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LA VIE DE LA FEMME

 

Ce n'est pas tout. Il y a de bonnes oeuvres pour lesquelles je permets à la jeune fille de sortir du sanctuaire domestique, et, s'il le faut, de la réserve même que lui prescrit son âge. S'agit-il d'instruire l'ignorant, de soulager le pauvre, d'exhorter le malade, de « visiter la: veuve et l'orphelin? » Allez, ma fille, allez sans balancer, et que le Seigneur aille avec vous ! Cette jeune fille qui vient d'assister sa mère dans les travaux du ménage, de prêter son bras à son vieux père, ou de lire la Bible avec ses frères et ses soeurs, que j'aime à la voir passer de cette charité du dedans à la charité du dehors, et porter aux malheureux des soins qu'ils reçoivent d'elle avec une double gratitude, surpris de lui voir réserver pour un tel usage des grâces que tant d'autres se croient permis de vouer au monde et à ses -plaisirs ! Permis ? soit, si l'on veut; mais permise ou non, la vie de plaisir vous paraîtra sans doute moins désirable, moins conforme à la mission de la femme, que celle que je viens de vous proposer. Ou bien, reconnaîtriez- vous plutôt « l'aide semblable à « lui » dans cette autre jeune fille, qui préfère les honteux honneurs d'une fille d'Hérodias à la modeste gloire d'une Rébecca; qui aime mieux être l'idole des salons que le trésor de la famille; qui trouve plus beau de se charger à grand'peine d'ornements étrangers, que d'être elle-même, telle que Dieu l'a faite, l'ornement de sa maison; qui se consume en efforts pour appeler sur elle les regards des hommes et pour surpasser ses compagnes, je devrais dire ses rivales (ne m'accusez pas d'exagération); qui livre aux vents, qui jette dans le vide, cette sève abondante de vie qui lui a été donnée pour un jour, et que demain elle cherchera et ne trouvera plus ; pauvre enfant, qui se résigne à s'enterrer toute vive dans les froides joies du siècle (*23); triste victime offerte, de jour en jour, de nuit en nuit, à la légèreté du monde par la vanité de son propre coeur? - Un matin, à la pointe du jour, deux jeunes filles se rencontrent précipitamment dans la rue silencieuse. L'une sort du bal et court à son lit où il lui Larde de se reposer de ses plaisirs. L'autre sort de son lit, pour courir auprès d'un mourant qui vient de la faire appeler en toute hâte, ne pouvant s'en aller en paix, dit-il, s'il n'a son bon ange auprès de lui... Jeunes filles, choisissez !

 

Nous venons de contempler la femme avant le mariage : contemplons-la maintenant après le mariage, chargée de ce fruit précieux que l'Écriture appelle « un héritage de par l'Éternel (*24) » tournons-nous vers l'épouse devenue mère. Près de ce fils que Dieu vient de vous donner, mère chrétienne, vous occupez une place, non d'infériorité comme la fille, ni d'égalité comme l'épouse, mais de supériorité et pourtant. cette supériorité n'exclut pas le renoncement propre à la mission de la femme. Il n'est pas bon que l'enfant soit seul; et Dieu, qui vous l'a donné, lui a donné en même temps en vous « un aide semblable à lui. » Il n'y a pas jusqu'aux tendres soins que réclame son développement physique qui ne seront chers à votre coeur : jalouse de le nourrir de votre propre vie, comme pour prolonger l'orgueil de lui communiquer l'être, vous n'irez pas, sans une nécessité trois fois démontrée, le frustrer des trésors dont vous enrichit la nature par lui et pour lui, ni vous priver de la sainte volupté d'être mère sans partage. Toutefois, un intérêt plus grave me préoccupe en ce moment : le secours que vous devez avant tout à ce petit enfant., c'est l'éducation, cet enfantement de l'esprit, qui suit de droit celui du corps, et que nul ne saurait vous disputer.

 

Cette joie ineffable avec laquelle vous accueillîtes ce fils (à la différence de ces mères qui voient moins « une récompense (*25) » dans la fécondité qu'un signe de colère, qui calculent bien longtemps avant la naissance d'un enfant les sacrifices qu'il leur pourra coûter, et qui ont besoin de la tardive expérience pour apprendre à ne le point haïr), cette joie, n'était-elle que la joie naturelle d'Eve, qui appelle son premier-né Caïn, c'est-à-dire acquisition, « parce qu'elle a « acquis un homme de par l'Éternel (*26)? » ou bien était-ce une joie plus noble, supposée par Jésus-Christ dans ces paroles dont la vérité saisissante vous fit tant de fois tressaillir : « La femme, quand elle accouche, a de la douleur parce que son heure est venue; mais quand elle a enfanté, elle ne se souvient plus de son angoisse, par la joie qu'elle a de ce qu'un homme a été enfanté dans le monde (*27)?» La maternité est un ministère, et la première condition d'un ministère fidèle est le désintéressement. Ne dites pas : Voici mon fils à moi, né de moi et pour moi; mais dites: Voici un homme enfanté dans le monde, pour le bien du monde. Que deviendra ce petit enfant (28)? » demandent la terre, le ciel, l'enfer, courbés et comme suspendus, dans une attente immense, sur le berceau de cette frôle créature dont la vie vient de se dégager de la vôtre. La réponse, je le dis en réservant l'action divine, qui s'exerce par des moyens humains, la réponse dépend avant tout de l'éducation (*29), et l'éducation dépend avant tout de la mère.

 

