Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES PREMIERS CHRETIENS FACE À L'AVORTEMENT

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AVERTISSEMENT AU LECTEUR

Cette étude n'a pas tant pour objet de montrer que les premiers chrétiens étaient fermement opposés à l'avortement volontaire (ce qui est dans la logique chrétienne) que de rendre accessibles à tous les textes les plus anciens concernant cette question.

 


 LES PREMIERS CHRETIENS FACE À L'AVORTEMENT

Il n'est jamais question d'avortement volontaire dans l'Ancien Testament car les anciens Hébreux ne le pratiquaient probablement pas. Selon la Bible, Dieu avait promis à Abraham une descendance nombreuse et une naissance était toujours bienvenue. Perdre son enfant en couche était vécu comme une calamité (Exode XXIII, 26 ; II Rois II, 19, 21). La Loi stipulait :

 " Si des hommes, en se battant, bousculent une femme enceinte et que celle-ci avorte mais sans accident, le coupable paiera l'indemnité imposée par le maître de la femme, il paiera selon la décision des arbitres. Mais s'il y a accident, tu donneras vie pour vie."

Exode XXI, 22.

 

Si le foetus ou l'enfant mourait, le coupable devait verser une indemnité, si la femme mourait, il devait être mis à mort. Les lois babyloniennes (Code d'Hammourabi) font la distinction entre la femme qui est fille de notable et celle qui est fille d'un homme du peuple. Comme en Israël, celui qui provoquait l'expulsion et la mort du foetus devait dans les deux cas payer une amende. Mais si la mère décédait, on tuait dans le premier cas l'agresseur ou sa fille (paragraphe 210), et il devait seulement dans le second cas verser une demi-mine d'argent aux parents de la victime (paragraphe 212), voire un tiers seulement (à son propriétaire) si elle était esclave (paragraphe 214).

 

 Ces textes ne parlent pas de l'avortement volontaire. Les lois assyriennes cependant condamnaient à l'empalement et à la privation de sépulture la femme qui aurait pratiqué un avortement volontaire sur elle-même (paragraphe 53). Mais il s'agissait sans doute davantage, dans l'esprit des législateurs, de lutter contre la dénatalité que de punir un acte qui aurait été considéré comme immoral.

 

Du temps de Jésus, on appliquait, selon Flavius Josèphe, la règle suivante :

  "Si quelqu'un frappe du pied une femme grosse, et qu'elle accouche avant terme, il sera condamné à une amende envers elle, et à une autre envers son mari, à cause qu'il a diminué par là le nombre du peuple en empêchant un homme de venir au monde. Et si la femme meurt de ce coup il sera puni de mort, parce que la loi veut que celui qui a ôté la vie à un autre perde la sienne."

Antiquités judaïques, IV, VIII.

 

On peut déduire de cela, a contrario, que celui qui n'avait fait que provoquer l'avortement, sans que la mère y laissât la vie, n'était pas considéré comme ayant "ôté la vie à un autre". L'avortement n'était criminel que parce qu'il diminue "le nombre du peuple en empêchant un homme de venir au monde." Cependant, Flavius Josèphe ajoute un peu plus loin :

 "Il faut fuir et avoir en horreur ceux qui se sont rendus eunuques volontairement, et qui ont ainsi perdu le moyen que Dieu leur avait donné de contribuer à la multiplication des hommes ; puisque outre qu'ils ont tâché autant qu'il était en eux d'en diminuer le nombre, et sont en quelque sorte les homicides des enfants dont ils auraient pu être les pères..."

Antiquités judaïques, IV, VIII.

 

 L'auteur considère que se rendre eunuque est criminel car il contrevient à l'ordre donné aux hommes par Dieu de "croître, multiplier, et de remplir la terre." Il en parle comme d'une sorte d'homicide par anticipation (1). En ce sens, l'avortement volontaire est, pour un Juif du 1er siècle, une aberration. Il contrevient à l'ordre donné à l'homme par Dieu de se reproduire et, en empêchant la naissance, revient à commettre un homicide par anticipation. Il n'est cependant pas assimilé à un véritable homicide car l'embryon n'est pas considéré comme un véritable être humain, et c'est pourquoi celui qui provoque sa mort n'est tenu qu'à verser une amende. En effet, lit-on dans la Mishna :

"la vie de la femme l'emporte sur celle de l'enfant" (Oholot, VII, 6) et le foetus n'est considéré comme véritablement humain qu'à partir du moment où la majeure partie de son corps est sortie de celui de la mère

(Nida, III, 5) (2)  :

 

"En cas de couche trop  pénible (...) si la majeure partie du corps de l'enfant est sortie du sein maternel, il n'est plus permis d'y toucher, malgré le danger que court la mère, car on ne risque pas la vie d'un être (même d'un enfant) pour sauver un autre."

Talmud de Jérusalem, Shabbat, XIV, 4.

 

 En tout cas, le foetus avorté de moins de 41 jours n'était jamais considéré comme un enfant (Nida, III, 7). La plupart des rabbins considéraient en effet que la différenciation entre mâle et femelle ne s'opérait pas avant le 41ème jour après la conception.

 

 Il n'est pas question d'avortement dans le Nouveau Testament mais nous possédons l'opinion des tout premiers chrétiens sur cette question grâce à divers écrits. Dès le début de l'Eglise, l'avortement volontaire a été assimilé à l'homicide.

