Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

suite

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123. L'agonie de Jésus en Gethsémané.


Le coeur rempli des pensées qu'il vient d'exprimer dans la prière sacerdotale, Jésus se dirige avec ses disciples hors du faubourg de Jérusalem qui est séparé du mont des Oliviers par le torrent de Cédron. David avait franchi autrefois ce même ruisseau, pieds nus et la tête couverte, lorsqu'il fuyait devant son fils Absalom. Maintenant le fils de David le traverse aussi, mais non pas en fugitif. Il se rend librement au lieu qui sera témoin de son agonie. Judas, qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu-là, parce que Jésus s'y était souvent assemblé avec ses disciples. Le Seigneur aurait pu, seulement pour cette fois, se chercher un autre gîte pour y passer la nuit, et faire échouer ainsi les plans meurtriers du traître. Mais son heure était venue. Dans son libre amour, il se rend à l'endroit qui doit être le premier théâtre de sa passion.
Alors Jésus s'en alla dans un lieu appelé Gethsémané, et il dit à ses disciples : Asseyez-vous ici pendant que je m'en irai là pour prier. Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être fort triste et dans une amère douleur. Et il leur dit : Mon âme est saisie de tristesse jusqu'à la mort; demeurez ici et veillez avec moi. Et étant allé un peu plus loin, il se jeta le visage contre terre, priant et disant : Mon Père, que cette coupe passe loin de moi, s'il est possible! Toutefois qu'il en soit non comme je le voudrais, mais comme tu le veux. Puis il vint vers ses disciples et il les trouva endormis, et il dit à Pierre : Est-il possible que vous n'ayez pu veiller une heure avec moi! Veillez et priez, de peur que vous ne tombiez en tentation; car l'esprit est prompt, mais la chair est faible. Il s'en alla encore pour la seconde fois et pria, disant : Mon Père, s'il n'est pas possible que celle coupe passe loin de moi sans que je la boive, que ta volonté soit faite. El revenant à eux, il les trouva encore endormis, car leurs yeux étaient appesantis; et les ayant laissés, il s'en alla encore et pria pour la troisième fois en disant les mêmes paroles.

« Déchausse tes souliers de tes pieds, car le lieu où tu es arrêté est une terre sainte. » C'est avec cette sainte frayeur que le coeur chrétien s'approche du lieu où Christ, dans les jours de sa chair, « ayant offert avec de grands cris et avec larmes des prières et des supplications à celui qui pouvait le délivrer de la mort, fut exaucé. » Coeur chrétien, là-bas, dans l'ombre obscure de ce jardin, c'est ton sort qui se décide. Adore dans la poussière! Comment ce calme céleste et majestueux du Sauveur, que trahit sa prière sacerdotale, a-t-il pu faire place tout à coup à la plus profonde tristesse, à un trouble mortel, au tremblement et au découragement? Tu te le demandes avec étonnement. Jésus te répond - Voilà ce que j'ai fait pour toi.

Ce n'est pas pour lui-même que Jésus prend auprès de lui ses trois disciples les plus intimes, afin d'être consolé et soutenu par eux. C'est pour nous, afin qu'ils fussent témoins, et qu'ils pussent rendre témoignage du combat que le Seigneur livre là aux puissances des ténèbres, pour le salut des pécheurs. Et si même rien d'autre que la perspective des tourments corporels n'eût si profondément troublé le Sauveur, nous devrions encore réfléchir que pour lui, qui était parfaitement exempt de péché, la mort devait être beaucoup plus épouvantable que pour nous, qui, du fait du péché, portons en nous, dès notre naissance, le germe de la mort. « Lui, qui n'a pas connu le péché, a été fait péché pour nous (trad. litt. de 2 Cor. V, 21). » Ici, en Gethsémané, Dieu a jeté les péchés de nous tous sur son âme immaculée. Lui qui, jusqu'alors, n'avait connu que par autrui le crime de la révolte contre Dieu, expérimente maintenant dans son âme sainte le bouleversement, le trouble, les tourments que le péché produit dans l'âme humaine ; à quoi il faut ajouter toutes les malédictions de la loi. Quelle inquiétude et quelle angoisse ne saisissent pas un homme, dès que sa conscience se réveille et que ses pensées s'accusent ou se défendent ! « Ses os se consument parce qu'il crie tout le jour Ps. XXXII, 3) » et pendant la nuit le sommeil fuit ses paupières fatiguées. Déjà sur la terre, les tourments de Caïn remplissent ce coeur torturé par la pensée que son péché est plus grand que la grâce de Dieu. Et dans l'autre vie, la soif brûlante du mauvais riche, et les cris de douleur de ceux qui regardent comme un soulagement d'être ensevelis sous les montagnes, s'ils pouvaient par là être délivrés des tourments du feu éternel !

