Toute belle vie demeure parmi nous comme un don de Dieu. Puisse le parfum en être gardé ! Ch. Wagner.
Le ministère de Charles Moreillon
s'étendit au delà de la paroisse de
Burtigny. À plus d'une reprise il fut
appelé à tenir des réunions
dans diverses localités du canton de
Vaud.
En février 1902 il donna, dans le
temple de Denens, une conférence remarquable
sur les oeuvres de la foi. Le lendemain, il fut
prié de faire une visite à Mme B. qui
souffrait cruellement, depuis plusieurs mois, de
tuberculose intestinale. Elle avait subi, à
l'hôpital de Lausanne, une grave
opération et son état à vues
humaines, paraissait
désespéré.
Une correspondance (dont sont extraites
les lettres qui suivent) s'établit entre M.
Moreillon et Mme B. Celle-ci fut admirablement
guérie et vécut jusqu'à un
âge avancé.
Burtigny, le 25 février 1902.
Chère Madame,
... J'espère que ma petite visite
n'a pas été pour vous une occasion de
troubler votre paix. J'ai compris que vous
attendiez la mort, parce que c'était les
hommes qui vous la faisaient entrevoir comme
certaine à
brève échéance. Mais vous ne
me paraissiez pas en avoir la certitude
donnée par Dieu Lui-même. J'estime que
tant que notre Père céleste ne vous
aura pas dit Lui-même que c'est sa
volonté de vous retirer à Lui, ce
serait une faute que de ne pas le prendre au mot
dans ses promesses. Si Dieu vous a fait comprendre
d'une manière très positive qu'il
préférait vous reprendre, il ne vous
reste plus qu'à attendre en paix ce beau
jour ; mais nous avons été
appelés à vivre, et aussi longtemps
que Dieu ne nous a pas dit que notre tâche
était terminée, nous n'avons pas le
droit de ne pas nous confier entièrement
dans l'intervention personnelle de notre Sauveur
qui nous donne la guérison par ses
meurtrissures
(Esaïe
53. 5).
C'est moins pour monsieur votre mari que
pour le service de Dieu que vous devez regretter de
mourir ; car si Dieu vous appelait à le
glorifier aux yeux des incrédules par la
démonstration de sa puissance, en cherchant
et en acceptant la guérison en Jésus,
c'est votre devoir et même votre bonheur
d'accepter cette nouvelle tâche, si
imprévue ou si délicate qu'elle
puisse vous paraître au premier abord.
Reprenez donc courage. C'est quand tout finit aux
yeux des hommes que tout commence aux yeux de Dieu,
à qui, si nous croyons, rien n'est
impossible
(Matth.
17. 20). Demandez à
Dieu quelle est sa volonté. Quand vous la
connaîtrez, vous prierez selon cette
volonté
(1
Jean 5. 14 et 15). Cramponnez-vous
moins à votre lit ou aux remèdes des
hommes qu'au Seigneur et à ses promesses.
Burtigny, le 29 mars 1902.
Chère Madame,
Je suis très touché de
l'affectueux témoignage de reconnaissance
envers Dieu, dont j'ai été l'objet
par l'envoi de M. B.
Je suis heureux aussi de la si bonne
lettre que vous m'avez adressée et dans
laquelle vous dites bien que c'est le Seigneur seul
qui vous a guérie, heureux de voir que vous
voulez montrer votre reconnaissance au Seigneur en
rendant témoignage de ce qu'il a fait pour
vous. Ne perdez aucune occasion de le faire ;
mais ce qui est bien plus important encore, c'est
de consacrer à Dieu seul le temps qu'il nous
demande de Lui donner afin de nous bénir.
Dieu nous pardonnera plus facilement la
négligence d'un témoignage à
rendre aux hommes que la négligence d'un
temps suffisant apporté à la
communion habituelle avec Lui.
Lisez chaque jour fidèlement la
Parole, et consacrez le temps nécessaire
à la prière et à la communion
avec Dieu jusqu'à ce que Dieu vous donne le
sentiment que vous êtes nourrie et
désaltérée. C'est la grande
faute de beaucoup de croyants de se laisser aller
à croire qu'ils ont fait provision, une fois
pour toutes, de la vie qui est en Christ.
