À la fin de son ministère
à Spalding, les lettres de William Booth
portent l'empreinte de ses inquiétudes. Il
constate chaque jour la désorganisation des
Méthodistes réformés auxquels
il s'est rattaché. Il se demande s'il ne
doit pas s'enquérir d'une Église
organisée suivant ses idées de
l'ordre ecclésiastique. En janvier 1854, il
cherche encore la solution du problème. Les
Méthodistes réformés lui
offrent une situation intéressante, avec la
possibilité de se marier de suite ;
mais il se sent attiré par l'autre branche
de l'Eglise Méthodiste qui lui
présente une sphère d'activité
plus vaste. Il est tiraillé et comme
écartelé entre les deux partis.
Quelques jours plus tard, il prend une
décision. L'assurance de pouvoir
étudier pour mieux se préparer
à son oeuvre pastorale constitua le poids
supplémentaire qui inclina franchement la
balance du côté de la Nouvelle
Association. Lui-même écrira à
ce sujet :
« L'ignorance a des
effets
différents sur les diverses classes de
personnes. Certains ignorants s'en vont,
infatués d'eux-mêmes, gonflés
de leur propre satisfaction. D'autres sont
humiliés et attristés par leur
ignorance. J'appartenais à la seconde
catégorie. Je gémissais
continuellement : « Oh ! mon
Dieu, je suis bien petit spirituellement et je sais
bien peu de chose. Donne-moi une occasion
d'acquérir la science et d'apprendre
à conduire d'une manière fructueuse
l'affaire la plus importante : l'oeuvre du
salut des hommes, travail auquel tu m'as
appelé et qui m'est si
cher. »
L'Eglise Méthodiste
répondit aux désirs du jeune
homme ; elle prit des dispositions pour qu'il
étudiât sous la direction d'un savant
pasteur : M. Cook. William partit pour Londres
et vint s'établir auprès de son
professeur. Voilà donc notre ardent
prédicateur transformé en un calme
étudiant, les réunions vibrantes
d'émotion, entrecoupées des sanglots
des âmes pécheresses à la
recherche du pardon, cèdent la place aux
soirées d'étude dont seul le bruit
des pages des grammaires grecques ou latines que
l'on tourne trouble le silence.
Bientôt William Booth
désenchanta. Il confia au papier son opinion
sur ses études :
Au lieu de mieux me préparer
pour l'oeuvre du salut des hommes, en me
fournissant les connaissances nécessaires
à ce travail, et en me montrant par la
pratique quotidienne comment employer ces
connaissances, je dus étudier le latin, le
grec, des sciences variées et d'autres
sujets que je jugeais, d'un coup d'oeil, pouvoir
m'être de peu de secours dans le travail qui
se présentait à moi.
Néanmoins, je me mis à l'oeuvre et,
avec toute mon énergie, je me plongeai dans
mes études.
Mon professeur était un
homme de grande valeur et d'aspect imposant. Les
livres qu'il écrivit, sur des
problèmes théologiques difficiles,
étaient des plus estimés. Il
appartenait à une classe de
prédicateurs, comme il s'en trouve encore
aujourd'hui, qui ont un véritable amour pour
le sermon qui pousse à la repentance et vise
à la conversion. Il était incapable
de prêcher lui-même un tel sermon, mais
il savait reconnaître une bonne chose quand
il la rencontrait.
La première fois qu'il
m'entendit prêcher, c'était un
dimanche soir. Je le vis assis juste en face de
moi, au fond de l'église. Je savais qu'il
allait me juger, et je comprenais très bien
que mon avenir dans l'association que j'avais
choisie pour foyer spirituel dépendait de
son jugement.
Je n'ai pas honte de
dire que je
désirais lui donner de moi l'opinion la plus
favorable. Je savais que mon style simple,
pratique, différait entièrement du
sien et de celui de la majorité des
prédicateurs qu'il admirait. Mais ma
décision était prise. Je ne sentais
nul désir de changer mon style et ma
méthode, ni pour lui plaire, ni pour plaire
au monde.
Je voyais des âmes qui
se
mouraient, les portes du ciel larges ouvertes d'un
côté, et les portes de l'enfer de
l'autre, tandis que Jésus, entre les deux,
clamait à tous son invitation à venir
à lui pour être sauvés. Mon
âme brûlait du désir de faire
tout le possible pour appuyer l'invitation du
Seigneur, ce soir-là
particulièrement.
Le lendemain matin avaient lieu l'examen et
comparaître de nos travaux de la veille, et
je devais comparaître devant mon docteur en
théologie. J'entrai dans la chambre avec un
autre étudiant. Il passa le premier.
