Toutes les nations des disciples?
Le professeur Pierre Courthial (par la suite nous ne mettrons plus que ses initiales: P.C.) interprète les textes bibliques en fonction d'une conception spécifique de l'Alliance de Grâce et de la fin des temps. Il voit dans Matthieu 28: 19 l'ordre de faire disciples toutes les nations, par le baptême (des enfants) et l'enseignement. Précisons qu'en grec nations est un neutre, alors que le pronom personnel eux (les) et disciples sont des masculins. Ce sont donc les disciples qu'il faut baptiser et non les nations. Mais P.C. est pédobaptiste et, interviewé, il a déclaré: «Nous sommes inscrits dans l'Alliance de Dieu par notre baptême d'enfant. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes forcément sauvés, mais le baptême est indélébile. Nous serons jugés en quelque sorte selon notre fidélité à notre baptême»4Cela lui fait dire: «À telle personne ou à telle nation il peut être nécessaire de demander: Qu'as-tu fait de ton baptême?» (p.92). Il répète ainsi l'interpellation du pape s'adressant aux Français lors de sa visite à Paris. Mais peut-on logiquement demander à des personnes ce qu'elles ont fait d'un rite qui leur fut administré comme nourrissons, donc à leur insu? Comment pourraient-elles être fidèles à un engagement qu'elles n'ont jamais pris?
P.C. dit aussi par ailleurs que catholiques et protestants sont marqués du sceau de l'unique baptême et sont donc membres de l'Église universelles Pour Rome, le baptême est un acte miraculeux pour ne pas dire magique, qui imprime au baptisé un caractère ineffaçable faisant de lui un enfant de Dieu. Le Réformateur Jean Calvin enseignait d'ailleurs aussi que par le «baptême», l'enfant était reçu en la compagnie de l'Église et incorporé en Christ.6C'est surtout à cette pratique que l'on doit l'origine des Églises multitudinistes constituant une «Chrétienté» mondiale dont la grande majorité de ceux qui la composent ne sont pas sauvés, parce qu'ils n'ont pas passé par une repentance et une foi authentiques. Comment peut-on, dans ces conditions, parler de nations qui auront à rendre compte de ce qu'elles ont fait de leurs «baptêmes»? Où l'Écriture enseigne-t-elle que par le rite de l'aspersion des nourrissons, faussement appelé «baptême», des personnes et des nations deviennent chrétiennes, sans être forcément sauvées? On devrait plutôt demander à ceux qui - baptisent ainsi: «Qu'avez-vous donc fait du baptême?»
P.C. parle par ailleurs d'actions et de signes qu'il appelle sacramentels, tels que l'arc-en-ciel, (p.13) ou le baptême de Jésus qu'il nomme «baptême-onction» et «acte sacramentel de son ordination», et qu'il décrit comme une aspersion d'eau (p.64), et non comme un véritable baptême (immersion) biblique. Pour lui les sacrifices sanglants de l'Ancienne Alliance et la circoncision sont aussi des sacrements (pp.35 et 17), tout comme le baptême et la cène, alors que «sacrement» est un terme ignoré par la Bible. Le «Nouveau Dictionnaire Biblique» (Éditions Emmaüs) dit à ce sujet: «Dans le N.T. il n'existe ni un mot, ni même une idée générale qui corresponde au sacrement. L'Église primitive ne connaît pas la moindre trace de rapprochement de ce mot de tel ou tel rite ecclésiastique. » Ce n'est que plus tard que le catholicisme, suivi en cela par le protestantisme, désigna ainsi certains actes symboliques auxquels il attribua des vertus qu'ils ne possèdent pas.
