Ce livre n'est pas un panégyrique du Général William Booth, ou un
hymne laudatif à la gloire de l'Armée du Salut, mais une
démonstration de ce que Dieu peut faire d'un homme entièrement
consacré à son service. J'ai parlé en toute liberté du Général et de
son oeuvre, sans dissimuler mon admiration pour le courage et
l'ardeur de cet homme qui, selon l'expression de M. Wilfred Monod,
« au déclin du XIXe siècle agonisant, dans une Europe fatiguée,
blasée, religieusement exsangue, où les Églises étaient traitées
d'anachronismes fâcheux ou de survivances anodines par les princes
de la science, créa l'Armée du Salut qui fut une révolte
démocratique et spirituelle, une explosion de vie, de joie, de
certitude et d'enthousiasme », mais sans essayer d'auréoler
d'un halo de sainteté surhumaine le front du grand vieillard. J'ai
voulu écrire uniquement une page d'histoire impartiale, pourtant je
n'ai pu empêcher mon coeur de s'éprendre de son modèle ;
parfois le lecteur sentira passer dans ces feuillets le souffle de
ma passion pour ce prophète moderne, disciple de Celui qui est venu
chercher et sauver ce qui était perdu », pour l'imitateur du
Christ toujours ému de compassion pour les foules souffrantes et
pécheresses, qui se préoccupa et des corps et des âmes de ses
contemporains. Ces pages n'en restent pas moins de la véritable
histoire, si, comme l'affirme notre grand historien Michelet,
« l'histoire est celle de l'âme et de la pensée originale, de
l'initiative féconde de l'héroïsme, héroïsme d'action, héroïsme de
création ».
Pour écrire l'histoire de l'âme héroïque et de
la courageuse activité de William Booth, plusieurs volumes seraient
nécessaires. Les circonstances : trop courts loisirs d
consacrer â une oeuvre littéraire, et cherté des éditions,
m'obligent à condenser en ce petit livre cette vie aux riches et
multiples expériences. J'espère, cependant, ne l'avoir point trop
mutilée ; et ce récit, malgré sa brièveté, pourra, j'en suis
certain, allumer dans le coeur de bien des jeunes gens le désir
d'imiter le petit apprenti de Nottingham, et les pousser à prendre
aussi la décision d'abandonner à Dieu toute leur vie et leur
personne. Alors se vérifiera encore une fois la déclaration d'Harold
Begbie : « Je ne suis pas de ceux qui considèrent William
Booth comme un saint. Pour moi, la grandeur de William Booth, ce qui
m'émerveille toujours en lui, c'est sa faculté de créer des saints,
son pouvoir formidable, enivrant, son inlassable énergie qui
engendre ce qu'il y a de plus aimable et de plus beau dans notre
humanité, l'esprit qui aime les plus déchus, qui descend avec joie
dans l'abîme des souillures, qui se trouve aussi heureux dans cet
abîme que dans le ciel, content de rester inconnu du inonde tant
qu'il peut travailler au salut des pires pécheurs, à la
transformation des plus vicieux des hommes et qui, dans cette
ambiance, se garde cependant pur, sans tache ni souillure.
G. BRABANT. Denain, le 24 janvier 1929.
Dans cet excellent petit livre, l'ami de notre Oeuvre que fut le
Pasteur G. Brabant nous a donné un bien émouvant portrait de William
Booth.
La tâche n'était pas facile, reconnaissons-le. Car, à
l'époque où nous sommes, en plein vingtième siècle, on a quelque peine
à saisir les traits les plus marquants du Fondateur de l'Armée du
Salut. Nos conditions sociales sont tellement différentes de celles
qui prévalaient aux jours où il débuta. Il faut même faire effort pour
s'en rendre compte entièrement.
Je me permettrai de rappeler ici plusieurs faits, à mon
avis, incontestables et qui révèlent en William Booth un esprit
novateur puissant.
Qu'avait-on fait en Europe pour les masses ouvrières dans
la première moitié du 19e siècle ? Fort peu de chose. Les hommes
d'État ne semblent pas avoir eu une conscience bien profonde de leurs
devoirs envers elles, ni les Églises bourgeoises. Voyez ce qui se
passait dans la cité industrielle de Nottingham, où William Booth
naquit et où il vécut ses premières années. Des enfants de sept ou
huit ans devaient travailler en atelier huit, dix et même parfois
douze heures par jour. Aucun service médical gratuit n'existait. Des
gens par centaines mouraient de faim et de froid tous les hivers. Les
mendiants pullulaient au centre de la ville. La pendaison des
criminels et des voleurs se faisait en public et le jeune William fut
vraisemblablement témoin de tel ou tel de ces effroyables spectacles,
peut-être de celui où le bourreau, pour abréger l'agonie d'une femme
(la corde ayant été mal fixée à son cou) fut contraint de tirer par
les jambes la suppliciée, ceci devant une foule de quinze à vingt
mille personnes.
