Même si les manifestations féministes n'ébranlent pas le monde d'aujourd'hui, il arrive qu'elles s'agitent et prennent, aux U.S.A. par exemple, une ampleur qui force Inattention en France même, pays « raisonnable » en ce domaine du moins, les « États généraux » de la femme, bien qu'ils tendent surtout à inciter celle-ci au franchissement de portes très complaisamment ouvertes, ont paru soulever un courtois intérêt. Ce fut ici et là occasion de mettre en cause le sort de la femme « aux temps bibliques ». Nos lecteurs savent bien que, sur l'essentiel (l'égalité, qui n'entraîne pas la triste identification légitimement redoutée par .les sages), la Bible est sans équivoque : il n'est qu'une seule nature humaine créée « à l'image de Dieu »(1), cette unicité n'est nullement mise en cause par le fait que la différence d'un sexe à l'autre ait été voulue elle aussi par le Créateur : « Homme et femme, il les créa. » Il reste que l'Antiquité, où vécurent Israël et ses voisins, a plus généralement insisté sur « la différence » physique et psychologique que sur l'unicité de la nature. Et l'on voudrait être sûr que cette vieille habitude n'a pas laissé quelque trace dans l'esprit de nos contemporains les plus évolués.
A travers la tradition de la Bible, comme à travers celle que reflètent bien d'autres écrits profanes, on découvre, dans la famille constituée sur le mode patriarcal, l'homme propriétaire (baal) de sa femme, qui le devait servir, et de ses enfants. Là où n'existait guère d'état constitué, dans les steppes abandonnées aux nomades et même en Canaan au 20 millénaire, le père disposait d'un pouvoir réellement illimité il avait jusqu'au droit de vie et de mort sur « les siens ».
Durant toute l'ère ancienne, comme il en ira en Assyrie ou en Syrie, les descendants d'Abraham eurent autant d'épouses qu'ils le souhaitaient sans que la pratique de la polygamie apparaisse comme une faute. Il suffisait que les moyens du mari polygame lui permettent l'entretien décent d'une telle famille.
Même si la monogamie était considérée comme un idéal, et ce fut très tôt le cas en Israël, seul le Code d'Hammurabi la prescrit explicitement, avec toutefois une restriction d'importance : quoique époux légal d'une seule femme, l'homme pouvait choisir en outre autant de concubines-esclaves qu'il le désirait.
Le mariage une affaire privée.
Le divorce : une affaire facile ... seulement pour le mari.
Lorsqu'elle se mariait, - selon une procédure privée, après la promulgation de la Loi du Sinaï aussi bien que dans la tradition des patriarches - la jeune femme quittait le foyer paternel pour aller s'installer dans la demeure de son mari. Aussi était-il admis que celui-ci offre à son beau-père une compensation « pour la perte de sa fille ». C'était le « mohar », payé soit en présents divers et plus lard en argent, soit en travaux effectués au service de celui qu'il s'agissait de dédommager (GENESE, chap. 29, vers. 15-30; chap. 34, vers. 12; EXODE, chap. 22, vers. 16). Parfois des parents particulièrement généreux dotaient leur fille, qui conservait personnellement ce cadeau ; on verra même Pharaon donner ainsi une ville à la sienne, épousée par Salomon (1er ROIS, chap. 9, vers. 16).
Le lévirat, qui comportait pour la veuve obligation d'accepter un nouveau mariage avec un membre de la famille de son mari défunt, paraît sur ce point une survivance de coutumes observées en Canaan. Sa signification est claire : la veuve demeurait la propriété du groupe social de son mari; elle faisait elle-même partie de la succession de celui-ci. Le Deutéronome (chap. 25, vers. 5-10) restreignit considérablement cet usage : l'obligation est limitée au cas où la veuve restait sans enfants, son beau-frère vivant dans le même foyer; la Loi donne aussi au lévirat un sens plus noble : il convient de susciter une postérité au défunt, « afin que son nom ne soit pas effacé d'Israël ».
Théoriquement, en Israël comme chez ses voisins, sauf en Assyrie, l'épouse gravement lésée pouvait elle aussi recourir au divorce. Mais la procédure, en général facile pour l'homme, ne permettait que très exceptionnellement à la femme d'échapper à un époux cruel ou injuste.
Ainsi, suffisait-il, à Sumer, qu'un mari dise à celle qui avait cessé de plaire : « Tu n'es pas ma femme » pour que le divorce soit effectif , mais en revanche, si une épouse lançait à son mari : « Tu n'es pas mon mari », on la précipitait dans une rivière. Chez les Israélites, la procédure était sensiblement la même. Le mari s'écriait : « Elle n'est pas ma femme, je ne suis pas son mari », et les deux époux se trouvaient très légalement séparés.
Le Code d'Hammurabi, encore, semble avoir proposé la première mesure qui tendait à atténuer l'injustice commise à l'égard des délaissées par caprice : à moins que l'épouse n'ait été reconnue coupable de quelque faute, le mari inconstant devait lui verser une certaine indemnité lorsqu'il la renvoyait.
