Le coeur rempli des pensées qu'il vient d'exprimer dans la prière
sacerdotale, Jésus se dirige avec ses disciples hors du faubourg de
Jérusalem qui est séparé du mont des Oliviers par le torrent de
Cédron. David avait franchi autrefois ce même ruisseau, pieds nus et
la tête couverte, lorsqu'il fuyait devant son fils Absalom. Maintenant
le fils de David le traverse aussi, mais non pas en fugitif. Il se
rend librement au lieu qui sera témoin de son agonie. Judas, qui
le trahissait, connaissait aussi ce lieu-là, parce que Jésus s'y
était souvent assemblé avec ses disciples. Le Seigneur aurait
pu, seulement pour cette fois, se chercher un autre gîte pour y passer
la nuit, et faire échouer ainsi les plans meurtriers du traître. Mais
son heure était venue. Dans son libre amour, il se rend
à l'endroit qui doit être le premier théâtre de sa passion.
Alors Jésus s'en alla dans un
lieu appelé Gethsémané, et il dit à ses disciples : Asseyez-vous
ici pendant que je m'en irai là pour prier. Et ayant pris avec lui
Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être fort triste
et dans une amère douleur. Et il leur dit : Mon âme est saisie de
tristesse jusqu'à la mort; demeurez ici et veillez avec moi. Et
étant allé un peu plus loin, il se jeta le visage contre terre,
priant et disant : Mon Père, que cette coupe passe loin de moi,
s'il est possible! Toutefois qu'il en soit non comme je le
voudrais, mais comme tu le veux. Puis il vint vers ses disciples
et il les trouva endormis, et il dit à Pierre : Est-il possible
que vous n'ayez pu veiller une heure avec moi! Veillez et priez,
de peur que vous ne tombiez en tentation; car l'esprit est prompt,
mais la chair est faible. Il s'en alla encore pour la seconde fois
et pria, disant : Mon Père, s'il n'est pas possible que celle
coupe passe loin de moi sans que je la boive, que ta volonté soit
faite. El revenant à eux, il les trouva encore endormis, car leurs
yeux étaient appesantis; et les ayant laissés, il s'en alla encore
et pria pour la troisième fois en disant les mêmes paroles.
« Déchausse tes souliers de tes pieds, car le lieu où tu
es arrêté est une terre sainte. » C'est avec cette sainte frayeur que
le coeur chrétien s'approche du lieu où Christ, dans les jours de sa
chair, « ayant offert avec de grands cris et avec larmes des prières
et des supplications à celui qui pouvait le délivrer de la mort, fut
exaucé. » Coeur chrétien, là-bas, dans l'ombre obscure de ce jardin,
c'est ton sort qui se décide. Adore dans la poussière! Comment ce
calme céleste et majestueux du Sauveur, que trahit sa prière
sacerdotale, a-t-il pu faire place tout à coup à la plus profonde
tristesse, à un trouble mortel, au tremblement et au découragement? Tu
te le demandes avec étonnement. Jésus te répond - Voilà ce que
j'ai fait pour toi.
Ce n'est pas pour lui-même que Jésus prend auprès de lui
ses trois disciples les plus intimes, afin d'être consolé et soutenu
par eux. C'est pour nous, afin qu'ils fussent témoins, et qu'ils
pussent rendre témoignage du combat que le Seigneur livre là aux puissances
des ténèbres, pour le salut des pécheurs. Et si même rien d'autre que
la perspective des tourments corporels n'eût si profondément troublé
le Sauveur, nous devrions encore réfléchir que pour lui, qui était
parfaitement exempt de péché, la mort devait être beaucoup plus
épouvantable que pour nous, qui, du fait du péché, portons en nous,
dès notre naissance, le germe de la mort. « Lui, qui n'a pas
connu le péché, a été fait péché pour nous (trad. litt. de 2
Cor. V, 21). » Ici, en Gethsémané, Dieu a jeté les péchés
de nous tous sur son âme immaculée. Lui qui, jusqu'alors, n'avait
connu que par autrui le crime de la révolte contre Dieu, expérimente
maintenant dans son âme sainte le bouleversement, le trouble, les
tourments que le péché produit dans l'âme humaine ; à quoi il
faut ajouter toutes les malédictions de la loi. Quelle inquiétude et
quelle angoisse ne saisissent pas un homme, dès que sa conscience se
réveille et que ses pensées s'accusent ou se défendent !
