Le voyageur pressé qui parcourt la Galilée risque de négliger ce petit port abandonné sur les rives tranquilles du lac de Tibériade : l'antique Capharnaüm n'est plus habitée aujourd'hui que par quelques pères franciscains qui veillent sur les ruines de la cité évangélique où le Christ habita et que Matthieu (chap. 9, vers. 1 ) désigne comme « sa ville ».
Voici quelque 2 000 ans, l'agglomération, peuplée surtout de pêcheurs, marquait une étape sur la « via maris », route de commerce reliant Damas à la Méditerranée, et se trouvait dotée d'une modeste garnison ainsi que d'un poste de douane, aux confins des États confiés par le protectorat de Rome à deux roitelets fils d'Hérode le Grand : Hérode Philippe II, tétrarque d'Iturée et Hérode Antipas, tétrarque de Galilée. Ce fut durant la plus grande part de sa vie publique la patrie d'adoption de Jésus qui logeait probablement dans la maison de Pierre et André, venus eux-mêmes de Bethsaïde, sur l'autre rive du Jourdain.
Dès le XIXe siècle, les archéologues s'attachèrent à retrouver les restes de la « cité du Christ ». En 1866, malgré l'hostilité de la population bédouine, les Anglais entreprennent de dégager les ruines. En 1905, et jusqu'à la première guerre mondiale, les Allemands Kohl et Watzinger s'emploient de leur côté à l'étude minutieuse de rares vestiges. En 1921, le père Orfali leur succède. Mais, après lui, le site de Capharnaüm va rester à l'abandon pendant près de cinquante ans, jusqu'à la reprise des fouilles par la Custodie Française de Terre Sainte, en 1968, à l'occasion du dix-neuvième centenaire des apôtres Pierre et Paul.
Les recherches ainsi effectuées, non sans de longues interruptions, depuis plus d'un siècle, ont permis de retracer le passé de la petite ville galiléenne.
Il ne remonte pas à la haute Antiquité : Capharnaüm n'est jamais mentionnée dans l'Ancien Testament et, de fait, les premières maisons dont on a découvert les ruines, ne datent que du 1er siècle avant notre ère. Bien que la région soit d'une fertilité exceptionnelle, les demeures des habitants ne décèlent pas une grande prospérité : les constructions grossières en basalte noir ne renfermaient que des ustensiles de cuisine, des lampes, quelques hameçons et, çà et là, des meules ou des pressoirs à huile.
L'une de ces demeures, celle-là même que la tradition attribuait à Pierre, avait été recouverte par une basilique octogonale au Ve siècle. Les archéologues ont pu néanmoins déceler dans la fouille certains indices d'une vénération particulière qui date du 1er siècle. Incorporé à un bloc d'habitation connu des spécialistes sous le nom de « insula-2 », la maison, dont le sol était à l'origine en terre battue très noire, se composait d'une grande pièce de sept mètres sur six mètres cinquante. Les murs, en gros blocs de basalte sans mortier, devaient être couverts d'un pauvre toit de branchages et de torchis.
Il apparaît que, dès le 1er siècle en effet, la maisonnette fit l'objet de soins spéciaux : ainsi recouvrit-on d'abord le sol de plusieurs couches de chaux battue. Mais ce n'est, semble-t-il, qu'au Ille siècle, sous le bas-empire romain, que - les Juifs convertis au christianisme ornèrent richement cette « domus ecclesla », maison de l'assemblée des fidèles : le toit fut reconstruit, on éleva pour le soutenir des pilastres surmontés d'arcs; enfin, les murs furent enduits d'un crépi polychrome sur lequel les pèlerins, au long des siècles, laissèrent des graffitis attestant leur foi. Les archéologues en comptent cent vingt-quatre en grec, dix-huit en syriaque et quinze en hébreu. Une grande pièce annexe fut aussi édifiée au nord de la construction primitive, et l'ensemble du lieu saint protégé par un vaste enclos d'environ trente mètres de côté.
