Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

La pluie en panne sèche 1992

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L'Europe souffre de la sécheresse. Exemple en France.

Trois années de sécheresse consécutives (1989-1991) sur une partie de l'Europe, un hiver et un printemps 1992 qui confirment encore cette tendance: la pluie est en panne sèche. Et nul ne sait pour combien de temps encore ...

Les facéties du climat ne sont pas nouvelles. On sait désormais qu'en Europe nos ancêtres ont connu, de 1600 à 1850 ap. J.-C., un véritable «petit âge glaciaire». On avait déjà subi, à Marseille, une sécheresse persistante entre 1875 et 1878, et dans une moindre mesure sur l'ensemble de la France lors des années 1945 à 1949. Les constatations récentes étonnent cependant par leur ampleur: un déficit pluviométrique de 50% sur de nombreuses régions françaises, voire de 70% sur de larges étendues de la Bretagne, des Pays de la Loire, du Poitou-Charentes, du sud-ouest et du sud-est. Du jamais vu, depuis au moins un siècle et demi: 14 mm d'eau à Clermont-Ferrand entre décembre 91 et février 92; le précédent record (32 mm) datait de l'hiver 1861-1862 ... Même rapport à Rennes, Orléans ou Carcassonne. Le sud de la Grande-Bretagne, le nord de l'Italie et de l'Espagne ne sont pas épargnés. La situation est certes préoccupante, mais est-elle pour autant désespérée?

Plusieurs spécialistes répondent à cette question avec nuance. Les chercheurs J.L. Probst (CNRS) et Y. Tardy (ORSTOM ), viennent de démontrer que le climat, régi par de nombreux facteurs, obéissait à une logique - et une relative stabilité - à l'échelle planétaire, avec des déphasages dans le temps et dans l'espace: une sécheresse peut se propager sur plusieurs années d'un continent à l'autre, ou une vague de chaleur ici être compensée ailleurs par un froid tenace. Tandis que la France est peu arrosée, le Sahel occidental, sévèrement affecté par la sécheresse de 1968 à 1988, connaît actuellement une rémission. «On est généralement trop pressé à conclure à une amélioration, ou une détérioration du climat global à partir d'indications qui n'ont de valeur que dans les limites régionales où elles ont été acquises . . . » rappellent les professeurs Tardy et Probst.

Sur le plan local, souligne Valérie Jacq (Météo France), les disparités sont également importantes. On a tendance à oublier les épisodes pluvieux catastrophiques qui ont marqué ces dernières années: le véritable déluge qui s'est abattu sur Nîmes le 3 octobre 1988: 228 mm d'eau en cinq heures, qui transformèrent un petit cours d'eau en torrent de boue. Bilan: 9 morts, des blessés et de nombreux dégâts dans la ville. A Narbonne, le 5 août 1989, 234 mm en 3 heures; à Nîmes encore, le 12 octobre 1990, il 'est tombé plus de 260 mm ... En ce printemps 1992, riche en orages dévastateurs, on pourrait multiplier les exemples. En précisant que ces précipitations ponctuelles n'ont pas réalimenté les nappes: elles ont emporté les sols, et dévasté de nombreuses cultures ...

Cependant, la sécheresse ne s'appréhende pas seulement par le manque de pluie. Un grand nombre de paramètres en déterminent la vigueur et les conséquences: chaleur, vent, évaporation, couverture végétale, durée etc. Comme le fait remarquer Emmanuel Choisnel (Météo France), on peut parler de plusieurs sécheresses: atmosphérique (quantité de pluie), hydrologique (baisse de débit des fleuves), et agricole (appréciable sur 1 ni de profondeur). C'est sans aucun doute dans ce dernier domaine que les conséquences de la sécheresse sont les plus sensibles. D'où l'inquiétude de nombreux agriculteurs, obligés de changer de culture quand la sécheresse frappe aux moments cruciaux de la croissance des plantes. Le maïs, trop gourmand en eau, est d'ailleurs progressivement abandonné au profit du tournesol, plus sobre. Pourtant, le malheur des uns ne fait pas toujours celui des autres: les étés secs ont dans l'ensemble largement profité aux vignerons (avec d'excellents crus, voire des millésimes% ou aux producteurs de melons dans la région de Cavaillon, mieux adaptés à ce type de situation: la culture sous serre, irriguée par l'eau de la Durance (ou du Canal de Provence qui promet à ses clients, en 1992, un approvisionnement normal), demande un ensoleillement maximum. Et si possible, nous confiait l'un d'entre eux, aucun nuage, ni pluie ...