Tous ces péchés de l'humanité entière, qui ont revêtu mille formes depuis Adam, se sont jetés comme autant d'animaux féroces sur le seul saint, et déchirent son âme. Tout le trouble engendré par la révolte du monde contre Dieu, agite celui qui est dans le sein du Père, et qui vient de répandre devant lui son coeur plein de paix. Les tourments de Bélial fondent sur Jésus et les vagues infernales menacent de l'engloutir. C'est un combat comme il n'y en a jamais en dans le monde des esprits. Les souffrances corporelles n'entrent en ligne de compte ni en Gethsémané ni en Golgotha. Mais son âme sainte subit l'invasion simultanée de toutes les douleurs, de tous les déchirements de conscience, de toutes les mortelles frayeurs que le péché du monde entier ait jamais produits, et en même temps tous les tourments que la justice de Dieu

aurait infligés aux hommes pendant les périodes infinies de l'éternité. On peut comprendre d'après cela que le Sauveur ne soit entré qu'avec angoisse et tremblement dans cette période de sa Passion, dont le point culminant fut sa mort sur la croix de Golgotha. On peut comprendre aussi que des milliers de témoins, qui ont répandu leur sang pour lui, l'aient suivi dans celle voie douloureuse avec calme et même avec joie, comme s'ils se rendaient, en parure de fiancés, dans la salle d'un festin de noces. Ignace écrivait en face de la mort : « Il est glorieux de quitter ce monde pour aller à Dieu, afin de pouvoir contempler sa face. Laisse-moi devenir la proie des bêtes féroces, an moyen desquelles je pourrai trouver mon Dieu. Je suis une semence de Dieu ; je veux être déchiré par les dents des bêtes, afin d'être trouvé comme un vrai pain de Christ. »

Si l'on n'avait égard qu'à ces dispositions, on pourrait dire que les disciples sont plus grands que leur maître, puisqu'ils ont affronté la mort plus joyeusement que lui. Mais il faut considérer que le Sauveur, par son agonie en Gethsémané, et en général par ses souffrances et sa mort expiatoires, a ouvert l'accès au trône de Dieu à tous ceux qui croiraient en lui et leur a ainsi procuré cette joie dans la mort. La mort est le salaire du péché, et l'aiguillon de la mort, c'est le péché. Plus l'homme sera assuré du pardon de ses péchés, plus aussi la mort, qui le conduit au Père, lui sera douce. Les martyrs n'ont montré tant de courage en face de la mort, que parce que son aiguillon lui a été arraché par les souffrances et la mort expiatoires de Christ. La mort des martyrs, et en général de tous les croyants, est d'une tout autre nature que celle de Christ. Il est mort de la mort des pécheurs et à leur place ; les croyants meurent de la mort des justes, devenus tels par la foi, et heureux dans le Seigneur.

Nous ne pouvons jeter un regard dans toute la profondeur de l'agonie du Sauveur, que lorsque nous le voyons prosterné dans la poussière devant son Père et s'écrier : Mon Père, que cette coupe passe loin de moi, s'il est possible. C'est ainsi qu'il prie à plusieurs reprises. Qu'entendons-nous ? Jésus se serait-il trompé sur sa vocation de Sauveur ? Lui semble-t-il trop difficile de sauver les pécheurs ? Veut-il laisser inachevée l'oeuvre qu'il a commencée ?