Les femmes qui s'en étaient rendues coupables étaient exclues de l'Eglise jusqu'à leur mort. Le concile d'Ancyre en 314, qui rappelle cette règle, atténuera la rigueur de cette peine et la ramènera à dix ans de pénitence (Canon 21). Le plus ancien document traitant de cette question est la Didachê, un texte judéo-chrétien de la fin du 1er siècle. On y lit :

 "Tu ne feras pas mourir par le poison, tu ne tueras point d'enfants, par avortement ou après la naissance."

Didachê, II, 2.

 

Les auteurs chrétiens des premiers siècles sont unanimes et sans équivoque, ainsi le pseudo-Barnabé qui écrit vers 130 apr. J.-C. :

 "Tu aimeras ton prochain plus que ton âme. Tu ne feras pas mourir l'enfant dans le sein de sa mère, tu ne le feras pas mourir à la naissance."    

Epître de Barnabé, XIX, 5. (3)

 

 La Didachê et l'Epître de Barnabé, les deux documents chrétiens les plus anciens, mettent sur un même plan l'avortement et l'infanticide.

 

 L'Apocalypse de Pierre, un apocryphe de la même époque (vers 130 apr. J.-C.) qui nous donne une description dantesque des Enfers, précise les tourments réservés à celles qui avortent :

 

 "Auprès de cette flamme, il y a une fosse immense et très profonde, dans laquelle coule tout ce qui vient de partout où il y a des damnés : une abomination fétide. Les femmes seront englouties jusqu'au cou et seront punies d'une grande peine. Ce sont justement celles qui avortent et détruisent l'oeuvre que le Seigneur avait formée. En face d'elles, il y a une autre place, où seront assis leurs enfants, eux qu'elles ont empêchés de vivre. Ils crieront vers le Seigneur. Une foudre viendra des enfants, une vrille dans les yeux de celles qui ont causé leur ruine par cette fornication."

Apocalypse de Pierre, VIII, 1-4. (3)

 

 D'après cet écrit on ne peut plus dissuasif, un châtiment non moins horrible est réservé aux parents coupables d'infanticide (Ibid., VIII, 5-8). L'avortement n'est pas cependant directement assimilé à l'homicide (d'après l'auteur, les apostats, les fornicateurs, etc. sont également dignes de l'Enfer) mais est considéré par l'auteur de l'écrit comme un acte hautement condamnable, digne des tourments de l'Enfer.

 

 En 177 apr. J.-C. le philosophe et apologiste chrétien Athémagore répond aux calomnies des païens qui accusaient les chrétiens de sacrifier des enfants et de manger leur chair lors de leurs réunions :

 "Et puisque nous affirmons que celles qui recourent à des moyens abortifs commettent un meurtre et qu'elles rendront compte de leurs avortements devant Dieu, comment se pourrait-il que nous commettions des meurtres ? Car il serait incohérent de penser que le foetus est un être vivant et que pour cette raison Dieu a soin de lui, et de tuer l'individu déjà avancé dans la vie ; de refuser l'exposition des nouveau-nés (abandon) en l'assimilant à l'infanticide, et en revanche, de leur ôter la vie une fois qu'ils ont grandi ; mais nous sommes dans tous les cas totalement cohérents et en accord avec nous-mêmes, et nous nous soumettons à la raison, plutôt que de lui commander."

Supplique, XXXV, 6.

 

 En 197 apr. J.-C., Tertullien, également défenseur de la foi chrétienne, explique pourquoi l'avortement était défendu par l'Eglise :

 "Quant à nous, l'homicide nous étant défendu une fois pour toutes, il ne nous est pas même permis de faire périr l'enfant conçu dans le sein de la mère, alors que l'être humain continue à être formé par le sang. C'est un homicide anticipé que d'empêcher de naître et peu importe qu'on arrache l'âme déjà née ou qu'on la détruise au moment où elle naît. C'est un homme déjà ce qui doit devenir un homme ; de même, tout fruit est déjà dans le germe."

Apologétique, IX, 8.

 

 Et dans son traité Aux Nations rédigé la même année, indigné par les pratiques des païens, il leur retourne leurs  accusations :

"Est-ce vous repaître médiocrement d'un enfant, que de l'immoler bien avant sa naissance ?"

(Aux Nations, I, 15).

 

Minucius Félix, autre apologiste de la fin du IIème siècle, reprend dans son Octavius les mêmes arguments : l'avortement volontaire équivaut à l'homicide. Les païens le pratiquent couramment, les chrétiens s'y refusent :

 "Je vous vois, en effet, tantôt exposer vos enfants aux oiseaux et aux bêtes, tantôt les faire périr d'une mort misérable en les étranglant. Il y a des mères qui avalent des médicaments pour tuer l'embryon dans leur propre sein et qui commettent ainsi un homicide avant d'avoir enfanté."

Octavius, XXX, 2.

 

 Par la suite des théologiens distingueront l'avortement commis avant animation du foetus de celui commis après animation. L'animation est le moment où l'âme est censée habiter le foetus. On parlera alors d'homicide anticipé dans le premier cas et d'homicide formel dans le second.

Les premiers chrétiens ignoraient semble-t-il ces distinctions. S'ils étaient unanimes pour condamner l'avortement volontaire, certains le considéraient comme un homicide anticipé, d'autres comme un homicide réel, sans qu'il soit jamais fait explicitement référence à l'animation ou à la non-animation du foetus.

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(1) Voir a contrario Matthieu XIX, 12.

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(2) Voir a contrario Genèse XXXVIII, 28-30.

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(3) Note regard: livre apocryphe