Les hommes qui ont derrière eux une vie
coupable ne sont pas tous dans la même
disposition de coeur et de volonté à
l'égard de Dieu, en sorte que ceux qui
désirent être les messagers de Dieu ne
peuvent leur parler à tous le même
langage.
Dieu est toujours un Dieu d'amour, mais
tandis qu'il appelle les uns en cherchant à
les persuader et à les rassurer, il
emploiera avec les autres des moyens
sévères, et s'ils refusent de le
suivre il usera de la verge pour les forcer
à revenir à la maison
paternelle.
Il y a une grande différence
entre ceux auxquels je viens de m'adresser, dont le
coeur triste et découragé
reconnaît son péché, et ceux
auxquels je vais parler maintenant.
Il y a parmi nous des hommes qui
empoisonnent tous les jours les sources de la vie
nationale et sociale. Ce sont les enfants de la
luxure, les chefs de file du péché.
Ces êtres sans coeur, complaisants pour
eux-mêmes, élégants, audacieux,
pécheurs triomphants, qui vendent leurs
forces, leur santé, leur rang, leur
dignité d'homme à Satan.
Aussi longtemps que possible ils usent
pour ce commerce de leurs avantages personnels, de
la grâce de leurs manières, de leur
esprit léger, de leur expérience dans
tous les arts de la séduction mondaine, et
puis, si ces ressources leur manquent, ils ont
recours à l'or avec lequel se paient
l'iniquité, la chair et les âmes. Ils
entraînent dans le gouffre de destruction
tout ce qu'ils peuvent saisir autour d'eux, sans
épargner ce qu'il y a de plus doux et de
plus beau dans la création.
Cruels, impitoyables, ils
répandent la désolation et la mort
partout où ils passent. Les natures faibles
et tendres, qui une fois brisées se
relèvent difficilement, tombent bien vite
sous leur convoitise dévorante.
Ils semblent croire que le corps et
l'âme de la femme ont été
créés pour être brisés
et déchirés par eux afin de
satisfaire à leurs instincts les plus
vils.
Ce sont bien eux qui « ayant
leur esprit obscurci de
ténèbres, et étant
éloignés de la vie de Dieu, à
cause de l'ignorance qui est en eux, par
l'endurcissement de leur coeur, ont perdu tout
sentiment et se sont abandonnés à la
dissolution, pour commettre toutes sortes
d'impuretés avec une ardeur insatiable.
Ce sont eux qui souillent leur corps,
parlent mal de tout ce qu'ils ne connaissent pas et
se corrompent en tout ce qu'ils savent
naturellement, comme les bêtes
destituées de raison. Ce sont des
nuées sans eau emportées
çà et là par les vents ;
ce sont des arbres pourris et sans fruit, deux fois
morts et déracinés. Ce sont des
vagues furieuses de la mer, qui jettent
l'écume de leurs impuretés ; ce
sont des étoiles errantes, auxquelles
l'obscurité des ténèbres est
réservée pour
l'éternité ».
Dans les livres saints, cette
idée « parlant mal de tout ce
qu'ils ne connaissent pas » est souvent
alliée au reproche de sensualité
grossière. L'expérience confirme
cette remarque ; les hommes sensuels sont le
plus souvent cyniques et moqueurs, ils se raillent
continuellement du bien qu'ils ne connaissent pas.
Le but de leurs discours est d'abaisser le niveau
moral de tout ce qui les entoure jusqu'à
leur propre niveau, et ainsi ils étouffent
les derniers murmures de leur conscience qui,
parfois encore, venaient les troubler au milieu de leurs
débauches en leur
apportant le souffle d'un air plus pur. Ils
affectent un profond scepticisme pour tout ce qui
est vertu, sincérité ou
dévouement en ce monde, et bientôt ce
qui n'était qu'affectation devient chez eux
conviction enracinée. Aveuglés comme
les hommes de Sodome dont les passions
déchaînées s'attaquaient
même aux anges de Dieu, ils sont incapables
de voir autre chose dans la société
que l'image réfléchie de leur nature
impure et égoïste ; toute
beauté morale est pour eux sans
valeur ; ils vivent si exclusivement par la
chair que toutes les idées qui se
présentent à leur esprit
revêtent immédiatement une forme
vulgaire. Leur scepticisme est si enraciné
que si Christ lui-même descendait vers eux
dans la divine perfection de sa nature, ils
diraient de lui comme les élégants
débauchés de son temps :
« Voilà un mangeur et un buveur,
un ami des péagers et des gens de mauvaise
vie. » À leurs yeux, la
beauté de la forme humaine a
été créée dans le mal
et pour le mal.