Les répercussions sont souvent dramatiques dans plusieurs secteurs de l'économie. Les forêts sont rendues plus sensibles à l'incendie (plus de 57000 ha détruits dans le sud-est de la France en 1989), et les rivières à la pollution: la dilution des rejets polluants est plus difficile dans un volume d'eau plus faible. Les nappes souterraines courent le même risque, et l'alimentation en eau potable des habitants en zone urbaine, voire leur santé, peuvent être compromises. Il faut ajouter à ces avaries la réduction de la production hydroélectrique, celle de certaines activités industrielles, ou du tourisme (les sports d'hiver, de 1989 à 1991). Les interdictions préfectorales (lavage des voitures, arrosage des jardins, ou réglementation de l'irrigation) apparaissent dès lors comme des mesures souvent dérisoires devant l'étendue et la durée du phénomène . . . Conséquence inéluctable: l'eau devient une denrée rare, et de plus en plus chère: son prix a augmenté dans des proportions importantes (de 5 à 20%) dans plusieurs pays d'Europe et aux Etats-Unis.

Enfin, il faudrait pouvoir évaluer, dans les causes de la sécheresse, la part qui revient au fameux «effet de serre», par suite de l'augmentation de dioxyde de carbone (C02) dans l'atmosphère. Là encore, les spécialistes sont partagés. Pour la plupart d'entre eux, il semble difficile d'établir avec certitude une relation directe entre un probable échauffement de l'atmosphère, et la sécheresse actuelle qui marque le climat ouest européen. On ne dispose de techniques de mesure fiables, et de données, que depuis trop peu de temps pour en juger. Il est préférable d'attribuer ces variations aux agents cosmiques et planétaires (eux aussi capricieux!) qui régissent la circulation atmosphérique générale, jusqu'aux sursauts du soleil dont l'activité leur impose son rythme. On ne peut néanmoins minimiser les facteurs humains dans ces perturbations: déforestation, urbanisation et industrialisation; avec tout le cortège de déséquilibre et de pollution qui en résulte ... En attendant, plusieurs Etats européens ont la gorge sèche et remuent la poussière pour le sommet international de Rio où ont été décidées les mesures à prendre pour préserver au mieux l'équilibre écologique de notre planète. Mais on sait que cette sauvegarde coûtera cher, très cher, et les pays riches discutent déjà avec les plus pauvres, sans vraiment tomber d'accord ...

Quant à la prévision, les météorologues, avec une fragile certitude élaborée à l'aide de modèles mathématiques, n'osent prédire le temps qu'il fera au-delà de ... cinq jours! Rien ne permet donc de déterminer l'imminence, ou la fin d'une période sécheresse. Tout juste si l'on peut s'y préparer, quand on est suffisamment prévoyant ... A quand donc le nuage prometteur que le prophète Elie (850 av. J.-C.), après trois ans et demi de sécheresse climatique - et religieuse -, distingua depuis le sommet du Mont Carmel? L'été sera probablement chaud, mais on peut toujours se rafraîchir la mémoire avec profit, réévaluer nos propres responsabilités morales et spirituelles (il faudrait s'y employer aussi quand le temps est plus clément!), sans faire de coupes sèches ...

Frédéric Baudin

AVENEMENT Juin 1992 No 48 / P 16

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