Quel est ce territoire où vont pénétrer les fils d'Israël, sous la conduite de Josué? Tout au plus savent-ils que leur « Terre promise » est habitée par des éléments d'origines très diverses, hérissée de citadelles « réputées imprenables » : cause et conséquence de nombreuses invasions. Werner Keller, l'auteur de la « Bible arrachée aux sables »(1), définit la conjoncture en Canaan lorsque commence la conquête racontée par le livre de Josué.
A l'époque où Israël se tenait prêt à envahir la Terre promise, les jours de la fière citadelle de Priam, de la Troie d'Homère, étaient déjà comptés. Bientôt Achille, Agamemnon et Ulysse allaient se préparer au combat. L'horloge de l'histoire marquait 1200 av. J.-C. (environ).
Israël n'aurait pu choisir une époque plus favorable pour se lancer à l'assaut. Aucun danger ne menaçait du côté de l'Égypte, dont le déclin était commencé. Deux millénaires avaient usé l'empire des pharaons : après le règne d'Akhénaton(2), sa puissance s'effritait de jour en jour. La suzeraineté égyptienne sur la région du Jourdain s'était relâchée. Les forces de Canaan valaient moins encore : multiples rébellions internes, rivalités des principautés et villes autonomes, pillage et corruption de la part de l'occupant égyptien.
Depuis que les Hyksos en avaient été chassés, vers 1 550 avant notre ère, la Palestine était restée province égyptienne. Au temps des Hyksos, un système féodal avait remplacé l'organisation patriarcale de l'époque d'Abraham. Sous la férule d'une aristocratie égoïste et despotique le peuple n'était plus qu'une plèbe asservie. Les Égyptiens conservèrent le système, laissant les princes locaux agir à leur guise, leur permettant même d'entretenir des forces armées : unités de chars de combat réservées aux patriciens, et infanterie plébéienne.
Les luttes sanglantes entre les villes ne préoccupaient aucunement l'Égypte, que seul intéressait le versement régulier des tributs. Des inspecteurs, auxquels garnisons et points d'appui donnaient un poids suffisant, étaient chargés d'y veiller. Les centres administratifs les plus importants de l'État suzerain étaient installés à Gaza et à Joppé (actuellement Jaffa). Les routes étaient construites et entretenues par des travailleurs forcés que les princes assujettis au tribut devaient fournir. On procédait de la même façon pour l'exploitation des « domaines de la couronne », situés dans la région fertile s'étendant au sud de Nazareth, et pour celle des forêts de cèdres du Liban. Mais les commissaires du pharaon étaient corrompus. Ils gardaient souvent pour eux la solde et les tributs servant à l'entretien des troupes, si bien que les hordes de mercenaires crétois, bédouins et nubiens pillaient sans vergogne les localités sans défense.
Sous cette domination décadente, le pays de Canaan se vidait de sa substance. La population diminuait. Au Xllle siècle av. J.-C., les familles patriciennes étaient fort appauvries comme les fouilles le montrent : les objets de luxe et les bijoux de valeur sont plus rares et les sépultures plus pauvres. Les murs d'enceinte sont moins puissants. Seules les républiques maritimes de la côte syrienne, protégées par les montagnes du Liban, continuent à vivre en dehors des luttes des princes.
Signalons que, vers 1200 av. J.-C., un nouveau métal s'offre sur les marchés : le fer. Comme il venait du pays des Hittites, les Phéniciens furent parmi les premiers à négocier cette matière première qui allait donner son nom à un âge de notre monde. Certes, les Égyptiens connaissaient le fer depuis près de deux mille ans, mais ils le considéraient comme un produit exceptionnellement précieux. Ils ne l'extrayaient que des météorites, et les rares armes fabriquées en fer méritaient pour eux leur nom de « poignards du ciel ». Avec les Phéniciens, l'Age du Bronze était bien au bout de son rouleau. Une grande époque du monde ancien tirait à sa fin.
Avec les « peuples de la mer »
Favorisant également Israël, au début du Xllle siècle avant notre ère, une nouvelle vague d'envahisseurs étrangers prit son élan vers le sud à partir des régions de la mer Égée. Par terre et par mer, des peuples maritimes submergèrent l'Asie Mineure, pointes extrêmes d'une série de migrations, dont la migration dorienne(3). Les lignes de force des déplacements des envahisseurs indo-germains étaient dirigées vers le pays de Canaan et l'Égypte. Israël, qui se trouvait encore sur le Jourdain, n'avait rien à craindre d'eux, mais les Cananéens, déjà affaiblis par leurs rivalités internes, devaient faire face à un nouveau front. L'heure d'Israël était donc venue lorsque sonnèrent les trompettes de Jéricho.
Werner KELLER
1. Éd. Presse de la Cité.
2. Voir « EN CE TEMPS-LA - LA BIBLE », No 4, page III: Israël S'installait sur les rives du Nil il y a plus de 3 300 ans. »
3. Celle qui suivit la guerre de Troie.
Werner KELLER
En ce temps-là, la Bible No 17 page I-II.