LA FEMME

PREMIER DISCOURS

LA MISSION DE LA FEMME

1848

 

SERMONS

par

ADOLPHE MONOD

 

TROISIEME ÉDITION

TROISIEME SÉRIE

 

G. FISCHBACHER, ÉDITEUR 33, RUE DE SEINE, 33

1881

1999

 


« Et l''Éternel Dieu dit : Il n'est pas bon que l'homme soit seul; je lui ferai un aide semblable à lui. » (GENESE, 11, 18.)

 

Mes chères soeurs,

 

Si je m'adresse à vous aujourd'hui, le reste de cet auditoire, accoutumé à voir figurer son nom en tête de nos discours, n'a pas lieu d'en être jaloux. C'est parler pour l'homme, que de parler à la femme et de s'appliquer à sanctifier son influence. Oui, son influence. En lui refusant l'autorité, qui va du fort au faible subie par la nécessité des choses, le Créateur lui a départi l'influence qui va le plus souvent du faible au fort, librement acceptée, mais acceptée à la condition de ne paraître point (**1). Je n'hésite pas à le dire : la plus grande influence qui existe sur la terre, tant pour le bien que pour le mal, est cachée dans la main de la femme. L'histoire le dit avec moi, quoique l'historien ne le dise pas toujours, soit qu'il méconnaisse ce ressort secret, soit qu'il le taise, pour ménager l'amour-propre ou d'un sexe ou de l'autre. Qu'on étudie les siècles passés : rien ne distingue plus réellement l'état sauvage de la civilisation, l'Orient de l'Occident, le paganisme du christianisme, l'antiquité du moyen âge , le moyen âge des temps modernes, que la condition de la femme. Qui ne sait, par exemple, ce que. pèse dans les moeurs des peuples et dans leurs destinées le seul mot de polygamie ou de monogamie ? Qu'on observe ce qui se passe autour de nous : on trouvera partout la femme dans le monde, telle que le poète peint Agrippine dans le sénat, « derrière un voile, invisible et présente. » Comme c'est par une femme que Satan a pénétré dans la race innocente, on verra communément remonter à la femme les calamités et les crimes qui désolent l'humanité : les haines, les vengeances, les procès, les suicides, les duels, les meurtres, les guerres; et comme c'est par une femme que le Sauveur est entré dans la race déchue, on verra remonter également à la femme les pensées et les oeuvres qui relèvent l'humanité et la consolent : les tendres dévouements , les généreux sacrifices, les saintes inspirations, les institutions pieuses, les fondations charitables. N'est-ce pas pour cela que l'art et la poésie ont, à toutes les époques, personnifié les puissances morales par des femmes, et que le Saint-Esprit lui-même, dans les Proverbes, a peint sous les traits de deux femmes les deux tendances contraires qui se partagent le monde (*2)? Imprimer à cette influence terrible de la femme une direction salutaire, en étudiant avec elle la mission qu'elle a reçue de Dieu, ce sera donc servir les plus grands intérêts du genre humain.

 

Par votre mission, femmes qui m'écoutez, j'entends ici la mission distinctive de votre sexe. Il en a une générale qu'il partage avec le nôtre : glorifier, en le représentant sur la terre, ce Dieu qui nous a tous faits à son image, et qui, voyant cette image effacée par le péché, l'a renouvelée en son Fils. A ce point de vue, comme « il n'y a ni Grec ni Juif, ni libre ni esclave, » il n'y a aussi « ni homme, ni femme ; car nous sommes tous un en Jésus-Christ. » Mais dans cette mission commune, qui doit être le premier objet de votre ambition ainsi que de la nôtre, il y a pour vous une mission spéciale, adaptée à votre constitution propre. Cette mission, ne comptez pas sur le monde pour vous en éclaircir : il ne l'a jamais connue; il ne pouvait la comprendre, parce qu'il a constamment réduit la question qui vous concerne aux proportions mesquines de son égoïsme ou de votre vanité. Reste que nous nous en rapportions à la Parole de Dieu ; à cette Parole qui, toute préoccupée qu'elle se montre de la « seule chose nécessaire, » résout encore en passant toutes les grandes questions humaines, et qui, joignant l'exemple au précepte, juge sainement de toutes choses, parce qu'elle en juge spirituellement (*3). »

 

Je l'ouvre aux premières pages de ce premier livre si bien appelé du nom de Genèse, puisqu'il révèle le secret de toutes les existences en les surprenant à leur origine, et nous jette, comme en se jouant, la plus haute philosophie, dans les faits primitifs, racontés avec une naïveté primitive. Là, aussitôt après ce petit mot, où Dieu résume la mission générale de l'humanité : « Faisons l'homme à notre image, » nous en découvrons un autre, où il résume également la mission spéciale de la femme avant de la former à son tour: « Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; « je lui ferai un aide semblable à lui. » Ceci s'applique à toute femme, non à la femme mariée seulement. Car Eve n'est pas seulement la femme du premier homme, elle est encore la première femme; et, solidaire de tout son sexe ainsi qu'Adam l'est du nôtre, elle en offre dans sa personne le type et une sorte de miniature. Partons de cette pensée qui a présidé à votre naissance; prenons pour guides, en la développant, les organes inspirés de l'une et de l'autre économie; nous ne risquerons pas de nous égarer dans un chemin où Dieu lui-même marche devant nous. Aussi bien, votre coeur achèvera la démonstration, et vous obligera (le dire, en entendant ce que réclame de vous la parole de Dieu : Oui, c'est bien là ce que je dois être; c'est bien là ce que je dois faire.

