L'enfer des camps de Kim Jong-II

 

NDLR: Portes Ouvertes publie sur son site l'index mondial de persécution, dans lequel la Corée du Nord figure à la première place. La possession d'une bible, en Corée du Nord, condamne, en toute probabilité, à la mort. Vous pouvez consulter deux articles paru en 2002 sur le site de Portes Ouvertes : Persécution + famine = croissance de l'Eglise ! et Dieu a-t-il abandonné la Corée du Nord ?

 

Poussés par la faim et la peur, des milliers de réfugiés tentent de passer en Chine. L'échec mène droit à de redoutables camps de rééducation .

Les famines à répétition ont poussé des centaines de milliers de Nord-Coréens vers le «miracle économique chinois». Ils ont été jusqu'à 200 000 à être passés en Chine. Depuis l'an dernier, Pékin a décidé de fermer sa porte à double tour. Et, de l'autre côté de la frontière, les clandestins raccompagnés dans leur pays passent par de redoutables camps de rééducation. Reportage sur ce front de la misère, du froid et de la peur.

 

Tumen (nord-est de la Chine) : de notre envoyé spécial Jean-Jacques Mével

Assis en tailleur un peu à l'écart, Sung apprécie manifestement l'odeur de soupe et la chaleur du poêle à charbon. Dans son coin, pourtant, il garde les yeux baissés et ne décroche pas un mot, même quand on parle de lui. Peut-être a-t-il ramené de Corée du Nord la prudence qui consiste à ne répondre qu'aux questions qu'on lui pose. Sans doute craint-il aussi que ce rendez-vous n'attire sur lui une descente de la police chinoise, dans ce village perdu au pied de la montagne.

Réfugié de la faim et du désespoir, Sung, 46 ans, est une exception. En quelques mois, la police chinoise, la garde-frontière et, pour finir, l'armée populaire ont pratiquement vidé de ses réfugiés nord-coréens la région frontalière de Tumen. Fichés, les poignets liés et entassés dans des autocars aux rideaux tirés, tous les clandestins ou presque ont été rapatriés de force dans leur pays. Le coeur serré, ils ont franchi en sens inverse un pont métallique sur la Tumen ou sur la Yalou, les deux fleuves qui marquent la frontière avec la Corée du Nord, le dernier réduit stalinien.

Rares sont ceux qui peuvent témoigner de ce retour en enfer. Sung, lui, a réussi à revenir en Chine. Cette nuit, dans un silence ouaté par la neige, une simple dénonciation pourrait le reconduire chez lui. Il est venu en se défiant des regards, pour trouver du riz, du sel, du savon et des journaux auprès de ses bienfaiteurs. Tout à l'heure, trois heures de sentier le reconduiront vers son repaire, une hutte d'altitude où il vit seul depuis trois mois. «En Chine, ce n'est pas facile, lâche-t-il. Mais, dans mon pays, c'est bien pire.» Il pense aux camps, bien sûr.

L'horizon de Sung n'a cessé de se rétrécir depuis sa première fuite, quand les famines à répétition de la fin des années 90 poussèrent des centaines de milliers de Nord-Coréens vers le nord, c'est-à-dire vers le miracle économique chinois. L'ouvrier métallurgiste voulait commencer une autre vie de l'autre côté de la frontière, avec sa femme. Le rêve s'est brisé à la première minute : l'épouse s'est noyée en traversant la Tumen.

La rive chinoise, au fil du temps, s'est aussi montrée de moins en moins accueillante pour le réfugié solitaire. D'abord, Sung a travaillé comme salarié clandestin à la mine de charbon. Ensuite, il a loué ses bras à la journée dans les potagers alentour. Depuis son retour cette année, il ne quitte pratiquement plus sa hutte de montagne. Par peur des délateurs.

L'été, il fait la cueillette et gagne trois sous en revendant des champignons et des herbes de cuisine. L'hiver, il ramasse le bois sec pour se chauffer et attend que la neige fonde en relisant ses journaux. La police chinoise fait bien son travail. Les rangs des clandestins, ses voisins en altitude, sont de plus en plus clairsemés. Ils se font cueillir dans la vallée, transis et sous-alimentés, au premier contrôle chinois. Sung sent peut-être que ses heures sont comptées, mais il se garde de l'avouer. «Je vis au jour le jour», dit-il.

