Jérémie, comme Isaïe, Ézéchiel et bien des « petits prophètes », a condamné l'orgueilleuse cité de Tyr qui, pendant plus de trente-cinq siècles, jusqu'à ce que la chute de Constantinople, en 1453, ait livré aux Turcs toutes les routes maritimes de l'orient méditerranéen, régna sur les mers. Elle connut bien des vicissitudes au cours de sa longue histoire; les plus graves qu'elle endura correspondent aux malheurs annoncés par les hommes de Dieu.
La fondation de Tyr remonte au moins, estime-t-on, aux environs de l'an 2700 avant notre ère. A l'Age du Bronze Moyen (1900-1600 av. J.-C.), la cité avait déjà une importance portuaire certaine. Elle comportait alors en fait une ville continentale, Palaetyrus ou Ushu, et une forteresse insulaire.
Dès le Xllle siècle.av. J.-C., Tyr jouit d'une puissance commerciale qui rayonne dans tout le bassin méditerranéen, mais c'est au Xe siècle, sous le règne du célèbre roi Hiram, qu'elle atteint son apogée. Bâtisseur, Hiram entreprend de grands travaux: il joint à l'île principale un second îlot, afin d'agrandir sa forteresse ; il élargit les deux ports de la ville : le port-sud ou « port égyptien » et le port-nord ou « port sidonien », et les relie par un canal qui traverse la cité elle-même. Là, il édifie de nombreux temples aux divinités traditionnelles de la Phénicie : Melkart-Héraklès et Astarté. C'étaient en bonne partie les fructueux échanges commerciaux avec l'Israël de David, puis de Salomon, qui permettaient la construction de tous ces monuments fastueux. Contre le bois de cèdre et la main-d'oeuvre qualifiée dont il avait besoin, Salomon fournissait notamment à son allié des biens précieux ou indispensables comme le blé, l'orge, l'huile, le vin (2e Chroniques, chap. 2, vers.15).
Après la mort d'Hiram, le grand port de commerce s'enrichit encore davantage (Isaïe, chap. 23, vers. 8), mais bientôt un terrible danger menace la cité. Venues de Ninive, les armées assyriennes déferlent. Pour sauvegarder son activité, Tyr s'empresse de négocier avec l'envahisseur et, comme le roi de Juda, paie tribut à Téglat-Phalasar III (745-727 av. J.-C.) ; puis, après la chute du royaume d'Israël, signe un traité d'alliance avec Asarhaddon (681-669 av. J.-C.), le grand roi d'Assyrie, suzerain de tout le Proche-Orient. Celui-ci lui accorde une bonne partie de la côte phénicienne méridionale, avec les villes d'Acre et de Dor.
Nabukodonosor échoue devant les murs mais ruine la ville
Tyr connaît ainsi à la fin du Vlle siècle une ère de prospérité sans pareille (Ézéchiel, chap. 27), et rien ne semble devoir mettre fin à son hégémonie maritime. Et, pourtant, les jours de sa gloire sont comptés : au cours d'un siège terrible qui dure treize ans, Nabukodonosor, déjà maître de Jérusalem, tente de réduire la puissante cité qui garde cependant ses créneaux sur la mer. Si le roi de Babylone ne parvient pas à s'en emparer, elle sortira du siège appauvrie : son commerce est ruiné. Les navires marchands ont pris l'habitude de faire escale à Sidon, qui désormais occupera la première place parmi les ports phéniciens.
Alexandre réussit l'assaut mais donne à sa conquête un regain de vie.
Ayant échappé à la défaite au prix d'énormes sacrifices, son ancienne rivale connaît un répit de trois siècles, avant que ses habitants ne voient ressurgir une flotte de guerre et l'armée d'un conquérant. En 330 av. J.-C., ce sont en effet les navires grecs d'Alexandre le Grand qui viennent à nouveau attaquer la cité. Cette fois, le siège ne dure que sept mois, Alexandre ayant finalement réussi à faire édifier, malgré la résistance des Tyriens, le long môle reliant l'île à la ville continentale; les sables accumulés autour de cet ouvrage formeront l'isthme que nous connaissons. C'est ainsi que Tyr devint une cité hellénistique. De ce glorieux passé les archéologues n'ont découvert que très peu de vestiges. C'est Renan qui, en 1860, fut le premier à s'intéresser au site de la Tyr antique. Depuis 1947, l'émir Maurice Chéhab, directeur général des Antiquités du Liban, s'attache à faire revivre ces ruines.
Grâce à lui les vestiges de la ville romaine du moins ont été exhumés : une superbe rue longue de 170 mètres et large de 1 1, bordée de portiques à colonnes de marbre sur plus de 5 mètres de profondeur, fut notamment découverte. Au lIe siècle, la chaussée était ornée d'une mosaïque ornée de motifs circulaires rappelant l'astre lunaire. L'empereur Septime Sévère fit recouvrir la mosaïque d'un grand pavage en marbre.
A chaque extrémité de cette artère principale se trouvaient les deux monuments les plus importants de la ville : au sud, un grand bâtiment carré de 35 mètres de côté, doté d'une colonnade de granit gris, et pourvu d'une cour entièrement revêtue de mosaïque, au nord, les arènes qu'entouraient des citernes voûtées. Enfin, un immense hippodrome romain, l'un des plus vastes que l'on connaisse, vient d'être mis au jour, il date du IIe siècle ap. J.-C., témoignant qu'à cette époque la ville avait recouvré une population nombreuse, principalement composée d'artisans en teinturerie.
L'industrie de la pourpre en effet, à quoi Tyr devait depuis toujours une grande part de sa fortune, n'avait rien perdu alors de son importance. Le produit tiré de ce grand escargot de mer que l'on nomme le murex, restait la plus prisée des teintures connues : une des rares qui produisît des rouges et des violets éclatants, et qui surtout pouvait être garantie « bon teint » (Alexandre le Grand découvrit dans le trésor de Darius des tissus de pourpre vieux de cent quatre-vingt-dix ans, dont la couleur ne s'était pas fanée le moins du monde).
Aujourd'hui, des tas épars de coquilles témoignent de ce que fut cette industrie, tandis que les sables envahissent chaque jour davantage le petit port libanais où seules quelques barques de pêche viennent encore mouiller.
M.-C. HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 60 pages II-III.