cette nuit d'automne, là-bas, dans le couvent des Carmélites, à Dusseldorf.

Deux jours après, un dimanche, les souffrances physiques du malade diminuèrent, un peu de calme lui revint.

Dehors luisait un radieux soleil d'automne ; dans la chambre, la fenêtre était grande ouverte ; le lit, tout auprès. Les yeux du malade erraient au loin. Dans la rue se pressait une foule endimanchée et joyeuse ; des enfants riaient et gambadaient ; fatigués de leur labeur de la semaine, des hommes et des femmes jouissaient de leur loisir bien gagné. Des bandes joyeuses de jeunes gens faisaient maints projets pour la journée ; des vieillards longeaient le fleuve en s'entretenant des changements apportés par les années sur ses rives et de ceux qu'ils pourraient encore y voir.
Le pauvre moribond n'avait plus à s'occuper de ces joies ni de ces espérances. Heure étrange celle où nous n'avons plus rien de commun avec nos semblables, où il faut nous dire : « Voici la mort... avec elle seule j'ai affaire maintenant ! »

Les regards fatigués du malade se perdirent de l'autre côté du fleuve, sur le rivage où le vent balançait une embarcation. Vers le soir, le bruit de la rue ayant cessé, il pria sa soeur de lui faire la lecture. Une feuille religieuse était distribuée chaque dimanche aux malades protestants du couvent. Celle de ce jour contenait un article sur les inscriptions des tombeaux. Agathe n'hésita pas à le lire à son frère ; ni l'un, ni l'autre ne redoutaient de s'entretenir de la mort et de ce qui s'y rattache. Ernst écouta avec intérêt la description des différents cimetières du monde et des inscriptions souvent étranges des tombes. Ils s'entretinrent du mépris des païens pour la mort et de la résignation des chrétiens. La nuit arriva ; le chant des religieuses, assemblées dans l'église pour les vêpres, retentit dans les corridors : De profundis clamo ad te, Deus.

Les cloches de la ville appelaient les fidèles à la prière du soir ; enfants et parents rentraient fatigués dans la paix de leurs demeures. Tout était silencieux dans la chambre du malade ; son regard se perdit encore au loin dans la brume du soir.
- Agathe, murmura-t-il, je pense aux inscriptions mortuaires que tu m'as lues ; l'une d'elles convient tout à fait pour moi ; celle du jeune homme au cimetière de Bornholm : « Je crois au pardon des péchés. »

Agathe s'assit au bord du lit et, lui prenant tendrement la main, elle répéta d'une voix douce et lente : « Je crois au pardon des péchés ! »
Il reprit :
- J'ai lu une fois que, pour chaque être humain, il y a une parole laquelle, prononcée à temps, répand une lumière sur le mystère de sa vie et lui en explique l'énigme. Je l'ai entendue, cette parole, tu viens de la prononcer, soeur bien-aimée ; je t'en remercie. Gardes-en dans ton coeur l'expression de ma reconnaissance comme un dernier souvenir de moi... « Je crois au pardon des péchés. »
- Et, continua Agathe, cette parole nous est un gage de notre revoir dans l'éternité.

Maintenant voici les derniers jours.
Encore une fois, de terribles remords assaillirent le malade. « Que deviendront toutes les femmes dont j'ai causé la perte ? » se demanda-t-il en revoyant, dans ses rêveries, défiler leur long cortège ? Leurs accusations retentirent violentes dans son coeur ; il passa une affreuse nuit. Enfin, les prières de la douce Agathe réussirent à éloigner de lui ces cruelles images, à élever son âme sur les hauteurs divines, à lui faire répéter : « Je crois au pardon des péchés. »

À l'aube, il prit la main de sa soeur et murmura :
- Je sais que Dieu est tout puissant et qu'il enverra la guérison là où j'ai apporté la corruption. Comme Il est mon Père, Il est celui des autres.

