Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEUXIÈME PARTIE

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 POST NAUFRAGIUN TABULA
(dernière planche de salut)


Les hommes qui ont derrière eux une vie coupable ne sont pas tous dans la même disposition de coeur et de volonté à l'égard de Dieu, en sorte que ceux qui désirent être les messagers de Dieu ne peuvent leur parler à tous le même langage.

Dieu est toujours un Dieu d'amour, mais tandis qu'il appelle les uns en cherchant à les persuader et à les rassurer, il emploiera avec les autres des moyens sévères, et s'ils refusent de le suivre il usera de la verge pour les forcer à revenir à la maison paternelle.
Il y a une grande différence entre ceux auxquels je viens de m'adresser, dont le coeur triste et découragé reconnaît son péché, et ceux auxquels je vais parler maintenant.
Il y a parmi nous des hommes qui empoisonnent tous les jours les sources de la vie nationale et sociale. Ce sont les enfants de la luxure, les chefs de file du péché. Ces êtres sans coeur, complaisants pour eux-mêmes, élégants, audacieux, pécheurs triomphants, qui vendent leurs forces, leur santé, leur rang, leur dignité d'homme à Satan.

Aussi longtemps que possible ils usent pour ce commerce de leurs avantages personnels, de la grâce de leurs manières, de leur esprit léger, de leur expérience dans tous les arts de la séduction mondaine, et puis, si ces ressources leur manquent, ils ont recours à l'or avec lequel se paient l'iniquité, la chair et les âmes. Ils entraînent dans le gouffre de destruction tout ce qu'ils peuvent saisir autour d'eux, sans épargner ce qu'il y a de plus doux et de plus beau dans la création.
Cruels, impitoyables, ils répandent la désolation et la mort partout où ils passent. Les natures faibles et tendres, qui une fois brisées se relèvent difficilement, tombent bien vite sous leur convoitise dévorante.
Ils semblent croire que le corps et l'âme de la femme ont été créés pour être brisés et déchirés par eux afin de satisfaire à leurs instincts les plus vils.

Ce sont bien eux qui « ayant leur esprit obscurci de ténèbres, et étant éloignés de la vie de Dieu, à cause de l'ignorance qui est en eux, par l'endurcissement de leur coeur, ont perdu tout sentiment et se sont abandonnés à la dissolution, pour commettre toutes sortes d'impuretés avec une ardeur insatiable.

Ce sont eux qui souillent leur corps, parlent mal de tout ce qu'ils ne connaissent pas et se corrompent en tout ce qu'ils savent naturellement, comme les bêtes destituées de raison. Ce sont des nuées sans eau emportées çà et là par les vents ; ce sont des arbres pourris et sans fruit, deux fois morts et déracinés. Ce sont des vagues furieuses de la mer, qui jettent l'écume de leurs impuretés ; ce sont des étoiles errantes, auxquelles l'obscurité des ténèbres est réservée pour l'éternité ».

Dans les livres saints, cette idée « parlant mal de tout ce qu'ils ne connaissent pas » est souvent alliée au reproche de sensualité grossière. L'expérience confirme cette remarque ; les hommes sensuels sont le plus souvent cyniques et moqueurs, ils se raillent continuellement du bien qu'ils ne connaissent pas. Le but de leurs discours est d'abaisser le niveau moral de tout ce qui les entoure jusqu'à leur propre niveau, et ainsi ils étouffent les derniers murmures de leur conscience qui, parfois encore, venaient les troubler au milieu de leurs débauches en leur apportant le souffle d'un air plus pur. Ils affectent un profond scepticisme pour tout ce qui est vertu, sincérité ou dévouement en ce monde, et bientôt ce qui n'était qu'affectation devient chez eux conviction enracinée. Aveuglés comme les hommes de Sodome dont les passions déchaînées s'attaquaient même aux anges de Dieu, ils sont incapables de voir autre chose dans la société que l'image réfléchie de leur nature impure et égoïste ; toute beauté morale est pour eux sans valeur ; ils vivent si exclusivement par la chair que toutes les idées qui se présentent à leur esprit revêtent immédiatement une forme vulgaire. Leur scepticisme est si enraciné que si Christ lui-même descendait vers eux dans la divine perfection de sa nature, ils diraient de lui comme les élégants débauchés de son temps : « Voilà un mangeur et un buveur, un ami des péagers et des gens de mauvaise vie. » À leurs yeux, la beauté de la forme humaine a été créée dans le mal et pour le mal.