Nostalgie du Moyen Age
Pour P.C. le Moyen Age fut l'«Àge de la foi» et «la plus belle des civilisations que le monde ait connues». (p. 183). Il voit en l'Église romaine jusqu'à la Réforme «notre mère à tous, catholiques romains, anglicans, luthériens, réformés» (p. 150). Il est vrai que le catholicisme médiéval a produit des hommes remarquables et que de grands Conciles historiques ont clairement défini certaines doctrines bibliques face aux errements de l'époque. Sans parler de l'art qui connut un prodigieux développement. Il y eut en ce temps incontestablement une certaine piété, trop souvent plus mystique que biblique, les traditions humaines et des pratiques païennes ayant très tôt supplanté l'Écriture. Nul n'ignore que le Moyen Age fut malheureusement aussi le temps de l'instauration du système politico-religieux papal avec l'introduction de pratiques et de dogmes contraires à l'enseignement biblique, le temps où se développèrent la superstition et l'idolâtrie, où l'Église romaine entreprit les croisades et les guerres d'extermination, où d'innombrables croyants furent victimes de l'Inquisition, de tortures et des bûchers, sans parler de la dissolution des moeurs du clergé, dans les couvents et jusqu'au «siège pontifical». Gottfried Arnold, théologien luthérien et historien (1666-1714), disait: «Depuis le temps des apôtres, le véritable christianisme s'est trouvé en dehors de l'Église établie, et chez les hérétiques il y a plus de vie de Dieu que chez les gens d'Église.» Pareille affirmation est sans doute un peu trop absolue et il y aurait lieu de définir ce que l'on entend ici par hérétiques. Mais dans la mesure où l'«Église médiévale» fut «apostate» et criminelle nous ne pouvons pas reconnaître en elle «notre mère à tous»! Aussi n'avons-nous pas vraiment la nostalgie du Moyen Age, comme s'il fallait en souhaiter le retour!
Apostasie ou théonomisme?
P.C. dénonce à juste titre les pasteurs et docteurs devenus «a-nomistes» (= sans loi), «anti-nomistes» (= contre la loi), ou «humanistes» (= cherchant le fondement de la morale en l'homme et non en Dieu). (p. 233) Il pense que le «théonomisme» (la soumission à la loi divine) s'imposera finalement partout dans le monde. Dans l'interview citée plus haut il disait: «Il viendra un temps où toutes les nations seront «disciplées» (c'est-à-dire qu'elles deviendront disciples de Jésus, N.d.l.r.), car je crois que toute la Bible nous promet qu'avant le retour de Jésus-Christ il y aura l'établissement d'une chrétienté universelle».7Mais c'est justement ce que toute la Bible ne promet pas, bien au contraire! Pour la fin du monde elle prédit plutôt des temps difficiles. Les textes s'y rapportant ne manquent pas.8 Jésus n'a-t-il pas dit lui-même: «Quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?» (Luc 18: 8) et il a annoncé les signes précurseurs de son avènement et de la fin du monde (Matthieu 24) qui sont: séductions, faux christs et faux prophètes opérant des signes et des prodiges, guerres, tremblements de terre, famines, persécutions, trahisons, haine, progrès de l'iniquité, refroidissement de l'amour, prédication de la Bonne Nouvelle dans le monde entier, l'abomination de la désolation établie en lieu saint, grande tribulation, obscurcissement du ciel, étoiles tombant du ciel, l'apparition du signe du Fils de l'homme dans le ciel, toutes les tribus de la terre se lamentant en voyant le Fils de l'homme venir sur des nuées, les anges avec la trompette retentissante rassemblant les élus des quatre vents. Et le Seigneur avertit: «Vous aussi, tenez-vous prêts, car le Fils de l'homme viendra à l'heure où vous n'y penserez pas!» (Mat. 24:44)
Mais Jésus serait-il déjà revenu ?