Une paix intérieure se répandit sur ses traits. Fixant sur sa soeur des regards pleins de gratitude, il lui dit :
- J'ai une demande à t'adresser. La certitude que tu accompliras fidèlement mon désir m'aidera à m'en aller en paix. Tu ne connais ni les faux brillants, ni les abîmes fangeux de la vie dans laquelle je me suis laissé entraîner ; j'y ai tout perdu, je m'y suis entièrement corrompu. Un homme corrompu est comme un malade dont le corps est envahi par des matières infectieuses...
O, Agathe, quand tu prieras le soir pour ton mari, pour tes enfants, je t'en supplie, prie aussi pour les âmes humaines que ton... ton... frère a... corrompues... empoisonnées...

Deux jours encore, jours de calme après l'orage ; entrée dans un port tranquille ; derniers rayons de soleil pour ces deux êtres qui bientôt seraient séparés. Les sombres et douloureux souvenirs firent place à ceux des jours heureux : le frère et la soeur enfants, la maisonnette de l'Elbe, la bonne tante Marie. Le mourant ne pouvait plus parler ; à peine faisait-il de temps en temps une brève question, puis : « T'en souviens-tu ? » et Agathe continuait.

La dernière heure. L'après-midi, le médecin en quittant le malade dit à Agathe :
- Selon les prévisions humaines, plus que douze heures.

Ernst avait compris et d'une voix calme, il demanda :
- N'est-ce pas, Agathe, le docteur t'a dit que mes derniers moments approchent ? Il est temps, du reste, de nous reposer tous deux. Quand j'entrerai dans le sommeil de la mort, tu iras dormir de celui de la santé, promets-le moi.

La garde de service entra dans la chambre et souhaita au malade une bonne nuit, mais ses regards dirent à Agathe : « C'est bientôt la fin ! »
Le mourant s'assoupit ; ses mains, déjà froides, cherchèrent encore celles de sa soeur qui les prit dans les siennes tandis que ses pensées retournaient vers le passé ; elle se rappelait son admiration pour son grand frère ; puis les tristes années de leur séparation et les pleurs amers qu'elle répandait en pensant à son refroidissement envers elle. Jamais elle n'avait su le chemin qu'il avait pris, elle sentait seulement qu'elle ne pouvait l'y suivre. Elle pensa à ce qu'aurait été la vie de ce frère chéri, s'il avait pu succéder à leur père ; elle le vit en uniforme sur le pont du navire ; mais ce fut une image fugitive. Elle se retrouva bientôt en face de la réalité, les regards attachés sur son frère dont la vie s'éteignait et qu'elle voyait arriver au port.

Le temps fuyait rapidement. Minuit sonna ; la respiration du malade sembla plus courte encore ; les tristes souvenirs revinrent l'assaillir ; il pressa les mains de sa soeur avec une angoisse nouvelle ; son âme retourna dans le sombre chemin de sa vie de débauche ; il revit ses camarades dans la « chambre à part » du quartier Saint-Paul et dans la « Grotte bleue » à Munich.... il voulait s'enfuir et gémissait : « Laissez-moi sortir, ouvrez la porte l'air est empesté .....Lisbeth, pardonne-moi..... ne riez pas, l'heure est sérieuse..... voici la mort !
Encore une fois il se trouva sur la colline de la lande lunébourgeoise ; il vit venir Elisabeth « passe, murmura-t-il, passe jeune fille, va en paix.... Elisabeth ! ... »
Disparaissez, esprits des ténèbres, vous n'avez rien à espérer de votre camarade de jadis ; il n'est plus à la Grotte bleue de Munich. Vous aviez beau jeu alors à tourmenter son sommeil ; il est ici dans un séjour de paix.... fuyez, fuyez !

Le mourant sortit de sa douloureuse rêverie ; il chercha pour la dernière fois les regards de sa soeur ; il y arrêta les siens avec une expression de paix, de joie, de reconnaissance et lui dit ainsi son dernier adieu que ses lèvres ne pouvaient plus prononcer.

L'horloge sonna trois heures. Agathe leva les yeux vers les étoiles ; à genoux près du lit, la religieuse priait pour le mort : « Mon Dieu, recevez-le dans votre divin repos, faites luire sur lui votre lumière éternelle !




