L'histoire de Juda, royaume du sud, est très différente de celle d'Israël, royaume du nord. Elle est moins peuplée d'aventures. // n'y a guère de dissensions dans la maison de David, où par ailleurs jamais ne manque un héritier pour occuper le trône du grand ancêtre. Ici les querelles de succession furent rares. Grâce à cette stabilité, la dynastie acquit une popularité exceptionnelle qui ne disparut jamais, même lorsque, de l'indépendance, ne subsista plus qu'un rêve.
Le royaume demeuré aux mains de Roboam, fils de Salomon, ne représentait guère que le sixième de la superficie réellement occupée par les Israélites ou les populations tout à fait assimilées :
la suzeraineté sur les territoires méridionaux d'Édom et du Néghev, quasiment désertiques, était factice, et fut bien rarement exercée. Les grandes routes des caravanes et les voies militaires importantes ou bien passaient plus au sud, de l'Arabie à l'Égypte, ou bien longeait la côte méditerranéenne à travers Israël et le pays resté en puissance des Philistins. Juda pèsera donc moins que le royaume du nord dans les démêlés internationaux du moment. Mais, sur le plan de l'histoire universelle, il jouera un rôle décisif malgré son exiguïté et malgré la ruine qui mettra fin à l'État monarchique autonome. Dans ce territoire minuscule, berceau du judaïsme - pas plus grand que notre Bretagne -, s'affermirent les idées et les lois qui, avec celles d'Athènes et de Rome, devaient fournir les bases mêmes de notre civilisation.
L'héritier de David sauvé du massacre
L'histoire des rois de Juda est sans grand relief. Sur le plan politique, Roboam et ses successeurs immédiats furent surtout occupés par le conflit avec les séparatistes d'Israël, ce qui impliquait malgré tout quelques intrigues et alliances avec les puissants voisins. Mais, sous Josaphat (871-848) les relations entre les deux États israélites devinrent plus cordiales. On sait que l'héritier de Josaphat, Joram de Juda (848-841) épousa Athalie, la fille d'Achab, roi d'Israël, et de Jézabel. Athalie, très ambitieuse et digne fille de sa redoutable mère, s'empara du trône de Jérusalem lorsque le fils et successeur de Joram, Okozias (841) eut péri dans sa lutte contre Jéhu. Celui-ci, après avoir provoqué la chute de la dynastie d'Omri dans le nord, au cours de cette journée mémorable qui reçut le nom de « Jour d'Yizréel », s'apprêtait à restaurer l'unité nationale en réunissant à son profit les deux royaumes. La réalisation de ce projet paraissait à portée de la main : le roi de Juda était mort, sa cour décimée, les portes de Jérusalem semblaient ouvertes. Mais de façon inattendue et très grave de conséquences elles se refermèrent brusquement : par un assassinat collectif de tous ceux, pensait-elle, qui pouvaient prétendre légitimement au trône, Athalie s'assurait le pouvoir. Elle le garda six ans (841-835).
Le « Jour d'Yizréel » lui avait ravi sa mère Jézabel, son frère Joram d'Israël, son fils Okozias (21 Rois, chap. 9, vers. 24-27). Elle se savait visée par Jéhu comme dernière « alliée » de la famille maudite. S'assurer le trône de Juda était pour elle une question de vie ou de mort, c'était aussi l'aboutissement de cette passion de la tyrannie qui n'avait cessé de l'animer comme elle avait agité sa mère Jézabel.
Athalie ménagea le sacerdoce et n'accompagna son coup d'État d'aucune mesure répressive contre le culte de l'Éternel.
Certes, les prêtres refusaient de la considérer comme souveraine légitime, mais Jéhu n'était pas de la lignée de David et n avait pas davantage de titre de légitimité. On verra comment (20 Rois, chap. 11, vers. 4 et suivants) un stratagème du grand prêtre Joïada rétablit Joas, descendant de David échappé au massacre, sur le trône de ses pères. La lignée légitime ainsi rétablie à Jérusalem, les deux États vécurent ensuite, pour autant qu'on le sache, côte à côte, sans alliance entre eux, mais sans guerre si ce n'est un unique et bref affrontement aux causes obscures (2e Rois, chap. 14, vers. 8-14). Ce ne fut qu'après la chute de Samarie, en 721, que Juda intéressa vraiment les maîtres de la haute politique : il était devenu le plus voyant des petits États tampons entre les deux grands de l'époque : l'Assyrie au nord et l'Égypte au sud. Au début de son règne troublé, Ézéchias (716687) fit l'impossible pour garder une neutralité prudente mais précaire. Longtemps il résista à la tentation de se ranger ouvertement aux côtés des pays du sud soutenus par l'Égypte. Mais l'accession au trône d'Assyrie de Sennakérib, en 704, et la révolte qu'elle déclencha, l'encouragea finalement à devenir membre de la coalition ' La réaction assyrienne ne se fit pas attendre. Sennakérib soumit d'abord une à une toutes les cités philistines de la côte, battit l'armée égyptienne, et pénétra en Judée. On pensait que Jérusalem investie allait subir le sort de Samarie. Pour des raisons que les historiens s'expliquent mal mais que le texte sacré éclaire (20 Rois, chap. 19, vers. 35), les Assyriens changèrent leur plan : ils conclurent en hâte la paix avec l'Égypte, et le siège de la ville sainte fut levé. La capitale et l'État avec elle étaient pour cette fois sauvés. Aux yeux de tous, cette délivrance attribuée à une intervention surnaturelle ne cédait, en miracle, qu'à la libération d'Égypte.
Juda devint pourtant vassal de l'Assyrie qui, au cours d'une seconde campagne l'avait dépouillé en outre de quelques territoires. Il devait payer tribut, fournir des contingents aux armées, participer à la cérémonie d'hommage rendu au « Roi des Rois ».
Voilà qui n'allait pas sans aggraver la décadence religieuse. Sous Manassé et Amon, elle fut telle qu'on vit célébrer les dieux étrangers jusque dans le Temple de Jérusalem.
Une imprudente ferveur patriotique
Le roi Josias (640-609) devait restaurer le culte de Yahvé dans toute sa pureté (2 ème Rois, chap. 22 et 23). On assiste alors à une vraie renaissance : la ferveur religieuse n'a d'égale que la ferveur patriotique.
Mais celle-ci devait être l'origine lointaine de la ruine définitive : on résolut de réaffirmer l'indépendance du pays, qui avait subi une singulière éclipse durant les quatre règnes précédents. Les conditions politiques étaient favorables : l'empire assyrien s'était effondré sous les coups portés par un prince babylonien Nabopolassar, faisant cause commune avec les Mèdes. L'Égypte tenta de venir en aide à l'Assyrie contre les rebelles babyloniens. Josias voulut barrer la route à ces renforts parce qu'il voyait sa libération assurée par l'effondrement d'Assur. La bataille de Megiddo devait mettre fin à de telles espérances en même temps qu'à sa vie (21, Rois, chap. 23, vers. 29). Désormais dans le ciel de Juda les nuages allaient s'amonceler de plus en plus sombres. Babylone s'apprêtait à achever le petit royaume, laissé pantelant par Pharaon.
Dom J. GOLDSTAIN
En ce temps-là, la Bible No 27 page IV.