Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Homoparentalité, les enfants d'abord !

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Tommy Chouinard

"Mummy! Maman!"

"Mummy! Maman!"

Simon et Léo ne connaissent pas seulement deux langues pour exprimer leur besoin d'attention, mais aussi deux mères à qui le réclamer haut et fort. Mummy, c'est Mona Greenbaum, une anglophone de 38 ans, la mère biologique de ces deux bambins âgés respectivement de deux et trois ans et demi. Maman, c'est Nicole Paquette, sa conjointe de 43 ans, le "père de la famille", comme elle se plaît à le dire pour rire.

À voir le sol de leur chaleureuse chaumière couvert de jouets, les murs décorés de dessins colorés et le salon rempli de la vitalité de deux adorables enfants au sourire facile, rien ne différencie cette petite famille de la Petite-Bourgogne d'une autre. Sauf, bien sûr, le fait que deux femmes sont les parents tout attentionnés de Simon et Léo. Et alors?

Après quelque 10 ans de fréquentations, Mona et Nicole ont en effet caressé le projet de fonder une famille en 1998. "On avait le désir d'avoir des enfants, mais on pensait que ça allait être plus simple que ça", précise Nicole, dermatologue de profession. C'est que les cliniques de fertilité de Montréal ne veulent pas répondre aux demandes des lesbiennes (les agences d'adoption refusent aussi le plus souvent les couples homosexuels), alors que rien n'interdit la chose, ni ne l'autorise clairement cependant. "On pensait alors que c'était impossible pour nous d'avoir un enfant", se rappelle Mona. Après de multiples recherches, des lectures et des consultations, elles se sont finalement tournées vers une banque de sperme américaine. Un médecin montréalais a accepté de procéder à l'insémination artificielle.

Depuis la naissance de Léo, puis celle de Simon, Nicole et Mona ont vite affronté la réalité. Leur union n'est en effet pas reconnue par l'État. Sur les actes de naissance, Mona correspond à la mère biologique; le père, lui, est "inconnu". C'est tout. Nicole est quant à elle une pure étrangère pour Simon et Léo aux yeux de l'État, même si, tout comme Mona, elle les élève, les lave, les nourrit, les aime surtout. Nicole ne peut donc pas autoriser certains soins aux médecins en cas d'urgence ou même obtenir la charge des enfants advenant le décès de Mona. Toute demande ou réclamation officielle nécessitant l'approbation d'un parent ne peut être effectuée par elle. Dans quelques années, Nicole ne pourra même pas faire des choses aussi banales que signer un bulletin scolaire! "Je ne suis pas reconnue comme parent, se désole Nicole Paquette. Nous nous sommes souvent demandé pourquoi nos enfants ne pouvaient pas bénéficier des mêmes droits que ceux des couples hétérosexuels, seulement parce que nous avons une orientation sexuelle différente..."

Voilà maintenant qu'une réponse a été trouvée et que les choses vont changer pour la famille de Nicole et Mona, pour bien d'autres aussi. Le ministre de la Justice Paul Bégin a déposé, le 25 avril dernier, le projet de loi 84 "instituant l'union civile et établissant de nouvelles règles de filiation", qui sera adopté sous peu si tout se passe bien. Le but? De un, légaliser l'union entre conjoints de même sexe en offrant l'union civile, une troisième option reconnue par l'État (après l'union de fait et le mariage) qui est également ouverte aux hétérosexuels et qui ressemble en tous points au mariage de juridiction fédérale. De deux, accorder à ces couples homosexuels les mêmes droits et obligations qu'aux personnes hétéros mariées et à leurs enfants. En outre, la nouvelle institution accorde des protections aux conjoints maintenant reconnus, notamment au sujet du patrimoine familial, de la résidence familiale, de la contribution aux charges, de la succession et de l'autorité parentale. "L'union civile, c'est une façon de donner des droits égaux aux enfants du Québec, estime le ministre. Je crois qu'il y a eu une grande évolution dans la société qui permet de reconnaître ces familles."

