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  CHAPITRE XII

AU TERME DU VOYAGE

 

Lors, s'approchant du serviteur fidèle, Le Seigneur dit : « je vais combler tes voeux Plus tard viendra cette heure solennelle OÙ tous verront mon règne glorieux ; Mais aujourd'hui déjà je viens te prendre Auprès de moi, pour qu'où je suis tu sois. Tu jouiras de mon amour si tendre, Et tu verras la gloire après la croix. Auprès de moi que ton coeur se repose »

 

1. Le reflet de l'éternité

 

Il y a un mois seulement nous jouissions d'être ensemble à Berne, et le voilà là-haut ! Il avait quelque chose de spécialement lumineux et je ne sais quelle grandeur qui fut un réconfort pour moi, car précédemment je ne l'avais pas toujours bien compris. Je sais maintenant pourquoi cette fois il me parut si attirant : c'était le reflet de l'éternité prochaine qui l'éclairait de son « alpenglühn » annonçant le lever du soleil.

Ainsi écrivait le pasteur Samuel Zeller qui s'était trouvé avec Rappard à Berne, à la fête de la Société évangélique.

Il n'avait pas été seul à remarquer ce reflet de l'éternité.

Le pasteur P. Dieterlen, décédé lui-même dès lors, écrivait peu après la mort de Rappard:

Il y a à peine plus de quinze jours qu'il est venu me trouver dans ma retraite à la montagne. Je ne lui avais jamais vu plus de jeunesse et de fraîcheur.

Précédemment déjà il m'avait raconté avoir demandé à Dieu une double grâce à propos de sa mort. D'abord d'avoir part à la première résurrection, puis de s'en aller sans longues souffrances. Il avait obtenu l'assurance intérieure que sa première demande lui avait été accordée, et il espérait que la seconde le serait aussi. Et son espoir n'a pas été déçu. Il me semble qu'une telle fin est une conclusion glorieuse d'une telle vie.

Nombre d'autres lettres mentionnent le fait que précisément cet été-là il a parlé à mainte reprise de la gloire de la vie éternelle et de la réalité du ciel.

A Chrischona même, dans les leçons comme dans les conversations et les prédications, l'espérance céleste reparaissait sans cesse. Ce qui ne l'empêchait d'ailleurs nullement de prendre un intérêt aussi vif que jamais aux choses de la terre. Ses célestes aspirations n'avaient rien de morbide, elles répondaient bien à la virilité de soli caractère. Il se réjouissait à la pensée qu'il pourrait reconnaître et constater la vérité de ce qu'il avait cru ici-bas d'une foi si ferme; il se réjouissait d'avoir enfin un corps nouveau, qui serait l'organe parfait d'une vie nouvelle et éternellement jeune; il se réjouissait de voir le Seigneur et d'être à jamais auprès de Lui.

 

Peu après la fête de consécration, l'inspecteur partit en voyage. C'était l'époque des vacances; mais il aimait toujours à y joindre quelque activité. Ainsi le premier août il présidait à l'inauguration d'un « Vereinshaus » dans le canton de Thurgovie; puis il passa quelques jours à Constance dans la maison de la mission intérieure, pour se rendre de là à Remismühle, où il prenait part à des réunions.

C'est à ce propos qu'un frère écrivait:

Il y avait quelque chose de profondément impressionnant dans la clarté lumineuse et le tact sûr avec lesquels il sut ramener le calme et même la bénédiction dans une grande assemblée d'hommes, où des courants divers sur la sanctification menaçaient d'amener des débats peu sanctifiés.

Il avait le sceau d'un père en Christ.

Le 9 août enfin, il put se retirer dans la tranquillité des montagnes et passer quelques jours avec sa femme à Wengen. C'est alors qu'un incident insignifiant se transforma en une belle parabole.

 

On devait passer le Brünig, et Rappard, venant de Remismühle, avait l'intention de rejoindre sa femme à Lucerne. « Monte toujours sur le bateau, lui écrivit-il à Chrischona ; si mon train arrive à l'heure, j'attraperai aussi ce bateau, sinon, je prendrai le suivant. » Il n'arriva pas. Le temps était froid et à la pluie, et la traversée parut mélancolique à la voyageuse solitaire et quelque peu déçue. Mais en approchant du débarcadère d'Alpnach, elle fut bien réconfortée en apercevant déjà de loin la haute taille de celui qui, l'ayant devancée, épiait son arrivée, et qui l'accueillit avec une joie sans nuage. (Ayant manqué le bateau, il était venu par le train.)

Il allait en effet prendre les devants, pour l'attendre en sûreté sur l'autre rive !

Les souvenirs de ces dix jours à Wengen restent comme embaumés d'un parfum unique. Là encore on peut parler d'un reflet de l'éternité qui s'avançait. Au sommet du Lauberhorn, dont il fit l'ascension d'un pied alerte dès le premier matin, de la Petite-Scheidegg, Henri Rappard jouit une fois encore de toute la splendeur du monde alpestre, qui lui avait toujours parlé si puissamment de Dieu. Les moments de recueillement paisible et de lecture en commun de la Bible donnaient le ton à la journée entière. Il jouissait fort de la communion fraternelle qu'il entretenait avec son vieil ami, M. le pasteur Tophel, et avec d'autres enfants de Dieu logés aussi à la pension Lauener. Il prit plusieurs fois la parole avec autant de fraîcheur que de vigueur, le dimanche et aux cultes du soir, et fut ainsi pour plusieurs âmes, des lettres en font foi, un canal apportant une eau vivifiante.