Après ce récit d'Agathe, je restai longtemps encore à contempler de ma fenêtre le spectacle d'une belle nuit d'hiver. Couvertes de neige, les maisons, les chaumières se dessinaient dans la plaine sous les rayons de la lune. On n'entendait que le murmure monotone d'une fontaine ; les regards s'étendaient jusqu'à la route de la lande. Je me demandai ce qui serait advenu du malheureux Ernst si, fuyant le tumulte du monde, il avait pris cette route encore à temps. En pensée, je le vis arriver aux environs de Noël, harassé, faisant d'un pas lent, un dernier effort pour atteindre la maison de sa soeur. Tout eût été différent. L'affection est une des plus grandes puissances de ce monde ; celle de cette soeur dévouée eût aidé, ce frère déchu à se relever ! Inutile pensée ! Beaucoup de voyageurs prendront cette route de la lande, à la lumière du jour, dans les ténèbres de la nuit, pour venir chercher la paix d'un foyer ; mais lui, il ne reviendra plus. Aucune arrivée n'a été aussi ardemment désirée que la sienne..... Tu ne l'attends plus, pauvre Agathe ; mais regarde plus haut que cette route, au-dessus du village, au-dessus de la lande où luit la lune, là-haut vers le ciel étoilé ; pense au chemin où il est entré, ce chemin dont le but est la demeure de notre Père Céleste.

Je partis le jour suivant. Inutile de prolonger mon séjour. Nous avions dit tout ce que nous avions à nous dire. Le sujet de nos entretiens était si vaste, si élevé qu'il ne laissait de place pour aucun autre. Agathe et son mari m'accompagnèrent jusqu'au bout du village. Je les suivis longtemps des yeux et je cherchai en dernier lieu leur demeure.... la demeure d'Agathe, de cette pure et noble femme et un désir remplit mon âme : « puissé-je, moi aussi trouver un jour le repos et la paix dans une demeure semblable à la sienne ! »

Agathe m'avait prié de visiter le tombeau de son frère en passant à Dusseldorf, si cela m'était possible. Ce désir était un ordre sacré pour moi.
J'arrivai à Dusseldorf dans l'après midi. La tombe de Ernst se trouvait dans un cimetière éloigné de la ville, au bord du Rhin. En m'y rendant, je passai devant le collège d'où sortait impétueusement la foule des jeunes garçons qui se rendaient de tous côtés chez leurs parents dont ils étaient sans doute la joie et l'orgueil. Les mères attendent leurs fils entrevoyant pour eux de brillants avenirs : prédicateur éloquent, médecin célèbre, professeur, magistrat, etc. Je pensai au temps où lui aussi il s'élançait turbulent hors du collège pour retrouver les siens dont il était l'orgueil et la joie. Puis tout changea pour lui. On vit en lui ce que peuvent devenir les espérances humaines. Collégiens de Dusseldorf, vous regardez l'avenir d'un oeil audacieux ; qui sait si vous n'irez pas vous égarer dans le labyrinthe de la vie ?

Le temps pressait. Quand j'arrivai enfin au cimetière, le soleil était déjà bas. Un employé me conduisit jusqu'à une éminence où se trouvaient plusieurs tombes récemment creusées. Celle d'Ernst était la seconde, elle n'était encore ornée que d'une simple croix de bois portant son nom et la date de sa mort.

On a coutume de dire que tous les hommes sont égaux dans la mort ; mais, certes, leurs tombeaux ne le sont pas. Parfois ils offrent aux regards de douloureuses différences.
Un tombeau peut être un sanctuaire, une précieuse propriété de famille. Quittant le bruit de la ville, un jeune homme arrive le soir vers la tombe de sa mère ; tête nue, il s'incline sur cette place sacrée. Les passions tumultueuses de son coeur s'apaisent ; sa pensée s'épure ; il s'arme de bonnes résolutions contre le mal ; le jeune aigle déploie ses ailes pour s'élancer vers l'idéal divin. Une jeune fille s'avance vers la tombe de sa mère ; elle a erré, pleine de trouble, dans les sentiers tortueux de la vie ; son coeur s'est fourvoyé ; le monde lui semble désert et froid, mais là, près de ce coin de terre sacré, elle retrouve la foi en l'amour pur, en la fidélité et elle rentre apaisée chez elle.

