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 3. Précieuses rencontres. -- Consécration. - Adieux

 

Avant de quitter la Grande Bretagne, Rappard reçut encore de grands encouragements, à Manchester d'abord, où il passa quelques jours chez son ami le Dr Brown, puis surtout à Londres. C'est là que les diverses sociétés de missions ont au mois de mai leurs fêtes annuelles (May Meetings), et ces rencontres ne manquèrent pas de fournir au jeune ouvrier du Seigneur de riches leçons de choses. Il y assista en effet du 4 au 16 mai 1865. Il confie cependant à son journal la réflexion que « Londres est un endroit où quiconque n'est qu'en passage se trouve mal à son aise. »

Citons encore ce journal:

Londres, 3 mai. - Fête de la Société biblique britannique et étrangère. Impression dominante : Jésus est mon autorité. Sa Bible est ma Bible. Au cours de sa vie terrestre, il s'est constamment appuyé sur l'accomplissement de la parole de l'Ancien Testament. En parlant de sa venue dans le monde, de sa marche ici-bas, de ses souffrances, de sa mort et de sa résurrection, sans cesse il y a fait allusion. Le Livre que Jésus mon Seigneur a employé, qu'il a appris et qu'il a perpétuellement cité, celui-là doit être mon Livre.

7 mai, dimanche. - je suis allé entendre Spurgeon, j'ai pu avoir une bonne place non loin de lui, de sorte que j'ai tout compris. Sa puissance consiste en ce qu'il exalte Jésus-Christ. Oh ! que ce soit aussi là ma force, que je glorifie mon bien-aimé Sauveur par mes paroles et par ma vie.

9 mai. - Société des missions de Londres. Entendu une belle parabole du travail missionnaire : Un artisan, s'attaquant à un roc, y creuse un trou profond en y mettant son temps et sa peine. Il remplit ensuite son trou d'une poudre noire. Que cette poudre soit mise en contact avec une étincelle, voilà qu'elle s'allume, qu'elle fait sauter le roc, et les précieux moellons se détachent tout taillés. C'est ainsi que le missionnaire doit enfoncer laborieusement la dynamite de la Parole de Dieu dans le monde ; le Saint-Esprit y mettra le feu.

10 mai. - Aujourd'hui, à la fête de la Société des missions de Londres, j'ai vu et entendu pour la première fois le Dr David Livingstone, qui a parlé en bon et solide témoin de la mission considérée comme une chose divine.

13 mai. - Conférence de prédicateurs. Discours superbes, pleins d'esprit. J'ai peur qu'on n'accorde ici trop d'honneur aux hommes. En les honorant on pense glorifier Dieu, et alors on loue Dieu pour chercher encore peut-être et pour trouver inconsciemment la gloire humaine.

14 mai. - Rencontré le « père » Elie Schrenk chez Mme Weitbrecht, la veuve du célèbre missionnaire des Indes. Rencontré aussi à Islington le pasteur Théod. Christlieb et le cher homme de Dieu, William Pennefather, le fondateur de l'oeuvre de Mildmay.

16 mai. - Assisté avec Schrenk à une réunion de la société anthropologique, qui cherche à ridiculiser les efforts des missionnaires et à miner la confiance en la Parole de Dieu. (Comme ces anthropologues font beaucoup parler d'eux, il y avait pour nous quelque intérêt à les entendre une bonne fois.) jamais encore je n'ai vu un certain nombre d'hommes soi-disant scientifiques étaler autant d'ignorance et de déraison. Et l'évêque Colenso de Natal était l'un des principaux orateurs ! Toute la séance manquait à tel point de dignité et tout était si puéril, que la société a prononcé elle-même son jugement.

Henri quitta Londres le 18 mai pour se rendre directement à Neukirchen, où ses chers parents et la plupart de ses frères et soeurs étaient précisément en séjour. De là il alla voir Elberfeld et Barmen, et poussa une pointe en Hollande, à Ermelo, où il eut la joie de faire la connaissance du pasteur Witteveen. Cet homme de Dieu, destitué à cause de son zèle apostolique, avait fondé une communauté indépendante, « l'Eglise de la mission », qui travaillait avec fruit et bénédiction. Citons seulement ces quelques lignes du journal:

Witteveen prie beaucoup, apportant au Seigneur les moindres choses. Ses journées se remplissent de la façon la plus simple : à 8 heures, culte du matin dans le local paroissial; à 9 heures, déjeuner : un peu de thé et de pain; à midi, du pain et de l'eau; à 4 1/2 heures, dîner : de la soupe, de la viande et du légume; le soir, à 9 1/2 heures, du pain et de l'eau; puis le culte du soir jusqu'à 10 1/2 heures.