Après avoir écouté les
critiques du professeur sur la prédication
de mon camarade, je me présentais à
mon tour, très curieux de connaître
son opinion.
- Eh bien, docteur, lui
dis-je,
qu'avez-vous à me dire ? Vous m'avez
entendu hier soir, que pensez-vous de mon pauvre
sermon ?
- Mon cher Monsieur,
répondit-il, je ne dirai qu'un mot :
continuez et Dieu vous
bénira.
William Booth ne semble pas avoir
été un brillant étudiant en
théologie. Il ne pénétra
jamais bien avant dans les arcanes des
spéculations philosophiques. Il ne montra
guère d'inclination pour l'étude des
questions théologiques abstruses.
« On dut souvent le trouver plongé
dans une ardente prière à l'heure
où il aurait dû apprendre les
conjugaisons des verbes grecs »,
déclare une personne qui le connut bien, le
Commissaire Booth-Tucker. Cependant, il avait
conscience de son insuffisance intellectuelle et de
son besoin de nouvelles connaissances ; mais
en m^me temps, il était hanté par la
pensée des âmes en perdition.
L'idée des hommes et des femmes perdus
à jamais, tandis qu'il tournait les pages de
ses livres de cours l'affolait. Aussi consacrait-il
à la prédication plus d'heures qu'il
n'aurait dû pour le succès de ses
études.
Le jour de son arrivée à
Londres, il prêchait dans une chapelle :
quinze personnes cherchèrent le salut. Un
mois plus tard, il commençait une
série de réunions dans Wapping. Ce
fut son premier contact avec ces pauvres quartiers
de l'Est londonien. Celui qui a
mérité le beau titre de
« prophète des pauvres »
ne pouvait parcourir les ruelles infectes de
Wapping, contempler cette population qui
croupissait dans le vice et la crasse,
rongée par la tuberculose et l'alcoolisme,
sans que son coeur ne palpitât de sympathie
pour ces malheureux. Ce fut, pour le jeune
étudiant, une première exploration
des régions trop souvent inconnues de la
sombre Angleterre, ou plutôt, comme il
l'affirmera lui-même, « une
descente en enfer » :
Parlez, si vous le voulez, de
toutes
les horreurs et des cruelles tortures des
damnés. L'homme qui s'avance, les yeux
ouverts et le coeur saignant parmi le sanglant
spectacle de la boucherie de notre civilisation ne
sent nul besoin de recourir à l'imagination
affolée du poète pour lui enseigner
l'horreur. Maintes fois en voyant les jeunes, les
pauvres, les faibles s'enfoncer, sous mes regards
impuissants, dans le marécage de
l'indigence, ou être foulés aux pieds
par les bêtes de proie à formes
humaines qui hantent ces régions maudites,
il m'a semblé que Dieu avait
déserté sa création, et
qu'à sa place régnait un démon
impitoyable comme l'enfer, insensible comme la
tombe. Certaines pages de Stanley déchirent
le coeur, par exemple cette description de la
surprise d'un village du centre africain par les
marchands d'esclaves, la capture des habitants, le
massacre de ceux qui résistent, le viol des
femmes ; mais les payés de Londres,
s'ils pouvaient parler, raconteraient d'aussi
terribles tragédies, des ruines aussi
complètes, des enlèvements aussi
horribles que ceux de l'Afrique centrale ;
seulement, sur les cadavres et les ruines, nous
avons jeté le manteau de nos conventions et
l'hypocrisie de notre civilisation.
J'avoue avec tristesse que, dans notre
état social actuel, rêver
d'arrangements qui fourniraient à chaque
Anglais honnête les moyens de subsistances
que la loi accorde aux prisonniers, semble encore
une irréalisable utopie. Un jour
peut-être, espérons-le, tout
honnête ouvrier, en Angleterre, pourra
être vêtu aussi chaudement, logé
aussi sainement, nourri aussi
régulièrement que les criminels dans
nos prisons ; mais l'aube de ce jour-là
n'a pas encore blanchi l'horizon.
Malgré le temps consacré
à ses nombreuses prédications,
William Booth ne semble pas avoir
négligé ses études. En tout
cas, son travail et sa prédication donnaient
ample satisfaction à son professeur, qui
proposa, à l'assemblée annuelle de
l'Association, de le nommer surintendant d'un
circuit (1)
à Londres. Le jeune prédicateur se
récusa, plaidant sa jeunesse et son
inexpérience. Un arrangement bien
préférable, plaça un pasteur
plus âgé à la tête de la
circonscription, et William Booth à ses
côtés comme auxiliaire.