Cette flétrissure morale n'est pas seulement l'apanage de ceux qui ont une longue expérience du mal. Dans beaucoup de pays, le vice le plus grossier a été institué et organisé de telle sorte que la jeunesse trouve à son entrée dans la vie une initiation théorique et pratique à l'impureté.

« On invoque des considérations hygiéniques pour défendre ces institutions. On dit que certaines maladies contagieuses en deviendront plus rares ou moins pernicieuses. Eh bien, admettons un instant, ce qui n'est pas prouvé du tout, que cette assertion ne soit point contestable, ... il y a une maladie contagieuse qui, partout où il existe des maisons de tolérance, devient de plus en plus fréquente et toujours plus pernicieuse.

Elle n'attaque, il est vrai, aucun organe en particulier, mais elle flétrit tout l'organisme humain, le corps, l'âme et l'esprit. l'être sensitif, l'être aimant, l'être pensant.

Elle atteint tous les adolescents qui franchissent le seuil de ces demeures pestilentielles ; et lorsqu'ils en reviennent, le printemps pour eux n'a plus de fleurs ; la plus belle saison de leur vie est désenchantée. bientôt leurs amitiés s'avilissent, ils se sentent dépaysés dans le monde des relations honnêtes ; et, de plus en plus, on voit s'étendre le cercle de cette jeunesse sans foi, sans poésie, sans amour, sans enthousiasme et sans joie, les tristes moqueurs, les fades sceptiques, les ennuyés, les petits blasés (1). »

Des émanations de ce poison moral pénètrent dans des sphères plus élevées et s'attaquent à des esprits faits pour quelque chose de mieux. Nous les sentons envahir nos demeures elles-mêmes dans les publications où ces tristes cyniques parlent de la manière la plus fausse et la plus indigne des saintes relations de la vie, des secrets du coeur et des mystères sacrés de la Providence. Comment en parleraient-ils autrement, puisqu'ils n'en connaissent pas le premier mot ? Ces gens-là sont coupables, à leur insu peut-être, mais pourtant coupables de cruauté parce qu'ils volent aux hommes l'espérance sans laquelle la terre n'est qu'un repaire de ténèbres ; « parce que, » dit le Seigneur, « vous avez affligé en mentant le coeur du juste, lequel je n'affligeais point » ; parce que, envieux d'un bien qu'ils n'ont pas trouvé ou qu'ils ont perdu, ils cherchent à nier son existence en répandant autour d'eux la contagion du désespoir. « Un siècle licencieux est parent d'un siècle cruel (2). » On peut dire aussi que chez l'individu la cruauté s'allie souvent à la débauche.

Les hommes prétendent trop souvent que continuer à dégrader et à opprimer une créature déjà souillée et esclave du mal est une faute légère ; car, disent-ils, nous ne détruisons pas le bien, nous ne faisons que profiter d'un grand mal qui existe déjà. Ce jugement est absolument faux. L'âme de la créature la plus vile a été rachetée par Christ, et je pense que les âmes des femmes sont aussi précieuses aux yeux de Dieu que celles des hommes. Je ne vois pas non plus que Dieu ait dit nulle part que le même péché qui amènerait la destruction complète de l'âme de la femme ne serait de la part de l'homme qu'une légère offense.
Le Seigneur dit : « Il ne se peut faire qu'il n'arrive des scandales » ; mais il ajoute ces mots terribles : « Toutefois, malheur à celui par qui ils arrivent ! »

Il se passe de nos jours un fait horrible. Des milliers de femmes, de jeunes filles, de petites filles même, sont continuellement entraînées dans des repaires de la débauche et sacrifiées comme moutons qui tombent à l'abattoir. Nous ne pouvons pas dire qu'un homme en particulier soit responsable de ce scandale, non, mais il y a beaucoup d'hommes et de femmes qui sont coupables sur ce chef, et Dieu seul pourra prononcer avec justice contre celui qui, ne fût-ce qu'une seule fois, aura levé la main pour aider à l'écrasement du faible ou empêcher celui qui est tombé de se relever. Pensez-vous qu'il y ait une bien grande différence entre l'homme qui est le premier séducteur d'une femme, et cette troupe de lâches qui, voyant la victime par terre, se jettent sur elle pour l'avilir encore davantage jusqu'à ce qu'ils aient détruit en elle le dernier vestige de sa dignité et de son origine divine ? C'est à peu près comme si, pour ensevelir une femme vivante, chaque homme dans la foule jetait sur elle une pelletée de terre, ou qu'elle fût condamnée à être écrasée par un bataillon de soldats qui lui passeraient sur le corps. Aucun de ces hommes ne l'a lui-même tuée, mais ils l'ont tuée tous ensemble et chacun d'eux est coupable.

