Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Bernard Pichon: place aux micro-confesseurs

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Les antennes de la radio laissent parler les coeurs

Dans nos sociétés hyper-médiatisées, la communication entre êtres humains utilise des canaux en rapport avec les nouvelles technologies. Ainsi, la radio ouvre ses antennes nocturnes à ceux qui veulent partager leur solitude ou leurs problèmes dans l'anonymat d'un prénom, écoutés par l'oreille plus ou moins attentive ou intéressée d'un animateur à la voix de circonstance. Il y a là du meilleur comme du pire. Cela peut aller du voyeurisme indécent à l'intervention sociale. Pour tenter de comprendre ce que sont ces «nouveaux confesseurs par ondes interposées», Francis George-Perrin a passé une soirée dans les studios de la Radio Suisse Romande, à Lausanne, où Bernard Pichon anime, depuis plus d'une année, une émission de grande audience, «La Ligne de coeur». Cette émission est diffusée chaque soir (du lundi au jeudi à partir de 22h sur Radio Suisse-Romande la Première, ondes moyennes 765 KC) et le nombre d'appels reçus de l'étranger est significatif: la couverture géographique de l'émission dépasse largement les frontières helvétiques.

 

Récompensé récemment par le Prix J.-P. Goretta de la CRPLF (Communauté des radios publiques de langue française), Bernard Pichon a été choisi par un jury international en raison de sa qualité d'écoute dans le cadre d'une émission radiophonique où le professionnalisme, le tact, la psychologie et la discrétion sont les seuls garants de l'équilibre et de la réussite. Ce qui se passe sur «La Ligne de coeur» est certainement représentatif de ce qui s'exprime sur les ondes francophones et révèle le mal de vivre caractérisant cette fin de XXe siècle.

 

L'AVENEMENT: Existe-t-il des statistiques au niveau du nombre des appels, âge, sexe ou provenance ainsi que des sujets prioritaires qui font l'objet de votre dialogue avec les auditeurs?

B. Pichon:A vrai dire, nous ne tenons pas de statistique précise. Par contre, ce que nous pouvons affirmer, c'est que les appels sont de plus en plus nombreux, soit en direct, soit sur le répondeur téléphonique que nous laissons à disposition en dehors des heures d'antenne. Nous en venons à reporter certains appels intéressants sur l'émission du lendemain alors que, au départ, nous étions inquiets d'assurer le remplissage du timing attribué. Le courrier nous réserve environ une vingtaine de lettres par jour. Autre aspect intéressant: la fourchette des âges, située initialement vers les plus de 60 ans, s'étend maintenant très largement aux 15/25 ans. La fréquence des appels peut varier en fonction des programmes télévisés qui ont précédé l'émission et qui peuvent susciter une réflexion ou de situations particulières, comme la pleine lune, par exemple. Les sujets abordés sont très divers mais les problèmes liés à la solitude et aux relations de couple, aux problèmes de travail consécutifs à la situation conjoncturelle (chômage etc.) occupent une bonne part du temps d'antenne. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, nous n'avons que très rarement à intervenir pour «museler» des leaders ou des interlocuteurs désireux de faire passer un message politique, de propagande, ou de nature à contrevenir aux bonnes moeurs. Des filtres existent de toute manière au stade de la réception des appels pour éviter des bavures à l'antenne. Il faut éviter les recherches déguisées d'argent, de rencontres ressortant plus du travail des agences matrimoniales par exemple. Ceci mis à part, nos lignes sont largement ouvertes, même lorsqu'il s'agit de dialoguer avec des interlocuteurs d'élocution complexe comme des IMC.

 

L'AVENEMENT- Où placez-vous l'aspect essentiel de votre mission? Comment y êtes-vous préparé?

