Au Zamfara, la loi islamique règne et les chrétiens en sont les premières victimes

 

En octobre 1999, le Zamfara était le premier État de la fédération nigériane à décréter officiellement la loi islamique. Trois ans plus tard, cette charia est appliquée de façon la plus rigoureuse. C'est de là qu'est partie, à la mi-novembre, la traînée de violences déclenchée par l'organisation dans le pays du concours pour l'élection de Miss Monde. Une fatwa, un décret religieux, a été lancée par les responsables religieux de cet État contre une journaliste accusée d'avoir diffamé le Prophète. Pris pour cibles de cette colère, les chrétiens attendent toujours une réaction du gouvernement fédéral.

En arrivant dans les faubourgs de Gusau, la capitale de l'État de Zamfara, le visiteur se demande s'il n'a pas passé une invisible frontière. Est-il toujours au Nigeria, le pays le plus peuplé d'Afrique (124 millions d'habitants), chaotique, anarchique et vibrant ?

Des femmes en noir, voilées de la tête aux pieds, marchent dans les rues ensablées. Les hommes portent tous la barbe. Tous les 100 mètres, des panneaux verts présentent un verset du Coran écrit en arabe. Les femmes ne sont plus autorisées à monter sur les taxis-motos. Les transports ne sont plus mixtes. Tous les cinémas ont fermé leurs portes, remplacés par des écoles coraniques.

L'État de Zamfara a été le premier à instaurer la charia (la loi islamique) au Nigeria, en octobre 1999. L'opinion avait cru alors à un feu de paille. La Constitution de l'État fédéral nigérian est laïque, et l'État de Zamfara est l'un des plus petits des 36 qui constituent le pays.

Pourtant le gouverneur Sani a tenu bon... et l'État fédéral n'a jamais osé s'opposer ouvertement à la loi islamique. Presque chaque jour, des peines sont prononcées en son nom à Gusau. Amputations, coups de fouet sont le lot quotidien.

«Aujourd'hui, une femme a reçu dix coups de fouet pour avoir donné une claque à un homme», affirme avec fierté l'un des juges des tribunaux islamiques. Ce rite est devenu presque banal.

Fin novembre, tous les regards se portaient sur le vice-gouverneur. Quelques jours plus tôt, celui-ci avait annoncé une fatwa contre Isioma Daniel, une journaliste nigériane accusée de blasphème.

Cette journaliste, spécialisée dans la mode, avait écrit, le 16 novembre, un article consacré à l'élection de Miss Monde en émettant l'hypothèse que le Prophète aurait pu choisir une épouse parmi les candidates à ce titre très convoité.

Dès le lendemain, le quotidien This Day a publié des excuses à la une. Et quatre jours de suite, cet influent quotidien de Lagos a renouvelé son mea culpa. Pourtant, dans le nord du pays, majoritairement musulmans, des locaux du quotidien ont été brûlés. Le lendemain, des émeutes entre chrétiens et musulmans ont fait plus de 250 morts à Kaduna, la grande ville du Nord.

«Comme pour Salman Rushdie, le sang d'Isioma Daniel doit être versé», déclare Mamadu Aliyu Shinkafi, un des principaux responsables religieux de l'État de Zamfara.

D'un abord facile, Shinkafi invite son visiteur à s'asseoir à ses côtés. Visiblement heureux de retenir l'attention des médias, il explique : «Ma fatwa a fait le tour du monde. Mais elle a été mal comprise à cause du choc des civilisations, des gens qui veulent nous empêcher d'être musulmans. J'aimerais vous parler pendant des heures, mais on m'a demandé de rester silencieux, pour le moment», lance-t-il avec le sourire.

Un de ses conseillers l'invite à la prudence : «Les journalistes, je les connais. Si vous les recevez, ils vous posent des questions, et après il faut y répondre.»

Shehu Maishanu, le chef religieux responsable de la mise en place de la charia dans l'État de Zamfara explique : «Cette fatwa a été prise collectivement par 21 organisations musulmanes. Elle allait de soi, il suffit de lire le Coran. Toute personne qui insulte un prophète doit mourir, même s'il s'agit d'un prophète des chrétiens. Si Jésus Christ avait été sali, nous aurions réagi de la même manière.»

Selon lui, même des excuses publiques ne peuvent sauver la journaliste : «Si je la vois, je la tuerai de mes propres mains, c'est mon devoir de musulman», affirme Shehu Maishanu, en regardant vers le ciel.

Dans les rues de Gusau, le soutien à la charia et à la fatwa est sans réserve. «Grâce à la loi islamique, on ne voit plus de femmes impudiques dans les rues. Les amputations ont permis de réduire la criminalité, affirme Kabiru Umar Danmasani, un petit commerçant de Gusau. La fatwa est une excellente décision.»

Sous couvert d'anonymat, quelques habitants de Gusau estiment pourtant que la charia a parfois déçu. «On croyait que la loi islamique serait égalitaire. Mais elle n'est appliquée qu'aux plus pauvres. Un adolescent qui a volé des vêtements sur une corde à linge va avoir la main tranchée. Alors que tous les dirigeants qui détournent des millions ne sont jamais inquiétés», déclare cet homme.

Seuls les chrétiens osent critiquer ouvertement la charia. «Quand des chrétiennes portent des jeans, les enfants leur jettent des pierres. Normalement, la charia ne doit pas s'appliquer aux chrétiens, mais on nous interdit de boire de l'alcool, d'aller au cinéma, d'écouter des musiques non islamiques. C'est une atteinte à nos droits fondamentaux, mais le gouvernement ne fait rien pour nous défendre», affirme Emeka, un jeune catholique qui effectue son service militaire à Gusau.

Recueilli dans l'obscurité de son église, le père Linus Awuhe, président de la CAN (Christian Association of Nigeria) dans l'Etat de Zamfara, laisse éclater sa colère à l'évocation de la fatwa. «Quand on se sent injurié, il existe d'autres manières de régler la question. On engage une action devant les tribunaux, mais on n'appelle pas au meurtre. Ici ? au Zamfara, sur la radio d'Etat, les chrétiens et le Christ sont constamment attaqués, insultés», déclare-t-il.

En ayant du mal à contenir son indignation, il explique d'une voix tremblante : «L'année dernière, une église a été brûlée sous les yeux du gouverneur et avec sa bénédiction. Soi-disant parce que les habitants de ce village chrétien avaient tous brusquement décidé de se convertir à l'islam. Comment peut-on vivre dans la paix avec ce type de comportements irresponsables ?»

Pour adoucir le sort des chrétiens de Gusau, le père Linus Awuhe a mis en place un réseau de taxis-motos «chrétiens». Pour que les femmes chrétiennes ne soient pas obligées d'abandonner ce moyen de transport, souvent le seul à la portée d'une population paupérisée. Il montre fièrement ses taxis-motos ornés d'une croix.

Mais le père Awuhe sait que ses efforts resteront dérisoires si le gouvernement fédéral ne réagit pas : «Qu'attend le président Obasanjo pour dire que la charia est illégale, Il a cru qu'elle allait mourir d'elle-même, c'est possible, mais avant elle tuera le Nigeria.»

(Le Figaro) ajouté le 7/12/2002

Trouvé sur http://voxdei2.free.fr/infos Point Final - Informations chrétiennes et eschatologiques au quotidien.