Le jugement des hommes du monde sur ce sujet est la plupart du temps tout à fait superficiel, égoïste et cruel, et c'est seulement à la lueur des paroles solennelles de Christ que je comprends à quel point ils parlent et agissent faussement. Ne dites pas pour vous défendre : « C'est la femme qui m'a sollicité ». Voyons, si cette femme vous demandait de la tuer seriez-vous excusable de le faire ?

Et après tout, que veut-elle de vous lorsqu'elle vous sollicite ?
Votre argent, et vous êtes libre de le lui donner. Aucune loi de Dieu ne vous défend cet acte de charité, mais la loi de Dieu et l'humanité vous défendent d'acheter avec cet argent la permission de dégrader le corps de cette femme et de tuer son âme.

« Toutes ces excuses fondées sur de purs sophismes s'écroulent à la lumière de la vérité. Lorsqu'une vente est contre nature, illégale par elle-même et qu'en outre ce hideux marché entraîne à de cruelles misères pour le corps et pour l'âme, l'acquéreur lui aussi est coupable et, dans ce cas-là, trois fois plus coupable que le vendeur. L'homme ne cherche que le plaisir de la chair, la femme désire de l'argent ; hélas, combien de pauvres femmes ne cherchent même dans cet affreux trafic que leur nourriture de chaque jour ! Ces élégantes courtisanes qui se vendent fort cher à de riches débauchés dans le seul but de pouvoir satisfaire leur vanité ne sont pas celles qui méritent notre pitié, du moins pour ce moment, mais le jour viendra où elles glisseront sur la pente fatale lorsque, un à un, ces hommes les abandonneront, trouvant leur responsabilité largement dégagée par les grosses sommes qu'ils ont payées !

« Quel sera donc le prix légitime de la vertu ? nous demandera-t-on peut-être. Ou la vertu est un vain mot, ou elle n'a pas de prix ; et à ceux qui la croient un vain mot, je répondrai qu'en tous cas le vice, est un hideux ennemi, une terrible réalité et que ceux qui le propagent commettent une cruauté (3). »

N'essayez pas de faire taire, ce vague sentiment de culpabilité qui vous trouble parfois, en noircissant encore davantage ces victimes du vice, en disant qu'il n'y a point de régénération possible pour elles. Je vous répondrai que je connais le coeur de beaucoup de ces déclassées et qu'à leur tour elles doutent fort de la possibilité de votre salut, et pour ma part je trouve leur supposition aussi fondée que la vôtre.

L'esprit de ces pauvres femmes est souvent fort troublé par l'étonnement que leur cause la position qu'occupent dans le monde leurs compagnons de péché. Elles se demandent comment un homme peut pendant bien des années, pendant toute sa vie quelquefois, jouer un double rôle. Elles disent : « Nous sommes des pécheresses, il est vrai, mais nous ne sommes pas hypocrites; après avoir péché dans l'obscurité de la nuit nous n'allons pas de jour, le sourire aux lèvres, prendre place parmi les honnêtes gens ou nous asseoir à l'église le dimanche. La société nous frappe et nous maudit, quelquefois même au delà de ce que nous méritons ; mais ces hommes ! est-il vraiment possible que leur conscience soit sans reproche ? »

Oui, je vous le répète, ces femmes doutent que les débauchés puissent jamais revenir au bien, à cause de l'hypocrisie de leur vie.
Elles considèrent cette hypocrisie comme mortelle pour la créature, et malgré tous leurs péchés, elles ne seraient pas capables de la pratiquer.
Comment voulez-vous que leurs pauvres âmes ne soient pas tourmentées, lorsqu'elles voient leurs visiteurs nocturnes reçus dans la société, courtisés par le monde, entourés de leur femme et de leurs enfants et occupant des postes d'honneur ?

Tandis que les hommes qui doutent de la réhabilitation des femmes tombées considèrent l'impudicité comme le péché capital, les femmes de leur côté regardent l'hypocrisie comme le péché mortel qui fermera aux hommes la porte du ciel, sinon la porte des salons du monde.

