Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Un messie au 19e siècle, Guillaume Monod

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Il y a des fondateurs de groupes religieux qui laissent une nombreuse postérité spirituelle et dont les successeurs dirigent des milliers de disciples. Il en est d'autres qui, après avoir attiré des adeptes fervents, laissent derrière eux un mouvement qui ne survit guère à leur décès. Tel a été le cas de Guillaume Monod, fondateur de l'Eglise réformée nouvelle. Et pourtant, la mission qu'il s'était attribuée n'était pas modeste: ce pasteur protestant du 19e siècle affirmait tout simplement être le Christ!

Au 19e siècle, la famille du Genevois Jean Monod (qui s'était établi au Danemark) fournit pas moins de dix-sept pasteurs à l'Eglise protestante de France. L'un d'eux fut Guillaume Monod. Cinquième des douze enfants du pasteur Jean Monod, il naquit à Copenhague le 10 mars 1800 et décéda à Paris le 22 janvier 1896.

Mais sa carrière pastorale prit un tour inhabituel. Il reçoit un premier poste à Saint-Quentin, en France, en 1828. Mais il manifeste dans l'exercice de son activité une certaine exaltation. Cela crée des tensions localement, son traitement finit par lui être retiré - et, en 1832, il doit être interné en maison de santé, après s'être présenté aux Tuileries un soir en prétendant devoir transmettre au roi Louis-Philippe un avertissement divin. Alors qu'il est interné, il entend une voix lui crier: "Tu es Jésus-Christ." Par la suite, l'épisode de sa folie et de son internement lui fut souvent rappelé pour mettre en doute sa mission. Mais, comme l'écrivit bien plus tard l'un de ses disciples, le pasteur protestant Louis Cuvier:

"Les disciples de M. G. Monod qui, sans parti pris, ont étudié de près cette époque de sa vie sont arrivés à la conviction bien arrêtée que cette folie n'a été qu'une apparence, une dispensation mystérieuse et significative voulue de Dieu, par laquelle Dieu a confondu la sagesse des sages, manifesté la folie du monde incrédule et pécheur, et mis dans tout son jour la parfaite obéissance, la sainteté et la profonde sagesse de son Fils. Toutefois, cette prévention de folie, et l'opposition, l'incrédulité universelle dont elle a été le prétexte ont encore eu pour effet d'accomplir la prédiction des nuées dont le Christ devait être enveloppé à son retour et de le dérober pour un temps aux regards prévenus de son Eglise." (Louis Cuvier, Lettres sur le retour de Jésus-Christ d'après les Ecritures, Paris, 1880, p. IX)

Il finit par se rétracter, admet qu'il s'est trompé, et sort de maison de santé en 1836 - pour tenter très vite de convaincre à nouveau sa famille de sa mission divine, avec le faible succès que l'on devine. Seule son épouse finit par accepter sa mission. Installé à Genève en 1836, l'exaltation se calme et il exerce différents travaux - hors de question pour lui, bien sûr, d'espérer retrouver à ce moment un poste de pasteur. Cependant, discrètement, il commence à réunir chez lui quelques disciples. En 1844, il retire sa rétractation et proclame à nouveau sa mission divine à sa famille.

En 1846, cependant, à la suite des turbulences qui s'étaient alors produites dans l'Eglise réformée du canton de Vaud et des nombreuses démissions de pasteurs qu'elles avaient entraînées, l'inespéré se produit: on lui offre un poste de pasteur. Il l'accepte et, pendant plus de vingt-cinq ans, va cesser d'exprimer publiquement sa conviction d'être le Christ - il affirma plus tard que Dieu lui avait ordonné de se taire sur sa mission, face à l'incrédulité de l'Eglise. Après le canton de Vaud, il exerce son ministère pastoral à Alger, puis en France métropolitaine - finalement à Paris pendant dix-huit ans.