« Ses os se consument parce qu'il crie tout le jour Ps.
XXXII, 3) » et pendant la nuit le sommeil fuit ses
paupières fatiguées. Déjà sur la terre, les tourments de Caïn
remplissent ce coeur torturé par la pensée que son péché est plus
grand que la grâce de Dieu. Et dans l'autre vie, la soif brûlante du
mauvais riche, et les cris de douleur de ceux qui regardent comme un
soulagement d'être ensevelis sous les montagnes, s'ils pouvaient par
là être délivrés des tourments du feu éternel !
Tous ces péchés de l'humanité entière, qui ont revêtu
mille formes depuis Adam, se sont jetés comme autant d'animaux féroces
sur le seul saint, et déchirent son âme. Tout le trouble engendré par
la révolte du monde contre Dieu, agite celui qui est dans le sein du
Père, et qui vient de répandre devant lui son coeur plein de paix. Les
tourments de Bélial fondent sur Jésus et les vagues infernales
menacent de l'engloutir. C'est un combat comme il n'y en a jamais en
dans le monde des esprits. Les souffrances corporelles n'entrent en
ligne de compte ni en Gethsémané ni en Golgotha. Mais son âme sainte
subit l'invasion simultanée de toutes les douleurs, de tous les
déchirements de conscience, de toutes les mortelles frayeurs que le
péché du monde entier ait jamais produits, et en même temps tous les
tourments que la justice de Dieu
aurait infligés aux hommes pendant les périodes infinies
de l'éternité. On peut comprendre d'après cela que le Sauveur ne soit
entré qu'avec angoisse et tremblement dans cette période de sa
Passion, dont le point culminant fut sa mort sur la croix de Golgotha.
On peut comprendre aussi que des milliers de témoins, qui ont répandu
leur sang pour lui, l'aient suivi dans celle voie douloureuse avec
calme et même avec joie, comme s'ils se rendaient, en parure de
fiancés, dans la salle d'un festin de noces. Ignace écrivait en face
de la mort : « Il est glorieux de quitter ce monde pour
aller à Dieu, afin de pouvoir contempler sa face. Laisse-moi devenir
la proie des bêtes féroces, an moyen desquelles je pourrai trouver mon
Dieu. Je suis une semence de Dieu ; je veux être déchiré par les
dents des bêtes, afin d'être trouvé comme un vrai pain de
Christ. »
Si l'on n'avait égard qu'à ces dispositions, on pourrait
dire que les disciples sont plus grands que leur maître, puisqu'ils
ont affronté la mort plus joyeusement que lui. Mais il faut considérer
que le Sauveur, par son agonie en Gethsémané, et en général par ses
souffrances et sa mort expiatoires, a ouvert l'accès au trône de Dieu
à tous ceux qui croiraient en lui et leur a ainsi procuré cette joie
dans la mort. La mort est le salaire du péché, et l'aiguillon de la
mort, c'est le péché. Plus l'homme sera assuré du pardon de ses
péchés, plus aussi la mort, qui le conduit au Père, lui sera douce.
Les martyrs n'ont montré tant de courage en face de la mort, que parce
que son aiguillon lui a été arraché par les souffrances et la mort
expiatoires de Christ. La mort des martyrs, et en général de tous les
croyants, est d'une tout autre nature que celle de Christ. Il est mort
de la mort des pécheurs et à leur place ; les croyants meurent de
la mort des justes, devenus tels par la foi, et heureux dans le
Seigneur.