Le calvaire de Sung le clandestin est le reflet de l'attitude de la Chine vis-à-vis de son encombrant voisin nord-coréen (lire l'article). Au début, Pékin a fermé les yeux. Dans leur afflux, les réfugiés trouvaient même des soupes populaires à Tumen et dans le reste de la région autonome de Yanbian, peuplée de Chinois de souche coréenne. La masse des Nord-Coréens en Chine finit alors par dépasser les 200 000.

Tout a changé l'an dernier, lorsque plusieurs centaines de Nord-Coréens en rupture ont poussé l'audace jusqu'à chercher refuge dans des ambassades occidentales de la capitale chinoise. Pékin, suivant les récriminations de Kim Jong-il et redoutant que l'exode ne mette la Corée du Nord à genoux comme l'Allemagne de l'Est en 1989, décida de fermer sa porte à double tour.

Pékin, bien qu'il soit signataire de la convention des Nations unies, considère que les Nord-Coréens ne sont pas des réfugiés. Il refuse de laisser installer des camps pour les abriter sur son sol, malgré les conseils de l'ONU et l'insistance de Washington. Pour lui, ce sont de simples «migrants économiques». Ils ne bénéficient d'aucune protection. Ils sont reconduits à la frontière, manu militari. Au nord-est de la République populaire, il n'en resterait aujourd'hui que 20 000.

Sur les deux fleuves, le verrou chinois est finalement scellé. L'armée, avec plusieurs dizaines de milliers d'hommes, est désormais maîtresse des carrefours et des vallées. Elle a remplacé cet automne les unités locales de la garde-frontière. C'est aussi une précaution pour l'hiver : une mauvaise récolte de plus pourrait pousser une nouvelle vague de Nords-Coréens vers la Chine. Franchir la frontière leur est d'autant plus facile que la Tumen et la Yalou sont quatre mois durant saisies par une glace assez solide pour, dit-on, «laisser passer les tanks».

Pour Sung, cet hiver, la menace numéro un sera aussi le thermomètre, qui peut descendre jusqu'à - 25 °C. Mais, aussi rigoureux que soit le froid dans la hutte, aussi maigres que semblent les ressources, aussi menaçant que soit le qui-vive face aux poursuivants chinois, le danger lui fait moins peur que l'alternative : le retour en Corée du Nord, prélude à l'enfermement dans un pays «où il n'y a plus rien à faire ni à manger».

D'autres témoignages recueillis au nord-est de la Chine, grâce à un réseau d'entraide clandestin, le confirment. Aussi féroce que soit la traque chinoise, elle ne parvient pas à dissuader les réfugiés. Ceux qui sont pris reviennent dès qu'ils le peuvent, après un passage par les camps nord-coréens. Les plus déterminées sont peut-être les femmes.

Jeunes ou âgées, elles sont les plus nombreuses à perdre leur travail en Corée du Nord - ou plutôt leur salaire et leur carte de rationnement -, comme Kim, ex-employée d'une mine de fer. Elle a 29 ans et en paraît 40. Elle se terre aujourd'hui dans la petite ville chinoise de Helong, changeant de logement avec son fils de 2 ans à la première alerte. Faute de papiers en règle, elle ne peut pas non plus se marier avec le père chinois de l'enfant.

Sans doute les mères se sentent-elles aussi plus responsables. Mme Li, 68 ans, fait des ménages au noir à Longjing, en tremblant chaque fois qu'on frappe à sa porte. Digne, les cheveux soigneusement tirés en arrière, elle cache une larme en racontant ses trois fils restés en Corée du Nord. L'un travaille dans une fabrique de tabac, les deux plus âgés sont malades, l'un du coeur, l'autre des poumons. Elle se débrouille pour leur envoyer 400 yuans par mois (45 euros).

Tous, toutes ont fait l'expérience du retour forcé et surtout des camps nord-coréens. Tous, toutes ont connu le jip-kyul-so (camp d'internement) ou le nodong danryeon-dae (camp de rééducation par le travail). Par volonté de vivre, tous, toutes ont trouvé la force d'en sortir, de revenir en Chine et de raconter ce qui se passe une fois que le car aux rideaux tirés franchit le fleuve Tumen.

Livrée à la police de Kim Jong-il avec une dizaine d'hommes et de femmes, Kim décrit une routine policière réglée jusque dans ses moindres formalités. Pour chaque réfugié transféré, les Chinois remettent à leurs collègues nord-coréens un dossier individuel complet. A la descente de l'autocar - parfois c'est une grosse Jeep ou un camion bâché -, les femmes sont séparées des hommes. Les prisonniers sont conduits dans un centre de détention, pour un interrogatoire de plusieurs jours. Les enfants y échappent et sont envoyés vers une autre destination.