Et maintenant, souvenez-vous de la parabole du pharisien et du publicain. Ce dernier n'osait pas même lever les yeux au ciel, mais il disait : « O Dieu, sois apaisé ! » Le premier, vous le savez, était un homme respectable.
Celui qui connaît le coeur de l'homme nous dit que l'un fut justifié plutôt que l'autre.
L'humilité, cette humilité du publicain, se rencontre souvent chez les femmes tombées, et c'est dans cette qualité, jointe à leur désir ardent de ne pas se faire passer pour meilleures qu'elles ne sont, que je trouve le signe d'une réhabilitation possible.
Je crains bien qu'aujourd'hui ces mots de Jésus ne soient toujours aussi vrais : « Les péagers et les femmes de mauvaise vie vous devancent au royaume de Dieu ».

Vous qui après avoir passé des années dans le péché jouissez maintenant de tous les conforts de la vie de famille, vous qui êtes estimés des hommes, aimés par des femmes pures et caressés par vos chers enfants, venez avec moi et regardez cette femme tombée qui sanglote consumée par la maladie et la misère sur un lit d'hôpital. Qu'a été sa vie et qu'a été la vôtre ? Qui sait si elle ne meurt pas victime de la tendresse de son coeur ? Le premier pas qui l'a conduite à la ruine a peut-être été l'acte de se livrer à un être aimé. N'y a-t-il pas dans cet abandon même de la femme qui se donne sans réserve, quelque chose qui ressemble au dévouement ? Vous devriez respecter cet élan irréfléchi chez elle et savoir en montrer autant, lorsqu'il s'agit d'une bonne cause.

En quoi cette femme est-elle plus coupable que vous ? Soyez juste ! Elle est perdue pour la société, vous en êtes l'enfant gâté. Le poison qu'elle a bu l'a tuée, et vous, vous survivez. Pour elle point de joies dans l'avenir, point de consolations dans la vie de famille, point d'enfants pour l'aimer. Elle meurt jeune et son lieu ne la reconnaît plus ! Dites, n'y a-t-il pas dans votre passé des péchés aussi grands que les siens, aux yeux de Dieu ?

Et pourtant, sans être tout à fait heureux (ce que je sais des secrets du coeur humain ne me permet pas de croire que vous le soyez), vous n'êtes cependant pas dans votre cercueil, dans un tombeau solitaire que personne ne regarde et ne respecte. Non, vous vivez entouré de bénédictions, vous tendez la main aux personnes les plus estimables de la société, si bien que vous finissez par croire que, vous-même, vous en êtes un des membres les plus honorables. Je ne viens pas vous dire : repoussez ces bénédictions, dépouillez-vous de tous les biens terrestres, courbez-vous dans la poussière et proclamez hautement ce que vous êtes. Ce conseil serait inutile, vous ne le suivriez pas.

Que si vous conservez tous les bonheurs de la vie, ce soit au moins en vous accusant vous-même et en confessant vos péchés à Dieu. Jouissez, mais craignez ! Ne croyez pas que votre prospérité soit un signe de la faveur de Dieu. Où que vous soyez, seul ou en société, il y a un doigt invisible qui est tourné vers vous et une voix plus terrible que celle du prophète d'Israël disant : « Tu es cet homme-là ! »

Et maintenant, je vous le demande, que faites-vous de l'âme de cette créature que vous avez aimée pendant quelque temps comme votre femme et que vous abandonnez le jour où vous trouvez utile d'entrer dans le domaine régulier du mariage ; que faites-vous des âmes de ses enfants qui sont les vôtres et dont l'existence (niée par vous peut-être) crie chaque jour vers le ciel contre vous ? Ah ! il vous est bien aisé, à vous, de rentrer dans le chemin de la vertu, de vous établir dans votre maison avec la compagne que vous avez choisie, en lui cachant bien entendu votre passé coupable et en vous gardant bien de lui dire que votre âme est souillée de deux péchés, l'impureté et la trahison.

Mais elle, celle que vous avez abandonnée, comment pourra-t-elle retourner à la vertu ? Je vous le dis, vous n'osez pas penser froidement à son avenir. Vous savez bien que, même si elle échappait à cette loi fatale qui entraîne toujours plus bas la femme coupable, même si elle se retirait loin du monde et du mal, elle n'en irait pas moins au tombeau, blessée par vous et marquée par le monde du sceau de la honte.