O, âme humaine, quand la vie t'a enlevé tout ce qui t'était précieux, quand tout est solitaire et glacé autour de toi, s'il te reste la tombe d'un être aimé, tu n'es pas entièrement dépouillée ; tu possèdes encore un lieu qui te parle de patrie, d'amour, de fidélité !
Certains tombeaux inspirent une profonde tristesse. Voyez dans les cimetières des grandes villes, ces croix déplacées, à demi brisées, ces carreaux enfoncés, envahis par la mauvaise herbe. Ces tombes disent : « ici reposent des êtres délaissés durant leurs vies, morts sans être entourés d'affection ; personne n'a pleuré quand leurs cercueils ont été descendus dans les fosses ».

Et maintenant un mot de son tombeau. Une voix plaintive me crie : il a gaspillé sa vie ; il s'est perdu lui-même ; il laisse le souvenir d'une jeunesse dépravée, d'années inutiles, d'actions mauvaises. Cette tombe est un lieu de désespérance.
Mais, soudain, le soleil d'hiver perce les brouillards ; il fait reluire les fenêtres des palais et celles des chaumières et le voici sur son tombeau ; il luit, sur les couronnes flétries, sur les rubans décolorés ; partout il répand ses rayons d'or.

Pauvre tombe solitaire, comme tu resplendis à mes regards !
Le soleil disparaît, l'ombre s'étend. Adieu ! Je vois se lever un autre soleil, un soleil qui jamais ne disparaît et dont la splendeur n'est pas de ce monde. C'est ton amour, ô Père céleste. Je regarde ce tombeau à cette lumière divine et alors disparaissent les douloureux souvenirs et les voix amères cessent de retentir. Ce n'est pas un homme perdu qui gît dans cette tombe ; c'est un fils longtemps égaré qui a enfin retrouvé le chemin de la maison paternelle et rencontré l'amour divin.
O, tombe solitaire, à cette lumière ta beauté est indescriptible, éternelle !
Je voudrais saisir cette beauté tout entière et la faire comprendre à ceux qui ont entendu « sa confession ».

De notre temps les hommes aspirent à la beauté ; l'art s'efforce de la produire. J'ai visité, les sanctuaires où les oeuvres en sont rassemblées, j'ai saisi les saints efforts des artistes pour pénétrer le mystère de la beauté ; plein de reconnaissance j'ai béni ces efforts. J'ai pu contempler le monde merveilleux des montagnes ; je les ai vues à l'aube sortir des brouillards. Joyeuse, mon âme s'est élancée sur leurs cimes ; J'ai compris que des êtres fatigués et tourmentés par la vie y trouvent un allégement à leurs peines.

Je me suis promené sur les falaises de l'Océan. au coucher du soleil.... spectacle d'une magique beauté ! à sa vue, mes désirs, mes espérances se sont élevés jusqu'aux rives de l'infini.
Mais que sont toutes ces beautés de la terre, comparées à celle que je vis resplendir sur sa tombe. Elle a élevé mon âme au dessus de tout ce qui existe ; elle m'a fait oublier tous les troubles, toutes les peines d'ici-bas.

J'ai entendu maintes belles choses durant ma vie. La voix d'Homère m'a fait éprouver puissamment l'émotion esthétique. J'ai assisté avec les poètes à de sauvages combats ; avec eux j'ai campé la nuit autour des feux ; J'ai passé de longues heures dans le cabinet d'étude du savant. De toutes les belles et grandes manifestations de l'esprit humain, aucune n'a impressionné mon âme comme la voix que j'ai entendue sur sa tombe. Avec quelle force elle s'est emparée de moi en me criant : « ici-bas, toute chose passe, l'amour de Dieu, seul, est éternel ».
La vie est belle puisque dans ce monde périssable nous pouvons chercher et trouver la beauté éternelle.

- Père céleste, ton amour est la divine beauté ; il enrichit la vie de l'homme ; il fait luire un rayon d'or, même sur le tombeau d'un être dégradé.
À la lumière de ton amour, la jeunesse doit être une source inépuisable de joie pure, l'âge mûr un champ fertile en moissons bénies.
Père céleste, ouvre-nous les yeux, permets-nous d'apercevoir ici-bas ta beauté et de la contempler, un jour, tout entière dans l'éternité.

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