Schröeder parle de ne plus indemniser les victimes de la Shoah, privant Israël d'une ressource de plus

 

NDLR: Durant 20 ans, c'est le paiement par l'Allemagne des indemnités aux familles de victimes de l'Holocauste qui a financé le retour des juifs en Israël. Schröeder crée une grande polémique en cautionnant les thèses d'un écrivain qui soutient que l'Allemagne doit guérir de ses plaies et ne plus payer cette indemnité.


Schröder brandit la fierté de la nation, sa commémoration du 8 Mai a provoqué un tollé en Allemagne

Par Lorraine MILLOT

Le vendredi 10 mai 2002

Berlin de notre correspondante

Le coup était pour le moins culotté : pour célébrer le 8 Mai, anniversaire de la capitulation de l'armée nazie en 1945, Gerhard Schröder s'est affiché mercredi soir, lors d'un débat, aux côtés de l'écrivain Martin Walser : celui-là même qui a fait scandale, en 1998, en déclarant que le souvenir des crimes nazis est sans cesse brandi comme un «gourdin moral» pour assommer les Allemands. En ce 8 Mai, le chancelier a montré qu'il est lui aussi sensible à ce sentiment, exprimé par Walser et de très nombreux Allemands : le ras-le-bol de voir l'identité allemande sans cesse ramenée aux crimes nazis.

Indignation. «Aujourd'hui particulièrement, nous, les sociaux-démocrates, nous pouvons dire avec fierté "oui" à l'Allemagne, parce que c'est une Allemagne qui repose sur les valeurs de la liberté et de l'équité, de la solidarité et de la participation de tous», lançait Schröder mercredi, tentant là une définition moderne de la nation, par ses valeurs. Et de citer le Français Ernest Renan, qui disait en 1882 : «Une nation est un plébiscite de tous les jours.»

A quatre mois des législatives du 22 septembre, la démarche n'est pas innocente : à défaut d'avoir résolu le chômage, Schröder rappelle que sa politique a permis aux Allemands d'investir enfin la nation retrouvée en 1990 d'un sentiment positif, sans oubli (son gouvernement est celui qui a négocié l'indemnisation des travailleurs forcés du régime nazi ou lancé les travaux pour un mémorial de l'Holocauste à Berlin) mais sans excès de contrition : un sentiment national enfin raisonnable qui, pour l'Allemagne, serait presque une première historique.

Devant la Maison Willy-Brandt, siège du Parti social-démocrate où se tenait le débat, 200 manifestants à peine se sont mobilisés pour crier leur indignation. «Que le jour même de la libération des victimes du nazisme, le SPD pense pouvoir parler de l'Allemagne comme d'une nation normale, c'est scandaleux», proteste Astrid Geiermann, étudiante en sciences politiques. «Ce n'est plus la libération du nazisme que Schröder veut célébrer cette année, mais la libération de l'Allemagne de sa mauvaise conscience» renchérit Udo, 43 ans.

Gerhard Schröder, qui avait déjà effrayé ces esprits critiques en plaidant pour une «Allemagne décomplexée» lors de sa campagne de 1998, a pourtant affiné sa réflexion. Quand Martin Walser se met à divaguer sur son «sentiment de la nation», il est même seul à le contredire. «Sans la Première Guerre mondiale et sans Versailles (le traité de paix de 1919, particulièrement rude contre l'Allemagne, ndlr), il n'y aurait pas eu de Hitler», assène Walser. Le sous-entendu va loin : finalement, ce serait plutôt la France la coupable de Hitler et de ses crimes. Schröder renvoie Walser à ses manuels : «Il serait à mon avis faux de dire que le chemin de Versailles menait droit au fascisme, comme si c'était une évidence de la nature.» En s'affichant un 8 Mai aux côtés d'un intellectuel aussi douteux, Schröder prenait un risque. Mais toute polémique faisant diversion de son problème principal, le chômage, est bienvenue, calculent ses conseillers. Pour le chancelier, il importe de ne pas laisser le terrain de la nation à son challenger conservateur Edmund Stoiber qui, dans son programme, fait assaut de déclarations d'«amour à la patrie». Les poussées d'extrême droite observées «dans les pays voisins» ont rappelé à la chancellerie que l'intégration européenne et la mondialisation attisent aussi en Allemagne un besoin de «cadre national». Enfin et surtout, Gerhard Schröder compte bien faire valoir que sa politique offre aux Allemands la chance d'un rapport assaini à la nation.

Réflexions. Ce sentiment national que Schröder peut vendre aujourd'hui aux Allemands est très «nouveau», observe l'historien Heinrich August Winkler, dont les réflexions sur le Long Chemin de l'Allemagne vers l'Occident (1) sont très écoutées à la chancellerie. «Depuis le Moyen Age, l'Allemagne avait suivi une évolution différente de la France ou de la Grande-Bretagne», explique l'historien, rappelant que jusqu'en 1806, avec le Saint Empire romain germanique, l'Allemagne n'avait pas fait le choix de l'Etat-nation, et que, lorsqu'elle le tenta en 1870, cela tourna à un enchaînement de guerres pour aboutir au national-socialisme. Le rapport des Allemands à la nation s'est profondément «renouvelé» et «occidentalisé» ces dernières années, grâce notamment à la réforme du droit de la nationalité ou à la participation de la Bundeswehr à toutes les interventions occidentales de ces dernières années au Kosovo, en Macédoine ou en Afghanistan, observe Heinrich August Winkler. Au vu des mérites de Schröder, l'historien ne lui tient guère rigueur de s'être fait un peu mousser, avec cette mise en scène du 8 Mai.

(Libération) ajouté le 10/5/2002

Trouvé sur http://voxdei2.free.fr/infos Point Final - Informations chrétiennes et eschatologiques au quotidien.

 


.

(1) Titre de sa somme sur l'histoire allemande, publiée en 2000 en Allemagne.