On l'a souvent remarqué : le moment décisif en éducation est le point de départ. C'est dans les premières années que se cache cette direction dominante qui détermine le cours entier de la vie. Or, les premières années appartiennent à la mère. Le paganisme les lui avait ôtées; mais Jésus-Christ les lui a rendues. Ne lui envions pas ces commencements. S'ils sont trop considérables pour des étrangers, ils sont aussi trop délicats et tout ensemble trop laborieux pour un père : l'aptitude, la liberté d'esprit, le, temps, la patience, nous manquent; mais tout cela, Dieu l'a donné à la mère. Nul autre ne discerne plus sûrement le naturel de son fils, le fort et le faible de son caractère, la part qu'il convient de faire à son tempérament, la mesure de sévérité et d'indulgence en rapport avec son humeur, les précautions à prendre pour le faire valoir sans le gâter. Nul autre ne possède mieux l'art d'éveiller sa curiosité, de stimuler son ardeur, d'attacher son attention, de lui tenir les yeux ouverts, et de l'initier par degrés à cette science pratique des choses, qui, plus vivante que celle des livres, a plus de part aussi au développement de la vie. Nul autre enfin n'a la main assez douce et en même temps assez forte pour donner à la plante naissante ce pli originel, à la fois trop ferme pour qu'elle puisse résister et trop tendre pour qu'elle le veuille, et qui règle toute sa croissance à. venir. La plus grande puissance morale qui soit au monde est celle qu'une mère exerce sur son jeune enfant. N'allez pas lui en demander un compte systématique : elle agit par inspiration plus que par calcul, et ne s'est peut-être jamais dit ce que je vous dis là Dieu est avec elle dans la tâche, voilà son secret. Elle vous paraîtra deviner peut-être ; mais laissez-la faire, elle s'y entend mieux que vous, et fera plus en devinant que vous avec vos raisonnements et vos combinaisons : fiez-vous en à Dieu. et à l'instinct maternel. « Règle générale, à laquelle du moins je n'ai guère vu d'exceptions, dit un auteur contemporain, les hommes supérieurs sont tous les fils de leur mère. (**30) » Voyez cet homme au coeur ferme, à la voix intrépide, dont le courage indomptable sait tour à tour braver la colère du prince et dominer le flot populaire, et dont la volonté arrêtée, également invincible aux obstacles et aux fatigues, semble prendre à tâche de justifier cette maxime superbe : L'homme peut ce qu'il veut. Vous faites peut-être honneur de son énergie à la nature? Apprenez qu'il fit paraître dans son enfance un esprit si peu résolu, un caractère si vacillant, que chacun disait : On n'en fera jamais un homme. C'est une femme qui en a fait un homme, et cette femme est la même qui le mit an monde. Elle seule n'a jamais désespéré de lui. Soutenue par l'amour, conduite par l'instinct, elle a démêlé au travers de ses faiblesses, des vertus cachées, qu'elle a travaillé tendrement, humblement, lentement, à mettre au jour. Elle l'a formé à la persévérance par des combats sagement gradués, où sa fidèle sympathie a voulu tout partager. excepté l'honneur de la victoire. Elle l'a révélé à lui-même; elle l'a rendu à la société. Aussi, quand ce fils, sur son lit de mort, repasse dans son coeur le bien qu'il lui a été donné d'accomplir en faveur de son peuple et de sa génération, c'est à sa mère, après Dieu, qu'il en rapporte la gloire; et le dernier nom qu'on entend sortir de sa bouche, dans son dernier délire, est celui qu'il essayait, il y a cinquante années, dans ses premiers bégaiements.

 

Qu'il me soit permis d'ajouter, sans méconnaître la valeur de nos institutions, que l'éducation maternelle est rendue doublement nécessaire par la tendance de notre instruction publique. On s'est plaint souvent qu'à côté des ressources précieuses qu'elle met à la disposition de toutes les classes, elle présente, pour dire le moins, de fâcheuses lacunes, soit pour le coeur, dont elle s'inquiète trop peu, soit pour l'esprit, dont elle se montre pourtant si vivement préoccupée. Non seulement elle nourrit l'amour-propre par un emploi immodéré du principe d'émulation, et ne fait rien pour inculquer le saint respect du devoir (à moins qu'on n'ait appris d'elle, par un abus significatif du langage, a revêtir de ce nom sacré de pures tâches littéraires); mais ce qu'elle fait avec tant d'habileté, de labeur, de sacrifices, pour la culture de l'intelligence elle-même, est au moins incomplet. Les facultés qui dépendent de la mémoire sont aiguisées par un exercice perpétuel, tandis que celles qui se rapportent à la réflexion, plus importantes encore que les premières, demeurent comparativement sans emploi. Par trop remplir tous les instants de l'élève, par trop absorber son ardeur dans une préparation haletante et inquiète, ou ôte à son esprit le loisir, le ressort, le mouvement requis pour s'assimiler ce qu'il reçoit, et on l'habitue à se contenter d'une science empruntée où sa personnalité n'entre pour rien. Alors, le développement de la pensée et du caractère ne se fait pas, ou se fait mal; cette fleur d'originalité... charmante autant que vigoureuse, que la nature n'a refusée à personne, tombe avant d'avoir donné son fruit, on dirait qu'un impitoyable niveau a été passé sur toutes les intelligences; et l'homme disparaît dans l'enfant, parce que l'enfant disparaît dans l'écolier (**31) .

A un mal si grave, je ne connais de remède que dans le contre-poids de la vie de famille et de l'éducation domestique, la seule qui sache pénétrer dans les sinuosités de l'esprit individuel et se prêter à ses tendances propres. Or, cette vie de famille, si menacée aujourd'hui par la vie commune, je compte sur la mère pour la sauver; et cette éducation domestique, je compte sur elle encore pour la prendre en main. Ne vous pressez pas de lui enlever son enfant : qu'elle le retienne longtemps auprès d'elle. Puis, le moment arrivé pour lui d'entrer en contact avec la vie publique, qu'il soit permis à sa mère d'intervenir encore pour maintenir les droits du coeur, de l'esprit, de la personne, c'est-à-dire de l'homme. Seriez-vous jaloux de l'influence trop féminine qu'elle va exercer ? Sachez que cette influence, redoutable si elle était seule, est un complément indispensable de la nôtre. L'homme n'a pas tout ce qu'il faut pour former l'esprit de l'homme, parce que cet esprit a un élément féminin :j'appelle ainsi ce je ne sais quoi de tendre, de pénétrant, d'instinctif, qui saisit, dirai-je ? ou qui devine la vérité, par opposition à cette raison calme qui se rend compte des choses, et à cette volonté forte qui se rend compte d'elle-même. Dans ce sens, on a pu dire avec justesse que « nul homme de génie n'a été exempt d'un développement féminin. » N'hésitez pas, placez l'instruction publique sous la sauvegarde de la famille, mais de la famille présidée par la mère; c'est le plus sûr moyen d'en assurer les avantages à vos fils, tout en leur en épargnant les périls.