Demeurez avec Lui dans sa mort
jusqu'à ce qu'il vous communique l'esprit et
la vie de résurrection
(Rom.
6).
Environ sept semaines plus tard, Mme B.,
complètement rétablie, dînait
chez M. et Mme Moreillon, le jour de la fête
annuelle de La Maison.
La question de la guérison divine
est envisagée de bien des manières
par les chrétiens, et il serait dangereux
d'en faire un système rigide. Cependant,
personne ne niera que Dieu accorde parfois à
ses serviteurs de merveilleuses délivrances.
Tel fut le cas à plus d'une reprise, mais
pas toujours, pour M. Moreillon. Il écrira
lui-même à ce sujet
- Je crois qu'à moins d'une
révélation spéciale, si nous
remplissons les conditions indiquées dans la
Parole de Dieu, nous pouvons prendre le Seigneur au
mot, selon ses promesses.
Le salut de l'âme reste cependant
le point important dans la vie spirituelle. Christ
en nous, c'est là l'essentiel.
Dans une lettre, au sujet d'une
charmante petite fille qui souffrait de crises
d'épilepsie, Soeur Cécile raconte une
autre guérison obtenue en réponse
à la prière de la foi.
- M. Moreillon a désiré
cesser tout remède, puisque le Seigneur a
dit : « Cette sorte de démon
ne sort que par la prière et par le
jeûne ».
Le mal a empiré. J'avais l'enfant
dans ma chambre ; elle avait plus de dix
crises en une nuit, la paralysie la prenait et il
fallait parfois une heure et demie pour lui faire
avaler une tasse de lait. Le Seigneur a
accordé la grâce à M. Moreillon
de ne pas douter, mais de croire qu'il la
guérirait. Un vrai miracle s'opère
maintenant, jour après jour, dans son corps.
Elle qui ne pouvait plus faire un mouvement, ni
parler, court et saute dehors, et mange comme un
ogre !
Elle a eu encore une crise hier dans la
nuit, mais malgré cela, nous
bénissons Dieu pour cette grande
délivrance. Qu'il me garde, moi la toute
première, dans une absolue confiance et
qu'il se serve de La Maison pour amener notre
peuple à croire à son tendre
amour.
Une lettre à Mme H. B., au sujet
de la grave maladie de sa fille, nous
précise la pensée de M.
Moreillon :
- Je m'associe à vous pour prier
le Père céleste de manifester son
secours, tout d'abord dans nos coeurs pour nous
faire connaître quelle est sa volonté
à l'égard de votre fille. Je m'en
remets moi-même à Lui pour qu'il me
révèle ce qu'Il veut
pour votre enfant. Je sais une
chose, c'est qu'Il l'aime tendrement et qu'Il agit
avec beaucoup d'amour envers elle.
Il veut voir sans doute si vous savez
lui rendre votre fille qui est à Lui avant
d'être à vous. Rappelez-vous que Dieu
demanda à Abraham de lui donner Isaac, son
fils unique, en sacrifice.
Avez-vous fait vous aussi, avec une
entière confiance et une pleine soumission,
le sacrifice complet de votre fille ?
Faites-le sans retard et donnez à Dieu la
première place dans votre coeur, avant
même votre amour pour votre enfant.
Mais les jours de cet apôtre
étaient comptés. Bien qu'à
plus d'une reprise il ait été l'objet
de la miséricorde de Dieu et qu'en
réponse à sa foi dans la
guérison divine il ait fait de grandes
expériences dans ce domaine, il semble qu'il
ait eu le pressentiment de la
brièveté de sa vie quand il
écrivait : « Dieu ne me
permet pas de perdre un seul jour de ma courte
vie ».
Vêtu d'un fort léger
manteau, ses frêles épaules supportant
difficilement le poids d'un lourd pardessus
d'hiver, il allait à pied d'un village
à l'autre, malgré la bise, le froid,
la neige, malgré ce climat si rude. Sa
femme, sa famille auraient voulu qu'il se
ménageât. La tâche d'une grande
paroisse et tout le travail de La Maison
n'étaient-ils pas au-dessus des forces d'un
homme même plus vigoureux que lui ? Bien
souvent il fit l'expérience que Dieu lui
donnait la force de poursuivre son travail
malgré son extrême faiblesse.