Mais laissons de côté votre devoir vis-à-vis de son avenir terrestre. Je vous demande compte ici de son âme et de son avenir éternel. Vous pensez avoir tout fait en lui donnant beaucoup d'argent. Prenez garde que Dieu ne vous dise : « Que ton argent périsse avec toi ! » car vous avez cru pouvoir avec cet or expier la trahison d'une âme immortelle, le naufrage d'un être moral !

Peut-être me direz-vous que vous vous êtes aperçu trop tard que cette union immorale ne pouvait pas durer. Mais quand vous l'avez brisée aviez-vous fait tout ce qu'il vous restait à faire ? Dieu vous demande-t-il de ne penser qu'à votre dignité, qu'à votre salut à vous, tandis que celle qui est coupable avec vous et qui peut-être vous aime sincèrement s'en irait à la perdition ? Je vous supplie de considérer une chose, c'est que nous serons appelés à répondre devant Dieu de celles de ses créatures avec qui nous aurons eu des relations intimes, de celles dont la nature était plus faible que la nôtre, et qui s'affermissaient dans le péché par l'appui qu'elles trouvaient dans un coeur plus robuste. Et je vous le dis aussi, ces enfants que vous avez procréés seront confrontés avec vous au dernier jour.
Alors il ne servira plus à rien de dire : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Je vous demande où est cette femme, où est cet enfant qui auront à supporter toute leur vie les conséquences de vos cruelles passions ?

Pouvez-vous reposer une seule nuit en paix jusqu'à ce que vous vous soyez mis à leur recherche et que vous ayez remué ciel et terre pour réparer votre faute ?

Et s'ils sont déjà loin, plongés dans des ténèbres où vous ne sauriez les atteindre, d'où vous ne pourriez les rappeler, resterez-vous en paix, jouissant des douceurs et des honneurs de la vie avant d'avoir rendu à Dieu d'autres âmes à la place de celles que vous avez tuées ?
Il y a des consciences et des natures plus délicates que la vôtre qui pendant des années portent le poids des tristesses et des douleurs que vous avez attirées sur elles.
Il y a des compagnons de votre jeunesse dont la vie a été flétrie par vous et qui, lorsqu'ils vous voient estimé dans le monde, sont pleins de mépris et de haine, car ils savent que vous ne méritez pas ces honneurs. C'est vous qui provoquez ainsi le doute dans ces âmes et leur arrachez cette question :
« Dieu est-il juste dans toutes ses voies ?
Pourquoi me fais-tu voir l'iniquité et la perversité ?
Pourquoi verrais-tu les perfides, et te tairais-tu quand le méchant dévore celui qui est plus juste que lui ? »

Les hommes qui ont été égoïstes dans le mal, sont trop souvent égoïstes dans la repentance. Ils se contentent de se convertir et ne pensent pas un seul instant à ceux qui ont souffert par eux. Si mon coeur s'émeut pour le pécheur qui se condamne, se repent et veut expier ses torts, j'éprouve en revanche peu de sympathie pour les convertis égoïstes qui vont à la source de la purification en oubliant leurs victimes.

Là où a pénétré la vraie douleur du péché et où les leçons du Sauveur miséricordieux ont été comprises, ne fût-ce qu'imparfaitement, l'égoïsme disparaît. Ceux qui ne prennent point de souci ni des complices, ni des victimes de leurs propres péchés, sont étrangers à la vraie régénération, quelle que soit d'ailleurs l'honnêteté de leur conduite dans le monde.

Y a-t-il un spectacle plus triste que celui de ces hommes qui recouvrent les plaies encore béantes de leur péché avec une vertu tardive et tout extérieure ; qui font à leur vie une sorte de replâtrage en s'entourant de l'estime et des récompenses que méritent seuls les hommes vraiment vertueux ? Mais cependant, parmi eux, plusieurs souffrent et reconnaissent qu'ils ne sont pas guéris.
Je voudrais leur parler avec douceur.

Vous savez bien, n'est-ce pas ? que vous n'êtes pas vraiment changés, quoique extérieurement votre conduite soit morale. Vous savez que Dieu seul peut guérir les profondes blessures de votre âme. Les remèdes que vous avez employés sont comme ces stimulants que l'on donne aux poitrinaires et qui, pour un instant, semblent ramener le sang dans leurs veines et leur procurer une force factice ; mais lorsque la maladie reprend ses droits, la chute est d'autant plus rapide et la mort plus subite.