 

Ne l'oublions pas toutefois, dans l'éducation, comme dans la vie, « une seule chose est nécessaire : » cette seule chose nécessaire est le triomphe de la mère. Trop souvent, hélas! dans la tâche sainte de conduire son fils au Sauveur, elle n'a personne pour elle, heureuse encore si elle n'a pas tout le monde contre elle... Mais, fût-elle seule contre tous, qu'elle prenne courage : c'est ici surtout que Dieu est avec elle, et Dieu lui suffit. S'agit-il du jeune enfant? Ce fils aimé, mais aimé en Dieu, avec qui elle s'humilie chaque jour aux pieds du Seigneur, et qu'elle instruit à le chercher de ses premières pensées et à le nommer dans ses premiers discours, elle tient en quelque sorte son âme entre ses mains. Seule au monde, elle sait les chemins par où elle doit passer pour y aller déposer des germes féconds de la vérité salutaire, glissés avec tant d'amour, engagés si profondément, liés si fortement aux instincts naturels (y compris l'empire de sa propre image), que ni les orages du dehors, ni ceux même du dedans ne les en pourront jamais arracher. Croyez-le bien, rien n'est plus irrésistible pour l'homme, ni tout ensemble plus indestructible dans l'homme, que ces impressions primitives laissées par une mère pieuse, et protégées parle charme vague et naïf des souvenirs d'enfance; un fils doutera deux fois de l'esprit de son père, avant de douter une fois du coeur de sa mère. S'agit-il de cet âge où, n'étant plus enfant et n'étant pas encore homme. un fils échappe insensiblement à la surveillance de sa mère, tout en lui inspirant une sollicitude nouvelle ? Par un usage fidèle de son influence passée, elle a gagné la confiance de ce fils, et cette confiance lui répond aujourd'hui de l'avenir. Dans ces tendres épanchements dont elle a su lui faire une habitude et un besoin, elle lit jusqu'au fond de son coeur; et un coeur où on lit jusqu'au fond, c'est presque un coeur dont on est maître. La passion parle peut-être, et il est près de succomber : mais il faudra le dire à sa mère - impossible; ou il faudra le lui taire - plus impossible encore; et la tentation est vaincue.

Vienne enfin le moment d'un long embrassement, prélude d'une séparation peut-être éternelle... Mère chrétienne, que crains-tu ? Préparé depuis tant d'années sur l'humble chantier de la famille, lance, puisque Dieu le veut ainsi, lance en paix ton navire sur l'incertain Océan! Suis-le de ton oeil humide, jusqu'au plus loin de l'horizon, et là - quand tu le verras suspendu sur une dernière vague, prêt à disparaître - disparaissant - disparu - fais ta prière remets ton trésor à celui qui tient vents et flots dans ses mains, et qui aime - plus que toi ! Tu lui as été fidèle dès le commencement, il te sera fidèle jusqu'à la fin; va, il n'oubliera pas la promesse qu'il semble avoir faite exprès pour toi : « Instruis le jeune enfant à l'entrée de sa voie; et même quand il sera devenu vieux, il ne s'en départira point (*32). »

 

Heureuses prévisions, que justifie une plus heureuse expérience. S'il est vrai que la plupart des hommes distingués sont les fils de leur mère, cela est vrai surtout des hommes religieux. L'histoire biblique, l'histoire de l'Église, l'histoire contemporaine, s'accordent pour l'attester, disons mieux, pour le laisser entrevoir; car il faut chercher la mère, pour la découvrir, derrière ce fils dont le nom a éclipsé le sien dans la mémoire des hommes. Mais c'est ce que demande une mère chrétienne : si elle a sauvé son fils, elle a accompli sa mission de femme; et si elle l'a sauvé sans se montrer, elle l'a accomplie doublement. Écoutez la Bible. Quel est l'objet de cette courte préface qu'elle met à la tête de la vie de Samuel, si ce n'est d'expliquer ce saint homme de Dieu, ce géant de la prière, ce premier anneau de la chaîne des prophètes, ce grand réformateur de l'état et du culte, par la foi, par le voeu, parla fidélité, par le cantique d'Anne sa mère? Que ce récit supplée à la brièveté avec laquelle la Bible explique ailleurs d'une manière semblable un Moïse, un David, un Timothée (*33); et qu'il nous donne la clef de ce soin, en apparence minutieux, avec lequel elle nomme, en passant, les mères des rois de Juda (*34). Ouvrez les annales de l'Église. Qui peut entendre prononcer le nom de saint Augustin, cette vive lumière deux fois près de s'éteindre, mais soustraite tour à tour à la convoitise et à l'hérésie, pour glorifier le Dieu saint et vrai devant la postérité la plus reculée, sans reconnaître avec lui dans cette double délivrance, après la main de Dieu, la main de la tendre, de l'humble, de la patiente Monique ? Mais apprenez que Chrysostome , Basile le Grand, Grégoire de Naziance(*35), et un grand nombre de ceux qui ont marché sur leurs traces, ont eu, chacun, leur Monique, dont nous oublions de nous informer, ingrats que nous sommes, tout en savourant avec délices le fruit de ce qu'elle a semé. Mais il n'est pas nécessaire de vous tant écarter : jetez les yeux autour de vous. Prenez la peine de rechercher les voles de Dieu, et vous trouverez que la plupart des serviteurs de Jésus-Christ dont se glorifie notre génération, sont redevables à une mère des premières lueurs de leur piété. Naguère, dans une conférence pastorale où se trouvaient rassemblés cent vingt pasteurs américains unis dans une foi commune, chacun fut invité, à faire connaître la cause humaine à laquelle il attribuait, sous la bénédiction divine, le changement de son coeur. Savez-vous combien en firent honneur à leur mère ? Sur cent vingt, plus de cent.

 

Ailleurs, une mère également fidèle semble avoir moins bien réussi: son fils s'est égaré loin du chemin qu'elle lui a tracé une mère, après tout, toute mère qu'elle est, n'est pas Dieu. Mais plus est grand l'égarement de cet enfant prodigue, plus on admire sa puissance maternelle, à laquelle il ferme son coeur sans y pouvoir soustraire sa conscience, et qui pourra, que savons-nous ? triompher enfin de sa résistance, longtemps après que les leçons et les exemples de sa mère se seront éteints dans le tombeau.