Cette flétrissure morale n'est
pas seulement l'apanage de ceux qui ont une longue
expérience du mal. Dans beaucoup de pays, le
vice le plus grossier a été
institué et organisé de telle sorte
que la jeunesse trouve à son entrée
dans la vie une initiation théorique et
pratique à l'impureté.
« On invoque des
considérations hygiéniques pour
défendre ces institutions. On dit que
certaines maladies contagieuses en
deviendront plus rares ou moins pernicieuses. Eh
bien, admettons un instant, ce qui n'est pas
prouvé du tout, que cette assertion ne soit
point contestable, ... il y a une maladie
contagieuse qui, partout où il existe des
maisons de tolérance, devient de plus en
plus fréquente et toujours plus pernicieuse.
Elle n'attaque, il est vrai, aucun
organe en particulier, mais elle flétrit
tout l'organisme humain, le corps, l'âme et
l'esprit. l'être sensitif, l'être
aimant, l'être pensant.
Elle atteint tous les adolescents qui
franchissent le seuil de ces demeures
pestilentielles ; et lorsqu'ils en reviennent,
le printemps pour eux n'a plus de fleurs ; la
plus belle saison de leur vie est
désenchantée. bientôt leurs
amitiés s'avilissent, ils se sentent
dépaysés dans le monde des relations
honnêtes ; et, de plus en plus, on voit
s'étendre le cercle de cette jeunesse sans
foi, sans poésie, sans amour, sans
enthousiasme et sans joie, les tristes moqueurs,
les fades sceptiques, les ennuyés, les
petits blasés
(1). »
Des émanations de ce poison moral
pénètrent dans des sphères
plus élevées et s'attaquent à
des esprits faits pour quelque chose de mieux. Nous
les sentons envahir nos demeures elles-mêmes
dans les publications où ces tristes
cyniques parlent de la manière la plus
fausse et la plus indigne des saintes relations de
la vie, des secrets du coeur et des mystères
sacrés de la Providence. Comment en
parleraient-ils autrement, puisqu'ils n'en
connaissent pas le premier mot ? Ces
gens-là sont coupables, à leur insu
peut-être, mais pourtant coupables de
cruauté parce qu'ils volent aux hommes
l'espérance sans laquelle la terre n'est
qu'un repaire de ténèbres ;
« parce que, » dit le Seigneur,
« vous avez affligé en mentant le
coeur du juste, lequel je n'affligeais
point » ; parce que, envieux d'un
bien qu'ils n'ont pas trouvé ou qu'ils ont
perdu, ils cherchent à nier son existence en
répandant autour d'eux la contagion du
désespoir. « Un siècle
licencieux est parent d'un siècle
cruel (2). » On peut dire
aussi que chez
l'individu la cruauté s'allie souvent
à la débauche.
Les hommes prétendent trop
souvent que continuer à dégrader et
à opprimer une créature
déjà souillée et esclave du mal
est une faute légère ; car,
disent-ils, nous ne détruisons pas le bien,
nous ne faisons que profiter d'un grand mal qui
existe déjà. Ce jugement est
absolument faux. L'âme de la créature
la plus vile a été rachetée
par Christ, et je pense que les âmes des
femmes sont aussi précieuses aux yeux de
Dieu que celles des hommes. Je ne vois pas non plus
que Dieu ait dit nulle part que le même
péché qui amènerait la
destruction complète de l'âme de la
femme ne serait de la part de l'homme qu'une
légère offense.