Selon P.C. Jésus serait déjà revenu en l'an 70 pour juger Israël, l'«ancienne Église». Il qualifie ce retour de «réel et de spirituel», de «physique et visible», en déclarant qu'il a consisté en la destruction du Temple et la ruine de Jérusalem par l'empereur Titus. (pp.111 et 113). Jésus lui-même précisa pourtant qu'après cette ruine, Jérusalem sera foulée aux pieds par les nations jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis, et ce n'est qu'ensuite que l'on verra les signes cosmiques avec l'angoisse des nations et des hommes qui rendront l'âme de terreur dans l'attente de ce qui surviendra pour la terre. Alors seulement l'on apercevra le Fils de l'homme venant sur une nuée avec beaucoup de puissance et de gloire. (Luc 21 :24-27) Cette venue de Jésus ne saurait donc de toute évidence pas être confondue avec la destruction de Jérusalem en l'an 70. Mais pour P.C. la venue du Seigneur sur les nuées ne serait qu'une expression symbolique et poétique. Cela contredit l'Écriture selon laquelle son retour ne devait pas être plus symbolique ou poétique que ne le fut son ascension, où deux hommes en vêtements blancs déclarèrent aux disciples: «Il reviendra de la même manière dont vous l'avez vu allant au ciel». (Actes 1 : 11) Tout en admettant qu'il y aura encore un retour glorieux du Christ, P.C. dit que les expressions «derniers jours», «derniers temps» ou «dernière heure», se rapportent le plus souvent au temps apostolique des années 30 à 70, (p.86) et il fonde son opinion surtout sur cette déclaration de Jésus: «Cette génération ne passera point, que tout cela n'arrive» (Mat. 24:34). Il prend ainsi le terme de génération dans l'acception la plus courante, sans tenir compte du fait que tout cela n'était justement pas encore arrivé en l'an 70. La génération dans le sens de contemporains de Jésus - a passé, le signe du Fils de l'homme n'est pas apparu dans le ciel à ce moment-là, la Bonne Nouvelle n'était pas encore prêchée dans le monde entier, les anges avec la trompette retentissante ne sont pas venus rassembler les élus des quatre vents... et Jésus n'est pas revenu sur les nuées détruisant l'impie par le souffle de sa bouche (2 Thess. 2:8).
Mais pour essayer de rendre son hypothèse cohérente et plausible P.C. interprète à sa façon certains signes prophétiques comme s'ils s'étaient déjà produits. Et si le terme génération désigne généralement ceux qui vivent à une même époque, il peut aussi s'appliquer à ceux qui descendent d'une même race, en l'occurrence juive, le grec « genua» pouvant signifier «régénération» ou «race».9Pour P.C. c'est la présence de l'Église de Jérusalem qui aurait retardé l'apparition de l'impie dont il est question dans 2 Thess. 2:1-7 et qui serait Néron (?), (p. 107) devenu avec Rome la Bête d'Apocalypse 13. Mais pour l'apôtre Paul l'apostasie et l'apparition de cet impie seront suivies à la fin des temps du retour corporel et visible de Jésus, de notre réunion avec lui et de l'écrasement de l'impie. Aussi l'apôtre nous avertit-il de ne pas nous laisser facilement ébranler dans notre bon sens... comme si le Jour du Seigneur était déjà arrivé (2 Thess. 2:1-7). Toujours selon P.C., les anges, rassemblant avec la trompette les élus, auraient été les apôtres arrachant ces élus au jugement pour les sauver, et la trompette retentissante serait (sans doute) une allusion à la trompette du Jubilé! (p. 11 5) On comprend mieux maintenant pourquoi P.C. situe la rédaction de l'Apocalypse vers 67 ou 68 (p. 96), contrairement à la plupart des spécialistes qui la placent plutôt vers la fin du premier siècle, car si l'apôtre Jean n'a écrit son livre que vers l'an 100, ses prophéties ne sauraient s'appliquer à ce qui s'est produit trente ans plus tôt. Mais pour P.C. les «derniers temps» sont déjà dépassés et les prophéties s'y rapportant accomplies. Ne force-t-il pas ainsi les données bibliques pour les faire concorder avec ses vues reconstructionistes? Toujours d'après lui, les chrétiens et les Églises devraient maintenant partir patiemment, courageusement et avec persévérance à la conquête du monde au nom de Christ. (p. 25) Ce serait «Le jour des petits recommencements» titre de son ouvrage.
