Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Religion et politique

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  • Monarchie et société pluraliste
  • Séparation de l'Eglise et de l'Etat dans les sociétés pluralistes
  • La religion de la Révolution française
  • Conclusion
       

    Dans la pensée des écrivains bibliques, l'homme est défini par un rapport continuel à la réalité de Dieu : qu'il le sache ou l'ignore, dans la direction véridique ou dans l'orientation apostate de l'existence, le religieux constitue l'englobant pour tous les aspects finis de l'existant, il est l'ultime qui ne cesse pas de viser la créature. La sphère religieuse ou sphère sacrale concerne le centre même de l'existence humaine, le coeur du moi-sujet créé, ce « leb » (hébreu) qui est « l'organe de l'intelligence, de la pensée et de la liberté, le lieu d'où surgit l'acte même de la liberté et de l'intelligence, (...), les secrets du coeur, c'est-à-dire nos intentions et nos vouloirs les plus secrets, et nos passions les plus secrètes, ce que nous appelons « l'inconscient».1*Toutes les dimensions de l'humanité et de la culture, jusqu'à la politique et l'histoire sont concentrées dans le coeur de l'homme : celui-ci est « point focal de concentration de l'être», réfraction dans la créature intelligente de Celui qui est, le Premier, l'Origine.2*

    La société occidentale développée au XXème siècle repose sur la séparation de la société civile juridique et politique vis-à-vis du spirituel et du religieux. L'activité technicienne et l'organisation rationnelle des ensembles collectifs modernes, la mission de l'Etat, écartent la revendication totalisante du sujet éthique ou de l'homme de foi. La « cité séculière » laïque qui tolère, à l'Ouest, tous les courants philosophiques et idéologiques les plus contradictoires, se présente comme une cité sans religion! L'adepte du système biblique contestera l'expression de « cité séculière »: il montrera derrière les pensées laïques, des idées religieuses dissimulées. Il décèlera, dans l'institution politique libérale à l'Ouest, le dogme de l'autonomie du moi individuel cultivant sa libre spontanéité créatrice et son choix absolu d'existence. Les sociétés occidentales laïques admettent la diversité des visions du monde et ne sont pas unanimistes comme les sociétés soviétisées. Il existe cependant des fondements idéologiques à l'admission pluraliste des « visions » et ceux-ci sont inséparables de la « philosophie des lumières » et de la réaction individualiste, avec Rousseau et Kant.

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    Monarchie et société pluraliste

    La césure du religieux et du politique passe par la considération de l'individu. Dans la société laïque pluraliste, la présence du religieux apparaît sur le fond d'un ensemble d'engagements individuels qui ne concernent plus la société civile, le magistrat ou le politicien ; le croisement du politique et du religieux intervient seulement quand l'autorité en place doit juger certains cas interférents: ainsi une décision du tribunal civil, rendue récemment en France, refuse à une collectivité religieuse la libre disposition d'un bien immobilier légué à l'assemblée par des membres décédés ; la juridiction compétente précise que l'enseignement de cette collectivité, contredisant une partie importante de la législation officielle, ne permet pas à l'assemblée d'être mise en possession d'un bien hérité. Dans certains cas, rendus plus exceptionnels grâce au progrès de la légalité, une juridiction peut avoir à se prononcer sur l'authenticité des motifs conduisant un objecteur au refus des obligations normales du service national; c'est donc, au pénal, une décision de justice, qui validera ou refusera à l'objectant tel ordre de motif.

    La société pluraliste est une organisation politique où les pouvoirs sont distincts et séparés. Ceci explique que le responsable politique ne rencontre pas directement, en ces occasions, l'individu religieux. Le politique se limite à la conception d'un ordre légal valable pour l'ensemble des citoyens et à l'exécution des décisions du magistrat.

    Les persécutés religieux de l'Angleterre sous Elisabeth I et sous les rois Stuart, ceux qui en France ont souffert pour leurs opinions à l'époque de Richelieu ou de la monarchie autoritaire, ne bénéficiaient pas des limites politiques et juridiques qui protègent dans l'Etat moderne celui qui voit sa situation examinée par un magistrat.

    L'Etat politique de l'âge classique, sans pouvoir être identifié à une idéocratie moderne, n'en est pas moins « dirigé » par la volonté expresse d'unir le pouvoir à une unanimité religieuse. En France, de 1650 à 1715, cet Etat se donne une forme administrative rationnelle et centralisée, il constitue sa bureaucratie et nomme ses fonctionnaires, il est voué à l'autorité et à l'efficacité : mêlant le pouvoir monarchique à une tradition religieuse, il tend à appliquer avec rigueur l'adage bien connu cujus regio ejus religio. Le dessein technocratique et politique d'un grand serviteur de l'Etat, comme Louvois, n'est autre que d'assurer au prince l'unité réelle de toute la nation, synthèse audacieuse de contenus rationnels, de philosophies du pouvoir et de raison d'Etat. L'Etat de l'âge classique méconnaît la distinction des domaines de la souveraineté ; il est travaillé par une tendance moniste (monos, un seul !) qui entraîne toute une nation dans une sorte d'unanimité ayant pour fin la puissance et la grandeur.

