Nul ne songe certes à identifier la renaissance du vieux pays de Canaan, combien méritoire d'ailleurs en raison de l'effort prodigieux et continu qu'elle suppose, avec l'accomplissement des promesses prophétiques : chacun entend en effet celles-ci à la fois de la restauration qui suivit l'Exil et de l'établissement d'un règne universel du Dieu d'Israël qui sera reconnu de toutes les nations. Mais quel peuple ou quelle communauté se sentirait assez détaché de ses propres traditions pour s'étonner de ce que la tradition juive, dont est nourrie l'immense majorité des Israéliens d'aujourd'hui, tienne à « ses prophètes »?
Les noms des « inspirés » sont tout naturellement mêlés en Israël à la vie quotidienne.
C'est ainsi qu'à Jérusalem même, on trouve bien sûr une « rue des prophètes » mais aussi, dans le quartier le plus religieux, des rues qui perpétuent le souvenir de la plupart d'entre eux. De même qu'Athènes honore de cette manière Aristote, Héraclite ou Platon, la cité sainte a voué certaines de ses voies à Isaïe, Amos, Abdias, Abacuc, Aggée, Osée, Nathan...
Que de sites, que de villes de ce pays tiennent également leurs noms de l'Écriture. La moderne Tel-Aviv d'abord : Ézéchiel (chap. 3, vers. 15) appelle ainsi le lieu de Babylonie vers lequel l'Esprit de Dieu dirige le prophète pour qu'il porte aux exilés son message d'espérance. La devise de Tel-Aviv en outre : « Je te construirai et tu seras construite », est une citation de Jérémie (chap. 31, vers. 4).
Mais aux portes mêmes de Jérusalem, on découvre un mémorial qui porte un nom énigmatique pour le visiteur non averti : Yad-Vaschem. Cette expression se trouve en Isaïe (chap. 56, vers. 4) : « Aux eunuques, à ceux qui observeront mes sabbats, qui choisiront ce que je désire et qui s'attacheront à mon alliance, je donnerai, dans ma maison, Yad-Vaschem : une place (l'hébreu dit : « une stèle ») et un nom, meilleur que celui de fils et de filles; je leur donnerai un nom éternel, impérissable. »
« Eunuque » signifie souvent dans la pensée biblique « avili », « infirme ». L'incapacité radicale de survivre dans une postérité place les eunuques dans une position peu enviable. Et cependant, affirme Dieu par Isaïe, il leur sera donné ce que la nature et les hommes leur refusent. Quelque chose en somme qui perpétue malgré tout leur souvenir, et quelque chose de meilleur que n'eussent été des fils et des filles.
Ceux qui furent victimes de l'extermination nazie, de quelque manière qu'ils soient « fils d'Israël », ont eux aussi disparu pour la plupart avec leurs enfants ou sans laisser de postérité. Le monument élevé ici se veut donc dans l'esprit d'Isaïe qui promettait aux « eunuques » de jadis : Yad-Vaschem.
Un monument encore, dressé à la frontière qui coupait en deux Jérusalem jusqu'à la guerre des six jours, et qui commémore la bravoure des combattants des deux rangs, porte, en hébreu et en arabe, un célèbre passage d'Isaïe (chap. 2, vers. 4) : « De leurs épées ils forgeront des socs de charrue et de leurs lances ils feront des faucilles. Une nation ne lèvera plus l'épée contre une nation; ils ne s'exerceront plus au combat. » Puisse ce voeu être exaucé!
Le nom donné récemment au regroupement oecuménique que tente de réaliser un Père dominicain entre juifs, chrétiens et Arabes, sur les terres de la trappe de Latroun, relève du même esprit. Il est encore emprunté à Isaïe (chap. 32, vers. 18) où on lit : « Mon peuple se reposera dans la beauté de la paix. » Dans l'hébreu une oasis de paix : « Névé-Shalom ». Le centre ainsi nommé doit favoriser des échanges amicaux et spirituels entre les trois grandes communautés qui invoquent le Dieu d'Abraham.
Les psaumes aussi ont « leurs » kibboutzim
C'est dans le choix des noms destinés à désigner les nouvelles agglomérations urbaines ou agricoles, Kibboutzim ou Moshavim(1)que se manifeste surtout une imprégnation des textes bibliques. Un regard sur la carte de l'État d'Israël (en bas, à droite) suffit à s'en convaincre.
Le psautier a la part belle avec par exemple :
1 - POSH-PINNA : La « pierre d'angle », non loin de la frontière libanaise. C'est au psaume 117 (118 de l'hébreu; vers. 22) que se sont référés les pionniers. La pierre angulaire est celle « qu ont rejetée les bâtisseurs ».