Conclusion
La Bible n'annonce pas pour la fin des temps l'établissement d'un nouvel ordre mondial moral, intellectuel, social et politique par la conversion et la soumission de toutes les nations aux lois divines. Au contraire, Jésus annonce plutôt une iniquité (absence de loi) croissante et le refroidissement de l'amour du plus grand nombre (Mat. 24:12). L'idée que les chrétiens, les Églises, l'oecuménisme, un formidable réveil universel, le reconstructionisme ou l'humanisme parviendraient à transformer la société humaine jusqu'à en faire une communauté planétaire de justice et de paix nous paraît très utopique face aux déclarations non équivoques de Christ et des apôtres. Mais dans l'Apocalypse il est question d'une bête qui fera la guerre aux saints, qui aura pouvoir sur toutes les nations et devant laquelle se prosterneront tous les habitants de la terre dont le nom n'a pas été inscrit dans le livre de vie de l'Agneau immolé. (Apoc. 13:4-8). Il y est aussi fait état de Babylone la grande, la mère des prostituées et des abominations de la terre, présentée assise sur les peuples, les foules et les nations. Et il ne s'agit ici certainement pas des nations devenues toutes disciples de Jésus-Christ avant son retour. Ce règne totalitaire unificateur mondial, qui sera de courte durée, imposera sans doute à toute la terre un moment de paix et de sécurité très éphémère, car il est bien écrit: «Quand les hommes diront: "Paix et sécurité", une ruine soudaine fondra sur eux». (1 Thess. 5:3) Nous sommes témoins d'une dégradation générale de la situation mondiale plutôt que d'une évolution positive. Cela ne devrait toutefois pas nous empêcher de combattre - tant qu'il fait jour - le bon combat de la foi, en attendant et en hâtant l'avènement du jour où Dieu, selon sa promesse, fera «de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera» (2 Pierre 3:11-13.)
Nous avons toujours apprécié M.P. Courthial lorsqu'il prenait fermement position pour une éthique biblique contre le laxisme ambiant, ou pour certaines doctrines bibliques fondamentales contre le libéralisme théologique à la mode. Mais malgré tout notre respect pour cet auteur, nous ne pouvons malheureusement pas partager ses vues spécifiques «reconstructionistes»10et sacramentelles.
Jean Hoffmann
1 «Le Jour des petits recommencements», Pierre Courthial, Doyen honoraire de la Faculté libre de Théologie réformée d'Aix-en-Provence.
Éditions:Messages/L'âge d'homme. CH-Lausanne.
2 «Théonomie» = la Loi de Dieu. Soumission à cette Loi.
3 Voir «Qu'est-ce que le «reconstructionisme?» dans la B.N.3/98.
4 «Nuance» de mars 1997 p. 25 «Interview».
5 Voir «Fondement pour l'avenir» pp. 185-186, Editions Kerygma, Aix-en-Provence.
6 «Institution Chrétienne» de Jean Calvin 4e livre,
chapitre XV «Du baptême » 1 Définition.
7 Comme sous (4) p. 28.
8 Voir par exemple: 1 Tim.4:1-4; 2 Tim. 3:1-15; 2 Thess.2:2-12; 2 Pierre 3:3
9 Voir «Génération» dans le «Nouveau Dictionnaire Biblique» Éditions Emmaüs, CH - Saint-Légier et dans «Vocabulaire de théologie biblique», Xavier Léon-Dufour, Éditions du Cerf, F-Paris.
10 P.Courthial partage les vues de Rousas John Rushdoony, (un des plus grands initiateurs du «reconstructionisme»), en écrivant dans «Résister et construire», (36-37, juin-septembre 1996): «Selon Rushdoony en cette fin du XXe siècle, comme selon Calvin au XVI ème siècle, la royauté universelle de Jésus-Christ doit s'étendre partout, dans la pensée et la pratique, jusqu'au jour où elle couvrira l'univers. Et pour cela, la Sainte Écriture - Loi de Dieu, Loi du Christ - doit retrouver son autorité souveraine en tous domaines...»
Signalons que deux pertinentes recensions du livre « Le jour des petits recommencements» de Pierre Courthial ont paru dans «Fac-Réflexion», la revue de la «Faculté libre de théologie Évangélique» de Vaux-sur-Seine:
a) «Plantation de Térébinthe» de Henri Blocher (Fac-Réflexion no 38)
b) «L'âge de la foi, rêve ou réalité? La chrétienté en question » de Sébastien Fath (Fac-Réflexion no 39).
La Bonne Nouvelle 1/99
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