Je vous en supplie, ne laissez pas ce bien passager détourner vos regards du seul moyen de guérison possible. Mieux vaut que vous souffriez, que votre coeur se brise, que vos blessures vous tourmentent sans cesse, plutôt que de perdre le sentiment de la douleur et de la honte, et de perdre en même temps votre âme.
Ces remèdes factices, ces biens passagers peuvent venir en aide à votre faiblesse et vous aider à régler votre vie, mais ils ne peuvent vous donner la vie éternelle ni purifier votre être moral.

Oh ! mes frères coupables, laissez-moi vous avertir avant que la nuit vienne. Laissez-moi vous dire le danger qui vous menace dans ce bonheur terrestre que vous goûtez tardivement. La coupe que vous portez à vos lèvres maintenant est pure, je le veux bien, mais au fond il y a un narcotique, de même qu'il y avait un poison dans celle qui vous a enivré à l'aurore de votre vie.
Dormirez-vous tandis que le poison n'a pas encore été expulsé, consumé par Celui qui est venu « mettre le feu sur la terre » et qui veut nous baptiser « de Saint-Esprit et de feu » ?
Y a-t-il de l'espoir pour le criminel coupable de cruauté et de trahison, qui a entraîné et détruit son semblable ? Toutes choses sont possibles avec Dieu. « Nazaréen, tu as vaincu, » telles sont les dernières paroles de Julien l'Apostat à la fin d'une vie de rébellion et de combat. Dieu peut vaincre le coeur du plus grand rebelle; Il peut envoyer un ange qui troublera les eaux stagnantes de son âme, afin qu'elles deviennent des eaux bienfaisantes.
Ah ! puisse-t-il entendre dans le désert où il se meurt, la voix divine qui lui dit : « De quoi souffres-tu ? » et puissent ses yeux s'ouvrir pour voir à côté de lui ce puits d'eau pure qu'il n'avait point aperçu. « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. » - « Je donnerai gratuitement à boire de la source d'eau vive à celui qui a soif. »

Il y a des milliers de créatures qui meurent de cette soif et de la fièvre qui l'accompagne ; elles meurent en proférant des paroles de raillerie, de doute et de désespoir, et là, à leur côté, il y a un puits profond où elles auraient pu étancher leur soif !
Combien je voudrais tendre la main à la plus misérable de ces créatures, à l'enfant prodigue le plus insensé ! Je voudrais l'appeler mon frère et lui parler de vie et d'amour.

Lorsque la famine régna dans le pays où il se trouvait, il eut faim et il aurait bien voulu se rassasier des carouges que mangeaient les pourceaux.
« Mais personne ne lui en donnait. » Ces mots expriment ce qu'il y a de plus triste à mon avis dans l'histoire de l'enfant prodigue. Il avait faim et personne ne lui donnait à manger ; il souffrait et personne ne venait à son aide.
Que de pauvres créatures, dans un abandon pareil, ont été poussées au désespoir et à la mort, sans que la main d'aucun homme s'étendit pour les arrêter, sans que le coeur d'aucun de leurs frères eût assez d'amour pour les sauver.

Nous sommes trop disposés à considérer tous ces êtres souffrants et coupables comme une classe de gens perdus, de malades sans espoir, de condamnés sans appel. Aucun de nous ne possède complètement cette faculté de distinguer d'une manière absolument claire et juste entre une erreur et un crime.

Mais Dieu ne juge pas les hommes en masse. Lui seul peut tenir compte de l'âme de chaque individu, des moindres détails de sa vie, des forces intérieures et extérieures qui se sont combinées pour le jeter dans l'abîme de misère où il est tombé. À nos yeux chacun d'eux paraît être une étoile errante, mais Dieu seul sait auxquels de ces astres sont destinées les ténèbres éternelles. Dans certains moments de raison et de tristesse les yeux de ces malheureux sont ouverts et ils comprennent qu'ils ont vendu leur dignité d'hommes et leur immortalité pour un « plat de lentilles » ! Alors la plus petite chose, un mot, un regard, une main tendue, pourrait changer le dégoût qu'ils ont d'eux-mêmes en cette ferme résolution : « Je me lèverai et m'en irai vers mon père. » Mais cette petite chose, personne ne la leur donne.