Le Seigneur dit : « Il
ne
se peut faire qu'il n'arrive des
scandales » ; mais il ajoute ces
mots terribles : « Toutefois,
malheur à celui par qui ils
arrivent ! »
Il se passe de nos jours un fait
horrible. Des milliers de femmes, de jeunes filles,
de petites filles même, sont continuellement
entraînées dans des repaires de la
débauche et sacrifiées comme moutons
qui tombent à l'abattoir. Nous ne pouvons
pas dire qu'un homme en particulier soit
responsable de ce scandale, non, mais il y a
beaucoup d'hommes et de femmes qui sont coupables
sur ce chef, et Dieu seul pourra prononcer avec
justice contre celui qui, ne fût-ce qu'une
seule fois, aura levé la main pour aider
à l'écrasement du faible ou empêcher celui
qui est tombé de se relever. Pensez-vous
qu'il y ait une bien grande différence entre
l'homme qui est le premier séducteur d'une
femme, et cette troupe de lâches qui, voyant
la victime par terre, se jettent sur elle pour
l'avilir encore davantage jusqu'à ce qu'ils
aient détruit en elle le dernier vestige de
sa dignité et de son origine divine ?
C'est à peu près comme si, pour
ensevelir une femme vivante, chaque homme dans la
foule jetait sur elle une pelletée de terre,
ou qu'elle fût condamnée à
être écrasée par un bataillon
de soldats qui lui passeraient sur le corps. Aucun
de ces hommes ne l'a lui-même tuée,
mais ils l'ont tuée tous ensemble et chacun
d'eux est coupable.
Le jugement des hommes du monde sur ce
sujet est la plupart du temps tout à fait
superficiel, égoïste et cruel, et c'est
seulement à la lueur des paroles solennelles
de Christ que je comprends à quel point ils
parlent et agissent faussement. Ne dites pas pour
vous défendre : « C'est la
femme qui m'a sollicité ». Voyons,
si cette femme vous demandait de la tuer
seriez-vous excusable de le faire ?
Et après tout, que veut-elle de
vous lorsqu'elle vous sollicite ?
Votre argent, et vous êtes libre
de le lui donner. Aucune loi de Dieu ne vous
défend cet acte de charité, mais la
loi de Dieu et l'humanité vous
défendent d'acheter avec cet argent la
permission de dégrader le corps de cette
femme et de tuer son âme.
« Toutes ces excuses
fondées sur de purs sophismes
s'écroulent à la lumière de la
vérité. Lorsqu'une vente est
contre nature, illégale par elle-même
et qu'en outre ce hideux marché
entraîne à de cruelles misères
pour le corps et pour l'âme, l'acquéreur lui aussi est
coupable
et, dans ce cas-là, trois fois plus coupable
que le vendeur. L'homme ne cherche que le plaisir
de la chair, la femme désire de
l'argent ; hélas, combien de pauvres
femmes ne cherchent même dans cet affreux
trafic que leur nourriture de chaque jour !
Ces élégantes courtisanes qui se
vendent fort cher à de riches
débauchés dans le seul but de pouvoir
satisfaire leur vanité ne sont pas celles
qui méritent notre pitié, du moins
pour ce moment, mais le jour viendra où
elles glisseront sur la pente fatale lorsque, un
à un, ces hommes les abandonneront, trouvant
leur responsabilité largement
dégagée par les grosses sommes qu'ils
ont payées !
« Quel sera donc le prix
légitime de la vertu ? nous
demandera-t-on peut-être. Ou la vertu est un
vain mot, ou elle n'a pas de prix ; et
à ceux qui la croient un vain mot, je
répondrai qu'en tous cas le vice, est un
hideux ennemi, une terrible réalité
et que ceux qui le propagent commettent une
cruauté (3). »
N'essayez pas de faire taire, ce vague
sentiment de culpabilité qui vous trouble
parfois, en noircissant encore davantage ces
victimes du vice, en disant qu'il n'y a point de
régénération possible pour
elles. Je vous répondrai que je connais le
coeur de beaucoup de ces déclassées
et qu'à leur tour elles doutent fort de la
possibilité de votre salut, et pour ma part
je trouve leur supposition aussi fondée que
la vôtre.