Les souffrances physiques ne lui ont pas
été épargnées et il
lutta contre la maladie.
- J'ai été grandement
éprouvé, écrit-il, parce que
j'ai été grandement béni, et
l'épreuve nous apprend à ne regarder
qu'à Dieu et à ne dépendre de
plus en plus que de Lui seul.
- L'amour de Dieu cache dans chaque
affliction une leçon qui vaut un
trésor.
- Christ a souffert physiquement et
spirituellement. Ses souffrances sont
bienfaisantes, car quand nous souffrons dans notre
corps, rien ne nous console mieux qu'un regard sur
le Christ crucifié, rien ne vaut la
pensée qu'Il a souffert non pour Lui, mais
pour nous.
- Il est difficile de cacher à
d'autres nos souffrances, mais Dieu sait si
d'autres ont besoin des leçons que nos
épreuves peuvent leur donner.
L'épreuve peut donc viser d'autres
êtres en même temps que nous.
- Cessons de penser à
nous-mêmes quand nous souffrons et
efforçons-nous de penser aux souffrances de
Christ, puis à celles de l'humanité,
ce qui nous amènera, si nous
persévérons dans cette voie de
renoncement, à réaliser une intime
communion avec le Christ souffrant et avec nos
frères souvent plus éprouvés
que nous.
- Tout sarment qui porte du fruit Il
l'émonde, par l'épreuve, par la
maladie, par le deuil, par les déceptions,
afin qu'il porte encore plus de fruits.
- Cherchons à discerner dans nos
souffrances un appel à une sanctification
plus profonde, à une vie en Christ plus
intense.
- Toute l'attention que nous sommes
enclins à porter sur nous-mêmes,
portons-la sur Christ lorsque nous
souffrons.
- Le repos, la délivrance, la vie
sont en Christ.
- Pour ma part je tiens à
réaliser jusque dans ses moindres
détails cette vie de crucifixion avec
Christ. Or, l'un des points les plus difficiles est
sans doute la communion avec les souffrances de
Christ.
- Il faut suivre Christ jusque dans ses
souffrances les plus accablantes ; il faut
s'asseoir à côté de Lui quand
Il souffre en Gethsémané ; il
faut s'asseoir au pied de la Croix quand Il est
crucifié pour nous ; il faut
l'écouter souffrir, il faut l'entendre
prier, et nous verrons que sa souffrance est divine
parce qu'elle est le fruit d'un amour confondant,
sublime.
- Oui, ce sont là les sentiers
étroits où le Père veut nous
faire passer pour nous associer à sa gloire,
la gloire de l'amour qui s'immole.
Déjà en mars 1903, son
médecin demanda à Ch. Moreillon de
cesser momentanément tout travail. Il partit
pour Chexbres où l'air plus doux
était meilleur pour lui.
« Nous ne pouvons nous cacher
la gravité du mal, écrit Soeur
Cécile, mais notre cher pasteur est toujours
joyeux et serein et ne cesse d'adorer et de
bénir le vigneron céleste qui
l'émonde. »
En effet, sa joie au milieu même
de la souffrance et son acceptation de
l'épreuve étaient admirables, sa foi
dans l'amour de Dieu inébranlable.
En automne 1904 son état
s'aggrava sérieusement ; ses traits
s'altérèrent, ses joues se
creusèrent ; mais toujours la
même flamme illuminait ses yeux brillants
d'une fièvre qui le consumait.
Il fallut songer à quitter
Burtigny ; un séjour à la
montagne s'imposait. Personne ne pouvait ignorer le
sérieux de son mal. En octobre, il partit
avec sa famille, d'abord pour Vevey, puis pour
Rougemont. C'est de
là qu'il écrivait, un soir de
décembre, quelques lignes adressées
aux soeurs de La Maison.
- Le Seigneur a eu grandement
pitié de moi en permettant que, depuis hier,
je tousse un peu moins et que je puisse dormir
davantage. Il avait jugé bon que ce second
voyage mit le comble à l'affaiblissement
commencé lors du premier voyage
jusqu'à Vevey. J'ai eu des jours
d'oppression terribles et des nuits
pareilles ; je ne savais que faire, sinon
m'abandonner à cette grâce
miséricordieuse qui, si elle se cache pour
un temps, se manifeste à son heure.