L'assemblée qui prit ces mesures marqua
d'une façon frappante, sa faveur pour le
jeune pasteur en lui accordant l'autorisation de se
marier à la fin de sa première
année de ministère, au lieu de
l'obliger aux quatre années d'attente
prévues par le règlement.
Les résultats merveilleux de la
prédication de William Booth qui sonnait la
diane aux consciences les plus profondément
endormies, et arrachait les pervers à leurs
vices ; ces nombreuses conversions, partout
où il passait, finirent par attirer
l'attention de toute la dénomination sur ce
nouveau pasteur. Les journaux religieux en
parlèrent, et des Églises à
demi-assoupies souhaitèrent la visite de cet
éveilleur d'âmes.
Il répondit à l'appel des
Méthodistes de Guernesey, et passa quinze
jours dans l'île. Ses réunions
entraînèrent la conversion de
plusieurs centaines de personnes. Cela excita
davantage le désir des autres
Églises. Des quatre coins de l'Angleterre,
des appels furent adressés à ce
nouvel apôtre : « Venez nous
secourir !
Aussi, malgré la
résistance de son collègue, et
contrairement à son propre désir de
se consacrer à son ministère local et
à ses études, le Comité
directeur crut bon, dans l'intérêt
général, de placer William Booth
à la disposition des Églises. Il
nomma un autre pasteur titulaire du poste de
Londres.
Booth ne se laissa pas conduire, en
cette occurrence, par son goût des campagnes
d'évangélisation, mais il
obéit aux ordres des autorités
ecclésiastiques. Sans doute, il nous est
permis de voir avec lui, dans cette dispensation,
la main d'une autorité supérieure
à toutes les autorités
terrestres : elle veillait à ce que ses
plans se réalisent.
Nous ne suivrons pas le jeune pasteur
dans toutes ses pérégrinations :
Staffordshire Potteries, Longton, Nanley, Burslem,
Newcastle, Fenton, Stoke, Bradford, Oldham,
Mossley, Gateshead, Manchester, etc.... Partout les
mêmes scènes : au souffle ardent
de la prédication de Booth, les fronts se
courbaient, comme les épis s'inclinent au
vent de thermidor, puis les genoux ployaient et les
foules s'abattaient avec une clameur de repentance,
comme les blés, sous le sifflement des faux,
au jour de la moisson. Mille sept cents personnes
se convertirent en sept semaines dans un seul
comté.
À cette époque, le 16 juin
1855, il se maria. La cérémonie eut
lieu dans la nouvelle chapelle de Stockwell, tout
à fait dans l'intimité: la
fiancée et sa soeur, la fiancée et
son père et le pasteur Dr. David Thomas,
étaient seuls présents.
« Après une semaine de
congé dans l'île de Wight, M. le
pasteur William Booth et Madame, de la nouvelle
Association Méthodiste », se
rendirent dans l'île de Guernesey,
« pour une campagne
d'évangélisation et de
réveil », annoncèrent les
journaux religieux à la fin de juin.
Guernesey, Jersey, York, Hull,
Sheffield, Dewsbury, Hunslet, Leeds, Halifax ;
la ronde recommence ; le jeune couple
passe : huit jours de réunions, et
l'Église mourante, dont le lumignon fumeux
rougeoyait à peine dans les
ténèbres, se ranime ; sa foi
flambe à nouveau pour éclairer et
égayer les hommes, des âmes se donnent
à Dieu dans un beau mouvement de repentance
et de consécration. Mais à peine
notre prédicateur parti, l'Eglise retombait
dans l'ornière des habitudes
ecclésiastiques, et succombait à
nouveau aux atteintes de la torpeur
spirituelle.
Pendant le séjour du jeune
ménage à Halifax, naquit leur fils
aîné, Bramwell, plus tard
Général de l'Armée du Salut,
après avoir été de longues
années le Chef d'État-major du
Fondateur, son père.
Le travail de
l'évangéliste se continuait,
rencontrant partout les mêmes
bénédictions ; mais
l'assemblée générale de
l'Église Méthodiste crut devoir, par
respect aux règlements
ecclésiastiques, interrompre l'oeuvre de
William Booth et le forcer à se confiner aux
activités pastorales dans une
circonscription délimitée. Le jeune
pasteur se soumit aux décisions de ses
aînés. Il passa un an dans la
circonscription d'Halifax et trois ans dans celle
de Gateshead. Il transforma si bien l'esprit des
Méthodistes de cette circonscription, que la
chapelle centrale, connue sous le nom biblique de
« Béthesda », fut
surnommée par la population ouvrière,
en majorité des métallurgistes,
« la boutique des
convertisseurs ». Ce nom, dans la bouche
de travailleurs accoutumés à voir des
lingots de fer se transformer instantanément
sous l'action du feu et des puissantes
machines-outils, en instruments les plus divers,
exprimait bien l'oeuvre qui s'accomplissait dans
cette chapelle sous l'action du feu de
l'Esprit-Saint et de la puissante passion
spirituelle du pasteur méthodiste.
