Certes le premier des grands prophètes ne réserve pas ses oracles au sort que se prépare par son impiété le royaume d'Israël : celui de Juda où il exerce son ministère reçoit lui aussi par sa bouche les avertissements d'En-Haut. Mais Isaïe aura disparu depuis un siècle lorsque Jérusalem tombera (586 av. J.-C.), alors qu'il connut fort bien l'agonie du royaume du nord et de Samarie sa capitale. Le langage prophétique ne permet guère de suivre pas à pas les événements qu'il évoque. Ce que rapportent les livres historiques de la Bible eux-mêmes gagne à être éclairé par l'histoire des autres peuples qu'Israël. C'est une vue d'ensemble que Werner Keller, l'auteur de « la Bible arrachée aux sables »', propose ici à nos lecteurs.
En 745, un ancien soldat nommé Pulu(1)était monté sur le trône assyrien sous le nom de Téglat-Phalasar (le IIIe : 745-727). Il était le premier d'une suite de durs tyrans auxquels on doit la conquête du plus grand empire de l'Orient ancien. A partir du nord de la Syrie, Téglat-Phalasar envahit la côte de la Méditerranée et transforma les royaumes indépendants en provinces de son empire et en peuples tributaires. Israël se soumit d'abord spontanément : le roi Menahem pensait que le pacte avec le tyran et le versement d'un tribut étaient un moindre mal. Mais le peuple ne voyait pas les choses de la même façon; le mécontentement engendra un complot. Un personnage de la cour nommé Phacée assassina le fils du roi et prit le pouvoir. A partir de ce coup d'État, la politique du royaume du Nord devait être inspirée par le parti anti-assyrien.
L'intervention du colosse d'Assur
Rason, roi de Damas, prit l'initiative d'une nouvelle coalition araméenne contre les Assyriens. Des États arabes et phéniciens ainsi que des villes philistines et édomites, s'y joignirent en même temps qu'Israël, alors que le roi Achaz de Juda restait obstinément neutre, malgré les pressions dont il était l'objet de la part de Rason et de Phacée :
« Alors Rason, roi de Syrie, et Phacée, roi d'Israël, montèrent attaquer Jérusalem. Ils assiégèrent Achaz, mais ne purent l'emporter sur lui » (2e ROIS, chap. 16, vers. 5).
Se voyant fort menacé, le roi de Juda appela à l'aide : Achaz envoya des messagers à Téglat-Phalasar, roi des Assyriens, pour lui dire : « Je suis ton serviteur et ton fils. Monte et sauve-moi des mains du roi de Syrie et des mains du roi d'Israël, qui se sont coalisés contre moi. » - « Et ayant amassé l'argent et l'or qu'il put trouver dans la maison de Yahvé et dans les trésors du roi, il en fit présent au roi des Assyriens » (2e ROIS, chap. 1 6, vers. 7 et 8).
« J'ai reçu un tribut d'Achaz de Juda », nota laconiquement l'Assyrien.
Une avalanche de désastres s'abattit alors sur le pays. Deux sources différentes nous renseignent à cet égard : la Bible d'une part et, de l'autre, des textes en écriture cunéiforme, retrouvés à mille kilomètres de l'endroit où les faits se produisirent, dans les merveilleux palais des rives du Tigre. A leur façon, ils confirment point par point la version que donne la Bible. Leur récit est cruel jusque dans les détails, alors que l'Ancien Testament se contente d'un rapport objectif :
Deux documents à comparer
2e LIVRE DES ROIS
Le roi des Assyriens monta à Damas, la détruisit, déporta les habitants à Qir et tua Rason (chap. 16, vers. 9).
Aux jours de Phacée, roi d'Israël, Téglat-Phalasar, roi d'Assur, vint et prit Lyyon, Abel-Bet-Maada, Yanoah, Oedesh, Hasor, Galaad et la Galilée, tout le territoire de Nephtali; et il déporta les habitants en Assyrie (chap. 1 5, vers. 29). Osée... tendit un piège à Phacée... Il le tua et régna à sa place (chap. 15, vers. 30).
Lorsque les hordes assyriennes quittèrent le pays, elles laissaient Israël anéanti et décimé par les déportations. Toutes ses villes avaient été annexées, à l'exception de Samarie; son territoire fut divisé en provinces administrées avec une extrême sévérité par des fonctionnaires assyriens.
D'Israël, il ne resta plus qu'un État lilliputien : les montagnes d'Éphraïm, avec Samarie, la capitale. Là résidait le roi Osée. Quant au royaume de Juda, il resta provisoirement épargné, quoique Téglat-Phalasar l'eût frappé d'un tribut.
RAPPORT DE TÉGLAT-PHALASAR
J'empalai ses notables et les montrai en spectacle à son pays. Je dévastai ses jardins et ses vergers. J'investis et je pris la ville de Rason du pays de Damas. J'emmenai huit cents personnes avec leurs biens. Je détruisis des villes de seize districts de Damas (Extrait de la Campagne vers l'ouest, 734-733 av. J.-C.).
Bît-Humri (Israël) dont j'avais ajouté les villes à mon territoire lors de mes campagnes précédentes, sauf la seule ville de Samarie... J'annexai la grande région de Nephtali... J'emmenai en Assyrie l'ensemble des habitants de Bît-Humri et leurs biens (Extrait de Campagne vers l'ouest et Campagne contre Gaza et Damas, 734-733 av. J.-C.).
Ils renversèrent Phacée, leur roi, et Osée prit sa place (Extrait de Campagne contre Gaza et Damas.)
Le colosse militaire assyrien avait asservi le Croissant fertile du golfe Persique à l'Asie Mineure, depuis la Mésopotamie jusqu'au pays de Canaan. Seuls le territoire de Samarie - sept hectares et demi - et les quelques kilomètres carrés de champs de blé et d'orge qui l'entouraient restèrent indépendants. C'est pourtant là que sera brandi l'étendard de la révolte. En effet, dès la mort de Téglat-Phalasar III, le roi Osée se mit à conspirer avec l'Égypte et refusa de payer le tribut annuel qui lui avait été imposé. Le nouveau roi assyrien Salmanasar V (726-722 av. J.-C.) réagit immédiatement : Le roi des Assyriens découvrit qu'Osée se préparait à la révolte, car il avait envoyé des messagers à So, roi d'Égypte. Alors le roi des Assyriens s'empara de lui et l'envoya enchaîné en prison (21 ROIS, chap. 17, vers. 4).
Un réseau étendu de police et d'indicateurs faisait partie - déjà ! - de l'organisation du régime de terreur des Assyriens. Samarie tombée, le dernier vestige du royaume d'Israël subit le sort de Damas, car la neuvième année d'Osée, le roi des Assyriens prit Samarie et déporta Israël en Assyrie(2 ROIS chap.17, vers. 6).
Werner KELLER
1- Le Pul de la Bible.
En ce temps-là, la Bible No 59 pages II-III.