Refuse-t-il de boire la coupe de la colère de Dieu, déchaînée sur les péchés des hommes ? Non ! Dieu soit loué ! Autrement l'oeuvre de notre rédemption ne serait pas accomplie, et nous devrions supporter nous-mêmes la peine due à nos transgressions. - Mais quel est alors l'objet de cette prière ? Quel est le contenu de cette coupe qu'il prie le Père d'éloigner de ses lèvres ? Il est important que nous soyons au clair sur cette question, puisque l'apôtre dit expressément (Héb. V, 7) que Dieu exauça sa prière et ses cris. Il y avait donc dans cette prière une parfaite union de sa volonté avec celle du Père, autrement elle n'eût pu être exaucée. La volonté de Jésus n'a pas été un seul instant en désaccord avec celle du Père, dans ce sens qu'ayant voulu autre chose que le Père, il aurait dû forcer et plier sa volonté pour la conformer à celle de Dieu. S'il en était ainsi, le prince de ce monde aurait découvert dans le Sauveur une tache qui aurait ruiné toute son oeuvre de rédemption. La coupe ne contient en aucun cas les souffrances futures, telles que les frayeurs de la mort. Il s'agit des souffrances qu'il supporte actuellement. Il parle de cette coupe, dont il boit le contenu, semblable à du plomb en fusion. L'ardente supplication du Sauveur n'a pas pour objet de demander au Père de lui épargner les souffrances et la mort, et de trouver un autre moyen de sauver le monde pécheur. C'eût été là une prière coupable, et elle n'eût pas été exaucée. Or, sa prière a été exaucée.

En buvant cette coupe, alors que les terreurs de la condamnation bouleversent son âme, il sent tout le poids, toute l'épouvante, toute l'horreur du péché, de la criminelle révolte contre le Dieu d'éternité. Il sent que le péché contre le Dieu éternel doit être puni d'une peine éternelle, de l'éternelle condamnation. Son divin amour pour les pécheurs lui fait boire courageusement cette coupe remplie de toute l'amertume résultant des péchés et de la coulpe du monde. Mais la pensée que ces tourments, qu'il éprouve en ce moment, devraient durer toujours, en vertu de la justice éternelle de Dieu, le remplit de frayeur et lui arrache ce cri : Mon père, s'il est possible que cette coupe passe loin de moi ! Il veut boire cette coupe ; il la boit déjà, il veut la boire aussi longtemps qu'il plaira au Père. Il demande seulement ceci : c'est qu'il en soit une fois délivré, c'est qu'il ne soit pas obligé de la boire éternellement. Cette prière était tout à fait conforme à la volonté de Dieu.

Sans doute les hommes, qui ont péché contre le Dieu éternel, doivent être punis d'un châtiment éternel. Mais lorsque le Fils de Dieu prend ces péchés sur lui, ses souffrances ont une valeur éternelle, et peuvent ainsi, en vertu de la justice de Dieu, être abrégées. Jésus ne fut pas immédiatement délivré de la coupe de ses souffrances. Elle ne s'éloigna de lui que lorsqu'il eut tout accompli et remis son esprit entre les mains du Père. Mais, en Gethsémané aussi, le Sauveur savait que le Père l'exauce toujours, qu'il ne repoussera pas sa prière et qu'il abrégera ses souffrances. Jean Gerhardt dit : De même que le péché, bien que commis pendant un temps très court, mérite une punition éternelle, parce qu'il offense le Dieu éternel, ainsi les souffrances de Christ, bien que subies pendant un temps très court, ont une vertu et une valeur éternelles, parce que la personne qui souffre est le vrai Dieu et le bien éternel.

Mais bientôt le Sauveur éprouve plus profondément encore cette souffrance extraordinaire. Aux traits enflammés de la colère de Dieu qui pénètrent dans son âme, viennent s'ajouter les traits enflammés du malin. Satan lui souffle cette terrible tentation : « Laisse là ton entreprise. Il en coûte trop cher pour sauver les âmes. » Et étant en agonie, il priait plus instamment, et il lui vint une sueur comme des grumeaux de sang qui coulaient jusqu'à terre. Nos tourments de conscience le torturent. Les frayeurs que la mort nous inspire le remplissent d'angoisses. Les terreurs de l'éternité le bouleversent et l'ébranlent jusque dans les dernières profondeurs de son être. Et en vertu de l'union de l'âme et du corps, celui du Sauveur se trouve enveloppé dans les tourments de l'âme. Le lien qui les unit l'un à l'autre menace de se déchirer. La sueur a coulé à flots de son corps, et maintenant elle est épuisée ; son sang, agité par l'intensité de l'angoisse, s'échappe de ses veines avec violence par tous ses pores et ruisselle en grosses gouttes jusqu'à terre. Le sang du Fils de Dieu crie à la conscience de chaque pécheur : « Tu m'as fatigué par tes péchés et tu m'as travaillé par les iniquités. (Ésaïe XLIII, 24.)

