Depuis bientôt un siècle, les fouilles du Proche-Orient et les connaissances de tous ordres qu'elles ont apportées permettent d'éclairer de façon directe les données fournies par la Bible sur les patriarches. Ce que nous font ainsi connaître les monuments et les textes autres que bibliques permet de les bien situer dans leur milieu, donc de les mieux comprendre.
Les Villes.
Avec les fouilles d'El-Muqayyer, près du golfe Persique, Ur patrie d'Abraham nous est fort bien connue : ses remparts et ses canaux, ses rues et ses maisons sont sous les yeux du visiteur de 1969: sa ziggurat (temple à étages) est l'une des mieux conservées. Cité marchande et industrielle. Ur accumulait les richesses venues des pays lointains.
De leur côté, les fouilles anglo-turques de 1951 nous ont révélé Haran, ce centre commercial important de la Mésopotamie du nord-ouest, au croisement des routes caravanières allant de Babylone vers la Syrie, l'Asie Mineure et l'Egypte, fut, on le sait, la première étape dans la vie errante du grand patriarche.
Les peuples.
Une question débattue depuis fort longtemps est celle de l'origine du nom même d'Hébreux. On connaît par les textes les Hapiru, et la tentation est forte de les identifier avec le clan d'Abraham. Mais il y a des inconnues qui empêchent de le faire sans nuance : les Hapiru,que l'on voit apparaître comme des « pionniers » dans l'Asie Mineure du XIXe siècle avant J.-C. comme des « mercenaires » en Mésopotamie aux XVllle et XVlle ou encore au XVlle, à Mari, comme des « brigands », sont-ils des esclaves au service de l'Etat ou composent-ils des bandes rebelles qui combattent celui-ci? Peut-être faut-il voir dans les Hébreux de la Bible une simple fraction de ces Hapiru des textes mésopotamiens.
Ceux-ci nous parlent également des « Benjaminites »: ils constituent un groupe assez turbulent dans la région de Haran. Ce sont des tribus moutonnières habituellement nomades, mais momentanément sédentaires. La migration d'Abraham se situerait assez bien dans ce contexte.
Les Amorrhéens ou Amorrites sont mentionnés en Palestine à [`époque des Patriarches : près de Jérusalem et dans le sud du pays. Textes mésopotamiens et égyptiens connaissent le pays d'Amurru. qu'ils situent dans la région montagneuse de Syrie ou sur la côte syrienne, sans doute s'agissait-il, pour le rédacteur biblique, d'étrangers infiltrés en Canaan.
La Bible parle encore des Héthéens ou Hittites. C'est à eux qu'Abraham achète la grotte de Makpéla pour y enterrer Sara avant d'y prendre place lui-même: c'est parmi ces étrangers qu'Esaü choisit certaines de ses femmes. Leur empire ne nous est connu que depuis un siècle environ. Les 20.000 tablettes cunéiformes découvertes à l'emplacement de leur capitale Hattu, aujourd'hui Boghaz-Keuï, nous renseignent sur la première période de leur expansion qui correspond à l'époque patriarcale.
Les institutions.
Jadis on se référait au code d'Hammourabi. grand roi de Babylone, parce qu'on avait cru. d'après le texte gravé sur une stèle actuellement au musée du Louvre,pouvoir identifier ce monarque à l'Amraphêl ravisseur de Loth et de sa famille (Genèse. chapitre 14) ; mais les progrès de l'étude des langues ont permis de constater que cette identification à travers les noms était insoutenable. Par contre. à Nuzi, localité mésopotamienne fouillée de 1925 à 1931.
4 000 tablettes ont été retrouvées, qui nous renseignent sur la vie de la cité et nous expliquent bien des coutumes patriarcales très antérieures à la loi de Moïse.
Ainsi une personne sans enfant peut-elle adopter un étranger (Genèse. chapitre 15). Le droit pour l'épouse stérile de donner à son mari l'une de ses servantes, sans que l'enfant de cette dernière puisse être expulsé, est codifié :
« Si Gilimninu enfante. Shennima son mari ne prendra pas une autre femme; mais si Gilimninu n'enfante pas. elle donnera en mariage à Shennima une femme du pays de Lullu (une esclave). » On comparera à ce que rapporte le chapitre 21 de la Genèse. Mais qu'on lise la suite : « Gilimninu ne chassera pas la descendance de l'esclave. » On voit que Sara agit illégalement: elle parle en femme jalouse et dépitée. L'intervention de Laban. qui donne en mariage sa soeur Rébecca (Genèse. chapitre 24) trouve son pendant dans une déclaration d'un contrat de Nuzi :
« Avec mon consentement. dit la jeune fille, mon frère m'a donné comme femme à un tel.» Même remarque pour la possession des idoles familiales en relation avec le droit à l'héritage (Genèse.
chap. 31. vers. 19) : il s'agit de petites statues, représentant de bons génies destinés à écarter de la famille les démons malfaisants; à Nuzi également elles passaient à l'héritier principal et constituaient un titre en faveur de l'héritage futur.
L'existence du droit d'aînesse n'est pas non plus ignorée : l'aîné a juridiquement droit à une double part, mais il peut s'en dessaisir, même en faveur d'un étranger (voir Genèse chap. 25, vers. 29 et suivants).
Il est vrai qu'à côté d'identifications certaines, il y a parfois de simples analogies; parlons donc plutôt d'un même « climat » sur le plan social et juridique. Mais cela suffit pour rattacher la vie des patriarches à un fond historique bien déterminé.
J. DHEILLY
En ce temps-là, la Bible N° 2 page IV.