 

« Il n'est pas bon que l'homme soit seul. » Comblé des dons de Dieu, il lui manque pourtant quelque chose, qu'il ignore lui-même ou qu'il ne connaît que par un vague pressentiment : « un aide semblable à lui, » sans qui la terre n'est pour lui qu'une solitude, Éden qu'un désert. Doué d'une nature trop communicative pour se suffire, il réclame une société, un appui, un complément, et ne vit qu'à demi tant qu'il vit seul. Fait pour penser, pour parler, pour aimer, sa pensée cherche une autre pensée pour l'aiguiser et la révéler à elle-même; sa parole se perd tristement dans les airs, ou ne réveille qu'un écho qui la mutile au lieu de lui répondre; son amour ne sait où se prendre, et, retombant sur soi, menace de se tourner en un désolant égoïsme; tout son être enfin aspire à un autre lui-même, - mais cet autre lui-même n'existe pas : « il ne se trouvait point pour Adam d'aide semblable à lui. » Les créatures visibles qui l'entourent sont trop au-dessous de lui, l'être invisible qui lui donna la vie est trop au-dessus, pour unir leur condition à la sienne. Alors, Dieu forme la femme, et le grand problème est résolu. Le voilà, tel que le demandait Adam, cet autre lui-même qui est lui, et qui pourtant n'est pas lui. La femme est une compagne que Dieu a donnée à l'homme, pour charmer son existence et pour la doubler en la partageant. Sa vocation de naissance est une vocation de charité.

 

À cette vocation se rapporte la place que Dieu assigne à la femme. Ce n'est pas une place inférieure : la femme n'est pas seulement un aide pour l'homme, elle est un aide « semblable à lui ; » elle devait donc marcher son égale, et ce n'était qu'à cette condition qu'elle pouvait lui apporter le secours dont il avait besoin. Mais c'est pourtant une place secondaire et dépendante : car la femme a été formée après l'homme, faite pour l'homme, enfin tirée de l'homme. Ce dernier trait dit tout à lui seul. Tirée de lui, elle est « os de ses os et chair de sa « chair, » et si étroitement unie à lui qu'il ne pourrait la rabaisser sans se rabaisser lui-même; mais, en même temps, tirée de lui, elle lui doit le jour qu'elle respire et le nom qu'elle porte : de quel droit, je devrais dire de quel coeur, lui disputerait-elle le premier rang ? Sa position de naissance est une position d'humilité.

 

Une vocation de charité à l'égard de l'homme, dans une position d'humilité auprès de l'homme : voilà la mission de la femme. Au reste, cette vocation et cette position, déclarées par les mêmes faits, tenant au même principe, sont si inséparables dans la formation de la femme, qu'on peut les rassembler dans l'idée commune du renoncement, portant tour à tour sur la volonté propre et sur la gloire propre.

 

Ce commentaire de Moïse, je l'ai appris de saint Paul, rappelant aux Corinthiens la condition de la femme, pour justifier la défense qu ' il lui fait de prier ou de prophétiser sans avoir la tête couverte (*4). Son sujet ne l'appelait pas à s'étendre sur la vocation de charité de la femme : il se borne à l'indiquer en disant que « la femme a été créée pour l'homme. » Mais écoutez en quels termes il s'explique sur sa position d'humilité : « Je veux que vous sachiez que la tête de tout homme, c'est Christ; et la tête de la femme, c'est l'homme; et la tête de Christ, c'est Dieu... L'homme est l'image et la gloire de Dieu, mais la femme est la gloire de l'homme... car aussi l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme. » N'est-ce pas la doctrine que je trouvais tantôt dans la Genèse? Mais cette doctrine, l'Apôtre l'énonce avec une rigueur qui serait déplacée dans une autre bouche; et à l'idée générale de dépendance où je me suis arrêté, il substitue la notion plus précise de subordination. Il conclut de là que la femme doit, « à cause des anges, » qui contemplent ce qui se passe sur la terre, et en particulier dans l'Église (*5) « porter sur la tête une marque de l'autorité » sous laquelle elle est placée. L'homme, dont la naissance fait partie de ce grand ouvrage de la création qui inspire aux anges des chants de joie (*6), étant l'image et la gloire de Dieu, doit à Dieu de se montrer la tête levée aux regards de tout l'univers. Mais la femme, dont la formation est un événement de second plan et pour ainsi dire de famille, étant la gloire de l'homme, doit à l'homme de se tenir cachée dans l'enceinte comparativement étroite de notre globe, comme une épouse modeste dans son intérieur (*7). L'intention de l'Apôtre est d'autant plus marquée que les instructions qu'il donne ici sont destinées à des femmes exceptionnelles : car ce n'est que par exception qu'une femme pouvait être appelée à prier ou à prophétiser devant des hommes. L'ordre que Dieu a établi pour une certaine fin, il est toujours libre de le modifier pour la mieux servir. On le voit quelquefois, dans l'intérêt de l'homme, pousser une femme hors de la voie qu'il a prescrite à la femme, soit pour prophétiser comme les femmes de Corinthe, comme les quatre filles du diacre Philippe ou comme la mère du roi Lémuel (*8), soit comme Débora, pour juger un peuple, ou même pour présider à une expédition militaire: (*9). Alors, la femme ne peut qu'obéir, et elle sera bénie dans son obéissance : « Bénie soit Jahel par-dessus toutes les femmes ! bénie par-dessus les femmes qui se tiennent dans les tentes (*10) ! » Mais alors même, à part ce qui est essentiel au ministère extraordinaire dont elle est revêtue, la femme doit demeurer femme, selon saint Paul, et, tout inspirée qu'elle est pour avertir l'homme, se rappeler qu'elle est la gloire de l'homme et se soustraire aux regards du monde.

 

Tel étant l'ordre de la création, reste à savoir si la mission primitive de la femme a été changée par la chute de notre race, qui a troublé si profondément l'oeuvre de Dieu.