Le projet de loi 84, dont les commissions parlementaires viennent de prendre fin, reconnaît l'adoption pour les conjoints de même sexe et précise les règles de filiation des conjoints. "Par exemple, lorsqu'une mère lesbienne donne naissance à un enfant, via la procréation assistée, sa conjointe sera reconnue aussitôt comme parent sur l'acte de naissance, explique Marie-France Bureau, avocate spécialisée en droit de la personne qui a participé à la commission. Les membres d'un couple gai ou lesbien pourront adopter un enfant, sauf ceux d'unions hétérosexuelles antérieures, et seront tous les deux reconnus comme parents de l'enfant. Ils auront envers eux les mêmes droits et obligations que tout autre parent. On reconnaît une nouvelle forme de parentalité, et ce n'est pas anodin." Les nouveaux conjoints, appelés co-père et co-mère (un nouveau vocabulaire avec lequel se familiariser), pourront ainsi prendre des décisions en toute légitimité, surtout pour ce qui est de la santé et de l'éducation de l'enfant.

Pour Nicole Paquette, ce changement juridique lui permettra d'adopter Simon et Léo, donc d'être reconnue légalement comme parent. "C'est non seulement une reconnaissance de notre union par l'État, mais un grand pas socialement pour l'homosexualité", affirme celle qui devrait bientôt être promue mère. "Je pense que c'est positif pour tous les gais de voir l'homoparentalité reconnue et de pouvoir dire que deux hommes ou deux femmes peuvent s'unir et avoir des enfants. Ces familles vont maintenant vivre en toute normalité, certaines n'auront plus besoin de se cacher", renchérit Gilles St-Germain, président de l'Association des pères gais de Montréal.

"Le projet de loi met fin à une discrimination à l'égard des familles homosexuelles, qui vivaient jusque-là dans une zone grise juridique, croit pour sa part Laurent McCutcheon, vice-président de la Table de concertation des gais et lesbiennes, et responsable de la mise sur pied de la Coalition pour la reconnaissance des conjoints de même sexe. On s'est trop souvent demandé dans la population si les gais et lesbiennes avaient le droit d'avoir des enfants. Je suis d'avis que ce sont les enfants qui ont des droits: ils ont le droit d'avoir de bons parents, une bonne éducation, une sécurité, un encadrement. On doit alors poser cette question: est-ce que deux personnes de même sexe sont capables d'être de bons parents? Je pense que le projet de loi vient répondre à ce que tout le monde savait déjà, et reconnaît enfin l'homoparentalité."

L'homoparentalité entre donc légalement dans les moeurs. Et socialement aussi, d'ailleurs. Dans son plus récent album, Lynda Lemay accorde même une chanson à ce thème (Les Deux Hommes: Ils voulaient devenir parents, les deux hommes / Et ils se sont battus longtemps / Pour avoir droit tout simplement, les deux hommes / Les deux têtus, les deux amants / À une famille). Plus encore, un théâtre d'été, le Théâtre des Cascades, présentera dès juin la pièce Cherchez le mâle mettant en scène deux pères gais avec trois enfants à charge. En France, même Le Grand Robert accueille depuis l'année dernière le terme "homoparentalité" dans ses pages. Aux États-Unis, la célèbre animatrice américaine Rosie O'Donnell, qui vient de mettre fin à son émission, affiche ouvertement son homosexualité et son statut de mère adoptive de trois enfants de moins de six ans. Elle se porte maintenant à la défense des parents de même sexe et milite pour leur reconnaissance aux États-Unis, où peu d'États accordent des droits parentaux aux homosexuels.

Bref, l'homoparentalité sort officiellement du placard. Si bien que le modèle PME (papa-maman-enfant) doit maintenant faire place au PPE ou au MME... En tout cas, à des familles aussi semblables que différentes des autres.