- Parler de vie et d'amour à quelques-uns, c'est en parler à des cadavres. L'homme est mort, Il s'est tué. Il ne peut plus se relever, non parce que Dieu ne veut pas qu'il se relève, mais parce qu'il n'y a plus une étincelle de vie dans sa volonté, sa conscience et son coeur, pour se ranimer aux appels de Dieu. L'amour néanmoins se refuse à croire que la mort soit là et que le moment soit venu de quitter ce cercueil et de retourner parmi les vivants. L'amour veillera comme Ritspa auprès des cadavres de ses enfants, avec une constance plus forte que la mort, ne voulant pas permettre que ces corps soient donnés en pâture aux vautours. je ne sais pas à quel moment la vie disparaît dans l'âme humaine. C'est le secret de Dieu ; mais je sais que la charité ne se lasse point, qu'elle croit tout, qu'elle espère tout et qu'elle tient ferme, malgré ces mots de « enthousiaste fanatique ! » que lui crient aux oreilles ceux qui ne croient pas à la miséricorde de Dieu, et malgré les étonnements de plusieurs des disciples de Christ. Nul ne sait ce que Dieu veut faire pour les plus méchants, les plus vils, les plus corrompus des hommes et des femmes, nul ne le sait, sauf ceux qui peuvent dire d'eux-mêmes : « De profundis clamavi », sauf ceux qui se sont agenouillés en esprit à côté du Seigneur au jardin de Gethsémané, qui ont vu les gouttes de sang perler sur son front et qui dans cette heure solennelle d'amour et d'agonie ont pu lui dire : « Seigneur, prends aussi le sang de mon coeur et qu'il soit répandu pour toi et pour les tiens. » - « Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort. » - « Je suis venu afin que mes brebis aient la vie et qu'elles l'aient même en abondance. » L'âme humaine est insatiable dans le bien comme dans le mal. Tous nous désirons une existence pleine, abondante, nous voulons le printemps, la joie, le soleil, les rêves de l'enfance retrouvés. Le coeur humain a soif de vie.

Ne semble-t-il pas qu'il possédât assez de vie, ce démoniaque du pays des Gadaréniens qui s'appelait Légion ? Il s'agitait jour et nuit, ne cessant d'exercer toutes les forces de sa nature animale ; personne ne pouvait le dompter, il brisait les chaînes dont on le liait. Malgré cette effervescence de vie, il est dit de lui qu'il « se tenait dans les sépulcres ». Il y a dans l'homme beaucoup de cette énergie démoniaque qui n'est qu'une hideuse parodie de la vie. Christ n'est pas venu détruire la vie, il est venu la changer, la délivrer de cette force du démon. « Qu'est-ce que ceci ? » disait-on de lui, « quelle est cette nouvelle doctrine, qu'il commande avec, autorité même aux esprits immondes et qu'ils lui obéissent ? » Ses disciples lui disaient avec joie et étonnement : « Les démons mêmes nous sont assujettis par ton nom. »
Et Jésus leur dit dans sa dernière conversation avec eux : « Voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : ils chasseront les démons en mon nom. »

L'histoire des premiers temps du christianisme rapporte un grand nombre de faits du même genre. Les chrétiens les plus pauvres et les plus humbles chassaient les démons par leurs prières et par l'invocation du nom de Jésus.

Reconnaissez la puissance de Christ, suprême espoir de ceux qui sont affligés par quelque démon impur qui habite en eux, ou éblouis de lumières autres que la lumière de Dieu.
« Ne vous enivrez point de vin dans lequel il y a de la dissolution ; mais soyez remplis de l'Esprit. »

Qu'ils ne craignent pas de défaillir et de mourir, les buveurs de la terre, en renonçant à ces stimulants qui soutenaient seuls leur vie. Dieu leur tient en réserve « le nouveau vin de son royaume ».

Ne disait-on pas des disciples de Jésus, « c'est qu'ils sont pleins de vin doux » ? Il y a encore aujourd'hui des hommes qui, sous l'empire de cette divine ivresse, de cette nouvelle passion qui s'empare victorieusement de leur âme, parlent comme ils n'avaient jamais parlé auparavant, employant « des langues étrangères, selon que l'Esprit les faisait parler ».




1 M. le professeur Aimé Humbert, conférence pour hommes tenue à Neuchâtel (Suisse), 6 février 1875. 

2 Francis Neuman. 

3 Francis Neuman. 
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