L'esprit de ces pauvres femmes est
souvent fort troublé par l'étonnement
que leur cause la position qu'occupent dans le
monde leurs compagnons de péché.
Elles se demandent comment un homme peut pendant
bien des années, pendant toute sa vie
quelquefois, jouer un double rôle.
Elles disent : « Nous sommes des
pécheresses, il est vrai, mais nous ne
sommes pas hypocrites; après avoir
péché dans l'obscurité de la
nuit nous n'allons pas de jour,
le sourire aux lèvres, prendre place parmi
les honnêtes gens ou nous asseoir à
l'église le dimanche. La
société nous frappe et nous maudit,
quelquefois même au delà de ce que
nous méritons ; mais ces hommes !
est-il vraiment possible que leur conscience soit
sans reproche ? »
Oui, je vous le répète,
ces femmes doutent que les débauchés
puissent jamais revenir au bien, à cause de l'hypocrisie de leur
vie.
Elles considèrent cette
hypocrisie comme mortelle pour la créature,
et malgré tous leurs péchés,
elles ne seraient pas capables de la
pratiquer.
Comment voulez-vous que leurs pauvres
âmes ne soient pas tourmentées,
lorsqu'elles voient leurs visiteurs nocturnes
reçus dans la société,
courtisés par le monde, entourés de
leur femme et de leurs enfants et occupant des
postes d'honneur ?
Tandis que les hommes qui doutent de la
réhabilitation des femmes tombées
considèrent l'impudicité comme
le péché capital, les femmes de leur
côté regardent l'hypocrisie
comme le péché mortel qui fermera aux
hommes la porte du ciel, sinon la porte des salons
du monde.
Et maintenant, souvenez-vous de la
parabole du pharisien et du publicain. Ce dernier
n'osait pas même lever les yeux au ciel, mais
il disait : « O Dieu, sois
apaisé ! » Le premier, vous
le savez, était un homme respectable.
Celui qui connaît le coeur de
l'homme nous dit que l'un fut justifié
plutôt que l'autre.
L'humilité, cette humilité
du publicain, se rencontre souvent chez les femmes
tombées, et c'est dans cette qualité,
jointe à leur désir ardent de ne pas
se faire passer pour meilleures qu'elles ne sont,
que je trouve le signe d'une réhabilitation
possible.
Je crains bien qu'aujourd'hui ces mots
de Jésus ne soient toujours aussi
vrais : « Les péagers et les
femmes de mauvaise vie vous devancent au royaume de
Dieu ».
Vous qui après avoir passé
des années dans le péché
jouissez maintenant de tous les conforts de la vie
de famille, vous qui êtes estimés des
hommes, aimés par des femmes pures et
caressés par vos chers enfants, venez avec
moi et regardez cette femme tombée qui
sanglote consumée par la maladie et la
misère sur un lit d'hôpital. Qu'a
été sa vie et qu'a été
la vôtre ? Qui sait si elle ne meurt pas
victime de la tendresse de son coeur ? Le
premier pas qui l'a conduite à la ruine a
peut-être été l'acte de se
livrer à un être aimé. N'y
a-t-il pas dans cet abandon même de la femme
qui se donne sans réserve, quelque chose qui
ressemble au dévouement ? Vous
devriez respecter cet élan
irréfléchi chez elle et savoir en
montrer autant, lorsqu'il s'agit d'une bonne
cause.
En quoi cette femme est-elle plus
coupable que vous ? Soyez juste ! Elle
est perdue pour la société, vous en
êtes l'enfant gâté. Le poison
qu'elle a bu l'a tuée, et vous, vous
survivez. Pour elle point de joies dans l'avenir,
point de consolations dans la vie de famille, point
d'enfants pour l'aimer. Elle meurt jeune et son
lieu ne la reconnaît plus ! Dites, n'y
a-t-il pas dans votre passé des
péchés aussi grands que les siens,
aux yeux de Dieu ?