 

Satan commence par séduire la femme (**11), après quoi il se sert d'elle pour séduire l'homme; marche doublement habile, par laquelle il réussit plus sûrement auprès de la femme, parce qu'elle est plus faible que l'homme, et auprès de l'homme, parce que la femme a plus d'empire sur lui qu'il n'en a sur elle. Mais ce doux empire lui avait-il été prêté pour dominer sur la conscience de l'homme, pour lui être en piège au lieu de lui être en aide, et pour lui rendre, en échange de cette vie qu'elle tira de lui, le péché et la mort ? Dieu la punit, de sa charité abandonnée, par cette suprême douleur sans laquelle elle ne pourra désormais continuer la race de l'homme, et de son humilité méconnue, en abaissant d'un degré sa condition. « Tes désirs se rapporteront à ton mari, et il dominera sur toi (*12). » La femme est réduite à s'attendre à son mari pour tout ce qu'elle désire : voilà sa dépendance accrue ; et à vivre sous sa domination : voilà sa dépendance convertie en soumission (*13). Ne pensez pas toutefois qu'elle cesse pour cela d'être à l'homme « un aide semblable à lui. » Hélas ! et quand ce tendre secours lui fut-il plus nécessaire ? Telle est même la miséricorde de Dieu que le moment où il humilie la femme, est aussi celui où il lui confère un ministère plus grand et plus salutaire que jamais. Comme pour la relever et pour rétablir entre les deux sexes l'équilibre rompu, c'est par une vierge qu'il donnera un jour à l'homme ce réparateur désiré qui doit détruire les oeuvres du Diable (*14); et le premier nom sous lequel il annonce son Fils au monde est celui de semence de la femme: « Je mettrai inimitié entre toi et la femme, et entre ta semence et la semence de la femme; cette semence te brisera la tête, et tu lui briseras le talon (*15). » Ainsi les rapports ne sont pas essentiellement altérés par la chute: la vocation de la femme est encore celle de la charité, et sa position, celle de l'humilité. Seulement, tout a pris un caractère plus sérieux: la charité est devenue plus spirituelle, dans une humilité plus profonde. Honteuse d'elle-même et jalouse de se réhabiliter, la femme ne vivra plus que pour réparer le mal qu'elle a fait à l'homme, en lui prodiguant, avec les consolations qui peuvent adoucir l'amertume présente, du péché, les avertissements qui peuvent en prévenir l'amertume éternelle.

 

Autre commentaire emprunté à saint Paul : « Je veux que les femmes, dans une tenue bienséante, avec pudeur et modestie, se parent, non de tresses, ou d'or, ou de perles, ou de vêtements somptueux, mais de bonnes oeuvres, ainsi qu'il convient à des femmes qui font profession de servir Dieu. Que la femme apprenne dans le silence, en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d'enseigner, ni de prendre autorité sur l'homme; mais il faut qu'elle soit dans le silence. Car Adam fut formé le premier, puis Eve; et ce n'est pas Adam qui fut séduit: mais la femme, ayant été séduite, fut en transgression. Toutefois, elle sera sauvée par l'enfantement, pourvu qu'elles demeurent dans la foi, la charité et la sanctification, avec modestie (*16). » La femme, dit ici l'Apôtre, a été la seconde à naître, et la première à pécher : double raison pour qu'elle se tienne dans la modestie, dans le silence, dans la soumission. Voilà, en termes non équivoques, la place d'humilité que nous marquions tantôt à la femme. Mais l'Apôtre veut qu'elle en fasse une place d'honneur, par la bienfaisance chrétienne. Il y a une parure pudique qui lui sied à merveille, celle des bonnes oeuvres; les bonnes oeuvres, voilà les tresses, les bijoux, les pierreries, la toilette, qui lui donnent bonne grâce aux yeux de Dieu et à ceux des hommes. Ce n'est pas tout. La femme produira le salut pour l'homme, tout en le recueillant pour elle-même, « par l'enfantement » de la postérité qui lui fut promise. Ce salut, une femme le donnera au monde, dans la consommation des temps, en mettant au jour le Sauveur; mais la femme, quelle qu'elle soit, le lui donnera à sa manière, en lui apprenant à connaître ce Sauveur et à l'aimer. Voilà bien encore cette vocation de charité que nous avons prêtée à la femme, et qui lui impose l'obligation, disons plutôt qui lui confère le privilège, de se consacrer, avec une tendresse redoublée, non seulement à la consolation de l'homme souffrant, mais encore au salut de l'homme pécheur, dont elle tournera les regards vers Jésus-Christ.

La femme est donc, selon l'Écriture, c'est-à-dire selon Dieu, depuis la création et plus spécialement depuis la chute, une compagne donnée à l'homme pour travailler à son bien, et surtout à son bien spirituel, dans une attitude modeste et soumise.

Ainsi nous instruit l'Écriture; la nature nous donne les mêmes leçons. La tâche réservée de Dieu à l'une et à l'autre moitié de notre espèce, se découvre dans leurs dispositions, se révèle dans leurs instincts. Eh bien ! consultez-vous vous-mêmes, et dites pourquoi vous êtes nées, si ce n'est pas pour la mission que nous venons de vous reconnaître par la Parole de Dieu.

 