Mais maintenant le Sauveur est à bout de forces. La faible nature humaine est sur le point de succomber. Alors un ange lui apparat pour le fortifier. Le Seigneur, dans son amour, s'est tellement abaissé qu'il est obligé. lui, le Roi de gloire, d'accepter le secours de l'un de ses serviteurs.

Lorsque nous, pécheurs, sommes oppressés par le chagrin et la souffrance, nos pensées et nos sentiments sont tellement absorbés par notre douleur, que les afflictions des autres nous paraissent légères en comparaison des nôtres. Plus nous sommes profondément courbés sous le poids de notre fardeau, plus nous oublions facilement les besoins et les larmes de notre prochain. Si au contraire, pendant nos jours de prospérité, nous avons l'occasion de faire du bien à quelque âme, en consolant, en exhortant selon la Parole de Dieu, dès qu'une détresse fond sur nous, ou qu'une douleur nous blesse un peu profondément, nous croyons avoir un motif suffisant pour nous éloigner de notre frère, pensant que nous avons assez à faire à nous occuper de nous-mêmes.

Comme les dispositions du Sauveur sont différentes ! Même dans les heures déchirantes de sa douloureuse agonie, il n'oublie pas ses disciples. Pendant que les ondes infernales font invasion dans son âme, son coeur de Sauveur s'occupe des siens avec le tendre amour d'une mère. Il ne pouvait espérer aucun secours de leur part, car lorsqu'il vint à eux après avoir prié la première fois, il les trouva endormis. Est-il possible, leur dit-il, que vous n'ayez pu veiller une heure avec moi ! Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point en tentation, car l'esprit est prompt, mais la chair est faible. - Ne blâmons pas et ne jugeons pas les disciples endormis, car en eux se manifestent la tiédeur et la paresse de notre propre coeur. Dans les travaux terrestres, dans les plaisirs mondains, on se maintient facilement éveillé et dispos. Mais quand il s'agit de veiller avec Jésus, de penser chaque jour et à chaque heure à son sacrifice et à son amour, la tâche parait extrêmement difficile à notre chair paresseuse, car nous oublions trop souvent ce qu'il lui en a coûté pour nous sauver. Celte faiblesse de notre chair doit nous pousser à nous plonger, en veillant et en priant, dans les souffrances du Sauveur, afin que par le doux fruit de sa Passion, il fortifie en nous l'esprit de franche volonté.

Après avoir prié pour la troisième fois, Jésus se leva, vint vers ses disciples et les trouva encore endormis. Vous dormez encore et vous reposez, leur dit-il ; voici l'heure est venue et le Fils de l'homme va être livré entre les mains des méchants. Levez-vous, allons, voici, celui qui me trahit s'approche. Le Sauveur a traversé, en adorant et en priant, l'Océan des péchés du monde. Il a pénétré jusqu'au coeur du Père en accomplissant sa volonté. C'est là la nourriture qui le restaure, le fortifie et le rend capable d'aller avec courage au-devant du traître, afin de livrer son corps pour être martyrisé par les mains des méchants.



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124. Arrestation de Jésus.

(Matth. XXVI, 47-66 ; Marc XIV, 43-46 ; Luc XXII, 47-54)
(Jean XVIII, 1-12.)


 Et comme il parlait encore, voici Judas, l'un des douze, et avec lui une grande troupe de gens armés d'épées et de bâtons, qui venaient de la part des principaux sacrificateurs et des sénateurs du peuple. Pour plus de sûreté et pour parer à toute éventualité, les principaux sacrificateurs avaient demandé au gouverneur romain un détachement de soldats armés qu'ils donnèrent à Judas avec leurs serviteurs. Et celui qui le trahissait leur avait dit : Celui que je baiserai, c'est lui, saisissez-le. Et aussitôt, s'approchant de Jésus, il lui dit : Maître, je te salue ; et il le baisa. Mais Jésus lui dit : Judas, trahis-tu ainsi le Fils de l'homme par un baiser ? Après être convenu du signe, Judas s'approche de Jésus et le baise. - Admirable humilité ! Jésus connaît celui qui le trahit, et cependant il consent à recevoir son baiser ! Ce baiser lui a sans doute fait plus mal que les coups de poing que de grossiers soldats lui appliqueront bientôt. Et cependant avec quelle douceur ne traite-t-il pas le traître ! Par ces deux mots, il tente encore de toucher le coeur de Judas, afin de voir si, au dernier moment, il ne se laissera pas encore attirer. Mon ami, pour quel sujet es-tu, ici ? Judas, trahis-tu ainsi le Fils de l'homme par un baiser ? Ce saint amour de Jésus ne fait aucune impression sur Judas. Il n'a pas voulu !

