Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES JUIFS D'Egypte devant le monde «grec»

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  • Le « prodige» des 72 traductions identiques
  • Les Juifs parlent aux païens


  • C'est aux Juifs d'Égypte que, par la lettre-prologue placée en tête de l'ouvrage, le 2" livre des Maccabées semble en quelque sorte dédié. Il se peut d'ailleurs que l'auteur ait été lui-même un Juif d'Alexandrie, tant il sait manier en finesse la langue grecque; les spécialistes estiment en tout cas qu'il fut probablement formé là-bas par les rhéteurs, même s'il a écrit son oeuvre en Judée. La communauté juive qui vit paisiblement dans le royaume des Lagides, non seulement à Alexandrie mais sur les rives du Nil et dans le delta, tandis que les Juifs de Palestine subissent la persécution des Séleucides, est très nombreuse et prospère. Ses notables ne comprennent pas toujours que les « frères de Jérusalem » ne s'accommodent pas aussi bien de leurs souverains qu'ils ne le font eux-mêmes des leurs. L'effort qu'ils fournissent pour s'adapter au monde hellénistique, tout en restant fidèles à leur Dieu, ajoute un élément riche de promesses au judaïsme des derniers siècles qui précèdent l'ère chrétienne, et ce courant ira se développant.
    Un souci de prosélytisme anime ces Juifs de la « diaspora » égyptienne. Ils veulent se faire connaître, dans l'espoir de conquérir ceux qui les entourent. D'où l'activité littéraire qu'ils déploient.
    Tout d'abord sur le plan biblique : les Grecs et ceux qui ont adopté leur langue en même temps que leur civilisation ne connaissent pas l'hébreu. Bien plus, un certain nombre de Juifs établis en Égypte à cette époque ne parlent eux-mêmes que le grec; la lecture synagogale leur devenait donc incompréhensible. Aussi les responsables de la communauté décident-ils de traduire en grec les livres de la Bible écrits en hébreu.
    Le prologue du livre de l'Ecclésiastique, écrit vers 132, atteste l'existence de cette traduction. L'auteur parle en effet de la différence considérable qui existe entre le texte original et sa traduction dans les trois parties de l'Écriture : la Loi, les Prophètes et les autres livres.L'importance de cette initiative ne saurait être minimisée: elle apparaît dans les textes juifs postérieurs, mais elle est appréciée de deux façons contradictoires.
    Jusqu'au 1er siècle ap. J.-C. les Juifs d'Alexandrie, d'après Philon, célèbrent l'entreprise par une fête où l'on remercie Dieu de « l'antique bienfait » (le don de la Loi et des textes sacrés) qui, grâce à ce texte intelligible pour tous, se renouvelle toujours. Ils se rendent compte que cette traduction était une nécessité pour le service cultuel des synagogues égyptiennes; mais ont-ils pleine conscience, ce faisant, qu'ils ouvrent une brèche dans le mur de séparation qui , se dressait entre Juifs et Grecs ? L'exclusivisme national et religieux s'écroulait.
    Au contraire, les rabbins de Palestine envisagèrent l'oeuvre des traducteurs comme une faute grave, comparable à celle qui amena l'érection du veau d'or au temps de l'Exode, et ils déclarèrent que le jour où fut admise la traduction, les ténèbres s'appesantirent sur la terre durant trois jours.
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    Le « prodige» des 72 traductions identiques
    L'ouvrage n'avait été mené à terme qu'après plusieurs essais : en fait, le texte grec que nous possédons fut établi peu à peu. On l'appelle la traduction des Septante (désignée par le sigle : LXX), nom qui lui vient d'une légende rapportée par une lettre du Pseudo Aristée (vers 150 av. J.-C.). Elle parle de 72 vieillards enfermés dans 72 cellules différentes, et qui auraient fourni une traduction identique! Un tel « miracle » impliquait bien sûr l'authentification divine du travail des traducteurs. Quoi qu'il en soit, les premiers textes grecs commencèrent à circuler au début du Ille siècle av. J,-C.
    Mais existe aussi à cette époque une véritable littérature de propagande, à la fois apologétique et missionnaire.
    Négativement, on y trouve des attaques dirigées contre les croyances polythéistes et les pratiques idolâtres, Mais bien davantage une insistance positive sur le caractère antique et vénérable de la tradition juive, sur la supériorité morale du judaïsme. Certains textes bibliques sont interprétés en fonction de la vie d'Israël du moment, et la traduction des LXX comprend certaines additions dans ce sens. On utilise aussi, selon une méthode chère à l'antiquité, la pseudonymie : on compose des ouvrages sous un nom bien connu, ou du moins on interpole des livres à succès. Il ne s'agit donc pas, dans ce dernier cas, d'une erreur d'attribution ; mais on fait remonter délibérément la composition de tout ou Partie d'un ouvrage à un auteur qui n'y est pour rien. Ainsi en va-t-il du récit concernant la composition légendaire de la traduction des Septante, attribué à Aristée,
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    Les Juifs parlent aux païens
    Désireux d'adresser des conseils aux païens et résolus à se faire écouter, les Juifs font aussi parler de vieilles prophétesses qu'on appelle les sibylles : le succès de l'opération fui très grand, et le procédé, facilement admis alors, ne fut pas démasqué.
    On pourrait parler dans le même sens des oracles d'Hystaspes, roi des Mèdes, qui aurait vécu avant la guerre de Troie! Mais on rencontre surtout des citations apocryphes d'Homère, d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide, d'Orphée, mises sous le patronage d'un certain Hécatée d'Abdère, contemporain d'Alexandre le Grand, ce qui donne une pseudonymie au deuxième degré.
    La tentative la plus audacieuse du genre est peut-être la démarche d'un Juif du milieu du IIe siècle av. J.-C. qui s'attache à prouver qu'Homère et Hésiode, Pythagore, Socrate et Platon dépendent d'une vieille traduction de la Bible... il est difficile de juger de tels usages à la lumière de l'éthique littéraire aujourd'hui admise. Mais quelle qu'ait été la qualité des moyens employés, libéralisme et ouverture paraissent bien être les dispositions foncières des Juifs d'Alexandrie.

     

    J. DHEILLY

    Professeur à l'Institut catholique de Paris

    En ce temps-là, la Bible N° 40 pages I-II.
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