Méconnaître la piété d'une mère, cela est possible, mais l'oublier, jamais, non, jamais. Un homme de bien s'acheminait vers une église, où un service religieux allait être célébré pour des marins. En face de l'église, à la porte d'une auberge, il voit assis un vieux matelot, à l'aide rude et décidé, qui, les bras croisés et un cigare à la bouche, regardait passer avec indifférence, sinon avec dédain, ceux de ses camarades qui se rendaient au culte public. « Mon ami, lui dit l'étranger en s'approchant de lui, ne venez-vous pas avec nous au service? - Non pas, » répondit brusquement le marin. Son air avait fait pressentir cette réponse à l'étranger, qui poursuivit avec douceur : « Vous me paraissez avoir eu de mauvais jours... Avez-vous encore votre mère? » Le matelot lève la tête, fixe les yeux sur l'étranger, et garde le silence. « Eh bien, mon ami, si votre bonne mère était ici, quel conseil pensez-vous qu'elle vous donnerait? » Et le matelot se lève en essuyant du revers de sa main une larme qu'il avait tenté vainement de cacher, et d'une voix étouffée: « J'irai... »

 

Mères, mères, connaissez votre puissance ! Mères, mères, sentez votre responsabilité ! Heureux l'enfant qui a une bonne mère ! heureux votre fils, s'il a une bonne mère ! Mais entendons-nous : je ne prodigue pas ce nom à toute mère qui ne hait pas son enfant; autre chose est une mère dévouée. comme il y eu a beaucoup, même chez les païens, autre chose est une bonne mère selon Dieu. De nos jours, hélas ! l'histoire des relations de quelques hommes avec leur mère est bientôt faite; tout ce développement intellectuel, moral, spirituel, y est inconnu. Du sein de sa mère, le pauvre enfant passe dans les mains, si ce n'est sous le toit d'une mère salariée; de ces mains mercenaires, dans la maison paternelle, mais en attendant que son âge lui permette de la quitter de nouveau; de la maison paternelle, au collège ; du collège, à l'école supérieure; de l'école supérieure, à l'armée; et au retour de l'armée - s'il en revient - cette mère, pour laquelle il ne fuit guère qu'un étranger, que sera-t-elle pour lui qu'une étrangère ? étrangère à sa carrière future - étrangère à son mariage - étrangère à l'éducation de ses enfants... 0 mère, qui as encore un fils à élever, réveille-toi ! Et toi, mère, qui as ainsi élevé le tien, repens-toi !

 

Oui, repens-toi, mais ne désespère pas. Le mot désespoir n'est pas chrétien : non seulement l'ouvrier de la dernière heure peut encore être admis, mais il peut être encore favorisé. Vous pouvez redevenir auprès de ce fils « l'aide semblable à lui, » et tirant, par la grâce de Dieu, le bien du mal même, éprouver la vérité de cette parole qui contient en germe tout l'Évangile : « Quand je suis faible. alors « je suis fort. » Où une tâche finit, une autre commence; trop tard pour celle de l'éducation, il vous en reste une autre pour laquelle il n'est jamais trop tard, puisque c'est le nombre des années qui vous l'impose. Vous ne régnez plus par l'autorité sur des enfants qui sont devenus des hommes; mais vous pouvez exercer encore sur eux un empire d'amour et de respect, que seconde la maturité de leur âge. Dernier lien entre la génération qui s'éteint et celle qui la suit, débris frêle et précieux de ce qui a été et qui déjà n'est plus, dépositaire vigilante des traditions de la famille, vous formez un centre vénéré. autour duquel se groupent, avec un silencieux empressement, plusieurs familles que votre délogement va bientôt disperser. Bien des pensées, bien des intérêts, bien des passions peut-être se remuent à côté de vous dans le fond des coeurs; mais tout est contenu par le sentiment commun que vous inspirez, et chacun rivalise d'efforts et de sacrifices pour assurer la paix de vos derniers jours. Votre expérience, vos cheveux blancs, vos services passés, votre infirmité présente, une crainte vague de ne pas vous retrouver à votre place demain... tout vous soumet les coeurs. Noble et utile chaire que Dieu vous a préparée ! Paroles puissantes, reçues comme les leçons de la vie, comme les avertissements de la mort, presque comme des inspirations du ciel ! Heureuse la mère qui termine fidèlement une carrière fidèlement remplie ! Mais heureuse aussi la mère qui, saintement jalouse de bien finir ce qu'elle a mal commencé, sait faire tourner à l'avantage des siens jusqu'à son infidélité même (*36)! « Que les femmes âgées soient saintes dans leur extérieur, non médisantes, enseignant de bonnes choses, afin qu'elles instruisent dans la sagesse les jeunes femmes (*37). » Le secret de cette bienfaisante influence, le voici dans la vie cachée : La veuve qui vit dans les délices est morte toute vive; mais celle qui est réellement veuve et isolée espère en Dieu, et persévère en jeûnes et en supplications nuit et jour (*38). »

 

Je me trompe, mes chères soeurs, ou devant le tableau que je viens de faire de l'épouse chrétienne et de la mère chrétienne, une femme a senti son coeur se serrer et une larme furtive mouiller sa paupière. Cette femme, soit circonstances, soit libre choix, soi[ généreux sacrifice, soit fidélité religieuse n'est point devenue épouse et mère. Comprenez-le bien : c'est une jalousie selon Dieu qui la trouble en ce moment. Exclusivement préoccupée de la mission sublime de son sexe, elle accepterait sans difficulté ce que sa position a d'incomplet selon l'opinion, selon le coeur, selon la loi de la Providence. Mais n'avoir pas à qui se donner, mais comprimer dans son sein une soif de dévouement qui la consume elle-même sans profiter à personne, voilà à quoi elle ne peut consentir. Ma soeur, ma noble soeur, la délicatesse du sujet me fermera-t-elle la bouche? N'importe qu'il soit délicat, pourvu que j'accomplisse ma mission de ministre de Jésus-Christ, en vous aidant à accomplir votre mission de femme. Vous êtes, je me plais à vous le dire, dans une grande illusion : votre position prise en Dieu et dans l'intérêt de votre mission. est un privilège, si vous savez l'entendre. Croyez-en l'Apôtre écrivant ainsi aux Corinthiens : « Il y a une différence entre la femme et la vierge. Celle qui n'est pas mariée s'inquiète des choses du Seigneur, pour être sainte de corps et d'esprit; mais celle qui est mariée s'inquiète des choses du monde, cherchant à plaire à son mari. Or, je dis ceci pour votre propre avantage, non pour vous tendre un piège, mais pour vous porter à ce qui est bienséant et vous attacher au Seigneur sans distraction. Que si quelqu'un croit malséant pour sa fille de passer la fleur de son âge, et qu'il pense devoir la marier, qu'il fasse ce qu'il veut : il ne pèche point, qu'elle soit mariée. Mais celui qui demeure ferme dans son coeur, n'étant point contraint, mais étant maître de sa propre volonté, et qui a arrêté en son coeur de garder sa fille, fait bien. Celui donc qui marie sa fille fait bien, mais celui qui ne la marie pas fait mieux (*39). » Paroles étranges, il faut l'avouer, et dont il a été facile d'abuser au profit des opinions erronées qui se sont établies de bonne heure dans l'Église sur le célibat. Sans doute, le langage de saint Paul doit s'expliquer par les circonstances particulières du temps où il écrivait; mais on peut affirmer hardiment qu'il ne se serait jamais expliqué de la sorte, s'il eût considéré votre position comme le cédant à celle de la femme mariée, pour le service du Seigneur et pour ! 'accomplissement de votre mission. Il avait choisi lui-même une position analogue, non seulement pour prouver aux Églises son désintéressement en ne les chargeant pas de son entretien, mais encore pour vaquer « à la parole et à la prière » avec une plus grande liberté : liberté de temps, liberté d'action, liberté d'esprit, et enfin liberté de coeur.