Votre place, avons-nous dit, est une place de dépendance et d'humilité. Sur ce point, saint Paul n'hésite pas à faire appel au sentiment inné de ses lecteurs, lorsque après avoir interdit à la femme de se découvrir en priant ou en prophétisant, il ajoute : « Jugez-en vous-mêmes. Est-il séant qu'une femme prie Dieu sans avoir la tête couverte ? La nature elle-même ne nous enseigne-t-elle pas que si l'homme porte de longs cheveux, ce lui est un déshonneur, mais que si la femme porte de longs cheveux, ce lui est un honneur, parce que la chevelure lui a été donnée pour voile ? » Ces principes paraissent si incontestables à l'Apôtre qu'ils ne sauraient être niés que par un indigne esprit de chicane, qui ne mérite pas de le retenir: « Que si quelqu'un aime à disputer, nous n'avons pas une telle coutume, ni aussi les Églises de Dieu. » Evidemment, la chevelure nourrie ou retranchée sert ici à caractériser une différence générale et profonde entre l'homme et la femme. Que « l'homme sorte de sa demeure et se rende à son travail jusqu'au soir (*17); » qu'il choisisse l'activité extérieure pour sa tâche, la vie publique pour son domaine et le monde pour son théâtre; que dis-je ? qu'il se donne en spectacle aux anges, et se mette en rapport avec l'univers entier: il ne saurait porter trop loin le nom et l'image de ce Dieu qu'il a mission de représenter, non seulement sur la terre, mais devant toute la création. Résister au sentiment qui l'appelle au dehors pour se renfermer dans l'étroite enceinte du foyer domestique, ce serait de sa part mollesse, oubli de lui-même , infidélité à sa vocation; il ne resterait plus qu'à mettre un fuseau dans ses mains et une quenouille à ses pieds. Mais il en est tout autrement de la femme: ce foyer, c'est son théâtre à elle ; cette vie domestique, c'est son domaine ; cette activité intérieure, c'est sa tâche; et ces longs cheveux dont l'Apôtre se plaît à la voir enveloppée sont l'emblème de toute une existence cachée et silencieuse, au sein de laquelle s'accomplissent le plus fidèlement, le plus honorablement, les premières obligations de son sexe. « La femme, a dit un grand écrivain de l'époque, est une fleur qui ne donne son parfum qu'à l'ombre (*18). » Se dérober, se tenir tranquille, se réserver aux siens, garder la maison, gouverner son ménage, voilà sa modeste ambition (*19). Si le Sage nous peint une femme « bruyante, remuante, paraissant dans les rues, et dont les pieds ne savent demeurer au logis, » vous vous rappelez à quelle femme cela s'applique (*20).

 

Aussi bien, l'humble sphère que nous assignons à la femme, n'est-ce pas celle pour laquelle tout son être est prédisposé et comme taillé d'avance? Cette conformation plus déliée, mais plus frêle, ce battement plus rapide de son coeur, cette sensibilité plus vive de ses nerfs, cette délicatesse de ses organes, et jusqu'à cette finesse de ses traits, tout fait d'elle, selon l'expression de saint Pierre, « un vaisseau plus fragile (*21), » et la rend constitutionnellement impropre aux soins permanents et inflexibles, aux affaires de l'Etat, aux veilles du cabinet, à tout ce qui donne du renom dans le monde,,

 

Les facultés de son intelligence ne l'en tiennent-elles pas également écartée ? On a demandé quelquefois si elles sont égales à celles de l'homme: elles ne sont ni égales ni inégales, elles sont autres, ayant été sagement adaptées à une autre fin. Pour l'oeuvre marquée à l'homme, la femme a des facultés inférieures à celles de l'homme, ou plutôt elle n'y convient pas. Je parle ici de la règle, non des exceptions. Qu'il puisse y avoir parmi les femmes certains esprits propres aux soins réservés en principe à un autre sexe, ou qu'il puisse y avoir pour une femme ordinaire certaines situations qui l'obligent à remplir la tâche de l'homme, l'homme y faisant défaut, je l'accorde sans peine, pourvu que ces exceptions soient clairement indiquées de Dieu, ou commandées par l'intérêt de l'humanité. Après tout, dans la mission de la femme, l'humilité n'est que le moyen, la charité est le but, auquel il faut tout subordonner ; et pourquoi Dieu, qui a fait des exceptions de cette nature dans l'histoire sacrée, n'en ferait-il pas également dans l'histoire générale ? Quoi qu'il en soit, j'abandonne les exceptions à Dieu et à la conscience individuelle; et jaloux de ne point porter dans cette chaire de questions irritantes, personnelles ou seulement douteuses, je ne m'occupe ici que de la règle. Or, dans la règle, ce coup d'oeil étendu de la politique et de la science qui embrasse le monde, ce vol hardi de la métaphysique et de la haute poésie qui en franchit les limites pour s'aventurer dans le vide de la pensée et de l'imagination. ce n'est pas l'affaire de la femme (*22). Le langage même, surtout le nôtre, en fait foi, (ne sacrifions pas cette remarque utile à la crainte de provoquer un léger sourire), le langage, cette simple philosophie du peuple, souvent plus profonde que celle de l'école, ce tamis de la raison commune, qui, de tant de locutions hasardées par l'esprit individuel, ne laisse passer que celles qui répondent au bon sens de tous. Il ne permet pas à la femme de faire parler d'elle. Il ne lui applique le mot homme accompagné d'une terminaison féminine, que comme expression de ridicule ou de blâme. Les épithètes prises de la vie publique honorent l'homme, mais flétrissent la femme à des degrés divers. Pour n'en citer que des exemples que la délicatesse de cette chaire autorise, essayez de dire : une femme savante, une grande femme, une femme d'affaires, une femme d'État,autant parler d'un homme de ménage!

 

Mais, au contraire, lorsqu'il s'agit de ce cercle resserré - resserré pour l'étendue, mais vaste pour l'influence - où nous exhortons la femme, avec l'Écriture, à borner son action, elle a des facultés supérieures à celles de l'homme, ou plutôt elle y convient seule. C'est là qu'elle prend sa revanche, qu'elle se montre maîtresse du terrain, et qu'elle déploie ces ressources secrètes que j'appellerais admirables, si ce n'était un sentiment plus tendre qu'elles m'inspirent et pour elle et pour Dieu qui l'en a douée : ce coup d'oeil pratique, qu'on dirait d'autant plus sûr qu'il est plus rapide; cette vue qui semble avoir voulu être plus courte pour être plus nette; cet art de pénétrer dans les coeurs, par je ne sais quels chemins subtils qui nous sont inconnus ou impraticables ; cette toute-présence d'esprit et de corps sur tous les points et dans tous les temps; cette vigilance exacte autant qu'inaperçue, ces ressorts nombreux et compliqués de l'administration domestique toujours sous la main ; cet accès toujours ouvert à tous les appels, et cette audience perpétuelle donnée à tout le monde ; cette liberté d'action et de pensée au sein des peines amères et des embarras accumulés; cette élasticité, dirai-je? ou cette faiblesse infatigable; cette exquise délicatesse dans les sentiments; ce tact si exercé, s'il n'était instinctif; cette fidélité de perfection dans les petites choses; cette adroite industrie à faire ce qu'elle veut de ses doigts (*23) ; cette bonne grâce à remuer un malade, à relever un esprit abattu, à réveiller une conscience endormie, à rouvrir un coeur longtemps fermé -, et tout ce qui fait enfin qu'il y a tant de choses que nous ne savons discerner ou accomplir sans emprunter ses mains ou ses yeux.

