Une mise au point

Une tentative de récupération?

 

Un docteur en théologie et pasteur d 'une paroisse protestante Suisse-romande écrit une lettre ouverte aux «évangéliques».

Les pièges de la foi - Jean-Denis Kraege

Labor et Fides

L'auteur s'adresse aux «évangéliques», appellation qu'il met entre guillemets à défaut d'avoir trouvé mieux parmi les nombreuses désignations qui lui sont venues à l'esprit: intégristes protestants, anabaptistes, dissidents, fondamentalistes, piétistes, revivalistes.... Il vise les Assemblées évangéliques, l'Armée du Salut, l'Eglise apostolique, la «Stadtmission» (Chrischona en Suisse romande), les Mennonites et en général toutes les églises libres, c'est-à-dire non officielles, ainsi que toutes les personnes, même celles rattachées aux églises réformées, qui ont été influencées par la Ligue pour la lecture de la Bible, Jeunesse en Mission, les «Rendez-vous avec la Bible», la Faculté de théologie de Vaux-sur-Seine et autres oeuvres et communautés similaires. J.-D. Kraege reproche à ces «évangéliques» leur foi quelque peu étriquée, leur tendance à l'exclusivisme, voire au totalitarisme, et qu'ils se prennent pour les seuls détenteurs de la vérité évangélique et la seule vraie église composée de «purs». Ces propos nous paraissent quand même quelque peu tendancieux, voire calomnieux, mais il vaut mieux ne pas s'en formaliser pour éviter de vaines polémiques. Il trouve aussi que les «évangéliques» ont un penchant trop prononcé pour une compréhension sentimentaliste et émotionnelle de la foi, ce qui peut être vrai pour certains. Mais il dit que le point principal de son désaccord avec eux, c'est leur trop grande accentuation de la foi au détriment de la grâce. Il pense que les «évangéliques» ont fait de la foi et de la décision personnelle une oeuvre méritoire, rendant ainsi l'homme responsable de son salut, ou de sa perdition.

Il est vrai que tout est pure grâce divine et que dans certains milieux, et dans certaines campagnes d'évangélisation, on a donné l'impression que tout dépendait du choix de l'homme et non de celui de Dieu. Mais il n'est pas moins vrai que nous devons adresser à tout homme l'appel à la repentance et à la conversion (Actes 3:19; 26:20), tout en sachant que c'est Dieu qui donne le vouloir et le faire (Phil. 2:13). L'apôtre Paul dit «C'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu» (Eph. 2:8). C'est donc bien par la foi que nous avons accès à la grâce (Rom. 5:2), et tout en étant un commandement (1 Jean 3:23), la foi n'est pas un acte méritoire de l'homme, mais plutôt l'oeuvre de Dieu en nous (Jean 6:29). L'incrédulité persistante est le péché qui perd l'homme. Tout cela peut paraître fort complexe, voire contradictoire à notre logique

humaine, et placer les théologiens devant une alternative très embarrassante, s'ils ne sont pas disposés à admettre le «mystère de la foi» (1 Tim. 3:9).

En lisant ce que dit J.-D. K. de la foi on peut d'ailleurs se demander quelle en est sa conception, lorsqu'il déclare qu'il n'y a pas d'évolution dans la vie croyante, en ajoutant: «Je ne puis aider ma foi à se développer, puisque je ne la possède pas...cette foi que je crois avoir, je puis la perdre à chaque instant». Ce n'est pas ce qu'enseigne l'Ecriture. Jésus reprochait à ses disciples leur peu de foi (Mat. 6:30), alors que par ailleurs il fut étonné de la grande foi qu'il trouva chez le centenier (Mat. 8:10) et chez la femme cananéenne (Mat. 15:28). La foi peut donc être faible ou forte et par conséquent se développer ou augmenter (II Cor. 10:15). Elle peut aussi être gardée (Apoc. 14:12). La foi authentique ne se perd pas, autrement les rachetés pourraient aussi perdre leur salut, ce que J.-D. K. semble d'ailleurs admettre.