    Colbert, Louvois et Seignelay ne sont pas au XVIIe siècle les serviteurs d'une providence sécularisée et encore moins les augures d'une « fin de l'histoire mondiale ». La question reste posée de savoir si, entre 1661 et 1715, le roi a aspiré à la « monarchie universelle » (l'accusation des Hollandais). Il semble que les commis de la monarchie persécutent le « dissident religieux » au nom d'un impératif politique unitaire. L'idéologie de l'âge classique en France semble confondre sans prudence Machiavel et Hobbes, Montaigne et Bossuet, elle rassemble une certaine forme de rationalisme politique autonome, une conception de l'efficacité de l'Etat monarchique armé et unifié avec une divinité augustinienne qui dirige providentiellement le monde et l'histoire - les commandements peu scrupuleux de la raison politique machiavélienne y voisinent avec les principes du Discours sur "histoire naturelle et de la Politique tirée de l'Ecriture Sainte. Ainsi, Louvois, qui n'a rien d'un directeur de conscience ou d'un ingénieur des esprits, exige cependant comme commis de l'Etat monarchique, l'obéissance totale des sujets - qu'ils soient juifs, pro ou anti-papistes, protestants, jansénistes ou libertins. L'obéissance au roi, quoi qu'il arrive, - Louvois est l'homme de la Révocation de 1685 ; c'est également lui qui a ordonné la dévastation du Palatinat pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg - représente la vertu essentielle du siècle.

    La société laïque pluraliste sans credo officiel a le culte de l'individualité autonome et ratifie les succès empiriques de ses ouvriers et techniciens. Le monisme du grand siècle sacrifiait la liberté personnelle à l'idée d'ordre et subordonnait toujours la réussite empirique à la vertu d'obéissance : « Voici l'homme qui m' a obéi à la Hougue » ! dira le roi à un courtisan vers 1700. Il montrait à son interlocuteur l'amiral de Tourville qui avait dû partir sur ordre personnel du roi affronter les Anglo-Hollandais en 1692. Le politique de l'âge classique ignore même les états d'âme de ses ministres et de ses techniciens.

    Que la raison d'Etat, au XVIIe siècle, n'autorise point l'intervention d'une instance séparée ou d'un magistrat indépendant est une évidence - les juridictions distinctes et compétentes de l'Etat pluraliste constitutionnel auraient scandalisé tout à la fois les calvinistes du monde classique et les catholiques romains, le pasteur J. Claude et Bossuet.

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    Séparation de l'Eglise et de l'Etat dans les sociétés pluralistes

    La société démocratique pluraliste sépare le politique et le religieux ; elle respecte la liberté de l'individu, elle autorise et favorise même l'expression des états d'âme. Parmi ces sociétés de l'Ouest, il y a lieu de distinguer les substrats intellectuels, les motifs religieux fondamentaux liés à des événements historiques fondateurs qui informent l'Etat moderne et lui donnent une légalité.

    Les pays anglo-saxons dérivent de révolutions politiques qui, en réduisant la toute-puissance du monarque, n'ont jamais été une rébellion de l'intelligence contre la foi. Les théologies évangéliques, parmi elles, le calvinisme des puritains, ont inspiré les révolutionnaires qui cherchaient à assurer le triomphe des droits de la personne et l'avènement du régime représentatif. Dans ces nations anglicanes ou calvinistes - puritaines, la révolution socio-politique qui donne le pouvoir à la nouvelle bourgeoisie, ne représente jamais l'insurrection du politique contre l'ecclésiastique, de la nature contre la grâce. Locke, auteur philosophe du Traité du gouvernement civil et des Lettres sur la tolérance, est en même temps un théologien calviniste (peu strict) et un anglican pratiquant. Les séparatistes du continent nord-américain en 1776 gardent, pour la plupart, des préoccupations théologiques et religieuse, d'esprit évangélique - wesleyens pour les formes et dans l'interprétation de la transcendance, ils sont rationalistes pour le monde et la matière.

    Les nations anglo-saxonnes protestantes respectent la séparation moderne des Eglises et de l'Etat. Elles reposent sur un consentement moral unanime qui permet à chacun de choisir sa confession religieuse ou la « vision du monde » qu'il préfère. La vie publique et politique de ces nations, l'organisation même de l'Etat, demeurent cependant marqués par les éléments fondateurs et par les théologiens et prédicateurs évangéliques qui ont «enfanté» ces nations - aujourd'hui encore, l'étudiant qui désire comprendre le fonctionnement politique des institutions britanniques, ou américaines, a tout intérêt à se pencher sérieusement sur les oeuvres de John, et Charles Wesley, sur celles de G. Whitefield, sur les écrits théologiques et bibliques de Jonathan Edwards. La lecture du célèbre Voyage du Pélerin est également des plus utiles pour une bonne connaissance de ces institutions.