 

Au reste, à quoi bon tous ces développements, quand nous en pouvons appeler à un sentiment intime, planté par le Créateur dans le fond de votre âme, et qui a précédé toutes les réflexions personnelles, tous les avertissements d'autrui, et les témoignages mêmes du livre de Dieu? Cette pudeur, cette modestie, à laquelle une femme ne cesse jamais de prétendre, même alors qu'elle a cessé de la garder, qu'est-ce autre chose que la preuve écrite dans votre coeur, d'où elle passe si irrésistiblement sur votre visage, que, l'ordre, le repos, l'honneur est pour vous dans une attitude dépendante et réservée ? Dépendance et réserve, dont les droits ne se montrent jamais plus inaliénables que dans certaines occasions délicates, où la nature semble se faire un jeu cruel de les essayer l'une contre l'autre, sans parvenir à vaincre l'une par l'autre. Quelle femme, dans le sentiment de cette dépendance, n'a souhaité, une fois du moins, le bras d'un homme pour appui, et pour abri le nom d'un homme ? Mais quelle femme alors, dans le sentiment de cette réserve, n'a tenu son secret renfermé en elle-même, attendant qu'on la vienne chercher, dût-elle attendre jusqu'à sa mort, hâtée peut-être par le feu intérieur dont elle aime mieux être consumée que de le laisser éclater au dehors'? Cet ordre invariable du mariage qui cède l'initiative à l'homme et ne vous en permet pas même l'apparence, ce n'est pas un raffinement de la civilisation, ce n'est pas même une délicatesse de l'Évangile, c'est une loi imposée, par la femme, à tous les temps, sans en excepter les plus barbares, à tous les peuples, sans en excepter les plus sauvages... J'exagère. Il me revient un vague souvenir d'avoir lu, dans je ne sais quelle relation d'un lointain voyage, qu'une peuplade a été découverte où c'est la femme qui fait les premiers pas. Seulement, c'est dans un pays où la femme est descendue au rang de la brute, et où les hommes se mangent entre eux...

 

Si la nature est d'accord avec la révélation pour la place qui convient à votre sexe, l'humilité, elle ne l'est pas moins pour la tâche qui lui est échue, la charité. Ici encore, ici surtout, ce qui est écrit dans le livre est confirmé par ce qui est écrit dans le coeur de la femme. Car, quel est votre penchant naturel, si ce n'est d'aimer ? Je n'ai garde d'oublier, en parlant de la sorte, que votre sexe n'est pas plus exempt que le nôtre de cet égoïsme qui règne sur l'humanité déchue. Mais faites effort pour vous recueillir et vous retirer jusqu'au fond de votre être; pénétrez, au travers des ravages que le péché y a faits, jusqu'à ce terrain primitif, passez-moi l'expression, qui est sorti des mains de Dieu, et dites si l'amour n'en est pas l'essence et la base. « Plus superficielle que l'homme dans tout le reste, a dit un penseur chrétien, la femme est plus profonde dans l'amour. » On connaît ce mot touchant d'une femme : « L'amour n'est qu'un épisode dans la vie de l'homme, c'est l'histoire tout entière de la vie de la femme (*24); » elle aurait pu dire plus encore : c'est sa vie même. Votre seule naissance, telle qu'elle est rapportée par Moïse, suffirait pour le donner à comprendre. Celle de l'homme, formé de la poussière morte de la terre, a quelque chose de plus surnaturel, de plus saisissant, de plus magnifique; celle de la femme, tirée de la chair palpitante de l'homme endormi, a quelque chose de plus vivant, de plus intime, de plus tendre.

 

Mais, lorsqu'il s'agit d'amour, c'est moins encore le degré qui importe que le caractère. L'amour est le fond de votre être, mais quel amour? Pensez-y, et vous trouverez que c'est celui qui prédispose le mieux à la vocation de bienfaisance que vous assigne l'Écriture. Il y a deux amours : l'amour qui reçoit et l'amour qui donne; le premier, qui se félicite du sentiment qu'il inspire et des sacrifices qu'il obtient, le second, qui se complaît dans le sentiment qu'il éprouve et dans les sacrifices qu'il accomplit. Ces deux amours ne vivent guère séparés, et la femme les connaît tous les deux; mais présumé-je trop de son coeur en pensant que chez elle le second prédomine, et que sa devise, empruntée à l'amour gratuit dont le Seigneur nous a donné l'exemple, est celle-ci : « Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir (*25)? » Être aimées, je le sais bien, mes soeurs, c'est la joie de votre coeur, hélas ! une joie peut-être refusée; mais aimer, mais vous dévouer par amour, c'est le besoin de votre âme, c'est la loi même de votre existence, et une loi à laquelle nul ne saurait jamais vous empêcher d'obéir. L'homme aussi sait aimer, et doit aimer; c'est dans l'amour que saint Paul résume toutes les obligations que lui impose la vie conjugale : « Maris, aimez vos femmes, » comme il résume celles de la femme dans la soumission : « Femmes, soyez soumises à vos maris. » Mais ce qui nous occupe, ce n'est pas la faculté ou l'obligation, c'est le penchant. Or l'amour, il faut le reconnaître, est moins spontané, moins désintéressé chez l'homme que chez la femme. Moins spontané : l'homme a souvent besoin de se vaincre pour aimer; la femme n'a guère besoin que d'écouter et de suivre son attrait intérieur. C'est pour cela peut-être que l'Écriture, qui commande plusieurs fois l'amour au mari, s'abstient de le commander à la femme, comme si elle comptait sur la nature pour y suppléer. Mais surtout plus désintéressé : l'homme aime la femme plus pour lui que pour elle; la femme aime l'homme moins pour elle que pour lui. L'homme, parce qu'il ne peut se suffire, aime celle qui lui a été donnée de Dieu; la femme, parce qu'elle se sent nécessaire, aime celui à qui Dieu l'a donnée. Si la solitude pèse à l'homme, c'est parce qu'il trouve la vie sans charme, séparé de l'aide semblable à lui; si la femme redoute d'être seule, c'est parce qu'elle trouve la vie sans but, quand elle n'a pas à qui venir en aide. Nous pouvons dire d'elle, si l'on veut me permettre ce rapprochement en faveur de l'esprit sérieux dans lequel je le hasarde : Nous l'aimons, parce qu'elle nous a aimés la première.