Une famille comme les autres

Au cours des 10 dernières années, l'explosion du nombre de gais et lesbiennes qui décident de devenir parents grâce à l'adoption ou l'insémination artificielle a été si important qu'on a dû lui donner un nom: le gayby boom. Les enfants issus de ces unions seraient quelques centaines de milliers en Amérique du Nord et 20 000 aux Pays-Bas, devenus en 2001 le premier État au monde à accorder le mariage civil (3 % de tous les mariages) et l'adoption (un peu moins d'une centaine d'adoptions d'enfants néerlandais chaque année) aux homosexuels. "On n'a pas essayé de réinventer le bouton à quatre trous et on s'est inspiré de ce qui a été fait ailleurs comme législation à ce sujet", reconnaît Paul Bégin, qui considère, à forte raison, le Québec comme un des endroits les plus progressistes au monde par cette mesure... mais qui se défend bien de courtiser par là le vote rose. Au Canada, si la Nouvelle-Écosse a déjà sa propre union civile, six provinces accordent, selon certaines modalités, une double filiation à l'égard des parents de même sexe, et d'autres s'apprêtent à le faire.

Peu de voix se sont élevées au Québec contre l'union civile et les droits parentaux pour les conjoints de même sexe, sinon quelques groupes de la droite religieuse. En fait, seulement 5 % des gens présents en commission parlementaire se sont prononcés contre. Certains se disent inquiets de la vitesse à laquelle le gouvernement agit. D'autres encore croient que le bien-être de l'enfant est mis en péril et que les capacités parentales des homosexuels sont douteuses. Or, il n'en est rien dans les faits. "Ces réticences ne sont pas fondées sur la science, estime le Dr Karine Igartua du Centre d'orientation sexuelle de l'Université McGill. Plusieurs recherches depuis les années 70 démontrent que l'orientation sexuelle des parents ne nuit pas au développement normal d'un enfant."

Les conclusions de ces recherches provenant de plusieurs pays occidentaux reviennent effectivement du pareil au même: oui, les enfants de parents de même sexe sont heureux; non, les homosexuels ne sont pas des parents dysfonctionnels. L'American Academy of Pediatrics, qui groupe 55 000 médecins, a annoncé en début d'année qu'elle appuyait le droit des gais et lesbiennes à devenir parents en bonne et due forme. Pendant 20 ans, les membres ont analysé le comportement de 300 enfants élevés par des lesbiennes, comparativement à 300 autres élevés par des mères hétérosexuelles. Résultat? Aucune différence notable n'a été constatée, entre autres au chapitre du développement de l'identité sexuelle, du rôle des genres, de l'orientation sexuelle, des troubles de comportement, de la relation avec les pairs, du jugement moral, etc. "Les résultats de la recherche sont assez uniformes: les stéréotypes courants ne sont pas confirmés par les données", estime quant à elle l'American Psychological Association dans l'une de ses plus récentes études. Par "stéréotypes", l'APA entend surtout un argument couramment avancé: les enfants risquent (sic) de devenir homosexuels. Foutaise, a prouvé l'Association. Le pourcentage d'homosexuels chez les enfants élevés par des parents homosexuels n'est pas plus élevé que chez ceux élevés par des hétérosexuels (entre 1 et 10 %).

Au Québec, un rapport réalisé par Danielle Julien, Monique Dubé et Isabelle Gagnon, du département de psychologie de l'UQAM, a révélé que de multiples études démontrent que les parents homosexuels n'ont pas plus de problèmes psychopathologiques que les hétéros, que "les attitudes de ces deux groupes sont comparables sur le plan de l'éducation des enfants", et qu'aucune recherche démontre que ces parents sont "incompétents".

Annick Gariépy n'a pas besoin d'études scientifiques, ni de discours de spécialistes, pour se convaincre de la valeur d'une famille homoparentale. Pendant toute son enfance, cette jeune avocate de 24 ans a vécu avec sa mère et sa conjointe de l'époque, cachant cette relation par peur des commentaires d'autrui. "Croyez-moi, je n'ai jamais manqué de rien! Mais j'ai toujours trouvé injuste le traitement fait à mon type de famille. Ma situation familiale a d'ailleurs dû influencer mon choix de devenir avocate, de combattre les injustices. Avec le projet de loi, j'espère que les parents homosexuels et leurs enfants ne sentiront plus de honte et seront acceptés par tous", affirme celle qui a livré un témoignage poignant en commission parlementaire. Sa situation est d'autant plus particulière que son copain, qu'elle fréquente depuis cinq ans, a... un père homosexuel!