Il jeta son cri passionné de justice, d'amour fraternel,
et il voulut se consacrer de toute son âme au sauvetage spirituel et
matériel des gueux, des pauvres, des misérables. Dans ce qu'il fit
pour les âmes et pour les corps, il manifesta un véritable génie
d'initiateur.
Il donna à la femme, dans son Armée, une place égale à
celle de l'homme. Et cela en un temps où, sur le terrain des lois
civiles, des salaires ouvriers, la femme n'était nullement à égalité
avec l'homme, où elle ne pouvait exercer une profession libérale, où
grades et fonctions universitaires, entrée aux Écoles de Médecine, lui
étaient interdits, où elle ne pouvait même suivre des cours de droit
et de théologie en qualité d'étudiante. En constituant un cadre
d'officières, William Booth participa au grand mouvement
d'émancipation et d'expansion féminine et démontra de façon
péremptoire que la femme est une force sociale.
Quel groupement, quelle association avait, en ce
temps-là, l'idée de faire arborer à ses membres un uniforme ?
Aujourd'hui, personne n'est surpris de voir en uniforme des hommes et
des femmes, tant dans la Croix-Rouge que dans un service social
quelconque. William Booth innova encore dans ce domaine, et
comment ! Ce fut quelque chose de sensationnel. Songez-y :
mettre en uniforme, non pas seulement les chefs, mais les simples
membres d'une association ! Oh ! le magnifique témoignage
pour Dieu que ces centaines d'hommes et de femmes, d'enfants même, qui
se singularisaient de cette manière, d'autant plus que, par nature,
les Britanniques ont tendance à reculer devant toute manifestation
religieuse ! Quelle victoire que d'avoir su les entraîner à ces
grandes démonstrations en plein air, les former en cortège avec
fanfare et grosse caisse, drapeaux claquant au vent, à travers les
rues populeuses ou dans les ruelles obscures des bas-fonds. Ces
méthodes de combat salutistes, cette prédication agressive du plein
air, excellent moyen d'atteindre, pour l'évangéliser, le pauvre peuple
qui jamais n'entrera dans un lieu de culte. Voilà une conception de
l'impérieux devoir chrétien qui ne nous étonne plus guère aujourd'hui,
mais avouez qu'elle était plutôt nouvelle en ce temps-là !
C'est peu avant 1870 que le Fondateur choisit comme
devise : « Le monde pour Christ ». À cette époque, la
Mission Chrétienne, dont il était le chef et l'animateur, avait à
peine débordé dans la banlieue de Londres. Quelque douze ans plus
tard, Railton, son secrétaire, affirmait en un beau cantique composé
sur une mélodie populaire : « Ton Armée ira de par le
monde ». Or, quand il proclamait cela, l'Armée du Salut
n'existait qu'en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en France.
Depuis, elle n'a cessé de s'accroître, de s'élargir ou de
s'étendre d'une poussée irrésistible, et de se fortifier. Les
conquêtes de ses missionnaires soldats ont marché vite. Et quelle n'a
pas été l'efficacité de leur action dans le champ social !
On juge nécessaire, de nos jours, la création de crèches,
d'hôpitaux, d'asiles, de foyers, de maisons de retraite et, dans tous
les pays civilisés, les Pouvoirs Publics se préoccupent d'installer de
tels établissements. Tout le monde en reconnaît le besoin urgent, mais
on oublie peut-être, n'est-ce pas, que William Booth, alors que rien
de ce genre n'existait encore, - ou si peu ! - dut, pour ainsi
parler, obliger les gouvernements à prendre, dans ce domaine, leurs
responsabilités.
La France aujourd'hui, a fait sa part, sans doute, en
constituant ce vaste organisme connu sous le nom de Sécurité Sociale,
mais bien des années auparavant, William Booth - s'étant rendu compte
qu'un cheval de fiacre qui s'abattait dans la rue était mieux traité
que les fils et les filles malheureux de son peuple - avait affirmé,
non sans énergie, que la tâche revenait aux gouvernants de fonder de
pareilles institutions.
Quand on considère attentivement ces choses, comme elle
apparaît imposante, la figure de William Booth, dressée ainsi, sur le
sombre écran de la souffrance humaine et montrant le chemin vers une
terre promise où l'homme retrouvera ses titres de noblesse ! Une
histoire du 19e siècle serait bien incomplète, qui passerait sous
silence l'oeuvre que ce « prophète des temps modernes »
réalisa.
Lecteurs de ce petit livre, l'exemple de William Booth
est devant vous. Dieu veuille que vous y trouviez une inspiration et
un appel à l'action bonne et sainte. William Booth vous parle, et
rien, assurément, n'est plus intensément actuel que son message, car
il y a des maux innombrables à guérir, il y a des êtres à tirer de
l'abîme il y a des âmes à sauver. Aucune tâche humaine n'est plus
essentielle que celle-là, aucune n'est plus urgente.
Wycliffe BOOTH.
Chef de l'Armée du Salut en France
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