Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ULTIMA VERBA

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Le dénouement fut, en somme, très rapide, une vraie grâce de Dieu, si l'on songe aux longs martyres qui sont, trop souvent le fait du cancer. Et pourtant, il se fit attendre six à sept semaines ! Heureusement que les deux médecins firent tout ce qui était humainement possible pour atténuer les souffrances et qu'ils y réussirent dans une large mesure ! Elle était couchée, paisible, souriante, dans son lit, ou bien aussi, étendue sur une chaise longue, près de la fenêtre ouverte les premiers temps. Septembre et octobre furent deux mois exceptionnellement beaux, cette année-là, en Angleterre. Le soleil inondait sa chambre, transformée en un jardin de fleurs par la bonté de ses amis, sitôt qu'ils surent où elle en était.

Elle transmit un dernier message à son amie de Lausanne, résigné, courageux quand même :

 

Londres, 14 septembre 1932.

Merci pour ta chère lettre et la bouffée de tendresse qu'elle m'apporte. Cela fait du bien, surtout quand on a, comme moi, une certaine tendance à la dépression. Voilà aujourd'hui trois semaines que je suis au lit et c'est un peu désespérant de voir comme cela traîne.
Patience, toujours de la patience !

Elle se savait bien malade, certes, car elle avait demandé qu'on ne lui cachât rien, mais, forte de sa récente expérience, elle ne perdait point encore tout espoir. Dieu, qui l'avait miraculeusement rétablie une première fois, pouvait bien encore le faire une seconde fois, s'Il le voulait. Il en serait comme Il le voudrait ! Sa volonté, acceptée comme bonne et parfaite, lui suffisait. Le 27 septembre, elle dit :

« Je suis absolument calme. Je ne fais aucun effort pour l'être. C'est étonnant, je ne sais comment cela se fait. Cela m'est donné, tout comme jadis, à l'hôpital, après l'opération. »

Ce calme pénétrait toute la maison. La vie continuait, aussi normale que possible. Les enfants entretenaient leur maman chérie de tout ce qui les concernait. Elle les suivait dans leurs études, autant que ses forces le lui permettaient. Elle recevait des visites, écrivait encore et lisait passablement. Elle voulut même que les réceptions de jeunes gens reprissent.

Peu à peu, cependant, il fallut enrayer. L'énergie vitale baissait. Les conversations avec les siens se firent de plus en plus intimes. À son mari, elle dit, le 17 octobre :

« Je n'ai jamais su combien j'aimais mes enfants jusqu'à la longue séparation qui me fut imposée par la maladie. »

Et trois jours plus tard :

« Veux-tu me rendre un service ? Quand tu fais la prière avec moi, veux-tu aussi me lire un passage biblique, car j'ai besoin de nourriture et je ne puis plus lire moi-même ? Tu dois être maintenant non seulement mon mari mais mon pasteur. »

Plus tard encore, revenant sur leurs années de bonheur :


« Nos vingt-trois années ensemble ont été bonnes, ont été très bonnes. Tu sais tout pour les enfants, dans ton coeur. Ne change rien. »

L'évidence se lit de plus en plus nette : l'issue serait autre que la guérison. Mais cette certitude grandissante ne l'abattit point, au contraire :

« Je n'ai pas peur de la mort, dit-elle, le 20 octobre, je suis prête ! je t'assure que, devant Dieu, je suis prête, quoique, bien sûr, j'aimerais encore vivre un temps. Il y a longtemps que j'ai remis tout cela entre les mains de Dieu. »

Au cours de ces dernières journées, elle donna ses directions à chacun, confia ses enfants à qui de droit, désira qu'on les prévint avec tout le tact voulu, reçut encore telle paroissienne qui passait par des temps très difficiles, et voulut être tenue au courant de tout ce qui concernait l'Eglise et l'école du dimanche, qu'elle avait tant aimées.

La journée du 26 s'ouvrit brillante, un soleil éclatant entrait par les larges baies. Elle se réveilla toute gaie, après une bonne nuit, que lui avait value une forte dose de calmants. Elle put s'entretenir, souriante avec tous les habitants de la maison, embrasser ses enfants, causer longuement avec celle qui l'assistait fidèlement depuis tant d'années.


« Je ne me fais plus aucun souci pour les enfants, lui dit-elle. J'ai entière confiance en vous et en mon mari pour tout ce qui les concerne. Je suis étonnée moi-même de voir avec quel calme je puis les quitter. Pourquoi suis-je si privilégiée de savoir que je puis les confier à une seconde mère ?... »

Mais la vie s'en allait doucement, comme le jour qui s'éteint. Elle ne souffrait plus et somnolait paisiblement, s'étonnant par moments d'être encore là.

