De la vie propre du peuple juif, alors qu'une fois de plus il se trouve placé entre l'enclume et le marteau, entre les Ptolémées et les Séleucides, nous ne savons guère qu'une chose : l'absence de toute autre autorité issue de la nation elle-même fit que le sentiment national se cristallise autour de la personne du grand prêtre, au point que la fonction sacerdotale prit de plus en plus un caractère politique. Autour de ce personnage, la communauté israélite s'est développée un peu à la façon d'une cité-État grecque, telle qu'il s'en formait à celle époque.
Depuis le retour de l'Exil, et pendant près de quatre siècles, les Juifs s'étaient montrés extraordinairement soumis à l'égard de leurs suzerains. Mais voici que l'un de ceux-ci, Antiochus IV, assez orgueilleux pour se donner comme surnom, et bien malencontreusement, « Épiphane » (« manifestation de la divinité »), va s'en prendre à ce qu'ils tiennent très justement pour sacré au suprême degré : leur Loi et leur Dieu.
D'une certaine manière la révolte qui va suivre sera la première guerre de religion proprement dite. Si finalement le mouvement aboutit à une lutte pour l'indépendance, il est à l'origine animé essentiellement par un sursaut de foi, et se trouve consacré par le sang des premiers vrais martyrs.
A première vue le récit des combats de ce peuple en colère soulevé contre ceux qui l'oppriment peut apparaître semblable dans ses grandes lignes à bien d'autres récits similaires dans l'histoire du monde. Cependant on y trouve, très affinés, et parfois trop, les grands principes qui ont inspiré les meilleurs parmi les héros bibliques : « Dans la guerre, la victoire ne dépend pas de la grandeur des armées, c'est du ciel que vient la force » (le, Maccabées, chap. 3, vers. 19). Bien plus : mieux vaut mourir que transgresser la lettre même de la Loi; on verra des fidèles se faire massacrer sans se défendre plutôt que de violer le sabbat (1er Maccabées, chap. 2, vers, 34-38). Quoi qu'il en soit, ceux qui luttent restent persuadés que l'ennemi n'est pas à craindre dès lors qu'on se souvient des prodiges de l'Exode. Quant à la victoire escomptée, elle ne doit pas être
L'exaltation de la nation mais la glorification de son Dieu (1er Maccabées, chap. 4, vers. 7-11). La plus grande crainte des combattants n'est pas pour leurs familles, mais pour le Temple de Dieu et la ville sainte (20 Maccabées, chap. 15, vers. 18-19).
Les rebelles n'auraient probablement pu résister longtemps si les oppresseurs avaient dès le début déployé contre eux toute leur puissance. Mais les sbires d'Antiochus minimisèrent d'abord l'importance du mouvement, ce qui permit aux insurgés d'enregistrer quelques succès fort notables, même si la légende a pu les exagérer quelque peu. Lorsque le roi Séleucide eut compris qu'il fallait mobiliser une véritable armée pour se rendre à nouveau maître du pays, les patriotes, qui avaient acquis confiance et sympathie parmi la population, se réfugièrent dans leurs montagnes natales. La plupart des tentatives effectuées contre eux s'achevèrent alors en désastres.
Il faudra faire droit aux principales exigences des rebelles : les hors-la-loi seront autorisés à réoccuper Jérusalem, un édit restaurera le culte, le Temple sera purifié, les autels païens détruits.
Pour certains une monarchie illégitime
Le succès s'avérait total dans le litige essentiel : pratiquer le Judaïsme sous sa forme traditionnelle était à nouveau légitime. Mais, de religieuse, la révolte était aussi devenue politique. La persécution avait suscité un nationalisme neuf. Pour la première fois depuis l'Exil se développait un courant en faveur de l'indépendance complète, peut-être avec l'idée implicite que, seule, elle garantirait la liberté religieuse. A travers un dédale d'intrigues et d'affrontements de factions rivales, la lutte va donc se poursuivre jusqu'au jour où les Asmonéens (nom donné par l'historien Josèphe à la famille de Matathias qui aurait eu « Asmonée » pour ancêtre) se constituèrent pour un temps en dynastie avec l'accession au trône de Jean Hyrcan.
Malgré tout, les événements qui se rapportent au soulèvement des Maccabées ne déboucheront pas sur une véritable renaissance d'Israël. La monarchie asmonéenne reposera sur des bases fragiles. Sans doute parviendra-t-elle à étendre son hégémonie sur presque tout le territoire des anciennes 'tribus, mais jamais elle ne pourra vraiment passer pour la royauté davidique restaurée : d'innombrables partis, factions, clans, résultat de siècles d'occupation et de domination étrangère s'y opposeront toujours. Et cette tentative sera même considérée par la tradition ultérieure comme entachée d'illégitimité, puisque la dynastie appartenait à la tribu sacerdotale, et non à la « lignée de David », issue, elle, de la tribu de Juda.
Dom J. GOLDSTAIN
En ce temps-là, la Bible No 38 page IV.