 

Ces raisons valent autant pour vous que pour l'Apôtre, et la dernière a une valeur spéciale pour la femme : c'est là surtout ce que je tiens à vous faire comprendre. Il y a dans le coeur de la femme une puissance d'aimer où l'homme ne saurait atteindre.

Dans la position naturelle, qui est la vie conjugale, cette puissance s'exerce et se satisfait dans la famille., sur un mari, sur des enfants. Dans l'isolement, elle se fait jour par un autre chemin, et se jette ou dans l'une ou dans l'autre de ces deux voies. Ou bien, elle se tourne en dedans, se replie sur le moi, et se concentre dans la personnalité - de là un égoïsme sans mesure, sans scrupule ; c'est probablement dans la classe des femmes isolées que l'on trouverait les exemples les plus humiliants d'amour-propre, de curiosité, de désoeuvrement, d'avarice, de mondanité, et de toute une petite existence petitement consumée dans de petites jouissances. Ou bien, au contraire, elle se tourne au dehors, se répand en amour pour le Seigneur et pour le prochain, et pousse la femme à se dévouer au bien de l'humanité, comme l'épouse ou la mère fait à celui de sa famille. Alors, par une apparente contradiction, la charité gagne tout à la fois en étendue et en profondeur : en étendue, parce qu'elle dépasse le cercle domestique; en profondeur, parce qu'elle revêt l'ardeur d'un besoin et l'entraînement d'un sentiment personnel, sans compter une teinte de douce mélancolie, qui ne lui sied pas mal et qui l'excite aussi à sa manière. Ainsi se forment de saintes et charitables filles, dirai-je ? ou des filles de sainteté et de charité, chez lesquelles il faut chercher peut-être les modèles les plus accomplis de la bienfaisance chrétienne: lasses de la terre, impatientes du ciel, et qui par la simplicité de leur zèle, par la pureté de leur renoncement, par l'abondance de leurs bonnes oeuvres, semblent perpétuellement occupées à combler un vide immense, que Dieu a fait dans leur coeur pour le bien de l'humanité. Leurs rangs vous sont ouverts : entrez-y, sur les pas de tant de femmes qui ont fait choix de cette position pour être plus utiles au monde : entrez-y, et ne vous donnez pas de repos que vous n'ayez appris à voir dans votre isolement un miséricordieux privilège.

 

Dieu a préparé devant vous., selon l'Apôtre, tout ,un chemin de bonnes oeuvres (*40); il ne faut pour y marcher qu'un coeur vraiment dévoué : « ouvre les yeux, et tu auras suffisamment de pain (*41). » Regardez d'abord autour de vous, et voyez si vos relations de famille ne vous offrent pas l'occasion où vous aspirez : on a quelquefois tout près de soi ce qu'on va chercher au bout du monde. À défaut d'un père et d'une mère qui vous ont été retirés, vous avez peut-être un jeune frère au début de la vie, à qui vous pouvez servir d'amie et de mère; ou bien une soeur prête à succomber sous le fardeau envié de la famille, si elle ne trouve en vous ce complément de forces, de temps, de santé, de lumières, que Dieu vous a si visiblement départi pour elle. Votre coeur demandait une famille : eh bien, en voilà une ce n'est pas la vôtre, je le sais bien, ce n'est pas tout ce que vous voudriez; mais c'est ce que Dieu a voulu pour vous, ma soeur, pourvoyant tout ensemble au bien d'autrui par votre charitable activité, et au vôtre par votre renoncement à vous-même. Non, quand je vais demandant à toute la terre le type de la charité la plus utile, la plus pure, la plus chrétienne, je ne trouve nulle part toutes ces conditions mieux remplies que dans la bonne tante, qui, par un merveilleux oubli d'elle-même, accepte les fatigues et les soucis de la maternité, sans connaître ses compensations ineffables; mère, plus que mère peut-être, ,quand il s'agit de servir et de supporter, s'effaçant, dès qu'il ne s'agit plus que de recueillir et de jouir; triste, mais d'une tristesse céleste qui se traduit tout entière en amour et en renoncement. Que si nul engagement de famille ne vous lie, eh bien ! portez plus loin votre vue : cherchez une famille dans tout ce qui a besoin de vous, dans ces malheureux à soulager, dans ces institutions charitables à fonder ou à soutenir, dans ce ministre fidèle à seconder dans son travail, dans toutes ces bonnes oeuvres pour lesquelles Dieu semble avoir réservé tout exprès votre liberté. Ou bien, embrassez, vous le pouvez, un champ plus vaste encore : embrassez le monde, si vous le voulez, pourvu que ce soit par la charité. Renouvelez dans votre personne le saint office des diaconesses; préparez-vous y, s'il le faut, dans ces écoles qu'une charité vigilante et, ingénieuse ouvre, aujourd'hui à de pieuses filles; allez, nouvelle Phébé, porter vos services tantôt à Rome, tantôt à Cenchrée, je veux dire, tantôt dans une famille, tantôt dans un hospice, tantôt dans une Église, partout où ils seront réclamés, fût-ce en faveur de quelque peuplade païenne, reléguée sous d'autres cieux. Enfin, remplissez si bien votre mission que, l'heure de votre mort venue, chacun se félicite de l'isolement heureux qui vous a permis tant de dévouement, et que dans les tendres regrets qui suivront au tombeau votre dépouille mortelle, on ne puisse pas plus discerner si vous étiez femme ou soeur, tante ou mère, parente ou étrangère, qu'on ne le discerna dans vos sacrifices !