En 1872, pourtant, il recommence à proclamer sa qualité de Christ. Il n'a d'autre choix que de donner sa démission en 1874. Dans une lettre de 1875, il déclare à un membre de sa famille: "je t'affirme que depuis l'an 1833, c'est-à-dire depuis quarante-deux ans, je n'ai jamais cessé, même pendant une seconde, d'avoir l'assurance que je suis le Christ." (Guillaume Monod, Le Christ rejeté par son Eglise, Paris, 1876, p. 38)

Guillaume Monod commence à signer certains textes "Votre Sauveur". Malgré son âge, il entreprend alors d'organiser son propre groupe religieux, l'Eglise réformée nouvelle. Dans la Première lettre du Christ à son Eglise (1874), il explique:

"J'ai invité mes disciples à se réunir désormais autant qu'il est possible tous les dimanches, pour lire ensemble les Ecritures et pour prier Dieu d'éclairer son Eglise et le monde, en leur manifestant que le Christ est venu, et que le but de son retour est de sauver ceux que sa première venue comme Sauveur n'a pas convertis.

"Rien ne doit être plus simple que ces réunions. Il suffit que deux disciples, même deux femmes, soient ensemble et prient au nom du Christ.

"Je préfère que mon nom de famille ne remplace pas celui de Jésus-Christ dans les prières."

L'étonnant, c'est qu'il parvient à attirer quelques centaines de disciples, dont une demi-douzaine de pasteurs protestants! Il faut dire que ce n'est probablement pas seulement l'affirmation de la nature de Christ de Guillaume Monod qui les attire: le nouveau Messie développe aussi une doctrine originale, et non sans talent. Dans un résumé de son enseignement, publié en 1844 déjà, il affirme le salut universel: "Dieu sauvera tous les hommes." Quant à l'élection, son but était "de former un peuple de rachetés qui servît à amener le reste des hommes au salut." Il soutient la multiplicité des globes habités: "Dieu s'est rendu visible et a souffert dans ces mondes." Les démons ne doivent pas être compris au sens littéral: "Il n'existe pas de malins esprits." La résurrection est comprise comme réincarnation. (La Bible sans voile. Résumé de l'enseignement de G. Monod, Genève, 1844)

Les membres de l'Eglise réformée nouvelle pouvaient donc se sentir attirés par certaines des doctrines monodistes. Certains d'entre eux exerçaient la fonction de prophète et recevaient donc aussi des révélations - lesquelles étaient soumises le cas échéant au tri de Guillaume Monod, qui déclarait celles qui étaient authentiques et celles qui ne l'étaient pas. Parmi ses fidèles, certains présentaient le profil typique des chercheurs spirituels un peu instables, par exemple l'archiviste Jules Doinel (1842-1902), qui veut d'abord devenir prêtre, devient franc-maçon avant de dénoncer plus tard virulemment la franc-maçonnerie, tente d'être reçu dans l'Eglise vieille-catholique d'Utrecht, fréquente les milieux occultistes, se retrouve patriarche d'une Eglise gnostique sous le nom de Valentin II... Tous les itinéraires d'adeptes de Guillaume Monod ne furent certes pas aussi pittoresques: la plupart d'entre eux ne laissèrent guère de souvenirs dans l'histoire.

Guillaume Monod finit donc ses jours entouré de disciples bienveillants. Sa mort à un âge vénérable ne suffit pas à faire disparaître le groupe. En effet, même s'il avait apparemment eu l'espoir de ne jamais décéder, c'est une éventualité qu'il n'avait pas non plus exclue, et la doctrine monodiste de la résurrection-réincarnation offrait une issue: les disciples commencèrent donc à attendre la naissance du Christ comme enfant pour une nouvelle existence. Un nouveau-né fut même, semble-t-il, désigné comme la nouvelle incarnation du Christ.

En 1907, alors qu'il écrivait sa thèse sur Guillaume Monod, Revault d'Allonnes rencontra des groupes monodistes qui se réunissaient encore à Paris, dans quelques autres régions de la France et à Genève. Nous ignorons quand ils disparurent: le déclin et la fin du monodisme se perd dans les brumes d'une histoire à laquelle plus personne ne s'intéressait. Mais l'on peut sans grand risque supposer que la 1ère guerre mondiale marqua pour le monodisme - comme pour d'autres groupuscules religieux - une césure dont il ne se releva pas.

Jean-François Mayer

(Religioscope/Espace2) ajouté le 22/9/2002

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