    En publiant son ouvrage, A Christian Philosophy of Law, Politics and trie State (publ. USA, 1966) - il s'agit d'une étude sur la philosophie politique de H. Dooyeweerd -, Hebden Taylor montrait quelles sont les conditions d'un engagement chrétien dans une collectivité qui appartient au type anglo-saxon.

    Le pluralisme des courants et tendances dans une démocratie, façonnée aux origines par un consentement biblique et évangélique, n'a pas le même caractère que dans un pays dirigé par le motif de la doctrine des « Lumières » du XVIIIe siècle ou par la pensée du Contrat social de J.J. Rousseau.

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    La religion de la Révolution française

    La France a réalisé sa révolution politique sur des enseignements qui sont contenus dans cette Philosophie de la Révolution française (B. Groethuysen), qui n'est autre qu'une religion de l'homme, une dévotion intellectuelle rendue à la raison autonome. Ce n'est pas la pensée biblique qui assure au sujet, sur la base d'une révélation indubitable communiquée par Dieu, la véritable connaissance de la société et de l'histoire, mais l'entendement constructeur de l'homme pécheur donne les principes de cette connaissance. Le révolutionnaire délié de toute obédience, devient un ingénieur des univers politiques et sociaux, détruisant la législation et les moeurs de l'Ancien Régime, il croit et pose que « le monde va changer de base » ; il remplace par sa philosophie et sa conception du droit, l'entendement divin et les principes de la révélation biblique. Karl Marx a pu écrire, à juste titre, que la Révolution française était un^modèle valable pour toutes les autres révolutions de l'histoire humaine : la Révolution de 1789-93 est à jamais la Grande Révolution initiale, elle est l'événement par excellence qui illustre et fait agir le motif de la nature et de la liberté. Celui qui veut étudier l'histoire moderne de notre pays, ses tentations et ses étranges tourments, ne peut que constater qu'une conception idéologique des droits de l'homme, est bien trop insuffisante pour écarter définitivement les pièges de l'histoire. Alors que, pour les théoriciens français, le fait révolutionnaire fait entrer notre pays dans l'histoire rationnelle dominée par les hommes intelligents, dans un avenir de raison ou rationalité historique (au sens de Kant), l'analyste constate que la France représente encore le devenir fragile du sentiment démocratique, que la tentation totalitaire y est encore présente, que l'antisémitisme n'y a jamais été vaincu - la plus petite menace de crise fait alors ressortir les démons que l'on croyait à jamais assagis. Ceci montre que la Révolution française repose sur des motifs religieux qui sont totalement opposés à l'enseignement de la révélation, que le motif nature-liberté ne peut en aucune façon être concilié avec la théologie biblique de la création, de la chute de l'homme en Adam et de la rédemption accomplie en Christ.

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    Conclusion

    Les droits que défendent les sociétés libres et ouvertes (voir la notion de K.Popper) sont d'origine scripturaire. Ils représentent une conséquence historique de l'oeuvre de Jésus-Christ « ouvrant » l'année de grâce du Seigneur (Luc 4. 16-20 ; Esaïe 6 1), inaugurant en l'assemblée de Nazareth la présente administration du temps, qui donne son poids légitime au sujet, à la libre décision humaine (sola fide), devant l'oeuvre de la croix, l'acte propitiatoire en Christ qui nous délivre de la perdition et couvre la dette du péché. La liberté politique des nations surgit en l'histoire moderne, dans les années qui vont succéder aux temps pendant lesquels cette vérité centrale de la Parole divine, sera prêchée avec force, dans la puissance du Saint-Esprit, aux nations civilisées de l'Europe du centre, de l'ouest et du nord.

    La société libre et ouverte, défendant les droits de la créature humaine devant Dieu, est une conséquence historique, un bienfait de l'Evangile de Jean 3. 16, annoncé avec la détermination que l'on sait par les Réformateurs du XVIe siècle, les prédicateurs de l'âge classique, les hommes du réveil évangélique anglo-saxon du XVIIIe siècle. Que les hommes oublient cette Parole, qu'ils se détournent des vérités scripturaires pour s'attacher aux idéologies du siècle, nouvelles citernes sans fond des temps modernes, et l'on verra alors nécessairement régresser les droits de l'homme, diminuer les libertés tant il est vrai que « la démocratie est une affaire spirituelle ».3*

    Alain Probst

    Ichtus 1985 - 4 (No 131)

    © Ichtus

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    1. Claude Tresmontant, L'Apocalypse, Ed O.E.I.L., p. 130. Même sujet développé dans J.M. Spier, Introduction to Christian Philosophy, Kalsbeck, Contours of a Christian Philosophy, Hebden Taylor, A Christian Philosophy of Law. Politics and trie State, W. Young, « Dooye. weerd », dans Creative Minds in contemporary Philosophy.

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    2. H. Dooyeweerd, La nouvelle tache d'une philosophie chrétienne, 1957.

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    3. E. Meunier, citation de Jean Lacroix.