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Forêts anciennes, la peau de chagrin

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Des écologistes dénoncent le «pillage» par les Occidentaux des forêts tropicales. La situation se révèle plus complexe. La recherche de solutions conciliant protection naturelle et développement économique ne fait que commencer.

Après trois jours d'occupation, en rade de Sète, du navire Agia Irène transportant du bois exotique en provenance du Liberia, les militants de Greenpeace ont finalement dû quitter le pont le 27 février au soir. «Nos militants ont été délogés à coups de gaz lacrymogènes, assène, furieux, Ludovic Frère, coordinateur de l'opération d'arraisonnement et chargé de la campagne Forêts de Greenpeace France. La position du gouvernement français dans ce trafic est lamentable.» Par cette action coup de poing, l'organisation écologiste voulait empêcher le débarquement de plus d'un millier de troncs de niangon et de framiré et déclencher, par la même occasion, une prise de conscience médiatique sur la situation des forêts anciennes, mises à mal par l'exploitation forestière abusive.

Dépeint de cette façon, le tableau semble clair. Dans le détail, c'est un brin plus complexe. La définition même de «forêts anciennes» pose problème. Disons, que ce sont des forêts peu touchées par l'exploitation industrielle et abritant des espèces ancestrales. Précisément, pour le Liberia, ce classement est sujet à caution, les arbres ayant entre 60 et 100 ans. Ici donc, la bataille se situe à un autre niveau, plus politique.

« Je ne suis pas toujours d'accord avec les actions de Greenpeace, dit Marie-Claude Smouts, directrice de recherche au Centre d'études et de recherches internationales de la Fondation nationale des sciences politiques, mais je les approuve totalement dans le cas du Liberia. Ce qui s'y passe est un véritable scandale. Charles Taylor, son président, utilise la forêt pour s'enrichir personnellement: il a donné de gigantesques concessions à une compagnie forestière l'Oriental Timber Company, une société fortement soupçonnée de trafic d'armes et de pierres précieuses. La France a sa part de responsabilité dans cette situation puisqu'elle a été l'un des seuls pays à refuser l'embargo demandé par les Nations unies.»

Si la situation libérienne n'est pas forcément emblématique de celle des forêts anciennes, elle l'est peut-être de la déforestation massive engendrée par la prédation des grandes compagnies forestières. Mais là encore, les avis divergent. «Selon le Xecongrès forestier mondial Eurofor, dit Jean-Marc Roda, chercheur au Cirad-forêt, la destruction des forêts tropicales humides dans le monde est imputable pour 6% à l'exploitation forestière et pour 86% à l'agriculture et à l'élevage. L'immense majorité de la déforestation est en fait causée par la pression démographique qui engendre une compétition quant à l'utilisation des sols, donnant l'avantage à l'agriculture. Les gens brûlent les forêts, libérant de la place pour planter de quoi manger.»

Pour la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) et l'OIBT (Organisation internationale des bois tropicaux), parmi les autres causes de la déforestation, viennent l'élevage intensif, la collecte de bois de feu, les incendies et l'industrialisation. L'exploitation industrielle du bois n'est qu'un facteur aggravant mais pas le mal absolu qui saigne les forêts à blanc. Les organisations non gouvernementales, dont Greenpeace, rejettent évidemment ce classement, et concentrent leurs griefs sur les professionnels du bois. Comme souvent, la vérité est peut-être entre les deux.

En tout cas, il est certain que, dans la majorité des pays - les exceptions concernant surtout les Etats africains -, l'essentiel de la production est utilisé sur place. C'est ce qui se passe au Brésil mais également en Russie ou au Canada. Concernant les pays importateurs, bien que la France soit dans le peloton de tête européen, elle ne représente presque rien, et l'Europe pas beaucoup plus, devant la Chine, le Japon, l'Inde et Taiwan. En gros, l'Occident ne compte que pour 2% de la consommation mondiale de grumes tropicales. Si la France arrêtait d'importer du bois tropical, cela n'aurait presque aucune incidence sur la situation mondiale.

Une certitude: la déforestation mondiale progresse à la vitesse d'un cheval au galop: depuis 8000 ans, 80% des forêts anciennes ont disparu, «essentiellement dans les régions tempérées, en permettant aux pays occidentaux de construire leur développement économique, note Jean-Marc Roda. Il est maintenant difficile de dire à des pays pauvres de ne pas refaire ce qu'ont fait avant eux les pays riches.» Chaque année, ce ne sont pas moins de 10 millions d'hectares qui sont déboisés, soit l'équivalent d'un terrain de football toutes les deux secondes. C'est la forêt amazonienne qui est la plus durement touchée. Non seulement, la déforestation ne diminue pas depuis vingt ans, mais les parcelles rasées sont de plus en plus grandes. A ce rythme, estiment certains spécialistes, les forêts anciennes ne seront plus qu'un souvenir d'ici à une cinquantaine d'années.

Sanctuariser ces zones n'est pas forcément une bonne solution. En Indonésie, comme dans certains pays d'Afrique, le gouvernement a utilisé l'alibi de la protection forestière pour déloger les habitants des zones concernées, rasant les villages au lance-flammes ou au bulldozer. Au grand dam des associations écologistes. «C'est un des aspects les plus décourageants de l'écopolitique forestière, déplore Marie-Claude Smouts. Dès qu'une mesure positive est prise, une contre-mesure survient, qui ruine tous les efforts entrepris.»

Dans un mois, débute à La Haye, aux Pays-Bas, la Convention sur la diversité biologique. Un large volet sera consacré au sort des forêts anciennes. Aucun traité n'est à attendre d'une telle réunion. Au mieux, y dénoncera-t-on la contrebande, l'abattage illégal. Ne nous leurrons pas. Des besoins en bois, il y en a et il y en aura de plus en plus dans les années à venir. Sera-t-il possible de satisfaire ces besoins sans porter trop durement atteinte à la diversité biologique? Faute d'un véritable inventaire sur les richesses que recèlent les forêts anciennes, il est à craindre que le choix des zones à conserver et de celles à sacrifier restera impossible à faire, et procédera du pur arbitraire économique.

Hervé Ratel

Pour en savoir plus

Forêts tropicales, jungle internationale, Marie-Claude Smouts, Presses de Sciences Po.

Les Mille et Une Forêts, Ludovic Frère, Favre/Greenpeace.

 

(Science&Avenir/SOSPlanète/CPDH) ajouté le 10/5/2002

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