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 6. Son portrait (par le Dr Langmesser)

 

Avant d'accompagner le pèlerin dans sa dernière étape, nous aimons à insérer ici quelques pages d'une main amie.

Je le vois encore devant moi, avec sa haute et noble stature, l'inspecteur Rappard, tel que je l'ai rencontré pour la première fois. C'était il y a près de quarante ans, alors qu'il prêchait fréquemment de onze heures à midi dans la chapelle de la Klingenthalstrasse à Bâle. je n'étais alors qu'un jeune garçon, et bien que je ne comprisse pas tout ce qu'il exposait éloquemment à l'assemblée, je saisis du moins une chose : son ardent amour pour Jésus. Sa parole pénétrait en mon coeur, et plus d'une fois Rappard me plaça en face de la question : Ne veux-tu pas déjà maintenant livrer ton coeur à Jésus ? Mais je ne pouvais pas encore me décider. Vint l'année 1882, qui fut pour Bâle, dans toute l'acception du mot, une année de salut, où les brises divines ont soufflé, et où Elie Schrenk, secondé par H. Rappard, 0. Stockmayer, Thumm de Wilhelmsdorf et d'autres, fut l'instrument de ce grand réveil auquel des centaines sont redevables d'une vie en Dieu toute nouvelle. Et, avec Schrenk, ce fut Rappard qui exerça l'influence décisive sur ma vie.

Quatre ans plus tard, j'étais couché sur un lit d'atroces souffrances. Je dus subir opération sur opération. Parents et médecins désespéraient de ma guérison. Au moment le plus critique, je demandai qu'on voulût bien appeler Rappard, alors domicilié à Bâle, pour qu'il priât pour moi. Il vint donc, ordinairement le soir. Comme je soupirais chaque fois attendant sa venue ! Il entrait doucement dans la chambre, imposant et sacerdotal, s'asseyait sans bruit à mon chevet, et me demandait avec une tendresse toute paternelle, comme peut seul le faire un père en Christ, comment j'allais. Puis il relevait mon coeur abattu par des paroles bienfaisantes et priait pour moi avec une telle puissance, avec quelque chose de si empoignant, que chaque fois ma chambre de souffrance se transformait pour moi en un sanctuaire, et j'avais le sentiment que Jésus était là aux côtés de Rappard. Et en me quittant, il laissait chaque fois le Maître auprès de moi d'une manière sensible. Ses prières furent exaucées. je me remis, et ce fut cette expérience de Dieu qui fit de moi un prédicateur de sa Parole.

 

Durant mes études à Bâle, ma promenade favorite était d'aller à Chrischona. Il ne s'y passait pas une fête de consécration que je ne fusse présent. Je ne soupçonnais pas alors que je participerais activement aux côtés de Rappard à la dernière consécration à laquelle il devait présider.

Puis vint mon ministère à Davos, où j'eus souvent la visite de Rappard. Je le rencontrai fréquemment aussi à des conférences, en Suisse et en Allemagne, mais le plus souvent à Chrischona. C'est à cette époque qu'il fit passer son fils spirituel au rang d'ami. Et c'est alors qu'il m'ouvrit son coeur, en toute confiance, tantôt dans sa chambre de travail, tantôt sur la route de Chrischona à Bâle ou sur celle de Riehen à Chrischona, et que se révéla à moi non seulement toute la richesse de ce coeur, mais l'homme tout entier. Et ce que j'aperçus me remplit d'une joie profonde : Rappard est la personnalité la plus harmonique que j'aie jamais rencontrée. Sa haute et noble stature était la parfaite expression visible de l'homme intérieur. Chez lui, le dedans et le dehors étaient en complet accord, ce qui est bien rarement le cas ici-bas.