À Gateshead, le jeune couple
accomplit un nouveau progrès qui, plus tard,
aidera puissamment à l'oeuvre de
l'Armée du Salut : l'adoption du
ministère public des femmes.
Dans sa vie de Kate Lee,
l'Ange-Adjudante, Mme G. Carpenter
déclare :
Nous écrivons tout simplement,
comme une chose ordinaire : « La
capitaine Lucie et la lieutenante Kate
reçurent leur nomination pour tel ou tel
poste. » Et le lecteur glisse sur cette
phrase sans manifester la moindre surprise, ni
présenter la plus petite réflexion.
En vérité, elle exprime une des plus
grandes conquêtes de l'Armée du Salut
dans le monde : le droit, pour la femme, de
parler en public.
Si nous remontions
soixante ans
en arrière, à la naissance de
l'Armée du Salut, et même plus en
arrière encore, nous y surprendrions la main
de Dieu préparant toutes choses pour la
création et la direction de cet instrument
choisi.
La Providence divine
élut
William Booth, Fondateur de l'Armée du
Salut ; elle le fit passer par des voies
étranges, détournées,
douloureuses, pour le préparer à
cette grande oeuvre.
En même temps, la main
de
Dieu choisissait Catherine Mumford pour sa mission
de « Mère de l'Armée du
Salut ». Un jour, son pasteur
déclara dans un sermon que les femmes
étaient moralement et intellectuellement
inférieures aux hommes. Ces paroles
révoltèrent les sentiments
innés de la jeune auditrice délicate,
réservée, mais très
intelligente. Elle avait toujours pensé que
Dieu avait créé l'homme et la femme
égaux en dons de l'esprit et du coeur. Elle
se mit à étudier ce sujet à la
lumière de l'histoire et de
l'Écriture Sainte. Elle se forma ainsi une
opinion raisonnée dont elle ne
s'écarta plus. Dans une lettre remarquable
par sa logique et sa maîtrise de l'anglais,
elle exposa ses vues à son pasteur. Elle
admettait que la coutume et les
préjugés avaient
relégué la femme au second
plan ; mais, disait-elle, donnez à la
femme les mêmes avantages qu'à son
compagnon et les mêmes occasions de
manifester ses talents, et elle se montrera
l'égale de l'homme digne d'être sa
collaboratrice dans toutes les entreprises
sérieuses et pratiques pour le bien de notre
humanité.
Mais ces revendications des
droits
de la femme risquaient de ne jamais sortir du
domaine des belles théories. Même
comme défenseur de Mme Phoebé
Palmers, Catherine Booth ne se décidera
point à aborder la chaire publique. Elle se
contenta de rédiger un pamphlet de
trente-deux pages pour établir le droit de
la femme comme prédicatrice. Mme Palmers
était une évangéliste
américaine, attaquée malgré
les résultats bénis de ses
prédications, par de braves chrétiens
qui brandissaient, comme des foudres justiciers
au-dessus de la tête de cette émule
des filles de Philippe le diacre, un texte de
l'apôtre Paul, mal interprété.
À Gateshead, les dernières
hésitations de Mme Booth
s'évanouirent. Voici comment elle contait
son expérience :
Peut-être quelques-uns parmi
nous, auront peine à croire que
j'étais la plus timide des disciples de
Jésus. Mais quatre ou cinq mois avant mes
premières prédications, la lutte
s'était engagée dans mon âme et
je passai par de terribles combats. Un jour,
pendant une longue maladie, il me sembla que le
Seigneur se révélait à moi. Ce
ne fut pas une vision, mais une
révélation. Il me ramenait,
semblait-il, à l'époque de mon
adolescence au moment où je lui ai
donné mon coeur. Il me montrait, dans toutes
les circonstances de ma vie, cette timidité,
« mouche morte dans l'huile
parfumée », gâtant ma
consécration, en m'empêchant
d'accomplir l'oeuvre qu'il m'avait assignée.