Mais gardons-nous d'entendre cette parole vainement ! Lorsque nous nous approchons de Jésus de bouche et que nous l'honorons des lèvres, puissions-nous voir vivante devant nos yeux sa sainte personne torturée par les souffrances, et puisse cette douloureuse question brûler nos consciences : N'est-ce pas là un baiser de Judas ? Lorsque nous chantons les cantiques de la Passion, et qu'en même temps nous caressons le péché qui a tué Jésus, n'est-ce pas là un baiser de Judas ? Lorsque nous participons au corps et au sang du Sauveur avec un coeur sans repentance, sans crucifier le vieil homme avec ses passions et ses convoitises, n'est-ce pas là un baiser de Judas ?

Le traître, ayant mauvaise conscience, s'était hâté de conduire sa troupe ; mais après un tel accueil, il se retire, couvert de confusion, dans l'obscurité. Les serviteurs des principaux sacrificateurs, n'ayant pas vu le signe convenu, Jésus est obligé d'aller lui-même au-devant d'eux. Personne ne lui ôte la vie ; il la sacrifie lui-même dans toute la liberté de son amour. Et Jésus qui savait tout ce qui devait lui arriver, s'avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C'est moi. Le moment est arrivé où tout doit être accompli. Soumis à la volonté du Père, Jésus choisit la croix. La mort ne le surprend pas. Il va au-devant d'elle et se livre à sa puissance. - Toute la troupe est accourue et entoure Jésus, mais ils ne le reconnaissent pas. Il faut qu'il se désigne lui-même. Avec quelle facilité n'aurait-il pas pu leur échapper ! Personne n'aurait pu l'arrêter. Mais il veut boire la coupe que le Père lui donne à boire. Qui cherchez-vous ? dit Jésus. Telle est la question qu'il adresse à ses persécuteurs et à ses enfants. Qui cherchez-vous ? Depuis que Dieu s'est fait homme, l'humanité se divise en deux partis : pour Christ ou contre Christ. Il est impossible d'être indifférent. Tous le cherchent ; les uns pour lier ses mains, pour ruiner son règne ; les autres pour le servir et pour jouir de son amour et du fruit de sa mort.

Lorsque Saul persécutait les chrétiens, il croyait servir Dieu. Toutefois le Seigneur vint au-devant de lui sur le chemin de Damas et lui dit d'un ton sévère : « Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Saul poursuit les chrétiens, mais, au fond, c'est Jésus de Nazareth qu'il cherche. Aujourd'hui encore, les railleries et les haines qui s'adressent aux chrétiens sont en réalité dirigées contre Christ. Elles frappent les chrétiens, et cherchent cependant Jésus de Nazareth. Reconnaissons, malgré les apparences, le véritable objet de la haine du monde ; ce sera autant de gagné pour le miséricordieux amour dont nous devons être animés, qui croit tout, supporte tout, espère tout, et qui nous portera à prier pour que les Saul deviennent des Paul. - Mais grâce à Dieu, il y a aussi des âmes qui marchent sur les traces du Sauveur d'un coeur sincère et avec un ardent amour, tellement que lorsqu'on leur demande : Qui cherchez-vous ? Elles répondent sans hésiter : Jésus de Nazareth. Or, qui cherche trouve. Jésus va au-devant de ses ennemis, mais combien plus volontiers ne vient-il pas au-devant des coeurs qui cherchent sa grâce et ses consolations ? Il se montre à ses ennemis qui le cherchent pour lui lier les mains, en leur disant : C'est moi ! et ils reculent et tombent par terre. Ils sont forcés malgré eux de reconnaître sa majesté sainte. Mais avec quelle céleste joie ne dit-il pas à l'âme avide de consolations : C'est moi, sois tranquille, n'aie point de peur. Et alors toutes les douleurs et tous les soupirs disparaissent ; alors les larmes sont séchées, le coeur inquiet est rassuré et ses plaies sont guéries.