 

Si, au lien de prendre l'unité de mon développement dans la différence des positions naturelles, je l'avais prise dans celle des positions sociales, j'aurais pu vous montrer également la femme trouvant tour à tour dans une condition d'égalité, de supériorité ou d'infériorité, des ressources spéciales pour accomplir la mission de son sexe. Il faut abandonner cette matière à vos méditations personnelles. Cependant, il est une classe de femmes que je ne laisserai pas sortir sans quelques paroles d'encouragement, parce que je crois qu'elle en a besoin, et que j'estime qu'elle y a droit. Fille chrétienne que Dieu a mise à l'humble rang de servante, l'esprit niveleur de ce siècle, qui gâte toutes les conditions inférieures, ne vous a pas tellement gagnée, je l'espère, que vous ne puissiez accepter les épreuves de la vôtre, je dis plus, en apprécier les compensations et les avantages. Mais vous dites peut-être en vous-même : Cette belle mission de la femme, c'est pour tout le monde excepté pour moi ! que peut faire une pauvre servante, qui vit dans la dépendance d'autrui? Écoutez bien ma réponse: vous pouvez accomplir la mission de votre sexe, je ne dis pas malgré cette dépendance, mais à la faveur de cette dépendance même. Bien des femmes ont forcé les choses pour se créer une voie d'obéissance; elles se trompaient: c'était substituer leur sagesse à celle de Dieu. Mais leur erreur tenait à un profond instinct de femme, auquel Dieu a pris soin de donner satisfaction chez vous, en choisissant pour vous la dernière place. Cette place est celle que le Seigneur a préférée, lui qui a pris la forme de serviteur (*42) » et qui « est venu, » j'aime à le répéter, « non pour être servi, mais pour servir (*43). » A-t-elle fait obstacle à son oeuvre ? N'en a-t-elle pas été l'appui, la condition, la vie ? Elle sera tout cela pour la vôtre, croyez-le bien, si vous entrez dans l'esprit du Maître.

 

À peine pourrais-je nommer quelqu'un qui contribue plus à l'ordre, à la prospérité, au bonheur d'une maison, que la servante vraiment chrétienne, surtout aujourd'hui que ce trésor est si rare, hélas ! et si imparfaitement apprécié, quand il se trouve. Cette sainte fille, « obéissant à ses maîtres avec tremblement, dans la simplicité de son coeur, comme à Christ; ne les servant pas seulement sous leurs yeux, mais faisant de bon coeur la volonté de Dieu; » soigneuse de leur complaire, évitant de les contredire; épousant tous leurs intérêts, et fidèle jusqu'au scrupule; s'accommodant à leurs infirmités au dedans, et les couvrant au dehors, bonne et noble fille, du voile de sa charité élevant enfin sa condition à la hauteur de ses sentiments, libre par la foi, esclave par l'amour (*44): quel don de Dieu pour une famille ! Sentez cette faveur vous qui l'avez reçue, sans attendre que Dieu vous en révèle le prix en vous la retirant, et en remplaçant cette pieuse fille par une de ces servantes comme il y en a tant, pleine du monde et d'elle-même, mal à l'aise et comme en prison dans l'intérieur, en complot permanent avec le dehors comme un traître dans une place assiégée, contenue à peine par une surveillance plus fatigante à exercer qu'à subir, aussi soigneuse de sa personne en public que négligée en particulier, semant par la ville les secrets domestiques, curieuse, babillarde, difficile, au reste liée par le seul intérêt, et n'attendant que l'appât du gain pour rompre un joug qui lui pèse.

 

Voilà pour la vie présente - mais pour l'autre ? Ah ! gardez-vous de penser que la mission spirituelle de la femme vous soit interdite. Dans l'humble sphère qui vous a été assignée, vous pouvez faire plus qu'aucune autre pour le service de l'Évangile, pourvu que vous vouliez le servir en femme, doucement, silencieusement, et en vous appliquant avant tout à « orner la doctrine de Dieu votre Sauveur » par une conduite sans reproche. Nous l'avons dit, l'influence monte plus qu'elle ne descend : tel résiste à celle de ses supérieurs, contre laquelle il est en garde, et subit celle de ses subordonnés, qu'il ne s'avoue pas. De là le pouvoir des affranchis dans Rome; de là, dans les Proverbes, le crédit de ce serviteur prudent qui domine sur le fils indigne, et qui a sa part de l'héritage parmi les frères (*45). » L'influence spirituelle suit la même loi; c'est même de toutes les influences celle qui gagne le plus à se cacher, étant celle qui effarouche le plus l'orgueil naturel. Allez, votre part spirituelle est grande, et votre responsabilité l'est en proportion. Je vous le dis, il y a telle retraite où vous seule pouvez pénétrer; il y a telle conversion que Dieu vous réserve, et que nulle autre que vous ne peut accomplir ; il y a tel coeur superbe qui ne s'est rendu ni à une mère, ni à une épouse, ni à une fille, et qui sera contraint de poser les armes devant l'obscure fidélité d'une servante : « des derniers seront des premiers. » Quand Pierre, sorti de prison, frappe à la porte d'une maison où les disciples sont assemblés, il est réservé à Rhode, à la servante, de courir la première au-devant de lui et de publier la nouvelle de sa délivrance. Privilège digne d'envie que d'ouvrir la porte, quand c'est un apôtre qui frappe; plus digne d'envie, quand c'est le Seigneur; et le Seigneur ne craint pas ces portes dérobées, qui ne s'ouvrent pour lui que par vous. Mais les enfants surtout, les enfants, cet espoir de l'avenir, songez-vous à l'empire que Dieu vous a donné sur leur esprit? Au lieu de prendre exemple de leurs parents, les enfants, que de fois ne l'a-t-on pas remarqué, forment plus volontiers leur accent, leur langage, leurs habitudes, sur les domestiques, soit rapports plus fréquents, soit action moins apparente et qui provoque moins la résistance : le coeur de l'homme est ainsi fait. Cet empire, il ne reste qu'à le faire tourner au profit de l'Évangile. Dans le développement spirituel de cet enfant que vous portez dans vos bras, ou que vous conduisez à la promenade, vous le disputez à la mère fidèle - vous l'emportez sur la mère ordinaire.

