2002, le racisme progresse, les actes antisémites sont 6 fois plus nombreux qu'en 2001

 

LE MONDE | 28.03.03 | 13h57

Dans un rapport remis jeudi 27 mars au premier ministre, la Commission nationale consultative des droits de l'homme enregistre un nombre de violences et de menaces jamais atteint depuis dix ans. Les actions anti-juives ont explosé : elles sont six fois plus nombreuses qu'en 2001.

Augmentation "considérable", niveau des violences et des menaces racistes "jamais atteint" et "explosion" des actes antisémites. Les termes employés dans son rapport d'activité de l'année 2002 par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sont volontairement alarmants. L'étude, qui a été remise jeudi 27 mars au premier ministre et publiée par la Documentation française (616 pages, 23 euros) fait état d'une dégradation manifeste de la situation.

Avec un total de 313 violences contre les personnes et les biens, calculé sur la base des statistiques de la Direction centrale des renseignements généraux du ministère de l'intérieur, le bilan 2002 atteint le niveau le plus élevé depuis 1992, et "en particulier plus du double du chiffre de 2000", précise le rapport. Ces violences se font aussi plus graves, avec un total de 38 blessés et un mort. Comme ces coups de feu tirés sur l'autoroute A1 par des skinheads nordistes sur le véhicule d'un Maghrébin avec qui ils avaient eu un différend. Ou cette "randonnée raciste" à Grande-Synthe (Nord) d'un homme tirant des coups de feu sur des jeunes d'origine arabe : bilan un mort et sept blessés.

Les chiffres des menaces ne sont guère plus rassurants : 992 gestes menaçants, graffitis, tracts, injures et intimidations ont été recensés, soit près de trois fois plus qu'en 2001. Ce sont ces tracts dénonçant la "Francarabia musulmane" ou "les musulmans, c'est l'enfer", ces boîtes aux lettres ou plaques professionnelles au nom juif arrachées, ou ces insultes et coups contre un élève traité de "sale juif".... La CNCDH souligne que les chiffres sont des "minima" car de nombreuses victimes ne portent pas plainte.

Les violences antisémites arrivent en tête de ce triste palmarès. Avec 193 actes, soit six fois plus que l'année précédente, elles constituent aujourd'hui 62 % de l'ensemble des actions recensées en 2002 contre 45 % en 2001 mais 80 % en 2000 lors du déclenchement de la deuxième intifada. A l'exception de cette année 2000, c'est la première fois depuis dix ans que les actes antisémites dépassent les autres formes d'actions racistes. Le pourcentage de menaces antisémites est aussi impressionnant : 74 % de l'ensemble ont visé des juifs ou leurs biens. Mais les actes de malveillance contre les Maghrébins (169 recensés) atteignent aussi leur plus haut niveau depuis dix ans.

Ces violences et menaces, qui jusqu'alors étaient concentrées sur les départements de l'Ile-de-France, se sont disséminées sur l'ensemble du territoire. Deux régions réunissent à elles seules un tiers des menaces - le Nord et l'Ile-de-France - suivies de trois autres la Lorraine, le Languedoc-Roussillon, et la Picardie.

La CNCDH a choisi cette année de mettre l'accent sur le phénomène qui lui parait le plus marquant et inquiétant : la montée de la violence antisémite. L'année 2000 avait connu une "inflation sans précédent", notamment au dernier trimestre, rappelle-t-elle, mais cette flambée était "rapidement retombée pour devenir résiduelle" dans les derniers jours de l'année. L'antisémitisme a de nouveau "explosé" en 2002, simultanément à la recrudescence du conflit proche-oriental. C'est en effet fin mars-début avril, au moment de l'offensive de l'armée israélienne en Cisjordanie et de la recrudescence des attentats suicides en Israël que la France a connu un "brutal accroissement des actes anti-juifs", note l'étude. Dans son analyse, citée dans le rapport, le ministère de l'intérieur explique que certains des auteurs "originaires de quartiers sensibles et connus pour des délits de droit commun", ont prétendu s'identifier aux Palestiniens. La Commission exprime sa "grande inquiétude pour les prochains mois" du fait de l'apparition cyclique de ce type de violence dans un contexte international de guerre.

Seule note positive du rapport, le sondage réalisé tous les deux ans par l'institut BVA, donnant une image de l'opinion publique sur la perception du racisme en France, a livré des "résultats plutôt encourageants" selon la commission. Ainsi l'opinion estime majoritairement (à 54 %) qu'"il n'y a pas trop d'étrangers en France". L'antisémitisme ne semble pas non plus un sentiment en progression : 89 % des sondés répondent aussi que "les Français juifs sont des Français comme les autres".

D'autres indicateurs n'en sont pas moins inquiétants : ainsi 51 % estiment qu'il y a "trop d'immigrés". La lutte contre le racisme et l'antisémitisme n'apparaît pas comme indispensable aux personnes interrogées : seuls 59 % l'estiment "nécessaire" contre 39 % "pas vraiment" ou "pas du tout". Plus grave, seuls 48 % des Français se disent prêts à signaler un comportement raciste à la police. Une réponse que la Commission juge "préoccupante".

Lors de la présentation de son rapport au premier ministre, le président de la Commission, Joël Thoraval, a insisté sur les manifestations de racisme et d'antisémitisme en milieu scolaire qu'il a jugées particulièrement "inquiétantes" : selon le rapport, elles représentent plus de 10 % du total des violences et menaces portées à la connaissance du ministère de l'intérieur en 2002. "Cette incursion du racisme dans les écoles exige une vigilance de tous les instants, un rappel très ferme à la loi."

Devant le danger, la CNCDH a appelé pour la première fois depuis dix ans, l'Etat à réagir : "le gouvernement doit mener sans tarder une politique forte et cohérente de lutte contre le racisme", écrit-elle en précisant qu'elle appelle de ses voeux la mise en place d'"instruments efficaces de pilotage et d'évaluation" .

Le premier ministre a assuré, jeudi, que le gouvernement ferait preuve de "détermination" dans cette "bataille difficile" contre cet "adversaire coriace". "Ce qui me paraît le plus grave, c'est ce début de banalisation qui apparaît dans les chiffres", a dit le premier ministre, pour qui l'Etat "n'est pas innocent d'une telle banalisation." En écho aux souhaits de la CNCDH, M. Raffarin a déclaré qu'"il est plus que jamais nécessaire et urgent que le gouvernement réaffirme une volonté politique claire et forte de lutte contre toutes les formes de racisme et de xénophobie".

Un premier pas a été effectué à Paris où la préfecture de police a annoncé la constitution d'une équipe spécialisée au sein de la police judiciaire pour "suivre systématiquement toutes les plaintes relatives à des faits de racisme et d'antisémitisme". Une manière de répondre aux critiques lancinantes des associations sur l'inaction de la justice quand elle est saisie.

Sylvia Zappi

(Le Monde/ CID) ajouté le 7/4/2003

Trouvé sur http://voxdei2.free.fr/infos Point Final - Informations chrétiennes et eschatologiques au quotidien.