Jésus leur dit : C'est moi ! et dès qu'il leur eut dit : C'est moi, ils reculèrent et tombèrent par terre. Lorsque les disciples virent Jésus sur la sainte montagne, dans le glorieux rayonnement, de sa transfiguration, ils tombèrent aussi par terre comme anéantis. Ici, il fait sentir aux soldats qui le cherchent pour le lier, quelque chose de la gloire du Fils unique venu du Père, pour montrer qu'il n'est dominé par aucune nécessité, mais qu'il se laisse lier en vertu du don libre et volontaire qu'il fait de lui-même. Le voilà donc, cet Agneau de Dieu, doux et humble de coeur, dont on n'entend pas les cris dans les rues, mais qui ne lasse pas de faire entendre sa puissante voix, lorsqu'il s'agit de se laisser juger et mettre à mort par les pécheurs et pour les pécheurs. Le voilà, cet homme désarmé en face de soldats venus contre lui, comme s'il s'agissait de livrer un combat sanglant. Mais leurs armes ne leur servent de rien. Le seul mot : « C'est moi, » les renverse dans la poussière. - Ses ennemis de tous les temps se trompent singulièrement à son sujet s'ils croient pouvoir le vaincre par leurs armes. Ils trouvent en lui leur Maître ! Sa Parole est un marteau qui brise les rochers. Ses adversaires n'ont de puissance sur lui que celle qu'il veut bien leur donner, dans son amour pour les pécheurs. Il ne veut pas leur perte, c'est pourquoi il ne commande pas à la terre de s'ouvrir.

Il leur demanda encore une fois : Qui cherchez-vous ? Et ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus répondit : Je vous ai dit que c'est moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. C'était afin que celle parole qu'il avait dite fût accomplie : Je n'ai perdu aucun de ceux que tu m'as donnés. C'est avec des coeurs pleins de gratitude que les disciples reconnurent l'amour de leur Maître, qui les préservait de tout danger. « Laissez aller ceux-ci » tel fut le puissant sauf-conduit qui garantit les disciples contre les mauvais traitements des soldats. Alors ils mirent les mains sur Jésus et le saisirent. Alors Pierre, ayant une épée, la tira et frappa un serviteur du souverain sacrificateur, et lui coupa l'oreille droite. Et ce serviteur s'appelait Malchus. Mais Jésus, prenant la parole, lui dit : Arrête-toi, et ayant touché l'oreille de cet homme, il le guérit. - Le Seigneur ne veut pas être défendu par l'épée. Son règne n'est pas de ce monde. Pierre agit follement et ne fait que préparer à son Maître, au milieu de ses souffrances, une douleur de plus. Il devait en être ainsi. Lorsque le Seigneur, toujours doux et patient, voit ses disciples animés d'un zèle charnel, il ne peut pas les reconnaître pour ses imitateurs. Pierre veut bien faire, mais il a négligé de veiller et de prier. C'est pourquoi, tout en ayant de bonnes intentions, il agit mal. Un zèle aveugle ne peut qu'être nuisible. Comme on peut facilement, sous l'empire d'un pareil zèle, couper les oreilles aux gens, c'est-à-dire leur ôter le désir d'entendre la Parole de Dieu !

Cependant on ne saurait nier que Pierre, en tirant l'épée pour le Seigneur Jésus, ne montre un courage de confesseur comme on n'en trouve pas précisément beaucoup de nos jours. Il expose sa vie pour défendre Jésus. Il ne peut pas souffrir qu'on fasse violence à son Seigneur. De nos jours, les uns étendent leurs mains impies comme pour renverser le trône du Seigneur de gloire. Les autres les contemplent d'un oeil parfaitement calme, comme si c'était une chose qui ne les regarde pas. Ils se lient volontiers avec les blasphémateurs et fréquentent leur société.

Assurément Pierre commet une faute en voulant défendre Jésus avec l'épée ; mais que celui-là se garde de le condamner, qui ne sait pas le défendre avec de meilleures armes, et qui le renie par lâcheté. Jésus guérit l'oreille de cet homme. Il répare le mal que Pierre a fait. Autrement, les soldats auraient rendu le Seigneur responsable de l'action de Pierre, en disant : Tel qu'est le disciple, tel est le maître qui l'a formé. - Oh ! que d'occasions n'a-t-il pas de changer en bien le mal que nous faisons ! Plus Pierre était convaincu que son zèle était agréable au Seigneur, plus il doit être humilié par la sérieuse quoique douce réprimande que Jésus lui adresse : Remets ton épée dans le fourreau, car tous ceux qui prendront l'épée, périront par l'épée. L'épée est donnée aux agents de l'autorité et aux gens de guerre, mais celui qui, de son autorité privée, veut se faire justice à soi-même, par une attaque qui peut amener la mort, celui-là expose sa vie. C'est pourquoi toute rébellion et toute révolution violente est taxée de péché. En revanche, la Parole du Seigneur donne à l'autorité le droit d'infliger la peine de mort à celui qui, d'une main criminelle, a abrégé la vie de son semblable. Car le prince ne porte pas l'épée en vain. Il a le devoir de s'en servir pour protéger les sujets paisibles contre les assassins. Car si quelqu'un répand le sang humain, son sang doit être répandu par un pouvoir humain.