Sa conception de la conversion est aussi singulière. Cette dernière serait l'affaire de chaque instant, ou presque. Il dit «Je ne puis me convertir, mais ne puis qu'être converti par Dieu». Pourtant l'Ecriture rapporte que de nombreuses personnes se sont converties (Actes 9:35; 1 1 :21 ; I Thess. 1 :9), sans qu'il soit question de conversion permanente. Bien sûr, Dieu est toujours l'initiateur de la foi, il «la suscite et la mène à la perfection» (Héb. 12:2) et il fait naître de nouveau - ou d'en haut - ce dont J.-D. K. ne parle pas.

Bon pédobaptiste, il conseille de «baptiser» les enfants, car pour lui il n'y a pas lieu de se préoccuper de l'âge auquel ce «baptême» a lieu et des modalités selon lesquelles il est dispensé (aspersion ou immersion), puisque, toujours selon lui, le baptême n'exige l'accomplissement d'aucun préalable. A-t-il bien lu le Nouveau Testament? N'est-il pas clairement établi que dés la Pentecôte seuls ceux qui se repentaient et qui acceptaient la Parole de Dieu furent baptisés? (Actes 2:38-41) Il prétend que les évangéliques ont pris pour modèle le baptême de Jean et qu'ils pratiquent un «rebaptême», alors qu'en fait ils ne baptisent, sur leur demande, que des chrétiens qui n'ont jamais été vraiment baptisés, c'est-à-dire immergés sur profession de leur foi, l'aspersion des nourrissons n'étant pas à considérer comme un vrai baptême.

Comme bon multitudiniste, il tient le même genre de raisonnement par rapport à la cène qu'il appelle le «sacrement de l'autel». Il dit là encore qu'elle ne saurait exiger quelque préalable que ce soit pour être reçue, alors que l'apôtre Paul ordonne à chacun de s'éprouver soi-même avant de manger le pain et de boire la coupe du Seigneur pour ne pas risquer de participer indignement à ce repas avec toutes les conséquences que cela pouvait avoir (1 Cor. l 1 :27-31).

Là où J.-D. K. nous semble encore s'abuser, c'est quand il dit qu'en matière ecclésiastique les «évangéliques» sont proches de la doctrine catholique, parce que comme chez les catholiques romains, leur baptême marque l'entrée dans l'Eglise. Il devrait pourtant savoir que les «évangéliques», dans leur ensemble, sont bien plus éloignés du sacramentalisme catholique que les églises officielles issues de la Réforme. C'est Jean Calvin qui enseigne que «dans le baptême notre âme est lavée de toutes ses souillures» et que nous y recevons «le pardon de nos péchés et la vie nouvelle»1*.Pour lui, le baptême est le «signe par lequel nous sommes reçus en la compagnie de l'Eglise, afin qu'étant incorporés en Christ, nous soyons réputés du nombre des enfants de Dieu»2*.Les luthériens croient aussi que le baptême opère la rémission des péchés, qu'il sanctifie, purifie, régénère et sauve, que c'est le moyen par lequel les enfants sont amenés à Christ3*.Et ce que l'on appelle ici «baptême» est tout simplement une aspersion d'eau administrée à des nourrissons non conscients du rite auquel ils sont soumis. La plupart des «évangéliques», par contre, ont toujours enseigné, avec l'apôtre, que nous sommes sauvés par la grâce, par le moyen de la foi personnelle et non pas par un «sacrement», même pas par le

baptême (immersion) des croyants.

Le protestantisme officiel, de quelque dénomination qu'il soit, est donc manifestement plus proche du sacramentalisme catholique-romain que les églises «évangéliques».