Avec le temps, les divorces se firent moins aisés en Israël. Les propos du prophète Malachie sur la sainteté du mariage (chap. 2, vers. 14-16) marque le point de l'évolution au V ème s. avant notre ère. Déjà le Deutéronome (chap. 24, vers. 1) exigeait un minimum de formes auxquelles Isaïe (chap. 50, vers. 1 ) et Jérémie (chap. 3, vers. 8) font allusion.
Dans tous les pays du Proche-Orient, l'adultère - surtout celui de l'épouse - était puni avec une extrême sévérité. Pour les Babyloniens et les Assyriens, c'était là un crime contre la propriété ; la femme qui se rendait coupable chez son amant, et l'amant lui-même, à moins qu'il ignorât l'engagement de sa maîtresse dans le mariage, étaient tout simplement mis à mort.
Pour les fils d'Israël, l'adultère était une trahison plutôt qu'un vol; cette considération, qui relevait d'une morale plus raffinée, n'empêchait nullement que les deux coupables soient de la même manière condamnés à la peine capitale (DEUTÉRONOME, chap. 22, vers. 22-27; LÉVITIQUE, chap. 20, vers. 10).
Chez eux comme chez leurs voisins, la veuve qui n'avait pas bénéficié du lévirat était souvent livrée à un sort pitoyable si la dot versée par ses parents au moment de son mariage ne la mettait pas à l'abri, La littérature prophétique et les textes de la Loi la rangent donc régulièrement parmi les faibles, que tous les justes doivent assister : EXODE, chap. 22, vers. 22; DEUTÉRONOME, chap. 10, vers. 18; 2e ROIS, chap. 4, vers. 1-7; ISAIE, chap. 1, vers. 17, etc.
Pas toujours brillante ailleurs au plan juridique et économique, c'est en Assyrie que la situation de la femme semble avoir été la moins enviable : on l'y estime moins que le bétail. Elle demeure sous la domination totale de son mari qui, seul, a le droit de la juger, même dans les causes les plus graves : celles où il s'agit de meurtre. Son existence n'a de consistance qu'en fonction de celle de son seigneur et maître. Elle restera constamment voilée hors de sa seule présence, et c'est elle encore qui devra payer les écarts de son époux : si celui-ci a séduit une vierge, il livrera sa femme au père de la jeune fille, afin que ce dernier fasse subir à la malheureuse des outrages équivalents !
A l'opposé de ces moeurs assyriennes, la loi de Babylonie accordait en propre aux femmes une certaine indépendance. Ainsi, la Babylonienne avait-elle obtenu le droit au travail : celui par exemple de se louer à la journée pour des travaux agricoles ou industriels. Elle pouvait également acquérir des biens, adopter des enfants. Si elle le désirait, elle avait même la possibilité de devenir prêtresse. Le sacerdoce mis à part, la femme hébraïque jouit, sur les plans social et religieux, d'un statut proche de celui des Babyloniennes. Seules la participation à la vie spirituelle et à la vie publique de la communauté a pu produire les grandes figures bibliques que sont Miriam, Débora, Yaël, Hulda; ou permettre qu'on imaginât des Esther ou des Judith. Et, de fait, les femmes assistaient aux assemblées religieuses (2e SAMUEL, chap. 6, vers. 19) et accompagnaient leurs maris aux fêtes sacrées (DEUTÉRONOME, chap, 12, vers. 12). Qu'on songe aussi au rôle (certes pas toujours heureux, mais singulièrement important) qu'on joué les «reines-mères», telles Jézabel ou Athalie!
Une richesse et une gloire la maternité
Faut-il répéter enfin que la fonction maternelle attribuait une auréole appréciée de toutes les classes sociales? Dans une société fondée sur l'élevage et l'agriculture en petites propriétés, chaque enfant était le bienvenu : hors de tout autre considération, il était un appoint pour l'entreprise familiale. Aussi le mariage avait-il pour but premier la procréation (GENESE, chap. 24, vers. 60; 1er SAMUEL, chap. 1, vers. 6-8). L'amour conjugal dans sa conception la plus noble ne s'offusquait pas de cette considération. Ainsi, une femme très réellement aimée dans tous les sens du terme, mais stérile, pouvait sans rien perdre de sa dignité proposer généreusement 4 son mari de s'unir à une servante, afin qu'il eût d'elle des enfants qui seraient légalement ceux de l'épouse en titre (GENESE, chap. 16, vers. 2: chap. 30, vers. 1-6, 9-13).
La participation étroite de la femme à l'oeuvre du Créateur ne demeure-t-elle pas en tout temps le plus sûr et le plus éclatant de ses titres de gloire?
M.-C. HALPERN
1- Voir No 12 pages VI- VIl : « La femme dans la Bible ».
En ce temps-là, la Bible No 64 pages II-III-IV