 

S'il en est ainsi, dira-t-on peut-être, d'où vient que le monde désigne plus communément le sexe auquel ce discours s'adresse par l'épithète d'aimable que par celle d'aimant? C'est que le monde est égoïste. Si la femme lui paraît aimable, c'est surtout parce qu'elle est aimante, et l'attachement qu'elle inspire est né de celui qu'elle a commencé par éprouver et par témoigner. On pourra me faire une objection plus sérieuse, prise du point de vue, non du monde, mais de l'Écriture. Dans ce rapprochement, qu'elle indique à plusieurs reprises entre l'union conjugale et l'union de Christ avec l'Église, c'est l'homme qui répond à Christ, dont l'amour est essentiellement actif et gratuit, tandis que la femme répond à l'Église dont l'amour est passif et dérivé à cet ordre se rapporte aussi celui du mariage, où l'homme prévient la femme. Je crois pouvoir répondre : Oui, c'est ainsi que passent les choses dans le domaine des faits extérieurs : mais dans le domaine des faits intérieurs, elles se passent en sens inverse. Quand il ne s'agit que de sentir et d'aimer, la femme, soit tendre usurpation, soit raison profonde, prend réellement l'initiative et le rôle actif.

Aussi, quel est le sentiment qui est devenu, chez tous les peuples et dans toutes les langues de la terre, le type de l'amour à la fois pur, vif et profond? C'est un amour de femme, l'amour maternel;' l'amour maternel, qui épuise la vie sans pouvoir s'épuiser lui-même, et qui, après avoir tout souffert, travaillé le jour, veillé la nuit, se croit assez payé d'une caresse ou d'un sourire; l'amour maternel, tant célébré par les moralistes et par les poètes, mais dont nous croyons pouvoir renfermer toutes les louanges dans une seule : c'est que l'amour paternel lui-même consent de lui céder le pas. Que dis-je ? ce même amour est celui dont Dieu fait choix, quand il cherche entre toutes les affections humaines un emblème pour l'amour qu'il porte à son peuple. « Sion a dit : L'Éternel m'a délaissée, le Seigneur m'a oubliée... » On devait s'attendre, ce semble, à voir « notre Père qui est aux cieux » répondre à ce doute qui l'offense, en faisant appel à l'amour d'un père pour son enfant. Mais non, c'est à l'amour d'une mère qu'il fait appel; et cette mère, il la nomme du nom de femme, comme pour faire honneur au trésor déposé dans le coeur de la femme des richesses trouvées dans le coeur de la mère : « La femme oubliera-t-elle son nourrisson ? Sera-t-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Eh bien ! qu'elles oublient, encore ne t'oublierai-je point, moi(*26). »

 

Que si tel est le coeur de la femme, comment n'y pas reconnaître un sol préparé tout exprès pour cette vocation de charité que l'Écriture vous marque auprès de l'homme? L'amour n'inspire pas seulement à la femme le désir de fournir cette carrière de dévouement : il lui en donne encore le courage. Le courage, c'est bien le mot : oui, au risque de paraître avancer un paradoxe, j'irai jusqu'à dire qu'il y a un genre de courage, et celui qui est le plus nécessaire pour faire le bien, que votre sexe pousse plus loin que le nôtre. Je ne parle pas du courage actif : ici, l'homme l'emporte sur vous, et doit l'emporter; vous lui cédez sans nul regret le prix d'une intrépidité qui siérait mal à votre sexe; et un homme d'esprit a pu dire, sans blesser la vérité, que « les femmes affectent la peur, comme les hommes le courage (*27. » Je parle du courage passif, qui est plus constamment requis que l'autre dans la pratique humble et journalière des bonnes oeuvres : ce courage-là, c'est la femme qui en offre les plus beaux exemples. L'homme sait plus accomplir, la femme plus endurer; l'homme est plus entreprenant, la femme plus patiente; l'homme est plus hardi, la femme plus forte. Voulez-vous vous en convaincre?

Voyez-la dans cette douleur des douleurs réservée à son sexe, au prix de laquelle est la vie humaine; voyez-la, et la comparez avec l'homme, dans la solitude, dans la maladie, dans la pauvreté, dans le veuvage, dans l'oppression, dans le martyre secret; car dans le martyre public, l'homme se maintiendra au rang d'honneur par la grandeur du théâtre; mais lorsqu'il s'agit de ce martyre prudemment ou cruellement caché dans les antres souterrains de l'inquisition, soyez sûrs que l'avantage est du côté de la femme. Dieu savait tout cela, quand il a ainsi partagé la vie, qu'il y a communément pour la femme plus de peines que pour l'homme et moins de plaisirs , à moins qu'on ne mette en première ligne parmi les plaisirs celui de faire le bien. Ce plaisir, la femme le savoure jusque dans la souffrance, et s'attache par la souffrance à celui pour qui elle a souffert.