Puis il y eut des hauts et des bas
après la grande fatigue du voyage.
- Aujourd'hui l'oppression a
considérablement diminué,
l'appétit semble revenir, les forces des
jambes aussi ; je puis depuis quelques jours
gravir, sans le secours de ma chère femme,
les marches qui montent à
l'étage...
- Le matin, à 5 h. 1/2 nous
lisons à haute voix la Parole du Seigneur,
et faisons notre culte, et 6 h. sont
là ; alors lever général
et la journée commence tandis que je fais le
paresseux dans mon lit jusqu'à 7 h. 1/2.
À 8 h. déjeuner et culte de
famille... Comme nous regrettons le pain de La
Maison ! Vous tâcherez de nous en
envoyer une miche bien cuite au Nouvel An... Et la
caisse du ménage ? Dites-nous si vous
êtes à l'étroit pour que nous
puissions intercéder avec plus
d'instance.
Plus tard.
- ... La nuit n'ayant pas
été bonne, je me vois forcé de
renoncer à vous écrire longuement Je
vous exprime, chères soeurs, tout ce que le
Seigneur me donne de bon et de bien pour
vous.
Et voici le dernier billet
adressé par Ch. Moreillon à La
Maison:
- Chères soeurs, j'aurais voulu
vous transmettre mes sentiments de Noël par
une longue lettre. Le Seigneur ne l'a pas
voulu ; je pense qu'il a tenu à ce que
vous ayez l'assurance sans parole, ni lettre, que
nous sommes tous l'adorant partout où Il
est. J'ai été éprouvé
par une faiblesse extrême. Le docteur, qui a
pris ma femme à part, lui a dit qu'il n'y
avait pas de guérison possible, seulement
quelque temps de répit. Ma chère
femme en a été bien
éprouvée... mais nous comptons sur le
Seigneur... Prenez courage, parlons peu, soyons
joyeux avec ceux qui ont besoin de joie... Que le
Seigneur vous arrose de son
Saint-Esprit !
Une lettre de Mme Moreillon, peu avant
Noël, disait :
... Nos jours de fête sont bien
assombris, comme vous pouvez vous le
représenter. Mon cher mari est si gravement
atteint que Dieu seul peut encore quelque chose.
Quelle est sa volonté ? C'est ce que
j'ose à peine me demander.
Ch. Moreillon s'éteignit le
samedi 4 février 1905, à l'âge
de 34 ans. Son âme si pure, se
dégageant de sa frêle enveloppe
terrestre, entra dans la joie de son Maître.
« Non, ce n'est pas mourir que d'aller
vers son Dieu. » Il a vécu
ici-bas, au travers des souffrances, des
infirmités et des obscurités de la
vie présente, dans la communion de son
Sauveur. Maintenant il connaît la vivante et
glorieuse réalité de la
plénitude de la vie en Christ, ce qui de
beaucoup est le meilleur. « Aujourd'hui
nous voyons au moyen d'un miroir, d'une
manière obscure, mais alors nous verrons
face à face ; aujourd'hui je connais en
partie, mais alors je connaîtrai comme j'ai
été connu
(1
Cor. 13. 12). »
Sa vie a été une vie
d'amour. Il moissonne dans l'éternité l'amour qu'il
a si largement
semé ici-bas. « L'amour ne
périt jamais, l'amour est fort comme la
mort. »
Son départ creusait, pour ceux
qu'il quittait, un vide immense que seul le
Seigneur pouvait combler. Il laissait une
épouse qui lui fut admirablement
dévouée, et cinq jeunes enfants
à élever. Il quittait ses parents,
ses frères et soeurs et de nombreux
amis ; il quittait cette paroisse de Burtigny
qu'il aimait, et cette oeuvre de La Maison à
laquelle il était si fortement
attaché et pour laquelle il paraissait
indispensable. Mais il avait tout remis avec foi et
avec la soumission qui le caractérisait,
à Celui qui tient toutes nos
destinées dans sa main et qui est le
Maître de La Maison et le Père des
orphelins.
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