« Je dors déjà à moitié, disait-elle, j'espère bien être au-delà des souffrances et de l'angoisse. »

Le soir, elle fit signe à son mari et lui dit entre autres :

« Vois, tout est bien, tout est très bien... Qu'est-ce que nous avons à demander d'autre ?... C'est un peu comme un voile... Mais Dieu peut éclaircir toutes choses... »

Les périodes d'assoupissement se multiplièrent. À neuf heures du soir, elle murmurait à son mari :

« Dis-moi que je ne prends pas les choses à la légère ! J'avais peur de la mort, de l'angoisse physique. Dieu m'en a entièrement libérée. »

Et aux docteurs, qu'elle eut la force de remercier encore pour tout ce qu'ils avaient fait pour elle :

« C'est étrange, je n'ai plus mal, je me sens bien, si bien. Je somnole déjà à moitié. J'espère bien être au-delà des souffrances et de l'angoisse. C'est une singulière maladie qui permet de mourir si doucement... »

À deux heures du matin, le jeudi 27 octobre 1932, elle put encore dire à son mari :

« Mon chéri, au revoir là-haut, bientôt ! »

Et une heure après, la vie physique s'était éteinte, en ce corps mortel, pour s'épanouir en vie éternelle dans l'Au-delà...




Les funérailles eurent lieu à l'Eglise suisse, le lundi 31 octobre, présidées par le pasteur Frank Christol, de l'Eglise française de Londres. Toute la Colonie suisse était accourue et bien des amis d'autres nationalités. Ce fut une heure d'une intensité spirituelle profonde. On la sentait « présente », celle dont la dépouille seule disparaissait sous les fleurs, dans cette église à laquelle elle avait consacré, avec amour, la moitié de sa vie. Tant le message du prédicateur que les accents de l'orgue ou les paroles du cantique, chanté par toute l'assemblée, pénétrèrent jusqu'au fond de l'âme de tous les assistants. Ce n'était pas la mort, c'était la vie, la vie chrétienne, la vie éternelle, merveilleuse promesse de victoire sur la mort, qui jaillissait de ces moments sacrés !

Coïncidence frappante, le cantique choisi pour la circonstance par son mari, Suzanne Hoffmann de Visme l'avait transcrit en entier, à une strophe près, dans l'un des deux cahiers dont il a été question plus haut et qui ne furent trouvés qu'après ses funérailles :

Vers le ciel, vers le ciel,
J'entends, Jésus, ton appel,
Et mon coeur vers toi s'élance,
Dans la joyeuse espérance
De te voir, Emmanuel !

Dernières lignes du carnet :

« J'aimerais, si possible, que mon corps soit incinéré, et il me serait doux que mes cendres reposent au bord du lac Léman, que j'ai tant aimé, entre Lausanne et Territet ! »

Entre Lausanne et Territet : le cimetière de Chardonne. Sur la branche horizontale de la croix, on lit ce texte :

CHRIST EST MA VIE.

 



APPENDICE

 

Forte des constatations qu'elle avait faites à l'hôpital durant les longues semaines qu'elle y avait passées, Suzanne Hoffmann-de Visme avait dit à plus d'une reprise que, si Dieu lui en accordait le moyen, elle aimerait rédiger une sorte de « guide » pour ceux qui visitent les malades.
Le temps lui en a manqué, mais son précieux cahier contient les quelques lignes qui suivent. Nous les donnons comme instruction qui pourra peut-être servir à tel lecteur, lors d'une prochaine visite :

POUR CEUX QUI VISITENT DES MALADES

Attitudes à ne pas avoir en visitant un malade et choses à ne pas dire : Ne pas prendre un air de circonstance, solennité sous prétexte de sympathie, gaieté, propos légers, etc. sous prétexte de faire croire au malade qu'il se porte bien ! L'un est déprimant au possible, l'autre énervant, parce que le malade sent soit manque de sympathie, soit manque de sincérité chez son visiteur.

Ne pas entourer le malade d'une démonstration de sympathie excessive : soins, tendresse, attentions inusitées, comme s'il s'agissait de l'envelopper dans une serre chaude pendant le peu de temps qu'il lui reste à vivre !

Ne pas abreuver le malade des consolations dont il n'a pas besoin et qui sont déprimantes.

Ne pas parler continuellement au malade de son mal et de cas semblables au sien.

Ne pas non plus avoir l'air d'ignorer la maladie du malade et de la traiter comme non existante ou plus légère qu'elle n'est.

Ne pas faire des remarques sur la mine du malade : Mauvaise mine ? Déprimant. - Bonne mine ? Douloureux à entendre lorsqu'on se sent plus mal que jamais.

Ne pas questionner le malade sur ce qu'il va faire... sur ce qu'il voudrait manger, etc.

Lorsque l'on visite un malade, il faut avant tout avoir avec lui une attitude parfaitement naturelle, l'attitude que vous aviez avec lui lorsqu'il était en santé et surtout ne pas lui faire sentir (par tout ce qui précède) qu'il est un être « à part » ! Il faut donc savoir contrôler son sentiment de timidité, de gêne, de tristesse, de souffrance même, et trouver en soi le tact de savoir causer avec le malade de tout ce qui peut lui faire du bien dans son état actuel : soit, suivant le cas : de ce qui le fait souffrir physiquement et psychiquement, de questions spirituelles, ou simplement de questions de tous les jours, d'événements journaliers. Dès le début de la visite, prendre, par télépathie, contact avec le malade et non suivre sa pensée à soi, aussi logique et bonne qu'elle puisse paraître...

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