2 - ISHI : « Mon salut ». Moshav proche de Jérusalem dont le nom est tiré du psaume 26 (hébreu 27, vers. 1 ) : « Le Seigneur est mon salut. »
3 - REVIVIM : « Les averses ». A une trentaine de kilomètres de Beersheba (Bersabée). Le nom est emprunté au psaume 64 (hébreu 65; vers. 10-11 ) : « Visite la terre » baigne-la d'averses et bénis la germination ! »
4 - EMOUNIM : « Les fidèles ». Moshav du sud, dont le nom vient du psaume 30 (hébreu 31 ; vers. 24) : « Le Seigneur garde les fidèles. »
5 - CHOUVA : « Ramène ». Moshav proche de Gaza, dont le nom est emprunté au psaume 125 (hébreu 126, vers. 4) : « Seigneur, ramène nos captifs. »
6 - SHTOULIM : « Les plants ». Moshav au « pays des Philistins », dont le nom évoque le psaume 91 (hébreu 92; vers. 14) : « Plantés dans la maison du Seigneur. »
7 - YAGUEL : « Jubilation ». Moshav de la plaine de la Shéféla, entre Jérusalem et la Mer. Son nom célèbre « l'allégresse d'Israël » (Psaume 52; hébreu 53; vers. 7).
8 - TAHOZ : « La vaillance ». Moshav du corridor de Jérusalem, dont le nom est tiré du psaume 88 (hébreu 89; vers. 14) : « Ta main est ferme; ta droite élevée. » Mais la grande majorité des implantations récentes s'est placée sous le patronage des prophètes et tout spécialement d'Isaïe :
9 - EREZ : « Le cèdre ». Kibboutz de la région de Gaza : « Au pays de la solitude, je planterai le cèdre » (Isaïe, chap, 41, vers. 19).
10 - BITEHA : « La sécurité ». Moshav du Néghev. Toujours dans le livre d'Isaïe (chap. 30 vers. 15), le texte hébreu dit : «Votre force sera dans la sécurité », là où nous lisons l'espérance, Celle-ci assure l'avenir de celle-là.
11 - BEN-SHEMEN : « La fertilité ». Moshav et village de jeunes, proches de Lod (Lydda). C'est la « langue de terre fertile » du verset 1, au chapitre 5 d'Isaïe.
12 - GAZIT : « La pierre de taille ». Kibboutz de la basse Galilée, proche d'Afula, qui appuie sa solidité sur les « pierres de taille», du verset 10 au chapitre 9 du même livre.
13 - GILAT : « L'allégresse ». Moshav de la région de Gaza : « La terre déserte exultera dans l'allégresse » (Isaïe, chap. 35, vers. 1-2). Ce même verset est à l'origine du nom de Tipherah («fleurira») donné à un autre moshav du Néghev, proche de Gaza.
14 - 15 - YAZIZ et YASHRESH
« Prendre racine » et « fleurir ». « Il y aura en Jacob, dit le prophète, une poussée vivace, mais Israël se couvrira de fleurs » (Isaïe, chap. 27, vers. 6).
16 - HOUDIM : « Les brandons ». Moshav de la plaine de Sharon, entre Haïfa et Tel-Aviv : « Celui-ci n'est-il pas un brandon sauvé du feu ? » (Zacharie, chap. 3, vers. 2).
17 - PEDOUIM : «Les rachetés». Moshav du nord du Néghev : « Les rachetés du Seigneur retourneront et viendront à Sion » (Isaïe, chap. 35, vers. 10).
18 - RISHON-LE-SION : « Le premier à Sion » désigne une ville importante qui fut en effet l'une des premières implantations du « sionisme » en terre d'Israël. On lit dans Isaïe encore (chap. 41, vers. 27)« C'est le premier qui dit à Sion: Les voici »
19 - SDEI-HEMED « La terre désirable ». Moshav de la plaine de Sharon. Son nom évoque la prospérité avant la dévastation qui fit pleurer cette « terre désirable et les vignes fécondes » (Isaïe, .chap. 32, vers. 12).
20 - SHELOUHOT : « Les sarments ». Kibboutz situé dans le sud de la vallée de Beth-Shéan. Il s'agit des sarments de la vigne de Sibma, « qui s'étendaient jusqu'à Yazer » (Isaïe, chap. 16, vers. 8)-.
21 - SAMIR : « Le diamant ». Kibboutz du nord dans la vallée du Houlé : « J'ai fait ton front comme le diamant » (Ézéchiel, chap. 3, vers. 9).
Ce recensement n'est pas complet; il s'en faut de très loin. L'école d'agriculture Mikve-Israël (« l'espoir d'Israël ») peut revendiquer le parrainage de Jérémie (chap. 17, vers. 13) ou le moshav Habazeleth-ha-Sharon emprunter au Cantique des cantiques lui-même « le lis des vallées » (chap. 2, vers. 1 ) ; bien d'autres installations et d'autres sites sont désignés à travers des expressions employées par les auteurs sacrés. Et bien des noms antiques se sont perpétués jusqu'à nos jours, intacts ou métamorphosés par l'évolution linguistique.
Le fait confirmerait s'il en était besoin que les modernes habitants de ce pays dont l'histoire appartient à l'humanité tout entière demeurent fortement attachés pour leur part aux traditions du Livre. De plus, il permet aux visiteurs, touristes ou pélerins venus de tous les continents mais abreuvés aux mêmes sources de se trouver d'emblée chez eux dans « la Terre sainte ».
Dom J. GOLDSTAIN
1- Le «moskav» est un village coIlectiviste où la vie est moins totalement communautaire que dans les kibboutzim
En ce temps-là, la Bible No 56 pages II-III.