La noblesse de ses sentiments chrétiens, la liberté d'un véritable homme de Dieu et la puissance créatrice d'un pionnier du royaume de Dieu, tout s'harmonisait en lui et faisait de lui une de ces personnalités rares dans le royaume de Dieu, qui s'imposent tout en prenant la place de serviteurs et en consumant leur vie au service de Jésus. Mais le secret de cette vigueur et de ces succès d'Henri Rappard, de sa jeunesse à sa blanche vieillesse, c'était la parfaite obéissance de sa foi à son Père céleste et à sa Parole. Comme maître et comme chef, comme évangéliste et comme héraut de la sanctification, il était un disciple de son Maître, se soumettant à Lui par une obéissance sans réserve. Aussi sa vie s'éleva-t-elle sans interruption selon une ligne montante, évitant ces courbes qui proviennent d'une désobéissance ouverte ou secrète. De son attitude d'obéissance à Dieu découlait sa soumission à sa Parole. Il voulait être, sa vie durant, non un maître de l'Écriture, mais un simple écolier. Son étoile directrice était le mot de Jésus : L'Écriture ne peut être anéantie. C'est ainsi qu'il demeura inébranlable comme un roc en face de la marée montante de la critique.

Mais aussi, lorsqu'il arrivait jusque dans le camp des « Gemeinschaften » que des vérités scripturaires étaient arrachées de leur contexte, interprétées avec un parti-pris borné et mal pondéré qui en faisait des erreurs, il restait le guide calme et maître de lui au milieu des illuminés , il s'orientait par l'Écriture, et maintenait ses évangélistes dans la bonne voie comme un père l'eût fait pour ses fils. L'éternité révélera un jour pour combien il a fait l'office d'un ange dans le mouvement dit des « coeurs purs » et dans celui de « Pentecôte ». Ainsi il n'a pas eu l'humiliation de devoir jamais rétracter quoi que ce soit de ce qu'il avait enseigné.

Vivant dans la Parole de Dieu, il possédait une mesure inaccoutumée de sagesse divine. Il avait reçu le don de voir les choses à fond et d'éclaircir souvent d'un mot une situation obscure. S'il n'avait pas de lumière sur une question difficile, il savait attendre pour parler que Dieu l'eût éclairé. Cette habitude de se taire et de ne parler qu'à propos lui valait d'être considéré tout naturellement par ses « frères », spécialement dans les séances du Comité de la Pilgermission, comme revêtu de l'autorité suprême, et cela comme une chose allant de soi.

Cette sagesse le rendait dans une rare mesure apte à diriger la Pilgermission. Ce n'était pas peu de chose de maintenir dans les cadres de l'Église une oeuvre d'évangélisation indépendante des organes officiels de l'Église ; et cependant Rappard y a réussi. Il n'a pas fondé une Église dans l'Église, il a plutôt creusé à côté de l'Église des sources d'eau vive qui ont rendu et rendent encore la vie à des milliers.

Cependant cet homme, qui avait l'étoffe d'un prince de l'Église de grande envergure, était simple et humble devant son Dieu comme un enfant. C'était surtout sensible dans ses prières. L'impression la plus profonde qu'il m'ait laissée et que j'ai emportée dans la vie, est celle d'un homme de prière qui se tenait constamment devant son Dieu. Et la certitude que Dieu accorde ce qu'on lui demande donnait à sa prière sa grandeur et à son attitude devant Dieu la vénération qu'impose le sentiment de sa présence.

Mais s'il se mettait dans la poussière en présence de son Dieu, il se dressait comme un héros pour proclamer au monde la puissance rédemptrice et la gloire de son Sauveur. Alors, avec ses cheveux argentés et sa barbe blanche, avec son regard rayonnant d'amour et de foi, ce beau vieillard rendait témoignage à Jésus comme un homme revêtu de la puissance d'En Haut, avec une voix si tendre, si pleine, si bien timbrée, qu'elle m'a toujours fait penser à un orgue magnifique exaltant la gloire de Celui qui nous a rachetés, tantôt en sons infiniment doux, tantôt avec une puissance irrésistible.

Ainsi Rappard a été pour nous un père en Christ, un guide qui nous faisait toujours monter, un de ces maîtres qui ont « enseigné la justice à la multitude » et qui, nous dit Daniel, « brilleront comme les étoiles à toujours et à perpétuité. »


Table des matières

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