La localisation des mystérieuses mines d'or où Salomon s'approvisionna au Milieu du Xe siècle avant notre ère, avec l'aide du roi Hiram (le, Rois, chap. 9, vers. 27-28; chap. 10, vers. 11; 2e Chroniques, chap. 8, vers. 18; chap. 9, vers. 10), a intrigué les explorateurs plus que les exégètes. Nous avons suggéré (page 597) qu'il s'agissait peut-être de l'Inde ou, plus près, de l'Arabie, ou encore de la côte orientale d'Afrique. De récentes recherches tendraient à confirmer une hypothèse africaine.
Le secret de l' « or d'Ophir » fut si jalousement gardé que vite il se perdit. Quand Josaphat, quatrième successeur de Salomon en Juda, voulut moins d'un siècle après lui envoyer à son tour une flotte vers cette terre aux trésors, ses vaisseaux se brisèrent (1er Rois, chap. 22, vers. 49).
Qui avait renseigné le grand roi de Jérusalem? Son père, David, auquel le livre des Chroniques (chap. 29, vers. 4) prête cette phrase bien suspecte d'une addition tardive : « J'ai préparé pour la Sainte Demeure trois mille talents d'or, de l'or d'Ophir.. » ? Mais le texte biblique, ni aucun autre, ne mentionne de croisière vers Ophir au temps de David.
Puisque le premier voyage apparaît aux pages qui relaient aussi la visite de la reine de Saba à Salomon avec des chameaux portant des aromates, de l'or en très grande quantité, des pierres précieuses » (11, Rois, chap. 1 0, vers. 2) , il est plausible que, tendrement éprise ou non de son hôte, ce soit elle qui lui ait glissé la bonne adresse.
Les historiens rivalisent depuis longtemps pour situer Ophir. Les uns l'ont vu aux Indes, où il n'y a guère de métal noble qu'à l'extrême sud, au Mysore, à une distance quasi prohibitive pour des nefs probablement contraintes au cabotage, le long des côtes. D'autres ont parlé de l'Arabie méridionale, où l'or est plus que rare. La thèse rhodésienne, âprement soutenue, fut anéantie par des tests au carbone 14 effectués sur place : ce n'est qu'au IV ème siècle après J.-C. qu'on commença à extraire l'or de Rhodésie.
L'éminent savant Mgr G. Ryckmans concluait son bilan sur Ophir en écartant les théories précédentes, en suggérant l'aboutissement des croisières aux côtes de Somalie (l'ancien Pount) et en évoquant les richesses minières de son hinterland éthiopien. Ses avis influencèrent beaucoup mes recherches de ce côté en 1966 et 1970.
Les vieilles exploitations aurifères du Walléga, à l'ouest, aux frontières du Soudan, paraissaient bien proches des pharaons pour avoir servi d'autres souverains qu'eux. Celles d'Asmara, en Érythrée, assez voisines d'Axoum et de Matara, capitales africaines présumées de la reine de Saba, devaient la pourvoir elle-même; d'ailleurs Mgr Ryckmans les estimait trop peu éloignées pour justifier de très longs voyages. Au contraire, quand je l'informai des symptômes que j'avais discernés en 1966 à Adolla, dans l'extrême sud de l'Éthiopie, il m'encouragea carrément.
Les Italiens en 1937, et les Abyssins après leur départ, avaient dragué les gravats aurifères de ce bassin précambrien, sans se soucier de la présence d'innombrables buttes, anormales. Ils disaient que ce n'étaient que des termitières ou des tombes... Je soupçonnai, moi, des puits rebouchés et datant de haute époque : entre l'implantation dans cette région des Guji, venus du Kenya il y a trois cents ans, semi-nomades ignorant les travaux de mine, et le peuplement préhistorique, on constatait un long vide humain ».
Des puits de mine vieux de 3 000 ans
L'unique survivant de l'équipe italienne, que je retrouvai, le prospecteur lppolito Silvestri, partageait mon impression sans avoir été jamais écouté. En 1970, nous obtînmes de la Cour impériale l'autorisation de revenir sur les lieux et de crever les tumuli.
Ceux-ci ne révélèrent ni insectes, ni squelettes... mais d'anciens sondages descendant au socle rocheux. Leur comblement hâtif, pour éviter les chutes, et le foisonnement de déblais avaient produit en surface les intrigants pâtés de latérite. Silvestri me précisa que l'or était là naguère abondant dans les rivières, malheureusement aujourd'hui raclées par les dragues; il y avait même ramassé une pépite de 3,100 kg. De telles constatations n'avaient pu qu'inciter des primitifs à la recherche du fascinant métal. Qui étaient-ils? Des chasseurs, que leurs outils de pierre taillée et les mégalithes qu'ils ont laissés situent aux environs de l'an 1 000 av. J.-C. Je découvris enfin une piste antique de 800 km, maintenant abandonnée, qui reliait leur territoire à Berbera (la Malao d'avant notre ère), sur cette côte de Somalie où Mgr Ryckmans voyait la destination des croisières saloméennes : celles de la flotte « de Tarsis » (c'est-à-dire capable d'affronter une navigation aussi longue que pour se rendre à Tarsis, en Espagne), dont les vaisseaux rapportaient, outre
l'or et l'argent, « des défenses d'éléphants,des singes, des paons », « des bois de santal et des pierres précieuses» (1er Rois, chap. 10, vers. 11 et 22).
Or, l'ivoire abondait dans les hautes futaies de ces régions surpeuplées d'éléphants jusqu'à l'ouverture des chantiers modernes. Les singes pullulent. Les oiseaux que les scribes bibliques désignent comme étant des « paons » (mieux connus au Proche-Orient) pouvaient être des outardes, qui font la roue elles aussi; ou des grues couronnées. Et les cèdres, les genévriers d'Adolla, bois odoriférants à la manière du santal asiatique, pouvaient être assimilés à celui-ci. Des autochtones du lac Rodolphe, qui touche à la frontière éthiopienne, baptisent « grottes de Salomon » les crevasses d'un canyon qui contiendrait des roches diamantifères, prolongement des filons du Kenya voisin? S'ils disent vrai, des pierres précieuses auraient également pu atteindre Adolla. Mais il n'est pas nécessaire de l'admettre. Joyaux et argent étaient achetables aux escales.
A nos yeux, l'or, l'ivoire, les bois parfumés, les singes, les oiseaux « décoratifs », la distance (relevant du cycle annuel, selon la Vulgate, mais triennal d'après les autres versions (1er Rois, chap. 10, vers. 22), enfin la route de liaison avec le Pount suffisent à conférer à Adolla plus de chance d'être « Ophir » qu'à nulle autre contrée.
François BALSAN
de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer
En ce temps-là, la Bible No 46 pages II-III.