J.-D. K. fait aussi état des divisions qui existent entre les «évangéliques», par exemple entre arminiens et calvinistes, ou sur les questions eschatologiques, le «baptême du Saint-Esprit», les possibilités ou non de déchoir de la grâce, l'immortalité de l'âme, les peines éternelles, la place de la femme dans l'église... Mais il oublie d'ajouter que les protestants officiels sont tout autant divisés sur les mêmes sujets et sur d'autres encore, avec la seule différence que chez eux chacun peut croire ce qu'il veut, qu'il n'existe généralement pas de confession de foi obligatoire et que règne de ce fait au milieu d'eux la plus invraisemblable confusion doctrinale et éthique. Aussi préférons-nous de loin les positions claires et fermes des églises de professants qui se distinguent honnêtement les unes des autres, sans pour autant s'excommunier réciproquement. .

J.-D. K. s'étonne par ailleurs que les «évangéliques», repliés par le passé sur la sphère familiale, privée et ecclésiale, aient changé d'orientation à 180° par des engagements sociaux, éthiques et politiques, en menant publiquement la lutte contre l'avortement, l'homosexualité, la pornographie, la toxicomanie, la criminalité et l'»humanisme séculier»... Il pense que certains sont arrivés à la conclusion que pour évangéliser le monde il convenait aussi de christianiser les structures politiques et sociales. Il fait à ce propos mention de la «Majorité morale» aux Etats-Unis et de l'apparition en Suisse du parti politique dénommé «Union démocratique fédérale» (UDF), qui veut être un parti s'orientant selon des principes bibliques.

Mais J.-D. K, pense que l'on peut disqualifier le message évangélique en faisant la morale au monde, en donnant une image moralisatrice de Dieu, de 1>Evangile; et des églises. Il est vrai qu'il serait faux de chercher à imposer aux incroyants notre manière de voir et de vivre, mais nous pouvons nous efforcer de parler, d'écrire et de vivre de manière à leur faire entrevoir autre chose que ce que le monde leur offre en nous efforçant d'être de meilleurs témoins de Jésus-Christ. Il faut lire jusqu'au bout cette brochure pour comprendre le fondement de la position de son auteur, ses ouvertures, son désaccord avec les «évangéliques» et ses réticences face aux déclarations de foi claires et fermes. Il nous semble être un disciple de Karl Barth lorsqu'il explique que grâce à l'intelligence que Dieu nous a donnée nous pouvons découvrir ce qui dans l'écriture est inspiré par l'Esprit du Christ et ce qui est inspiré par quelque esprit humain. C'est plutôt là que se trouve l'origine de son désaccord avec les «évangéliques»: II ne reconnaît pas l'inspiration plénière des Ecritures. C'est pourquoi il invite les «évangéliques» à être ouverts au pluralisme, à la critique du texte biblique,... et à ne pas s'appuyer sur ces béquilles vermoulues que sont la chaude communauté des purs, la rigueur morale, la subtilité d'une confession de foi et l'inspiration littérale des Ecritures, identifiées à la Parole de Dieu. Il va même jusqu'à parler de confessions de foi «quadrinitaires», comme si l'on avait fait de la Bible la quatrième personne de la trinité!

Cette «ouverture» explique aussi pourquoi il est pour une Église tolérante qui admet la pluralité de tendances, y compris celle des «évangéliques», pour autant que ces derniers acceptent aussi de n'être qu'une «tendance» parmi les autres! Il ne semble exclure formellement d'une telle Église ni le concubinage, ni l'avortement, ni l'homosexualité, ni le féminisme, même s'il se prononce par ailleurs contre le relativisme.

J.-D. K. appelle tout cela «vivre grâce à Dieu» et il invite les «évangéliques» à y réfléchir et à entrer dans le dialogue. Pour conclure disons que ce document de 90 pages n'offre guère d'éléments nouveaux susceptibles de rapprocher des multitudinistes-pluralistes des «évangéliques» attachés aux Ecritures. Bien au contraire! Seuls des «évangéliques» déjà ouverts à tous vents et courants pourraient se laisser prendre aux «Pièges de la foi».

 

Jean Hoffmann

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1* Catéchisme de Genève (questions 322 et 325)

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2* Institution Chrétienne (Livre IV, ch. XV, 1).

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3* La doctrine chrétienne (J.T. Mueller) pp. 550 et 556.

La Bonne Nouvelle 1/94

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