 

À une créature ainsi faite, aille qui l'osera, disputer sa vocation de renoncement, que son coeur lui avait révélée des siècles avant qu'une ligne de l'Écriture eût été donnée au monde ! Ne me dites pas que l'Écriture est seule du moins à entretenir la femme de l'obligation spéciale qui lui est imposée de travailler au bien spirituel de l'homme, par une charité sainte qui cherche avant tout pour lui Dieu et l'éternité. Cela même, chose admirable ! la nature y avait pourvu, non sans doute assez pour suppléer aux avertissements de la révélation, mais assez du moins pour les appuyer, assez pour les faire pressentir. Car, qui ne sait que la sensibilité plus vive de la femme, son coeur plus ouvert, sa conscience plus tendre, son esprit moins raisonneur, son tempérament plus fin et plus délicat, lui rendent la piété plus accessible qu'à l'homme, en même temps que ses occupations moins abstraites, moins suivies, moins absorbantes que les nôtres, lui laissent plus de loisir pour la prière et de liberté pour le service du Seigneur? Qui ne sait aussi que les premières conditions de succès dans la mission spirituelle que tout concourt à lui marquer auprès de nous, se trouvent bien moins dans le mouvement, dans la parole, dans l'action directe dont l'homme dispose presque seul, que dans cette influence pénétrante de l'exemple, du silence, de l'oubli de soi-même, qui est propre à la femme vraiment femme ?

Oui, disons-le hardiment, si l'Écriture n'a pas raison, si la femme n'a pas été faite pour une mission de charité dans l'humilité, la nature a manqué son but ; car la femme a été appelée à une tâche et préparée pour une autre.

 

Entendons-nous bien, toutefois : ce n'est pas pour flatter la femme que je suis monté dans cette chaire, c'est pour la sanctifier. En disant que la nature elle-même vous a préparées pour la tâche que vous impose l'Écriture, je n'ai pas voulu dire que vous soyez, dans votre état naturel, capables de la remplir. Par une de ces contradictions bizarres que la chute a introduites dans notre race, troublant l'ouvrage de la création sans le détruire, la femme est tout à la fois propre et impropre à sa tâche : propre, parce qu'elle a certaines dispositions qui s'y adaptent merveilleusement; impropre, parce qu'elle a d'autres dispositions qui l'entravent. « C'est l'ennemi qui a fait cela : » dans ce même coeur où la main de Dieu déposa les germes précieux d'une vie conforme à la mission de la femme, il a, lui, glissé des germes contraires qui étouffent ou neutralisent les premiers. Il a fait plus encore : ces germes salutaires, il est allé, avec son habileté infernale, les chercher dans le coeur de la femme pour les y corrompre, et pour tirer ainsi d'une semence bienfaisante des fruits malfaisants.

 

Oui, ces ressources précieuses dont le Créateur vous a douées pour accomplir votre oeuvre, le tentateur sait les dénaturer au point d'en faire autant d'obstacles à cette oeuvre même. Sous son influence mystérieuse et redoutable, on voit dégénérer cette activité en inquiétude, cette vigilance en curiosité, cette finesse en ruse, cette pénétration en témérité, cette promptitude en légèreté, cette grâce en coquetterie, ce goût en recherche, cette mobilité en caprice, cette aptitude en présomption, cette influence en intrigue, cet empire en domination, cette tendresse en susceptibilité, cette puissance d'aimer en jalousie, ce besoin d'être utile en soif de plaire. C'est que les deux tendances principales que nous avons reconnues chez la femme, l'humilité et la charité, ont été faussées. Ce même tour d'esprit qui lui assigne pour domaine le cercle restreint de la vie intérieure, la met en péril de saisir les choses par leur petit côté, et de concentrer son attention sur un seul point, avec une ardeur de confiance proportionnée à l'étroitesse du champ qu'elle embrasse, peu apprise à douter ou des choses ou d'elle-même, impatiente de la contradiction, faute de la comprendre plus encore que de l'accepter, et s'engageant insensiblement dans une voie d'orgueil par un chemin qui devait aboutir à l'humilité. Puis, ce même besoin de coeur qui la presse d'aimer et de se dévouer, l'expose à se chercher elle-même jusque dans l'oubli d'elle-même et à porter le renoncement jusqu'à l'exigence, souffrant avec peine qu'il se fasse quelque chose de bon où elle n'ait mis la main, jalouse de l'homme auquel elle veut aider et plaire sans rivalité, envieuse de la femme qui aspire à aider et à plaire comme elle; jalouse, envieuse, notez-le bien, à force d'amour, mais d'un amour qui s'est transformé en passion et en volonté propre, dans le laboratoire impie du tentateur. Alors, la femme, que nous croirions volontiers supérieure à l'homme en portée spirituelle, si l'essence de la sainteté est l'amour et l'essence de l'amour le sacrifice, appliquant au mal les nobles instincts qui l'auraient fait exceller dans le bien, et se livrant au péché avec un abandon à la fois énergique et irréfléchi que l'homme ne connait guère, pousse plus loin que lui la vaine gloire, l'égoïsme, l'avarice, l'intempérance, la colère, la haine, la cruauté, l'amour du monde, l'oubli de Dieu, comme si elle avait à coeur de justifier ce vieil adage : « Tombe plus bas qui tombe de plus haut(**28). »

 

Le coeur de la femme est le plus riche trésor de la terre; mais s'il n'est le trésor de Dieu, il devient le trésor du diable; et l'on serait tenté parfois de penser qu'au lieu d'avoir été donnée de Dieu à l'homme pour lui être en aide, c'est le malin qui l'a formée en disant : Il ne faut pas que l'homme soit seul; je lui ferai un piège semblable à lui.