Nous ne pouvons jeter un regard dans toute la profondeur
de l'agonie du Sauveur, que lorsque nous le voyons prosterné dans la
poussière devant son Père et s'écrier : Mon
Père, que cette coupe passe loin de moi, s'il est possible.
C'est ainsi qu'il prie à plusieurs reprises. Qu'entendons-nous ?
Jésus se serait-il trompé sur sa vocation de Sauveur ? Lui
semble-t-il trop difficile de sauver les pécheurs ? Veut-il
laisser inachevée l'oeuvre qu'il a commencée ?
Refuse-t-il de boire la coupe de la colère de Dieu,
déchaînée sur les péchés des hommes ? Non ! Dieu soit
loué ! Autrement l'oeuvre de notre rédemption ne serait pas
accomplie, et nous devrions supporter nous-mêmes la peine due à nos
transgressions. - Mais quel est alors l'objet de cette prière ?
Quel est le contenu de cette coupe qu'il prie le Père
d'éloigner de ses lèvres ? Il est important que nous soyons au
clair sur cette question, puisque l'apôtre dit expressément (Héb.
V, 7) que Dieu exauça sa prière et ses cris. Il y avait donc
dans cette prière une parfaite union de sa volonté avec celle du Père,
autrement elle n'eût pu être exaucée. La volonté de Jésus n'a pas été
un seul instant en désaccord avec celle du Père, dans ce sens qu'ayant
voulu autre chose que le Père, il aurait dû forcer et plier sa volonté
pour la conformer à celle de Dieu. S'il en était ainsi, le prince de
ce monde aurait découvert dans le Sauveur une tache qui aurait ruiné
toute son oeuvre de rédemption. La coupe ne contient en aucun cas les
souffrances futures, telles que les frayeurs de la mort. Il s'agit des
souffrances qu'il supporte actuellement. Il parle de cette coupe, dont
il boit le contenu, semblable à du plomb en fusion. L'ardente
supplication du Sauveur n'a pas pour objet de demander au Père de lui
épargner les souffrances et la mort, et de trouver un autre moyen de
sauver le monde pécheur. C'eût été là une prière coupable, et elle
n'eût pas été exaucée. Or, sa prière a été exaucée.
En buvant cette coupe, alors que les terreurs de la
condamnation bouleversent son âme, il sent tout le poids, toute
l'épouvante, toute l'horreur du péché, de la criminelle révolte contre
le Dieu d'éternité. Il sent que le péché contre le Dieu éternel doit
être puni d'une peine éternelle, de l'éternelle
condamnation. Son divin amour pour les pécheurs lui fait boire
courageusement cette coupe remplie de toute l'amertume résultant des
péchés et de la coulpe du monde. Mais la pensée que ces tourments,
qu'il éprouve en ce moment, devraient durer toujours, en vertu de la
justice éternelle de Dieu, le remplit de frayeur et lui arrache ce
cri : Mon père, s'il est possible que cette coupe passe loin de
moi ! Il veut boire cette coupe ; il la boit déjà,
il veut la boire aussi longtemps qu'il plaira au Père. Il demande
seulement ceci : c'est qu'il en soit une fois délivré, c'est
qu'il ne soit pas obligé de la boire éternellement. Cette prière était
tout à fait conforme à la volonté de Dieu.
Sans doute les hommes, qui ont péché contre le Dieu
éternel, doivent être punis d'un châtiment éternel. Mais lorsque le
Fils de Dieu prend ces péchés sur lui, ses souffrances ont une valeur
éternelle, et peuvent ainsi, en vertu de la justice de Dieu, être
abrégées. Jésus ne fut pas immédiatement délivré de la coupe de ses
souffrances. Elle ne s'éloigna de lui que lorsqu'il eut tout
accompli et remis son esprit entre les mains du Père. Mais, en
Gethsémané aussi, le Sauveur savait que le Père l'exauce toujours,
qu'il ne repoussera pas sa prière et qu'il abrégera ses souffrances.