Et pourtant, sans être tout
à fait heureux (ce que je sais des secrets
du coeur humain ne me permet pas de croire que vous
le soyez), vous n'êtes cependant pas dans
votre cercueil, dans un tombeau solitaire que
personne ne regarde et ne respecte. Non, vous vivez
entouré de bénédictions, vous
tendez la main aux personnes les plus estimables de
la société, si bien que vous finissez
par croire que, vous-même, vous en êtes
un des membres les plus honorables. Je ne viens pas
vous dire : repoussez ces
bénédictions, dépouillez-vous
de tous les biens terrestres, courbez-vous dans la
poussière et proclamez hautement ce que vous
êtes. Ce conseil serait inutile, vous ne le
suivriez pas.
Que si vous conservez tous les bonheurs
de la vie, ce soit au moins en vous accusant
vous-même et en confessant vos
péchés à Dieu. Jouissez, mais
craignez ! Ne croyez pas que votre
prospérité soit un signe de la faveur
de Dieu. Où que vous soyez, seul ou en
société, il y a un doigt invisible
qui est tourné vers vous et une voix plus
terrible que celle du prophète d'Israël
disant : « Tu es cet
homme-là ! »
Et maintenant, je vous le demande, que
faites-vous de l'âme de cette créature
que vous avez aimée pendant quelque temps
comme votre femme et que vous abandonnez le jour
où vous trouvez utile d'entrer dans le
domaine régulier du mariage ; que
faites-vous des âmes de ses enfants qui sont
les vôtres et dont l'existence (niée
par vous peut-être) crie chaque jour vers le
ciel contre vous ? Ah ! il vous est bien
aisé, à vous, de rentrer dans le
chemin de la vertu, de vous établir dans
votre maison avec la compagne que vous avez
choisie, en lui cachant bien entendu votre
passé coupable et en vous gardant bien de
lui dire que votre âme est souillée de
deux péchés, l'impureté et la
trahison.
Mais elle, celle que vous avez
abandonnée, comment pourra-t-elle retourner
à la vertu ? Je vous le dis, vous
n'osez pas penser froidement à son avenir. Vous
savez bien que,
même si elle échappait à cette
loi fatale qui entraîne toujours plus bas la
femme coupable, même si elle se retirait loin
du monde et du mal, elle n'en irait pas moins au
tombeau, blessée par vous et marquée
par le monde du sceau de la honte.
Mais laissons de côté votre
devoir vis-à-vis de son avenir terrestre. Je
vous demande compte ici de son âme et de son
avenir éternel. Vous pensez avoir tout fait
en lui donnant beaucoup d'argent. Prenez garde que
Dieu ne vous dise : « Que ton argent
périsse avec toi ! » car vous
avez cru pouvoir avec cet or expier la trahison
d'une âme immortelle, le naufrage d'un
être moral !
Peut-être me direz-vous que vous
vous êtes aperçu trop tard que cette
union immorale ne pouvait pas durer. Mais quand
vous l'avez brisée aviez-vous fait tout ce
qu'il vous restait à faire ? Dieu vous
demande-t-il de ne penser qu'à votre
dignité, qu'à votre salut à
vous, tandis que celle qui est coupable avec vous
et qui peut-être vous aime sincèrement
s'en irait à la perdition ? Je vous
supplie de considérer une chose, c'est que
nous serons appelés à répondre
devant Dieu de celles de ses créatures avec
qui nous aurons eu des relations intimes, de celles
dont la nature était plus faible que la nôtre, et
qui
s'affermissaient dans le péché par
l'appui qu'elles trouvaient dans un coeur plus
robuste. Et je vous le dis aussi, ces enfants que
vous avez procréés seront
confrontés avec vous au dernier jour.
Alors il ne servira plus à rien
de dire : « Suis-je le gardien de
mon frère ? » Je vous demande
où est cette femme, où est cet enfant
qui auront à supporter toute leur vie les
conséquences de vos cruelles
passions ?
Pouvez-vous reposer une seule nuit en
paix jusqu'à ce que vous vous soyez mis
à leur recherche et que vous ayez
remué ciel et terre pour réparer
votre faute ?