Je me plais beaucoup à Ermelo. J'aime ce Witteveen et j'en suis aimé. Quelques-uns de ses jeunes gens se destinent à la mission africaine, ce qui me réjouit fort.

Cette courte rencontre de Rappard avec Witteveen lui a laissé de précieux et ineffaçables souvenirs. Ce fidèle serviteur du Seigneur est mort le 9 mai 1885.

La famille Rappard se trouva de nouveau réunie à Bâle la première semaine de juillet pour le jubilé de la Société des Missions. Voici ce qu'en écrit Henri :

Nous avons rejoint à Carlsruhe notre cher M. Hebich, et nous avons fait route avec lui jusqu'à Bâle. J'ai eu beaucoup de joie à revoir le bon M. Spittler. Il a actuellement 83 ans, et il est encore plein de joie et de paix, ce qui est le fruit de sa foi nette et simple en Jésus-Christ, le maître qu'il a fidèlement servi pendant tant d'années, et qui à son tour le sert, couronnant son travail de tant de grâce et de succès.

Le Seigneur, dans sa grâce, veillait ainsi à ce que sa jeune recrue entrât en contact avec des vétérans avant de l'envoyer au champ de bataille qu'il lui réservait.

Il était désirable que Rappard, en vue de son oeuvre en Egypte, reçût la consécration officielle que l'on accorde parfois, en Wurtemberg, aux missionnaires partants. Sa demande fut agréée, et il fut consacré à Léonberg (Wurtemberg) le 27 août 186 5 par le doyen Wächter.

Il avait peu auparavant terminé un volume de son journal par ces lignes :

S'il plaît à Dieu, je serai consacré à Léonberg à la fin de ce mois. Que la volonté du Seigneur, qui m'a dans sa grâce déjà consacré, s'accomplisse! Amen.

Cette journée solennelle fut une journée de joie sainte et paisible. Ses amis wurtembergeois lui témoignèrent beaucoup d'affection, et le vénérable officiant lui garda toujours son amicale sympathie.

Une précieuse lettre d'Henri à ses amis d'Edimbourg nous a été conservée, et nous fait voir en un vivant tableau ces adieux solennels :

C'est le 13 octobre que j'ai quitté notre maison paternelle de Schaffhouse. Mon cher vieux père, ma mère chérie, les plus grands de mes frères et de mes soeurs, tous pleuraient. « C'est pour moi bien dur de me séparer de toi, dit ma mère, mais la joie de donner pour le service de Jésus mon premier-né est plus grande que la douleur de la séparation, et les larmes qui m'échappent sont des larmes de joie. » Tous partageaient ce sentiment, et moi aussi je pleurais de joie. Nous sentions vraiment le Seigneur Jésus présent au milieu de nous. Seuls les cadets étaient tristes ils ne pouvaient comprendre pourquoi il fallait que leur grand frère s'en allât au-delà des mers dans un pays si lointain et pour si longtemps.

A Bâle, nouveaux adieux. jamais je n'oublierai ma dernière visite à Sainte-Chrischona, où j'avais passé trois années si heureuses et si bénies. Une fois encore je parcourus ces grands bois, désirant revoir les endroits écartés où si souvent j'avais trouvé dans la solitude la présence de Dieu, où j'avais répandu devant lui le trop plein de mon coeur brisé, où j'avais trouvé pardon et consolation dans son sang. Le dernier jour, au matin, dans la chapelle, je pris congé de mes chers maîtres et des « frères », puis je partis par Coire et le Splügen, dans la direction du sud, pour le pays de ma destination.

Ce père vénérable et tendrement aimé, Henri ne devait pas le revoir sur cette terre : l'épi chargé de grains, qui depuis quelques années s'inclinait toujours plus bas, était mûr pour la moisson.

Du col du Splügen, où la poste avait un relais d'une heure, le partant télégraphia encore à ses bien-aimés du Löwenstein:

De la frontière visible un signe visible de communion invisible.

Votre Henri.


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