 

Avec des oeuvres si utiles à faire, seriez-vous jalouses des oeuvres plus grandes réservées à d'autres? Mais, au reste, la grandeur vient de Dieu; et il dépend de lui de changer les petites choses que vous accomplissez en de grandes, même selon le monde. Quand il s'agit de mettre le puissant et glorieux Naaman en rapport avec le prophète, qui doit à la fois le délivrer de sa lèpre et lui révéler le Dieu vivant, Dieu se sert d'une petite fille israélite que les soldats du capitaine syrien avaient faite prisonnière, et qu'il avait donnée pour esclave à sa femme; pauvre enfant, qui ne se doutait guère, lorsqu'elle criait entre les bras de ses farouches ravisseurs, qu'un jour viendrait où elle ferait un si grand bien à la Syrie, et où elle serait citée comme un oracle à la cour du grand roi : « La petite fille du pays d'Israël a dit telle et telle chose (*46). » N'est-ce pas pour votre encouragement que cette circonstance nous a été rapportée? - Savez-vous comment l'Illyrie reçut l'Évangile dans les premiers siècles de l'Église? Par une femme chrétienne, qui y avait été vendue comme esclave (*47) Je dis tout cela non pour vous enfler ou vous être en piège, mais pour vous exciter à une juste reconnaissance, mais pour vous faire apprécier la position que Dieu vous a faite. Oui, mes chères soeurs, conformez-vous simplement à ses vues; pas un mot de plainte et de regret, point d'ambitieux rêves de changement; mais une fidélité pleine de bonheur à votre mission propre, et un coeur qui n'envie rien à personne qu'une charité plus active et une humilité plus profonde !

Femme, enfin, qui que tu sois, et où que tu sois, mets dans ton coeur cette parole : « Je lui ferai une aide semblable à lui, » et songe, sans plus tarder, à justifier la définition que Dieu a donnée de toi.

Femme inutile, qui gémis dans la pensée que tu as jusqu'à ce jour chargé la terre, comme un arbre sans fruit; que tu en pourrais être enlevée sans y laisser plus de vide que ne fait dans l'eau l'épée qu'on y plonge et qu'on en retire ; que tu as vécu jusqu'ici sans savoir d'où tu viens ni où tu vas - le voici dé - couvert, ce vague objet après lequel tu soupirais sans le connaître. Voici pour toi une oeuvre à laquelle tu te consacreras vivante, et dont tu pourras dire en mourant : « J'ai achevé l'oeuvre que tu m'as donnée à faire (*48). » Entre aujourd'hui même, selon ta position, dont les difficultés apparentes sont des ressources réelles, dans la vie à la fois si humble et si glorieuse, si douce et si dévouée, que Dieu te destinait au jour qu'il a dit : « Je lui ferai, un aide semblable à lui, » et que Jésus-Christ t'a rendue, quand « il s'est donné pour nous racheter, et pour faire de nous un peuple qui lui appartienne et qui soit zélé pour les bonnes oeuvres (*49)! »

 

Femme mondaine, qui as consumé tes plus belles années dans des soins innocents, je le veux, mais frivoles et indignes de toi, enivrant et enivrée, détournant au profit de ton orgueil un empire que Dieu t'avait confié pour sa gloire et pour le bien de son peuple - voici, au lieu de cette existence brillante, mais qui brille comme un météore, retentissante, mais qui retentit comme un vaisseau vide, voici une vie glorieuse et pleine, où tu trouveras enfin, en te retrouvant toi-même, ce contentement que tu as, n'est-il pas vrai? demandé vainement au monde. Ote ton coeur à la vanité, pour le donner à la charité ! Crois-moi, laisse-là cette vie factice, qui supplante et abrège la véritable; réserve pour ta maison le travail de tes jours, et le repos de tes nuits; compte pour perdus les jours où tu n'as pas fait quelque bien; jouis enfin du bonheur d'être femme - et tu connaîtras que lorsqu'on a été faite pour être à l'homme « un aide semblable à lui, » il vaut mieux lui être utile que d'en être flattée, et le servir que de le fasciner !

 

Femme isolée, à qui Dieu, « qui ne rend pas compte de tout ce qu'il fait, » a ravi, avec l'époux de ta jeunesse., l'attrait, le but, la vie de ta vie..... mais toi plutôt, veuve d'un vivant, femme délaissée, ,que l'époux de ta jeunesse, après une courte joie donnée et reçue, abreuve d'amertume par sa froideur, si ce n'est par son infidélité, tendre plante qu'on a arrachée de sa terre comme pour la transporter dans une meilleure, mais qu'on a jetée chemin faisant et abandonnée aux feux desséchants du soleil ; toi que le Seigneur a choisi dans sa Parole pour type de la plus ineffable douleur (*50)- prends courage, ta consolation est trouvée. Si la douceur d'être aimée t'a été ravie, ne te laisse pas dépouiller du privilège d'aimer, d'aimer la première, d'aimer la dernière, d'aimer toujours, d'aimer quand même. Suis la trace de Jésus, qui a été méconnu comme tu l'es, jamais froid et injuste comme on l'est avec toi. Sois encore, pour celui qui t'offense, « l'aide, semblable à lui. » Bois sans murmure la coupe que sa main cruelle te tend chaque jour. N'oppose à son ingratitude qu'un redoublement de soumission, de dévouement, de sacrifices. Tais-toi, humilie-toi.... Va, ce coeur que tu cherches te sera rendu, vaincu par ton amour ! Mais, dût-il persister jusqu'à la fin dans son injustice, dût-il - ô souvenir d'horreur ! - achever son oeuvre meurtrière en levant un jour sur toi une main menaçante - succombe en bénissant encore - accomplis jusqu'au bout ta mission de femme - compte sur le Dieu que tu aimes, et qui t'aime, pour te faire partager sa gloire avec sa croix!

 

Et toi, que j'hésite à nommer, mais que la charité ne me permet pas de laisser sans réponse, car j'entends ton coeur qui m'interroge, femme tombée..... que nul « ne fasse de la peine à cette femme'(*51): » une pécheresse qui se repent, si ce spectacle n'est pas digne de vous, sachez qu'il est digne des anges! Pour moi, si je pouvais mépriser ses larmes et dédaigner son repentir, je ne me croirais pas disciple de celui qui dit à la pécheresse pénitente : « Ta foi t'a sauvée, va-t-en en paix. » Ma soeur, ma pauvre soeur, oui, ceci est aussi pour toi; ne te crois pas seule exclue de cet appel, garde-toi de désespérer de toi-même. Ton coeur brûle-t-il au dedans de toi d'accomplir ta mission de femme, de redevenir pour l'homme ce que Dieu t'a faite, « un aide semblable à lui ? » Tu le peux, oui, tu le peux : nul ne le peut plus que toi., si nul n'a plus soif de grâce. Sais-tu que plusieurs de ces saintes femmes qui brillent au premier rang parmi les exemples de l'humanité sur la terre, et parmi les rachetés du Seigneur dans le ciel, une Rahab, une Marie-Magdeleine, une pécheresse pénitente (*52), ont commencé comme toi? eh bien ! finis comme elles ! Humble entre les humbles, charitable entre les charitables, ne te souviens du passé qu'au profit de l'avenir ! Ne permets à qui que ce soit de rappeler un temps qui n'est plus, que pour admirer dans ton changement et les compassions divines et la vocation de la femme ! Et sur ta tête coupable. mais toute couverte à mes yeux du sang de Jésus-Christ, que la bénédiction du Père, du Fils et du Saint-Esprit descende avec la mienne !

