Aucun historien
sérieux ne se risquera à fixer avec précision dans le temps les
événements rapportés par la Genèse.
Celle-ci ne
jouit d'ailleurs pas d'un monopole d'incertitude :
les meilleurs
spécialistes discutent encore pour déterminer, par exemple, à un bon
siècle près, le début du règne des Hyksos sur la Basse Egypte. Les uns,
de plus en plus rares.
tenant pour le
XIXe siècle av. J.-C.. les autres, à l'avis desquels nous nous rangeons
volontiers, pour le XVllle.
Qui étaient ces
« étrangers » (en égyptien, Hyksos donnerait Héqa Kahasout qui signifie
bien : prince étranger)? Venus de la haute Syrie, ils sont assurément
en bonne part de même origine qu'Abraham: peut-être ses cousins par un
ancêtre commun, Sem,fils de Noé: en tout cas des parents pas très
éloignés : au sens large, des Sémites, même si leur sang est un peu
mélangé. « Rois Pasteurs »,« Princes du Désert », les pharaons Hyksos
des XVe et XVIe dynasties, après avoir envahi le delta du Nil à la tète
de leurs guerriers et de leurs troupeaux, étendirent aussi leur
autorité sur la Moyenne Egypte et parfois sur l'Egypte tout entière,
probablement entre 1730 et 1580 environ av. J. C.
On est
naturellement tenté de situer, au cours de cette période où des Sémites
règnent sur l'Egypte, les séjours les plus spectaculaires que firent au
pays des pharaons les Sémites mieux connus de tous par la Bible, que
sont Abraham lui-même, puis la famille issue de son petit-fils, Jacob,
on sait que c'est à l'invitation de son propre enfant, Joseph, devenu
tout puissant dans cette « Amérique » des temps bibliques, que Jacob,
appelé Israël, vint s'installer sur les rives du Nil.
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CE
PHARAON CROYAIT EN UN DIEU UNIQUE
A vrai dire,
Abraham et Joseph tiennent bien mal à l'aise dans ces cent cinquante
années, si l'on considère les âges imputés aux géniteurs des trois
générations par les textes sacrés connus.
N'entamons pas
ici le débat sur les chiffres cités. Il reste possible,
admettons-le,
que l'histoire de Joseph - l'homme qui amena les Hébreux en Egypte - se
soit déroulée, pour l'essentiel, sous le règne d'un des derniers
pharaons sémites; ceci rendrait fort vraisemblable l'accession au
pouvoir d'un« grand vizir » de la même race.
Rien cependant
n'oblige à suivre les tenants de cette thèse demeurée très longtemps
classique. Aussi bien, et mieux encore par certains détails, que la
courd'Avaris (aujourd'hui San AI Hagar - Tanis, dans le delta),
capitale des Hyksos. celle
d'Amenophis IV
qui choisit le nom d'Akhenaton (« celui qui plaît au globe-soleil »)
serait un bon cadre au récit, Akhenaton, installé dans la nouvelle
capitale qu'il avait fondée (aujourd'hui El Amarna en Haute Egypte) se
fit le champion du culte d'un dieu unique créateur de toutes choses,
dont le soleil est l'image.
Voilà qui
expliquerait le langage monothéiste que Pharaon tient à Joseph, et une
certaine parenté spirituelle entre les deux hommes.
Voilà aussi qui
nous amène à quelque 250 années après que le dernier Hyksos ait été
chassé d'Avaris, Cette seconde hypothèse, en outre, donnerait corps à
celle que formulent depuis peu certains exégètes : Moïse serait né peu
avant ou peu après la mort de Joseph. Or tous ou presque tiennent
aujourd'hui pour certain que l'histoire égyptienne de Moïse se situe à
l'époque des premiers Ramsès (XIXe dynastie : 1314-1200 av. J. C.).
Supposons arbitrairement que Joseph ait eu une cinquantaine d'années à
la mort d'Akhenaton (1358); les cent dix années que lui accorde
généreusement son historien, parce que cent dix ans était en Egypte la
durée idéale de la vie humaine, le font mourir après l'an 1300, date
proche de celle où Moïse, interlocuteur possible de Ramsès II
(1301-1235) a pu naître.
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LE «
JOSEPH » EGYPTIEN N'AVAIT, LUI, QU'UN FRERE
S'il est exact
que l'histoire connue de l'Egypte du XVIIe au XlVe siècle avant notre
ère ne comporte aucune trace précise du « grand vizir » Joseph, ni de
l'installation dans le delta de la famille de Jacob, rien non plus ne
contredit la vraisemblance des faits racontés par l'auteur ou les
auteurs du récit biblique.
Tout au
contraire : imageries et inscriptions nombreuses font étai
d'immigrations de Sémites en général et de Cananéens en particulier.
Sur bien des
points, les traditions égyptiennes conservent le souvenir de faits
analogues à ceux que vous pourrez lire ici.
Tel ce « Conte
des deux frères» dont la version connue remonte au Xllle siècle avant
J. C. on y trouve un homme brimé par son frère comme le fut Joseph par
les siens.
injustement
accusé comme Joseph d'une tentative d'adultère sur une femme qui en
réalité s'offrait, juché au pouvoir suprême par le roi, encore comme
Joseph, et finalement pardonnant à son frère qu'il élève à son tour à
la prospérité, toujours comme Joseph fit à l'égard de ses propres
frères.
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A DEUX
0U TROIS CENTS ANS PRES
Ce sont des
détails. Mais, joints à beaucoup d'autres qui concernent les moeurs et
les institutions, ils lèvent tous les doutes ; il s'agit là d'une
histoire dont l'authentique vieille Egypte fut le théâtre.
Très
conservatrice, son visage, ses manières d'être et d'agir ont si peu
changé durant des siècles, qu'il est difficile de donner un âge exact
au décor et aux acteurs, à deux ou trois cents ans près. De plus, la
rédaction du texte définitif dont est issu celui que nous possédons
date sûrement de plusieurs siècles encore après les événements relatés,
ce qui a pu amener le ou les auteurs à l'enrichir de menus
anachronismes empruntés à une époque plus récente. Mais ces ajouts, à
peine décelables, ne touchent certainement pas l'essentiel : la
tradition orale respecte le sacré.