Il eut aussi à ce moment une dernière rencontre avec sa soeur L., sans se douter qu'il prenait congé d'elle pour cette vie.

Puis vint la fête annuelle de la Société évangélique à Berne. Il tenait à y assister, et il logea comme d'habitude, avec Mme Rappard, au Blumenberg, jouissant une dernière fois de cette bonne hospitalité.

A propos de ce passage à Berne, le pasteur Gerber écrivait dans les Brosamen :

Du 24 au 26 août l'inspecteur Rappard a été parmi nous, frais et vert comme le palmier, en dépit de ses soixante-douze ans. Avec quel amour il parlait à la réunion principale de la Société évangélique ! Avec quelle force persuasive il donnait son témoignage le matin de la fête ! Et son allocution sur Act. 16, 31

« Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta maison ! » Quel à propos, quel saisissant esprit de sainteté !

Il lui restait encore quelques jours de vacances; il les passa aux cours bibliques de Chexbres, où sa présence ne fut pas inutile non plus.

Le premier septembre, il rentrait sans plus de retard à Chrischona.

Il s'agissait de mettre à exécution les décisions de la dernière séance du Comité. Voici ce qu'en dit le Glaubensbote :

Le 2 septembre au soir, les ci-devant « Hauseltern » de la maison « Zu den Bergen » furent salués dans la chapelle comme nouveaux habitants de la « maison des frères », tandis que Mlle M. Rappard était installée à leur place comme « Hausmutter ». Nous sommes particulièrement reconnaissants aujourd'hui de ce que ces mutations aient été accompagnées de paroles de bénédiction et de prière prononcées par notre père.

Il prêcha le 5 septembre, pour la dernière fois à Chrischona, sur ce beau texte: je n'ai point honte de l'Évangile de Christ; car il est une puissance de Dieu pour sauver tout ceux qui croient. (Rom. 1, 16.) Il éprouvait le besoin, disait-il, en présence des frères nouveaux-venus, de diriger les regards de tous sur les fondements de notre foi, et il annonça le vieil Évangile avec une grande force, rappelant en conclusion le mot triomphant: « Le juste vivra de sa foi (1). » (v. 17.)

Lorsque, plus tard, les siens relurent dans son carnet ses notes pour les trois services de ce dimanche, ils furent vivement frappés d'y trouver le cantique qu'il avait désiré faire chanter à la fin de la journée, et dont voici la dernière strophe :

 

Accorde-moi ce que j'espère :

Auprès de toi prends-moi,

Seigneur Car dans la gloire de ton Père

Doit être aussi ton serviteur.

 

Le 6 septembre, il ouvrait avec cent trois élèves et hôtes la nouvelle année scolaire, et se mettait à l'oeuvre avec soli ancienne verdeur. Il disait à sa femme, d'un ton enjoué: « Ne va pas te figurer que le travail me pèse; jour après jour je me réjouis de mes leçons. »

Le dimanche 12 septembre, pour tenir une promesse, il présidait une réunion à Wädenswil, 'au bord du lac de Zurich, où les missions ont de chauds amis. Cela lui procura la joie de revoir encore son cher oncle et ami Samuel Zeller à Männedorf, et de présider un dernier culte dans cette maison bénie.

Il était très heureux des arrangements pris à Chrischona, et il en exprimait constamment sa satisfaction au cours des deux dernières semaines qu'il y passa.

Deux soirées ont laissé aux siens des souvenirs particulièrement chers. L'une fut le culte habituel du mardi à la maison « Zu den Bergen ». A propos de Gal. 4, 6: Abba, Père ! il parla de la gloire du Père avec tant de puissance et de joie que tous les assistants furent profondément impressionnés, tandis que son expression lumineuse renforçait encore ses paroles.

L'autre souvenir se rattache à la dernière soirée, le vendredi. Il y avait réunion de prière dans le choeur de la chapelle. Les « frères » l'ouvrirent en chantant debout:

 

Au jour où Jésus doit paraître,

Bienheureux ceux qui pourront être

En vérité de ses brebis,

De ses serviteurs, ses amis!

 

A ces rachetés de la terre Jésus dira :

« Gloire aux vainqueurs

VENEZ, FIDÈLES SERVITEURS,

DANS LE ROYAUME DE MON PÈRE ! »

Amen! Amen!

 

Tout le monde était saisi. L'inspecteur eut pour les siens un regard significatif. Il y avait dans les coeurs un pressentiment de ce que serait ce grand jour, mais non pas de ce qui allait se passer aussitôt.

Rappard partit le lendemain, samedi, 18 septembre. Il avait promis de prendre part à une conférence à Siegen en Westphalie. Giessen se trouvant sur sa route, il avait résolu d'y passer le dimanche chez l'évangéliste Herrmann.

Aimable et calme comme toujours, il acheva ce qu'il avait à faire à la maison. Il avait déjà pris congé de ses collègues et des « frères ». Il dit adieu à chacune des aides de la maison et de la ferme, ce qu'il ne faisait que pour les voyages un peu lointains, en ajoutant: « Priez pour moi ! »

A midi, la légère voiturette à deux roues qu'il préférait, même ce jour-là par la pluie, était à la porte.

Un dernier adieu, un dernier mot d'affection aux siens, et il disparaissait à leurs regards.


Table des matières

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1 Trad. de Luther.