Aucun peuple
n'est plus difficile à cerner que celui des juifs. Ils se sont répandus
sur la terre entière après avoir jadis perdu leur patrie. Ils ont
transféré des langues et des cultures d'un pays à l'autre. Des anciens
peuples, ils sont le seul à errer depuis si longtemps. Il aurait pu
disparaître sans laisser de traces; pourtant, il est là bien présent
aujourd'hui encore. Il ne disposait ni d'un pays ni d'une langue voici
quelques décennies seulement.
C'est dans
l'Espagne musulmane que la théologie, la poésie et les sciences juives
ont connu leur plein essor. Les Arabes avaient envahi ce pays en 711
après Jésus-Christ. C'est particulièrement à Cordoba et à Grenade que
les juifs jouirent de la faveur des potentats musulmans. Ils avaient
des médecins très demandés, des astronomes fort considérés; et la
rencontre de l'esprit arabe et de l'esprit juif amena un temps de
prospérité et d'épanouissement qui élargit tous les horizons spirituels
et ne manqua pas d'influencer le christianisme.
.
Les
souffrances des marranes
C'est en
Espagne seulement qu'il y eut, au 15, siècle, des baptêmes en masse. La
chose était peut-être due au fait que les Juifs avaient longtemps vécu
en paix avec les chrétiens de ce pays. La plupart des juifs avaient
accepté la foi chrétienne non par conviction, mais plutôt par crainte.
L'Eglise
catholique romaine ne tarda pas à observer le comportement des nouveaux
«chrétiens». L'inquisition, créée pour combattre l'hérésie, se tourna
vite contre les marranes. En un premier temps, ils furent exhortés à se
repentir et à se réconcilier volontairement avec l'Eglise. En l'an
1492, le couple royal espagnol Isabelle I et Ferdinand II ordonna
l'expulsion des juifs du pays - une mesure qui frappa des centaines de
milliers de personnes pourtant enracinées là depuis longtemps et dont
les ancêtres étaient enterrés depuis des générations dans le sol
espagnol. Le chagrin fut indescriptible.
.
500
ans d'asile et de cohabitation
Face à
l'expulsion des juifs de l'Espagne, le sultan Bâyeîid Il recommanda à
ses fonctionnaires «de ne pas repousser les juifs ni de leur créer des
difficultés, mais de les accueillir convenablement». C'est ainsi que de
nombreux juifs d'Espagne se virent alors protégés dans le royaume
ottoman, à l'abri des persécutions religieuses.
En mars 1556,
après que le pape Paul IV eut fait périr sur le bûcher 25 marranes (des
juifs baptisés de force), le sultan Soliman adressa au pape un message
par lequel il exprimait son désir de voir la libération immédiate des
prisonniers juifs, que le sultan considérait comme des citoyens
ottomans. Le souverain pontife dut céder devant l'insistance du sultan.
Des dizaines de
milliers de fugitifs juifs, qui voulaient échapper aux pogroms russes
de 1881, 1891, 1897 et 1903 ainsi qu'aux troubles de la révolution
bolchevique de 1917, furent accueillis par la Turquie.
Des professeurs
juifs, comme le célèbre Paul Hindermith, qui durent fuir l'Allemagne
hitlérienne en 1933, furent invités par le chef d'Etat turc Kemal
Atatürk à passer en Turquie, où ils contribuèrent énormément à
l'édification des universités turques. Pendant la Deuxième Guerre
mondiale, la Turquie, qui fit office de pays de transit pour les
fugitifs antifascistes, sauva d'une mort certaine plus de 25.000
réfugiés juifs. Dès 1949, ce pays reconnut Israël et noua avec lui des
relations diplomatiques en 1950.
Plusieurs
nations européennes, qui se posaient hypocritement en «maîtres du
monde» dans le domaine des droits de l'homme, devraient s'inspirer de
cette attitude remarquable de la Turquie. Aujourd'hui encore, ce pays
offre une existence sûre aux juifs persécutés de Syrie, d'Iran et
d'Irak.
Dans les musées
d'Ankara et d'Istanbul, on trouve des collections de documents
historiques sur les colonies juives de l'époque en Turquie, collections
accessibles à tous.
Disons-le une
fois de plus: les Juifs ont droit à leur religion, car elle est la
première religion monothéiste et l'éthique que l'histoire connaît: la
religion des prophètes d'Israël.
..
Les
Juifs d'Istanbul ...
... ont
toujours vécu en bons termes avec les musulmans et les chrétiens, même
si certains d'entre eux étaient fortement religieux. Dans leur
majorité, les personnes vivant là appartenaient à toutes les
confessions.
Au temps jadis
du royaume ottoman, les relations de voisinage à Istanbul étaient
organisées de manière fort diversifiée. Des quartiers bien précis comme
Balat, Haskoy et Kurgunck passaient pour juifs du 15e au 17, siècle. Le
centre de la vie juive se déplaça au 19e siècle dans la contrée de
Galata. En général, les juifs vivaient dans tous les importants
quartiers des villes. Seuls les districts à forte majorité musulmane
étaient évités par les Juifs. Cependant, les quartiers à dense
population juive n'étaient nullement des ghettos du style européen.
Ainsi, par exemple, le gouvernement n'exerçait jamais de pression
politique sur eux. Lorsque des juifs devaient aller s'établir dans une
autre partie de la ville, la chose était due la plupart du temps à des
phénomènes naturels comme des incendies, des épidémies et des
tremblements de terre.
La première
colonie juive d'Istanbul fut fondée dans le port d'Eminonu-Sirkeci,
dans la vieille ville. Les quartiers de Balat et d'Haskoy, situés de
chaque côté de la Corne d'or, se développèrent comme centres de la vie
juive, ce qui se constate aujourd'hui encore à certains bâtiments
anciens. Le 19 ème siècle fut une période de grands changements pour de
nombreux juifs. .