Penses-tu que je ne puisse pas maintenant prier mon Père, qui me donnerait plus de douze légions d'anges ? La résistance à l'autorité était contraire à l'ordre divin, mais elle était de plus parfaitement inutile. Si Jésus avait dû être délivré de la violence des hommes, il n'avait vraiment pas besoin de l'épée de Pierre. Les anges de son Père étaient attentifs à son moindre signal. Lorsque Jésus dit à Pierre : Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donné à boire ? il reconnaissait que ce disciple n'avait fait que traduire en action la Parole qui l'avait lui-même naguère autant troublé qu'indigne : « Seigneur, aie pitié de toi-même, cela ne t'arrivera point. » Les disciples ne peuvent comprendre ces souffrances propitiatoires de Christ. C'est pourquoi il faut sans cesse leur rappeler l'irrévocable décret du Père. Le Seigneur ne veut pas éviter le calice de ses souffrances. Il veut le boire ; mais s'il ne l'avait pas voulu, aucune puissance au monde n'aurait pu l'y forcer.

Puis Jésus dit aux principaux sacrificateurs, et aux capitaines du temple et aux sénateurs qui étaient venus pour le saisir : Vous êtes venus avec des épées et des bâtons comme après un brigand. J'étais tous les jours dans le temple avec vous, et vous n'avez point mis la main sur moi. Mais c'est ici votre heure et la puissance des ténèbres. Avant que son heure fût venue, le Sanhédrin envoyait en vain des émissaires pour saisir Jésus ; personne n'osait mettre la main sur lui. Ils disaient au contraire : « Jamais homme n'a parlé comme cet homme. » Mais maintenant le Père présente le calice aux lèvres de son Fils. Il concède pour une heure à Satan le pouvoir d'exercer sur le Fils de l'homme le droit qu'il a sur les pécheurs. Mais c'est seulement pour une heure, qui passera rapidement, et bientôt luira de nouveau le Soleil de Justice qui porte la santé dans ses rayons.

Alors tous ses disciples l'abandonnèrent et s'enfuirent. Et les soldats, le capitaine et les sergents des Juifs prirent Jésus et le lièrent. Quelques instants auparavant, tous les disciples avaient promis au Seigneur de lui rester fidèles ; et maintenant tous l'abandonnent. - D'abord arrogant, puis lâche, tel est le coeur humain qui veut bien être consolé par Jésus, mais refuse de souffrir pour lui. Quel spectacle ! Le Prince de la vie, le Seigneur de gloire, les deux mains liées ! On ne traite ainsi que les malfaiteurs dangereux, les hommes violents qui commettraient d'autres crimes si on leur laissait les mains libres. - Mais ici on lie Jésus, qui est venu en aide à tous les malheureux, dont les mains étaient constamment étendues pour faire le bien, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour rompre le pain à des milliers d'hommes et pour bénir tous les coeurs angoissés et privés de consolations. On voudrait presque souhaiter qu'il déchirât, ces liens, renversât encore une fois ses ennemis dans la poussière et s'enfuit en passant sur leur corps. Mais non ! nous ne voulons pas former ce voeu ; nous voulons au contraire bénir ces liens avec des coeurs pleins de reconnaissance. Malheur à ceux, qui ont lié Jésus !

Quant au Seigneur, nous lui rendons grâce de s'être laissé faire, afin que par ces liens il nous délivre des chaînes d'une éternelle obscurité. Les cordeaux du péché et de la mort nous auraient enlacés pour l'éternité si Jésus ne s'était pas laissé lier pour nous. La fausse liberté et la licence effrénée de nos péchés devaient être châtiées par des liens : Jésus les porte pour nous. La puissance captivante du péché est trop forte pour que nous puissions nous en affranchir nous-mêmes. Mais si nous entrons par la foi dans la communion de Jésus lié, notre vieil homme sera enchaîné, et le nouvel homme, animé de la vie de la foi, pourra librement respirer.

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