Ne m'accusez pas de calomnier la femme. Je ne calomnie pas plus ici que je ne flattais tout à l'heure: je parlais alors, et je parle encore maintenant, avec l'Écriture. L'Ecriture, qui dépeint avec tant de complaisance les grâces de la femme et ses humbles avantages, relève ses défauts et ses égarements avec une vivacité qui lui est peu commune, et qu'elle semble réserver pour cette matière. Saint Paul ne connaît pas de pire fléau pour les Églises que ces femmes qu'il décrit dans sa première épître à Timothée : « Oisives, allant de maison en maison, causeuses, curieuses, parlant de choses malséantes (*29)» et sur lesquelles il revient encore dans la seconde, tant il en est fatigué : « Menées. captives (par les faux docteurs), chargées de péchés, agitées de convoitises diverses , et apprenant toujours sans pouvoir jamais Parvenir à la connaissance de la vérité (*30). » Dans ces mêmes Proverbes qui finissent par une description sublime de la femme vertueuse, Salomon accable des traits de son éloquence amère et presque satirique, non seulement la femme dégradée, dont nul n'a signalé l'oeuvre meurtrière avec une plus sainte horreur (jeunes gens, méditez ses maximes !), mais toute femme infidèle à la mission qu'elle a reçue de Dieu: la femme insensée, qui « ruine sa maison de ses mains (*31); » la femme colère, dont la société est plus fâcheuse que « d'habiter au coin d'un toit, ou dans une terre déserte (*32); la femme indigne, qui est « la vermoulure des os de son mari (*33); » la femme haïssable, dont le mariage est « l'une des quatre choses qui font trembler la terre (*34); » la femme. belle sans sagesse, dont la grâce est « une bague d'or passée au museau d'une truie (*35); « la femme querelleuse, cette gouttière continuelle au temps de la grosse pluie; qui la retient retient le vent, et elle se fait connaître comme un parfum qu'on aurait dans la main droite (*36); » en attendant que, parvenu à la vieillesse et recueillant les souvenirs de sa vie entière, ce même Salomon confesse que, pour lui, il a cherché vainement une femme selon son coeur : « J'ai trouvé que la femme qui est comme des rêts, dont le coeur est un filet, dont les mains sont des liens, est une chose plus amère que la mort; qui est agréable à Dieu y échappera, mais le pécheur y sera pris... Jusqu'à présent mon âme a cherché, mais je n'ai point trouvé ; j'ai bien trouvé un homme entre mille, mais pas une femme entre toutes (*37). »

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-1. Cette remarque s'applique non seulement aux degrés do la hiérarchie sociale ou domestique, mais à ceux-mêmes de la capacité. Ce n'est pas, en général, l'esprit ordinaire qui subit l'influence de l'esprit éminent : c'est l'inverse. Ceci peut paraître, un paradoxe; mais on trouvera, je crois, à l'essai, que ce paradoxe a l'expérience pour lui.

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-2. Prov. VII, opposé à VIII; et IX, 1-12, opposé à IX, 13-18.

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-3. I Cor. II, 14 -4. 1 Cor. XI, 1-13. -5. Éph. III, 10. -6. Job XXXVIII, 7.

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-7. Gen. X VIII, 9. -8. Actes XXI, 9; Prov. XXXI, 1. -9. Juges IV, V.

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-10. Juges V, 24.

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-11. On lira avec intérêt les termes dans lesquels Pierre Lombard résume la tentation d'Eve (Sent., lib. II, diss. 21). a D'abord, Dieu avait dit : Le jour où vous mangerez de cet arbre, vous mourrez de mort. Ensuite, la femme dit: De peur que nous ne mourions. Enfin, le démon dit : Vous ne mourrez point. Dieu affirma, la femme hésita, le démon nia. Or, celle qui hésita, s'éloigna de celui qui avait affirmé, et s'approcha de celui qui niait. »

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-12. Gen. III, 16. Rapprochez de ce verset Gen. IV, 7, où il parait être question de la soumission du frère cadet à l'aîné.

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-13. Entre le châtiment de l'homme et celui de la femme, on peut remarquer une différence correspondante à celle que nous avons fait observer (page 118) entre la vocation de l'un et celle de l'autre. Le châtiment de la femme est renfermé dans le cercle de la famille, tandis que celui de l'homme s'étend à la nature entière.

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-14.1 Jean III, 8. -15. Gen. III, 15.

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-16. 1 Tim. II, 9 - 15. L'Apôtre considère encore ici Eve comme le type de la femme en général; ce que la Genèse dit d'une femme, il l'étend à tout son sexe. Cette transition est rendue sensible par le passage subit du singulier au pluriel dans le verset 15 : Elle (la femme) sera sauvée par l'enfantement, pourvu qu'elles (les femmes) demeurent dans la foi, etc. » Cette distinction importante est omise dans nos versions ordinaires.

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-17. Ps. CIV, 23. -18. Lamennais. -19. 1 Tim. II, 11-15; V, 14; Tit. II, 4, 5,

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-20. Prov. VII, 11, 12; IX, 18. -21.1 Pierre III, 7.

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-22. On peut voir cette pensée développée par Kant, über das Gefühl des Schoenen und Erhabenen, p . 51-55.

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-23. Prov. XXXI, 13. -24. Madame de Staël. -25. Actes XX, 35.

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-26. Es. XLIX, 14,15. Voyez encore LXVI, 13. -27. Simond.

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-28. J'essaye de rendre par une autre image cette maxime latine que je ne sais comment traduire littéralement : « Corruptio optimi pessima. »

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-29.1 Tim. V, 18.

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-30. 2 Tim. III, 6, 7. Saint Paul les désigne par le nom de femmelette,

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-31. Prov. XIV, 1. -32. Prov. XXII, 19; XXV, 24 -33. Prov. XII, 4.

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-34. Prov XXX, 23. -35. Prov XI, 22. -36. Prov. XIX, 13; XXVII, 15,16.

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-37. Eccl. VII, 26,28.


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