Et s'ils sont déjà loin,
plongés dans des ténèbres
où vous ne sauriez les atteindre,
d'où vous ne pourriez les rappeler,
resterez-vous en paix, jouissant des douceurs et
des honneurs de la vie avant d'avoir rendu à
Dieu d'autres âmes à la place de
celles que vous avez tuées ?
Il y a des consciences et des natures
plus délicates que la vôtre qui
pendant des années portent le poids des
tristesses et des douleurs que vous avez
attirées sur elles.
Il y a des compagnons de votre jeunesse
dont la vie a été flétrie par
vous et qui, lorsqu'ils vous voient estimé dans le
monde, sont pleins de mépris et de haine,
car ils savent que vous ne méritez pas ces
honneurs. C'est vous qui provoquez ainsi le doute
dans ces âmes et leur arrachez cette
question :
« Dieu est-il juste dans
toutes ses voies ?
Pourquoi me fais-tu voir
l'iniquité et la
perversité ?
Pourquoi verrais-tu les perfides, et te
tairais-tu quand le méchant dévore
celui qui est plus juste que
lui ? »
Les hommes qui ont été
égoïstes dans le mal, sont trop souvent
égoïstes dans la repentance. Ils se
contentent de se convertir et ne pensent pas un
seul instant à ceux qui ont souffert par
eux. Si mon coeur s'émeut pour le
pécheur qui se condamne, se repent et veut
expier ses torts, j'éprouve en revanche peu
de sympathie pour les convertis
égoïstes qui vont à la source de
la purification en oubliant leurs victimes.
Là où a
pénétré la vraie douleur du
péché et où les leçons
du Sauveur miséricordieux ont
été comprises, ne fût-ce
qu'imparfaitement, l'égoïsme
disparaît. Ceux qui ne prennent point de
souci ni des complices, ni des victimes de leurs
propres péchés, sont étrangers
à la vraie
régénération, quelle que soit d'ailleurs
l'honnêteté de leur conduite dans le
monde.
Y a-t-il un spectacle plus triste que
celui de ces hommes qui recouvrent les plaies
encore béantes de leur péché
avec une vertu tardive et tout
extérieure ; qui font à leur vie
une sorte de replâtrage en s'entourant de
l'estime et des récompenses que
méritent seuls les hommes vraiment
vertueux ? Mais cependant, parmi eux,
plusieurs souffrent et reconnaissent qu'ils ne sont
pas guéris.
Je voudrais leur parler avec
douceur.
Vous savez bien, n'est-ce pas ?
que
vous n'êtes pas vraiment changés,
quoique extérieurement votre conduite soit
morale. Vous savez que Dieu seul peut guérir
les profondes blessures de votre âme. Les
remèdes que vous avez employés sont
comme ces stimulants que l'on donne aux
poitrinaires et qui, pour un instant, semblent
ramener le sang dans leurs veines et leur procurer
une force factice ; mais lorsque la maladie
reprend ses droits, la chute est d'autant plus
rapide et la mort plus subite.
Je vous en supplie, ne laissez pas ce
bien passager détourner vos regards du seul
moyen de guérison possible. Mieux vaut que
vous souffriez, que votre coeur se brise, que vos
blessures vous tourmentent sans
cesse, plutôt que de perdre le sentiment de
la douleur et de la honte, et de perdre en
même temps votre âme.
Ces remèdes factices, ces biens
passagers peuvent venir en aide à votre
faiblesse et vous aider à régler
votre vie, mais ils ne peuvent vous donner la vie
éternelle ni purifier votre être
moral.
Oh ! mes frères coupables,
laissez-moi vous avertir avant que la nuit vienne.
Laissez-moi vous dire le danger qui vous menace
dans ce bonheur terrestre que vous goûtez
tardivement. La coupe que vous portez à vos
lèvres maintenant est pure, je le veux bien,
mais au fond il y a un narcotique, de même
qu'il y avait un poison dans celle qui vous a
enivré à l'aurore de votre vie.