La basilique voisine la synagogue
C'est au début du Ve siècle que la basilique byzantine remplaça tous ces édifices, recouvrant ce qui n'avait pas été abattu pour lui faire place. Ses infrastructures sont aujourd'hui complètement mises au jour, ainsi que la riche mosaïque dont elle était décorée. Sur une surface totale de vingt-deux mètres de diamètre, elle était faite de deux octogones concentriques, comportant des portiques sur cinq côtés et des dépendances sur les faces est et sud-est. L'octogone central était orné de huit pilastres, sans doute destinés à supporter la charpente et le toit de tuiles. L'architecte s'était employé non seulement à faire coïncider son plan avec celui de la salle vénérée, mais avait pris soin également de conserver les vieux murs sur une hauteur d'un mètre cinquante.
Un peu au nord de ce sanctuaire chrétien, gardien de l'émouvant souvenir de la vie évangélique du Christ, s'élèvent les ruines les mieux préservées de Capharnaüm : celles de la synagogue, une des plus belles de Galilée, mais qui ne date malheureusement pas du même temps que « la maison de Pierre ».
Construite en calcaire blanc royal, vers la fin du Ile siècle ou au début du Ille siècle, sous les règnes de Septime-Sévère ou de Caracalla, elle était somptueuse. Les éléments architecturaux découverts permettent d'en imaginer assez précisément l'apparence.
Au sommet d'un escalier encadré par deux lions sculptés, la façade était percée de trois portes surmontées d'une vaste baie dessinant un arc en plein cintre. Partout s'étalaient des thèmes décoratifs baroques, fortement influencés par l'hellénisme : guirlandes, génies ailés, coquilles marines, couronnes de chêne, grappes de raisin, feuilles de vigne, palmiers, aigles, griffons... ,
A l'intérieur, la salle, de plan basilical, était divisée en trois nefs par une colonnade corinthienne. Au rez-de-chaussée se réunissaient les hommes, les femmes étant admises dans les galeries de l'étage. Lors de la prière, tous se tournaient vers Jérusalem, au sud. Près de l'entrée, se trouvait la « tébah », l'armoire contenant les rouleaux de la Loi, et tout au long des murs latéraux courait une double banquette de pierre sans doute réservée aux hôtes de marque.
La décoration intérieure semble avoir été aussi riche que celle de la façade : on a retrouvé des bas-reliefs ornés de rosettes, de couronnes, de grenades, de cratères, de chandeliers à sept branches ou d'étoiles de David. L'un d'eux intrigue les experts : il montre un véhicule à colonnes, fermé par une porte à deux battants. Selon Watzinger, ce serait une figuration de la « caruca », la voiture des dignitaires de l'empire. Mais, pour certains, il s'agirait du char mystique décrit dans la vision d'Ézéchiel (chap. 1 et 10) ; tandis que d'autres ne voient là qu'une armoire mobile, utilisée dans les premières synagogues, et qui renfermait les livres saints.
AU Vle Siècle, lors du tremblement de terre qui ravagea la Palestine, la synagogue de Capharnaüm s'écroula, ensevelissant sous ses décombres un homme qui s'était réfugié dans l'atrium et rencontré là par les chercheurs après quatorze siècles.
A l'occasion des fouilles actuelles, on s'est naturellement demandé si le monument n'avait pas été édifié sur l'emplacement exact d'une synagogue plus ancienne.
Plusieurs arguments portent à le croire et d'abord celui qu'on tire de la tradition qui depuis toujours, en Palestine comme ailleurs, incitait à construire tout nouvel édifice religieux sur les vestiges du précédent. Il n'est donc pas impossible que l'on retrouve bientôt les vestiges de celui-ci dans cette même ville où le Fils de l'homme enseigna au 1er siècle. En ce moment même, les archéologues s'y emploient.
M.-C. HALPERN
En ce temps-là, la Bible No 76