Alors, je me prosternai devant Lui et je Lui
promis : « Seigneur, si tu reviens
à moi comme aux jours anciens,
j'obéirai, même si j'en dois
mourir... »
Environ trois mois plus
tard, je
me rendis un dimanche à l'Eglise
dirigée par mon mari. J'y assistai à
un service spécial. En ce temps-là,
il cherchait déjà de nouveaux moyens
pour attirer les gens du dehors. Ce
dimanche-là, il était convenu que la
chapelle serait fermée et qu'une grande
réunion en plein air se tiendrait dans un
lieu appelé Windmill Hills. Le mauvais temps
entrava la réalisation de son projet. La
chapelle fut ouverte et un millier de personnes s'y
massèrent, parmi lesquelles plusieurs
prédicateurs et quelques amis personnels.
J'étais assise avec mon fils
aîné, âgé de quatre ans,
dans le banc réservé au pasteur et
à sa famille. Je me sentais abattue et ne
m'attendais à rien de particulier. Les
témoignages se succédaient, et je
sentis que le Saint-Esprit descendait sur moi.
Seuls ceux qui ont fait cette expérience
peuvent comprendre le sens de cette expression. Les
mots ne sauraient la décrire. Je le sentis
jusqu'aux extrémités de mes mains et
de mes pieds. Il me semblait entendre une voix me
répétant :
« Maintenant, si tu te levais et si tu
rendais ton témoignage, tu sais que je le
bénirais pour ton âme et pour toute
l'assemblée. »
« Oui,
Seigneur, je
crois que tu le ferais, mais cela ne m'est pas
possible. » J'avais oublié mon
voeu...
Un moment après, le
souvenir de la révélation que j'avais
eue dans ma chambre de malade traversa mon esprit.
Et la voix semblait me demander si mon attitude
était conforme aux promesses faites alors.
Je bondis presque sur mes pieds et je dis :
« Non, Seigneur, c'est de nouveau
l'ancien état de choses, mais je ne puis
t'obéir. » Je serais morte
plutôt que d'ouvrir la bouche, du moins je le
croyais.
Alors le diable me
suggéra : « D'ailleurs, tu
n'es pas préparée, tu aurais l'air
d'une folle et tu n'aurais rien à
dire. » Il avait commis une erreur et
dépassé le but. Cette dernière
suggestion me décida :
« Ah ! il a frappé juste, me
dis-je. Je n'ai jamais voulu passer pour folle
à cause du Christ, maintenant j'y
consens. »
Sans une minute d'attente ou
d'hésitation, je me levai et je
m'avançai dans l'allée de la
chapelle. Mon mari allait clore la réunion.
Il pensa que quelque chose m'était
arrivé. Nous étions depuis deux ans
à cet endroit. Chacun connaissait ma
timidité. Il se pencha vers moi pour me
demander :
- Qu'y a-t-il, ma
chère ?
Je lui
répondis :
- Je désire dire un
mot.
Dans sa surprise, il ne
sut
articuler autre chose que cette
phrase :
- Ma chère femme a
quelque
chose à vous dire.
Il s'assit. Pendant des
années, il avait vainement essayé de
me persuader de parler en public. Cette
semaine-là, il m'avait demandé
d'aller présider une réunion dans une
maison où se groupaient une vingtaine
d'ouvrières, mais j'avais
refusé.
Je me tenais là, devant
ce
public, Dieu seul sait comment, et ce qu'il m'en
coûta. Si une mortelle s'appuya jamais sur le
Tout-Puissant, ce fut moi dans cette circonstance.
Je me confessai publiquement comme doit le faire
toute personne qui s'est trompée et a mal
représenté la religion du Christ. Je
racontai à mes auditeurs ce qui
m'était arrivé. Je
déclarai : « Je crains que
beaucoup d'entre vous ne me regardent comme une
femme pieuse, fidèle à son Dieu. Mais
j'en suis venue à comprendre que je lui ai
désobéi, et, par cette
désobéissance, j'ai obscurci et
affaibli mon âme. J'ai promis au Seigneur de
changer de conduite et je tenais à vous dire
que, dorénavant, j'obéirai à
la céleste
vision. »
Je ne comprenais guère
ce
que mon engagement impliquait. Je ne m'imaginais
pas la vie de tracas et d'épreuves à
laquelle je venais de me condamner. Du moment
où je fus guérie et en état de
parler, je n'eus plus un dimanche
paisible.
Cette expérience ouvrit toutes
grandes les portes du ministère public aux
femmes, et fournit à l'Armée du Salut
quelques-unes de ses meilleurs ouvrières et
de ses plus glorieuses héroïnes.
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