C'est aux Juifs
d'Égypte que, par la lettre-prologue placée en tête de l'ouvrage, le 2"
livre des Maccabées semble en quelque sorte dédié. Il se peut
d'ailleurs que l'auteur ait été lui-même un Juif d'Alexandrie, tant il
sait manier en finesse la langue grecque; les spécialistes estiment en
tout cas qu'il fut probablement formé là-bas par les rhéteurs, même
s'il a écrit son oeuvre en Judée. La communauté juive qui vit
paisiblement dans le royaume des Lagides, non seulement à Alexandrie
mais sur les rives du Nil et dans le delta, tandis que les Juifs de
Palestine subissent la persécution des Séleucides, est très nombreuse
et prospère. Ses notables ne comprennent pas toujours que les « frères
de Jérusalem » ne s'accommodent pas aussi bien de leurs souverains
qu'ils ne le font eux-mêmes des leurs. L'effort qu'ils fournissent pour
s'adapter au monde hellénistique, tout en restant fidèles à leur Dieu,
ajoute un élément riche de promesses au judaïsme des derniers siècles
qui précèdent l'ère chrétienne, et ce courant ira se développant.
Un souci de
prosélytisme anime ces Juifs de la « diaspora » égyptienne. Ils veulent
se faire connaître, dans l'espoir de conquérir ceux qui les entourent.
D'où l'activité littéraire qu'ils déploient.
Tout d'abord
sur le plan biblique : les Grecs et ceux qui ont adopté leur langue en
même temps que leur civilisation ne connaissent pas l'hébreu. Bien
plus, un certain nombre de Juifs établis en Égypte à cette époque ne
parlent eux-mêmes que le grec; la lecture synagogale leur devenait donc
incompréhensible. Aussi les responsables de la communauté décident-ils
de traduire en grec les livres de la Bible écrits en hébreu.
Le prologue du
livre de l'Ecclésiastique, écrit vers 132, atteste l'existence de cette
traduction. L'auteur parle en effet de la différence considérable qui
existe entre le texte original et sa traduction dans les trois parties
de l'Écriture : la Loi, les Prophètes et les autres livres.L'importance
de cette initiative ne saurait être minimisée: elle apparaît dans les
textes juifs postérieurs, mais elle est appréciée de deux façons
contradictoires.
Jusqu'au 1er
siècle ap. J.-C. les Juifs d'Alexandrie, d'après Philon, célèbrent
l'entreprise par une fête où l'on remercie Dieu de « l'antique bienfait
» (le don de la Loi et des textes sacrés) qui, grâce à ce texte
intelligible pour tous, se renouvelle toujours. Ils se rendent compte
que cette traduction était une nécessité pour le service cultuel des
synagogues égyptiennes; mais ont-ils pleine conscience, ce faisant,
qu'ils ouvrent une brèche dans le mur de séparation qui , se dressait
entre Juifs et Grecs ? L'exclusivisme national et religieux s'écroulait.
Au contraire,
les rabbins de Palestine envisagèrent l'oeuvre des traducteurs comme
une faute grave, comparable à celle qui amena l'érection du veau d'or
au temps de l'Exode, et ils déclarèrent que le jour où fut admise la
traduction, les ténèbres s'appesantirent sur la terre durant trois
jours.
.
Le «
prodige» des 72 traductions identiques
L'ouvrage
n'avait été mené à terme qu'après plusieurs essais : en fait, le texte
grec que nous possédons fut établi peu à peu. On l'appelle la
traduction des Septante (désignée par le sigle : LXX), nom qui lui
vient d'une légende rapportée par une lettre du Pseudo Aristée (vers
150 av. J.-C.). Elle parle de 72 vieillards enfermés dans 72 cellules
différentes, et qui auraient fourni une traduction identique! Un tel «
miracle » impliquait bien sûr l'authentification divine du travail des
traducteurs. Quoi qu'il en soit, les premiers textes grecs commencèrent
à circuler au début du Ille siècle av. J,-C.
Mais existe
aussi à cette époque une véritable littérature de propagande, à la fois
apologétique et missionnaire.
Négativement,
on y trouve des attaques dirigées contre les croyances polythéistes et
les pratiques idolâtres, Mais bien davantage une insistance positive
sur le caractère antique et vénérable de la tradition juive, sur la
supériorité morale du judaïsme. Certains textes bibliques sont
interprétés en fonction de la vie d'Israël du moment, et la traduction
des LXX comprend certaines additions dans ce sens. On utilise aussi,
selon une méthode chère à l'antiquité, la pseudonymie : on compose des
ouvrages sous un nom bien connu, ou du moins on interpole des livres à
succès. Il ne s'agit donc pas, dans ce dernier cas, d'une erreur
d'attribution ; mais on fait remonter délibérément la composition de
tout ou Partie d'un ouvrage à un auteur qui n'y est pour rien. Ainsi en
va-t-il du récit concernant la composition légendaire de la traduction
des Septante, attribué à Aristée,
.
Les
Juifs parlent aux païens
Désireux
d'adresser des conseils aux païens et résolus à se faire écouter, les
Juifs font aussi parler de vieilles prophétesses qu'on appelle les
sibylles : le succès de l'opération fui très grand, et le procédé,
facilement admis alors, ne fut pas démasqué.
On pourrait
parler dans le même sens des oracles d'Hystaspes, roi des Mèdes, qui
aurait vécu avant la guerre de Troie! Mais on rencontre surtout des
citations apocryphes d'Homère, d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide,
d'Orphée, mises sous le patronage d'un certain Hécatée d'Abdère,
contemporain d'Alexandre le Grand, ce qui donne une pseudonymie au
deuxième degré.
La tentative la
plus audacieuse du genre est peut-être la démarche d'un Juif du milieu
du IIe siècle av. J.-C. qui s'attache à prouver qu'Homère et Hésiode,
Pythagore, Socrate et Platon dépendent d'une vieille traduction de la
Bible... il est difficile de juger de tels usages à la lumière de
l'éthique littéraire aujourd'hui admise. Mais quelle qu'ait été la
qualité des moyens employés, libéralisme et ouverture paraissent bien
être les dispositions foncières des Juifs d'Alexandrie.