B. Pichon: Je ne me sens pas investi d'une mission, mais d'un devoir d'écoute. Je n'ai pas de message à délivrer et je me suis préparé à ce travail par une grande pratique du métier de journaliste. Le direct à la télévision, notamment, m'a permis d'affiner mes réflexes pour déclencher et mener un dialogue. D'autre part, je pense qu'il est nécessaire de se situer dans un âge (la quarantaine) qui favorise l'écoute et la crédibilité. Il faut certaines références de vie que l'on ne peut pas avoir sans une certaine maturité. Je n'aime pas le mot «normal» car comment doit-on définir la norme? Pour ma préparation, j'ai d'abord voulu me poser la question de savoir quel personnage je voulais être dans cette émission: «qu'est-ce que je ne suis pas? Je ne suis pas un curé, je ne suis pas un "psy" ou un gourou». Par élimination, il ne restait pas grand chose sinon le journaliste et j'ai cherché à m'en tenir à cette identité dont la principale caractéristique, outre la discrétion et le sérieux de rigueur, consiste notamment à poser les bonnes questions pour amener les gens à trouver un éclairage et des indices ainsi qu'à favoriser les contacts avec d'autres personnes concernées par les mêmes préoccupations. Un aiguilleur en quelque sorte. Surtout ne pas se poser en gourou ou en maître à penser. Je fais partie, professionnellement, des gens curieux et j'aime entendre les gens parler d'eux-mêmes. Il vaut mieux être comme ça pour avoir un peu de chaleur humaine et une écoute positive à offrir. Pour le reste, à chaque émission, la surprise est totale: aucun thème n'est préétabli. On peut commencer par des questions relatives au divorce et poursuivre avec la disparition d'un animal aimé. C'est l'interlocuteur qui choisit et dirige le «feeling» de l'émission et les gens sensibilisés ou désireux de s'impliquer dans le dialogue consolident la démarche. Tout ce que nous exigeons d'eux c'est qu'ils s'expriment à la première personne, pour parler d'eux et non se dresser en témoin de situations qui ne leur appartiennent pas.

 

L'AVENEMENT: En dehors du temps d'antenne et compte-tenu de situations particulières, entreprenez-vous des actions hors-émission dans des cas particuliers?

B. Pichon: En règle générale, je n'entretiens aucun rapport en dehors du temps d'antenne. Je travaille en direct total et ne connais mon interlocuteur que lorsqu'il est avec moi sur la ligne, face aux auditeurs. Mon exercice commence avec l'indicatif de début et se termine avec celui de fin d'émission. Je ne suis pas un assistant social mais il est évident que lorsqu'on a affaire à une personne qui fait une menace de suicide, on ne va pas lui dire simplement «au-revoir» à la fin de l'émission. Nous avons un certain nombre de références sociales vers lesquelles nous pouvons diriger des cas particuliers que nous ne laissons pas tomber, bien que cela n'apparaisse pas sur les ondes. Nous agissons alors par délégation.

 

L'AVENEMENT: Faites-vous partie de la «race des nouveaux confesseurs»?

B. Pichon:Si l'on doit admettre que la confession fait partie d'une technique qui permet de mettre les gens en confiance pour qu'ils puissent aller le plus loin possible dans ce qu'ils ont à dire, alors oui! Je le prendrais même comme un compliment en allant plus loin et parlant presque «d'accoucheur d'histoires vécues». Le besoin de confession existe à tel point qu'en URSS où la religion avait été bannie jusqu'à tout récemment, on avait recréé, dans les usines, des postes qui n'étaient pas tout-à-fait ceux de sociologues mais bel et bien de confesseurs, parce que l'on s'était aperçu que les gens craquaient s'ils n'avaient pas la possibilité de parler de choses les concernant intimement.

 

L'AVENEMENT: Avez-vous vécu des expériences où la référence ou l'aide apportée par des interlocuteurs chrétiens ont permis la résolution de problèmes? Quel est votre sentiment à cet égard?

B. Pichon: Un dominicain français qui écoute régulièrement l'émission m'a fait part de sa surprise face aux déclarations de foi qui passent sur les antennes suisse-romandes. Selon lui, la foi étant, pour beaucoup, le dernier refuge de la pudeur, il était surpris que ce genre de message passe si facilement sur les ondes. Les gens déclarent souvent qu'ils s'en sont sortis par la prière ou que, ayant découvert la foi, ils ont pu résoudre certaines situations de crise. Pour ce qui me concerne, bien que je ne le dise pas directement au micro, je considère qu'il y a dans le message évangélique la réponse à tous les problèmes humains. Il suffirait donc de s'y référer. J'espère que cette conviction profonde est présente en filigrane dans ma manière de dialoguer. Mais il est indispensable de puiser à la source de ce message en évitant de laisser la place aux dérapages de sectes ou idéologies déformantes. Il y a dans la religion chrétienne une notion de don gratuit qui mérite d'être affirmée par rapport à d'autres philosophies. Il faut choisir son camp et dans le cadre de la «Ligne de coeur», les témoignages chrétiens authentiques sont toujours pris au sérieux et diffusés sur l'antenne. Ils permettent souvent une approche efficiente des problèmes évoqués et offrent des solutions, indéniablement.

Entretien Francis George-Perrin

AVENEMENT Juillet 1992 No 49

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