Les questions suivent un ordre strict, explique Kim. D'abord générales, à commencer par l'identité, l'état civil des parents et la dernière résidence en Corée du Nord. «Pourquoi avez-vous été en Chine ? Qu'y avez-vous fait ? Où êtes-vous allés ?» Ensuite précises et répétitives, comme s'il s'agissait de monter un dossier à charge : «Avez-vous eu des contacts avec des organisations étrangères ? Avez-vous eu des contacts avec une Eglise chrétienne ? Avez-vous projeté de vous rendre en Corée du Sud ?» Un oui, une simple contradiction et les prisonniers sont tabassés. C'est aussi la «faute grave» qui mène au goulag nord-coréen.

Terrorisés, persuadés que le peloton d'exécution les guette, les rentrants s'empressent de nier. Mais, pour la Sécurité nord-coréenne, un «non» est souvent une réponse trop facile pour le procès-verbal. You, 37 ans, a été rapatriée en avril dernier, avant de s'échapper une seconde fois vers la Chine en août. Au bout de l'interrogatoire, elle a été placée en cellule : «Ils m'ont contrainte à m'asseoir en tailleur, tête baissée, de 4 heures du matin à 10 heures du soir, pendant huit jours. Chaque fois que je bougeais ou que je m'affaissais, ils me rouaient de coups de bâton.»

Au bout de l'épreuve, les femmes doivent répondre à une question supplémentaire : «Êtes-vous enceinte ?» Dans l'affirmative, elles subissent un avortement forcé, ou un accouchement déclenché suivi d'un infanticide (lire l'article). Kim avait déjà subi l'épreuve du retour et de la «rééducation» une première fois, au printemps 2000. A son deuxième passage devant le comité de réception nord-coréen, en mars, elle a pris le risque de répondre «oui». Son interrogateur a enchaîné sans ciller : «Le bébé n'est pas nord-coréen. Il devra disparaître.» Kim n'était pas enceinte, elle rusait, elle a réussi. «En Corée du Nord, il est plus facile de s'évader d'un hôpital que d'un camp», dit-elle, triomphante, à son second retour en Chine.

Après l'interrogatoire et l'éventuel détour par la salle d'obstétrique, la suite est sans procès ni débat pour les captifs.

L'archipel des camps de rééducation, conçus pour un internement de quelques semaines à quelques mois, est différent de celui des kwan-li-so, système concentrationnaire où les prisonniers «politiques» et leurs familles sont condamnés à finir leurs jours. Mais les conditions peuvent y être aussi infernales. Dans son rapport sur le goulag de Kim Jong-il, l'association américaine Human Rights Watch in North Korea avance le chiffre d'une mortalité de 20% par an.

De retour en République populaire, You traverse des phases de prostration comme Sung le montagnard. Les camps ? «Je préfère oublier», dit-elle. Elle dépeint l'enceinte, un mur de quatre mètres de haut, surmonté de fils électriques, avec aux quatre coins un mirador gardé par des hommes en uniforme noir. Les clandestins décrivent une vie de forçat, passée au fond des mines, dans des carrières, à des travaux de terrassement, ou dans des coupes de bois. Le régime alimentaire est uniforme : de la farine de maïs mouillée d'eau chaude et les jours gras une soupe de chou salé, précise Sung.

La journée commence à 4 heures du matin et finit à 8 heures du soir, jalonnée de trois pauses d'une demi-heure pour les repas. Les quartiers de nuit, infestés de poux, sont séparés, hommes d'un côté, femmes de l'autre. You se souvient d'une salle où elle dormait serrée au milieu d'une quarantaine de co-détenues, sur du papier journal, à même le sol. Par désespoir, elle y a aussi tenté de se suicider, en avalant une petite cuiller.

Tout laisse penser qu'un traitement plus dur des prisonniers dans les camps nord-coréens a répondu aux contrôles plus sévères exercés, de l'autre côté de la frontière, par la police chinoise. Les rapatriés sortent moins nombreux des camps et tombent sur un bec lorsqu'ils tentent de revenir en République populaire.

Dans son calvaire chinois, Sung le montagnard peut compter sur l'aide d'une villageoise. Elle est prête à braver la police pour secourir les clandestins. Mais elle se désespère : «Ils sont toujours plus rares à venir frapper à ma porte.»

(Le Figaro) ajouté le 18-12-2003 dans Persécution

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