"Il faut arrêter de prouver, prouver, prouver. Les enfants de parents homosexuels vont bien, et il faut les accepter, eux et leurs parents. Ces familles sont tout à fait normales." Stéphane Nadaud, pédopsychiatre français (la France ne reconnaît que les unions, pas les droits parentaux), vient de publier un livre, Homoparentalité: une nouvelle chance pour la famille (Fayard). Pour lui, l'homoparentalité désacralise le concept de famille. "La grande force de l'homoparentalité est de pointer du doigt ce que l'on croit absolument univoque et parfaitement circonscrit: la famille, affirme-t-il en entrevue de l'hôpital de Ville-Evrard, à Paris, où il travaille. Mais les formes sont multiples: la famille recomposée, nucléaire, monoparentale, adoptive, d'accueil. Et maintenant, il y a la famille homoparentale qui a droit à sa place."

Esprit ouvert

Nicole Paquette et Mona Greenbaum ont créé en 1998 l'Association des mères lesbiennes, une organisation dédiée à apporter support et information aux lesbiennes qui ont des enfants ou qui souhaitent en avoir. Pour les 200 membres actives, c'est bien beau, la reconnaissance de l'État, mais elles partagent quelques inquiétudes.

"Nos enfants acceptent bien leur réalité familiale, estime Nicole Paquette. Ils sont conscients d'avoir deux mères, d'appartenir à une famille différente et que c'est très bien ainsi. Mais je ne sais pas si tous partageront leur avis." C'est que leurs fils risquent bien d'être victimes de railleries et de moqueries à l'école. Si les Québécois semblent prêts pour les familles homoparentales (les sondages montrent qu'entre 55 et 60 % des Québécois sont en faveur de l'adoption homosexuelle), il n'en reste pas moins que le milieu scolaire demeure un terreau fertile en préjugés. "À l'école, on te dit que ce qui est normal, c'est un homme, une femme et deux enfants, affirme Annick Gariépy. Aussi, traiter une personne de fif ou de gouine est devenu l'insulte numéro un. C'est pour cela que je ne parlais pas beaucoup de ma vie familiale. Il ne faudrait pas tolérer tout ça à l'école." Quelques intervenants en commission parlementaire ont ainsi plaidé pour l'ajout d'un programme de sensibilisation qui serait greffé au projet de loi, question de bien faire passer le message.

Programme ou pas, Nicole et Mona entendent bien être toujours "des parents très actifs et disponibles". "Oui, la reconnaissance par l'État est un moteur de changement des mentalités, souligne Mona Greenbaum. Il faut faire d'autres efforts, cependant. Il faut que les professeurs et les directeurs soient sensibilisés et réagissent devant des comportements inadmissibles, comme ils le font avec les propos racistes, par exemple. Il faut que l'on parle ouvertement des différentes formes de famille à l'école et mettre en pratique des programmes de sensibilisation à la diversité, autant culturelle que sexuelle."

"Récemment, en visitant l'école que Léo fréquentera en prématernelle, aucun membre du personnel n'a passé de commentaires sur notre situation familiale. Je leur ai dit: >Vous avez bien remarqué que... vous savez... que Léo a deux mères.> >Si, si, a répondu le directeur, et il n'y a aucun problème: nous, on embrasse la diversité.> C'est un signe encourageant pour les familles avec des conjoints de même sexe", raconte Nicole Paquette, avant de conclure l'entretien pour aller s'occuper de Simon et Léo qui s'amusent ferme dans la cuisine en lançant des "Mummy! Maman! Mummy! Maman!". Les enfants et leurs parents: tous pareils!

(MSN.ca/Sagesse2000) ajouté le 30/5/2002

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