Dormirez-vous tandis que le poison n'a
pas encore été expulsé,
consumé par Celui qui est venu
« mettre le feu sur la terre »
et qui veut nous baptiser « de
Saint-Esprit et de feu » ?
Y a-t-il de l'espoir pour le criminel
coupable de cruauté et de trahison, qui a
entraîné et détruit son
semblable ? Toutes choses sont possibles avec
Dieu. « Nazaréen, tu as vaincu, »
telles sont les dernières paroles de Julien
l'Apostat à la fin d'une vie de
rébellion et de combat. Dieu peut vaincre le
coeur du plus grand rebelle; Il peut envoyer un ange
qui troublera les eaux
stagnantes de son âme, afin qu'elles
deviennent des eaux bienfaisantes.
Ah ! puisse-t-il entendre dans le
désert où il se meurt, la voix divine
qui lui dit : « De quoi
souffres-tu ? » et puissent ses yeux
s'ouvrir pour voir à côté de
lui ce puits d'eau pure qu'il n'avait point
aperçu. « Si quelqu'un a soif,
qu'il vienne à moi et qu'il
boive. » - « Je donnerai
gratuitement à boire de la source d'eau vive
à celui qui a soif. »
Il y a des milliers de créatures
qui meurent de cette soif et de la fièvre
qui l'accompagne ; elles meurent en
proférant des paroles de raillerie, de doute
et de désespoir, et là, à leur
côté, il y a un puits profond
où elles auraient pu étancher leur
soif !
Combien je voudrais tendre la main
à la plus misérable de ces
créatures, à l'enfant prodigue le
plus insensé ! Je voudrais l'appeler
mon frère et lui parler de vie et
d'amour.
Lorsque la famine régna dans le
pays où il se trouvait, il eut faim et il
aurait bien voulu se rassasier des carouges que
mangeaient les pourceaux.
« Mais personne ne lui en
donnait. » Ces mots expriment ce qu'il y
a de plus triste à mon avis dans l'histoire
de l'enfant prodigue. Il avait faim et personne ne
lui donnait à manger ; il souffrait et
personne ne venait à son aide.
Que de pauvres créatures, dans un
abandon pareil, ont été
poussées au désespoir et à la
mort, sans que la main d'aucun homme
s'étendit pour les arrêter, sans que
le coeur d'aucun de leurs frères eût
assez d'amour pour les sauver.
Nous sommes trop disposés
à considérer tous ces êtres
souffrants et coupables comme une classe de gens
perdus, de malades sans espoir, de condamnés
sans appel. Aucun de nous ne possède
complètement cette faculté de
distinguer d'une manière absolument claire
et juste entre une erreur et un crime.
Mais Dieu ne juge pas les hommes en
masse. Lui seul peut tenir compte de l'âme de
chaque individu, des moindres détails de sa
vie, des forces intérieures et
extérieures qui se sont combinées
pour le jeter dans l'abîme de misère
où il est tombé. À nos yeux
chacun d'eux paraît être une
étoile errante, mais Dieu seul sait auxquels
de ces astres sont destinées les
ténèbres éternelles. Dans
certains moments de raison et de tristesse les yeux
de ces malheureux sont ouverts et ils comprennent
qu'ils ont vendu leur dignité d'hommes et
leur immortalité pour un « plat de
lentilles » ! Alors la plus petite
chose, un mot, un regard, une main tendue, pourrait
changer le dégoût qu'ils ont
d'eux-mêmes en cette ferme
résolution : « Je me
lèverai et m'en irai vers
mon père. » Mais cette petite
chose, personne ne la leur donne.