 

Mais nous, mes frères, témoins de ce nouveau baptême de la femme, n'en aurons-nous recueilli qu'un vain spectacle? Il s'agit ici de nos intérêts, de nos intérêts les plus chers; mais il s'agit aussi de notre conscience. Si la femme doit à l'homme le secours de « l'aide semblable à lui, » l'homme ne doit-il rien à la femme? Si la femme a son influence sur nous, n'avons-nous pas notre influence sur elle ? Cette tâche de reconnaissance et de réciprocité, comment y avons-nous été fidèles? Je disais, dans mon premier discours, que le péché nous est venu de la femme: hélas ! nous le lui avons rendu, rendu avec usure. Quand la femme a méconnu sa mission, qui la lui a fait oublier? Quand la femme a été idolâtrée,, qui l'avait mise sur un honteux piédestal ? Quand la femme a été dégradée, dans le paganisme, dans la polygamie, dans le dérèglement qui l'avait abaissée? Enfin, si l'on vous donnait cette question à résoudre : Lequel des deux a fait le plus de mal à l'autre, la femme à l'homme ou l'homme à la femme, quelle serait votre réponse? Question triste autant que difficile, à la place de laquelle je vous en propose aujourd'hui une contraire - Qui des deux veut faire désormais à l'autre le plus de bien ? La voyez-vous qui, recueillie devant Dieu, cherche comment elle pourra être désormais pour nous un aide semblable à nous? Méditons, en sa faveur, un problème semblable, aux pieds du même Sauveur ! Aussi bien, les principes sont identiques, les applications seules varient. Humilité, charité, si nous les abandonnons à la femme, eh ! que nous restera-t-il à nous-mêmes? Humilité, charité, Jésus-Christ homme a-t-il donc été autre chose? Saintement jaloux l'un de l'autre, que l'humilité et la charité de la femme secondent l'homme, que l'humilité et la charité de l'homme secondent la femme, en attendant que sous un ciel plus pur et sur une terre régénérée, l'humilité et la charité des élus de Dieu, en qui toutes les différences d'ici-bas seront effacées, glorifient aux siècles des siècles ce Dieu Sauveur, doublement notre Père, qui nous créa dans un jour d'amour et qui nous sauva dans un jour de grâce !

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-23. 1 Tim. V. 6. -24. Ps. CXXVII. 3 -25. Ps. CXXVII, 3. -26. Gen. IV, 1.

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-27. Jean XVI, 21 ; version littérale. -28. Luc I, 66.

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-29. « Celui-là qui est le maître de l'éducation petit changer la face du monde. » (LEIBNITZ).

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-30. MICHELET. Du prêtre de la femme, de la famille, IIIe partie, chapitre 3. Ce chapitre renferme des considérations fort intéressantes sur l'influence de la mère.

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-31. Voici en quels termes M. DEPOISIER, dans un ouvrage remarquable sur l'Instruction publique dans tes États Sardes, indique l'idéal que l'éducateur de la jeunesse doit se proposer : « L'enfant, dit-il, est fait pour agir d'après les principes de son propre coeur, pour distinguer de lui-même entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, pour se former à la lutte, pour être en quelque sorte artisan de son propre caractère, arbitre de ses destinées futures. Le grand but de l'instruction n'est donc pas de marquer les élèves de l'empreinte du professeur, mais d'éveiller ce qui est en eux; pas de leur apprendre à voir avec ses yeux, mais de leur enseigner à exercer les leurs; pas de leur donner une certaine dose de savoir, mais de leur inspirer un certain amour universel et plein de ferveur pour la vérité pas de les former à une régularité extérieure, trop gênante, mais de toucher les ressorts intimes et cachés; pas de surcharger la mémoire, mais d'aviver et de fortifier la pensée ; pas de les lier par des préjugés enracinés à nos idées particulières, mais de les préparer à juger avec impartialité et conscience de tout ce que la Providence peut envoyer dans leur voie et soumettre à leur décision; pas de leur exposer nos préceptes sous la forme de lois arbitraires, qui n'ont d'autres fondements que notre parole et notre volonté, mais de développer la conscience, l'intelligence, le discernement moral, afin qu'ils sachent discerner et choisir ce qui, dans tout ce qu'on leur présente, est juste et bien. En un mot, le grand but de tout enseignement, c'est d'évoquer et de fortifier à la fois dans l'enfant la vie intellectuelle et morale, parce que c'est la vie qu'il faut chercher dans tout être qui a été créé à l'image de Dieu. « (Semeur 1846, p. 196.)

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-32. Prov. XXII. 6.

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-33. Ex. 11, 1-10; Hébr. XI, 21; Ps. LXXXVI, 16; CXVI, 16; Actes XVI, 1; 2 Tim. 1, 5.

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-34. 2 Chron. XXIII, 3, etc.

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-35. NEANDER, Mémoires pour servir à l'histoire du christianisme p. 247 et suiv.

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-36. Selon quelques commentateurs, Lémuel serait un autre nom pour Salomon dans le dernier chapitre des Proverbes. S'il en était ainsi, Bathsébah serait un touchant exemple à citer ici, puisque ce chapitre serait de sa main.

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-37. Tit. II, 3 . -38. 1 Tim. V, 5, 6. -39. 1 Cor. VII, 34-38.

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-40. Éph. II, 10. -41. Prov. XX, 13.

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-42. Littéralement, d'esclave : Phil. II, 7. -43. Matth. XX, 28.

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-44. Éph. VI, 5; Tit. II, 9, 10: 1 Pierre II. 18; 2 Tim. VI, 1, 2.

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-45. Prov. XVII, 2. -46. 2 Rois V, 1-4.

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-47. NEANDER, Mémoires pour servir à l'histoire du christianisme, P. 407.

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-48. Jean XVII, 4. -49. 1 Tite II, 14. -50..És. LIV, 6, etc.

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-51. Matth. XXVI, 10. -52. Hébr. XI, 31; Luc, VIII, 2; VII, 37.


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