Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

AVOIR 20 ANS

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Ils ont entre 18 et 25 ans et le visage des enfants que nous aimons. Mais il faut reconnaître que leur vie est souvent une galère.

Paul Nizan disait déjà que 20 ans n'est pas le plus bel âge de la vie. Pourtant, rarement en temps de paix, une génération de jeunes adultes n'aura accumulé autant de handicaps.

Au risque de gratter nos plaies là où elles font le plus mal, c'est sans doute du côté de la famille qu'il faut chercher les origines de ce malaise des jeunes. Regardons simplement autour de nous et mesurons le nombre des couples de parents ou d'amis qui ont volé en éclats. Faisons l'effort de reconnaître toutes les souffrances que ces déchirures ont causé aux plus fragiles, les enfants. Il n'est pas question ici de porter un quelconque jugement sur les hommes et les femmes qui ont eu recours au divorce (de quel droit le ferais-je?), mais il est impossible de parler des vulnérabilités des 18-25 ans sans aborder la déstructuration de la cellule familiale. Malgré toutes ces difficultés vécues dans leur petite enfance, les jeunes restent particulièrement attachés aux valeurs familiales. Fonder une famille, avoir des enfants, vivre à deux dans la fidélité: ils sont une grande majorité à en rêver.

Il se trouvera toujours quelque Cassandre pour me dire qu'il y a une marge (ou un fossé) entre la famille rêvée et la famille réelle. C'est vrai. C'est vrai aussi qu'un pays comme la France compte plus de 1,7 million de couples vivant en union libre (dont 350000 ont moins de 25 ans - les «bébés-couples» - et vivent chez les parents du garçon ou de la fille). C'est vrai encore qu'un bébé sur deux naît aujourd'hui hors mariage trois fois sur quatre avec une maman de moins de 20 ans. C'est vrai enfin que, dans les principaux pays d'Europe, on se marie de plus en plus tard, exactement au même âge qu'il y a deux siècles!

Ces réalités nouvelles n'empêchent pas la famille d'être, particulièrement en temps de crise économique, le creuset des solidarités. On dit que vers l'an 2000, les garçons vivront chez leurs parents jusqu'à l'âge de 30 ans. A l'abri des rigueurs du temps. Les sociologues les appellent les «enfants kangourous».

La vague du chômage qui déferle depuis tant d'années sur le vieux continent frappe particulièrement les jeunes. En France, un jeune sur quatre est au chômage contre un sur vingt en Allemagne. A Madrid, les jeunes oisifs font commerce de la drogue jusqu'autour des églises où ils vont rincer leurs seringues dans les bénitiers!

Même avec des diplômes, les jeunes ont un mal de chien à trouver un vrai travail, à la hauteur de leurs espérances. Les systèmes éducatifs, trop souvent coupés des réalités économiques et du monde du travail, sont devenus des fabriques de chômeurs. Et les grandes banlieues de nos villes sont aujourd'hui des ghettos où la violence s'impose périodiquement comme le seul moyen d'expression de « meutes » d'exclus âgés de 15 à 25 ans.

Si le désoeuvrement ronge les ambitions dont sont légitimement porteurs les jeunes, il plonge dans le désespoir les gosses paumés déjà privés d'un environnement familial stable. Pour qualifier ces populations nombreuses chez eux, les Américains ont inventé l'affreux barbarisme de «sauvages urbains ». Terre de culture et d'humanisme, la vieille Europe en viendra-t-elle là? En France, les suicides de jeunes garçons ont presque doublé en dix ans, alors que la drogue se vend dans les collèges ou à leurs portes. Un jeune de moins de 25 ans meurt chaque jour d'une overdose.

En France où je suis chaque semaine amené à prendre la parole sur le sujet, je réclame inlassablement un plan Marshall pour la jeunesse, à qui il convient de redonner très vite confiance. Il est impossible de ne pas se mobiliser pour des jeunes formidablement ouverts sur le monde, généreux, solidaires et tolérants, des garçons et filles qui ne demandent rien d'autre que de vivre dignement dans une société de plus en plus fraternelle.

Face à la réalité du risque social, l'exigence morale s'impose, impérieuse.

 

Gérard Bardy

Journaliste, directeur de la Rédaction de Pèlerin Magazine. auteur de «Génération Galère»

(Albin Michel - Paris - 1994)

AVENEMENT Janvier 1995 No 79 / P 15

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