- Parler de vie et d'amour à
quelques-uns, c'est en parler à des
cadavres. L'homme est mort, Il s'est tué. Il
ne peut plus se relever, non parce que Dieu ne veut
pas qu'il se relève, mais parce qu'il n'y a
plus une étincelle de vie dans sa
volonté, sa conscience et son coeur, pour se
ranimer aux appels de Dieu. L'amour
néanmoins se refuse à croire que la
mort soit là et que le moment soit venu de
quitter ce cercueil et de retourner parmi les
vivants. L'amour veillera comme Ritspa
auprès des cadavres de ses enfants, avec une
constance plus forte que la mort, ne voulant pas
permettre que ces corps soient donnés en
pâture aux vautours. je ne sais pas à
quel moment la vie disparaît dans l'âme
humaine. C'est le secret de Dieu ; mais je
sais que la charité ne se lasse
point, qu'elle croit tout, qu'elle
espère tout et qu'elle tient ferme,
malgré ces mots de « enthousiaste
fanatique ! » que lui crient aux
oreilles ceux qui ne croient pas à la
miséricorde de Dieu, et malgré les
étonnements de plusieurs des disciples de
Christ. Nul ne sait ce que Dieu veut faire pour les
plus méchants, les plus vils, les plus
corrompus des hommes et des femmes, nul ne le sait,
sauf ceux qui peuvent dire
d'eux-mêmes : « De
profundis clamavi », sauf ceux qui se
sont agenouillés en esprit à
côté du Seigneur au jardin de
Gethsémané, qui ont vu les gouttes de
sang perler sur son front et qui dans cette heure
solennelle d'amour et d'agonie ont pu lui
dire : « Seigneur, prends aussi le
sang de mon coeur et qu'il soit répandu pour
toi et pour les tiens. » - « Je
suis la résurrection et la vie ; celui
qui croit en moi vivra, quand même il serait
mort. » - « Je suis venu afin
que mes brebis aient la vie et qu'elles l'aient
même en abondance. » L'âme
humaine est insatiable dans le bien comme dans le
mal. Tous nous désirons une existence
pleine, abondante, nous voulons le printemps, la
joie, le soleil, les rêves de l'enfance
retrouvés. Le coeur humain a soif de
vie.
Ne semble-t-il pas qu'il
possédât assez de vie, ce
démoniaque du pays des Gadaréniens
qui s'appelait Légion ? Il s'agitait
jour et nuit, ne cessant d'exercer toutes les
forces de sa nature animale ; personne ne
pouvait le dompter, il brisait les chaînes
dont on le liait. Malgré cette effervescence
de vie, il est dit de lui qu'il « se
tenait dans les sépulcres ». Il y
a dans l'homme beaucoup de cette énergie
démoniaque qui n'est qu'une hideuse parodie
de la vie. Christ n'est pas venu
détruire la vie, il est venu la changer, la
délivrer de cette force du démon.
« Qu'est-ce que ceci ? »
disait-on de lui, « quelle est cette
nouvelle doctrine, qu'il commande avec,
autorité même aux esprits immondes et
qu'ils lui obéissent ? » Ses
disciples lui disaient avec joie et
étonnement : « Les
démons mêmes nous sont assujettis par
ton nom. »
Et Jésus leur dit dans sa
dernière conversation avec eux :
« Voici les miracles qui accompagneront
ceux qui auront cru : ils chasseront les
démons en mon nom. »
L'histoire des premiers temps du
christianisme rapporte un grand nombre de faits du
même genre. Les chrétiens les plus
pauvres et les plus humbles chassaient les
démons par leurs prières et par
l'invocation du nom de Jésus.
Reconnaissez la puissance de Christ,
suprême espoir de ceux qui sont
affligés par quelque démon impur qui
habite en eux, ou éblouis de lumières
autres que la lumière de Dieu.
« Ne vous enivrez point de vin
dans lequel il y a de la dissolution ; mais
soyez remplis de l'Esprit. »
Qu'ils ne craignent pas de
défaillir et de mourir, les buveurs de la
terre, en renonçant à ces stimulants qui
soutenaient
seuls
leur vie. Dieu leur tient en réserve
« le nouveau vin de son
royaume ».
Ne disait-on pas des disciples de
Jésus, « c'est qu'ils sont pleins
de vin doux » ? Il y a encore
aujourd'hui des hommes qui, sous l'empire de cette
divine ivresse, de cette nouvelle passion qui
s'empare victorieusement de leur âme, parlent
comme ils n'avaient jamais parlé auparavant,
employant « des langues
étrangères, selon que l'Esprit les
faisait parler ».
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