Jean Gerhardt dit : De même que le péché, bien que commis pendant
un temps très court, mérite une punition éternelle, parce qu'il
offense le Dieu éternel, ainsi les souffrances de Christ, bien que
subies pendant un temps très court, ont une vertu et une valeur
éternelles, parce que la personne qui souffre est le vrai Dieu et le
bien éternel.
Mais bientôt le Sauveur éprouve plus profondément encore
cette souffrance extraordinaire. Aux traits enflammés de la colère de
Dieu qui pénètrent dans son âme, viennent s'ajouter les traits
enflammés du malin. Satan lui souffle cette terrible tentation :
« Laisse là ton entreprise. Il en coûte trop cher pour sauver les
âmes. » Et étant en agonie, il priait
plus instamment, et il lui vint une sueur comme des grumeaux de
sang qui coulaient jusqu'à terre. Nos tourments de
conscience le torturent. Les frayeurs que la mort nous inspire le
remplissent d'angoisses. Les terreurs de l'éternité le bouleversent et
l'ébranlent jusque dans les dernières profondeurs de son être. Et en
vertu de l'union de l'âme et du corps, celui du Sauveur se trouve
enveloppé dans les tourments de l'âme. Le lien qui les unit l'un à
l'autre menace de se déchirer. La sueur a coulé à flots de son corps,
et maintenant elle est épuisée ; son sang, agité par l'intensité
de l'angoisse, s'échappe de ses veines avec violence par tous ses
pores et ruisselle en grosses gouttes jusqu'à terre. Le sang du Fils
de Dieu crie à la conscience de chaque pécheur : « Tu m'as
fatigué par tes péchés et tu m'as travaillé par les iniquités. (Ésaïe
XLIII, 24.)
Mais maintenant le Sauveur est à bout de forces. La
faible nature humaine est sur le point de succomber. Alors
un ange lui apparat pour le fortifier. Le Seigneur,
dans son amour, s'est tellement abaissé qu'il est obligé. lui, le Roi
de gloire, d'accepter le secours de l'un de ses serviteurs.
Lorsque nous, pécheurs, sommes oppressés par le chagrin
et la souffrance, nos pensées et nos sentiments sont tellement
absorbés par notre douleur, que les afflictions des autres nous
paraissent légères en comparaison des nôtres. Plus nous sommes
profondément courbés sous le poids de notre fardeau, plus nous
oublions facilement les besoins et les larmes de notre prochain. Si au
contraire, pendant nos jours de prospérité, nous avons l'occasion de
faire du bien à quelque âme, en consolant, en exhortant selon la
Parole de Dieu, dès qu'une détresse fond sur nous, ou qu'une douleur
nous blesse un peu profondément, nous croyons avoir un motif suffisant
pour nous éloigner de notre frère, pensant que nous avons assez à
faire à nous occuper de nous-mêmes.
Comme les dispositions du Sauveur sont différentes !
Même dans les heures déchirantes de sa douloureuse agonie, il n'oublie
pas ses disciples. Pendant que les ondes infernales font invasion dans
son âme, son coeur de Sauveur s'occupe des siens avec le tendre amour
d'une mère. Il ne pouvait espérer aucun secours de leur part, car
lorsqu'il vint à eux après avoir prié la première fois, il les trouva
endormis. Est-il possible, leur
dit-il, que vous n'ayez pu veiller une heure
avec moi ! Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point
en tentation, car l'esprit est prompt, mais la chair est faible.
- Ne blâmons pas et ne jugeons pas les disciples endormis, car en eux
se manifestent la tiédeur et la paresse de notre propre coeur. Dans
les travaux terrestres, dans les plaisirs mondains, on se maintient
facilement éveillé et dispos. Mais quand il s'agit de veiller avec
Jésus, de penser chaque jour et à chaque heure à son sacrifice et à
son amour, la tâche parait extrêmement difficile à notre chair
paresseuse, car nous oublions trop souvent ce qu'il lui en a coûté
pour nous sauver. Celte faiblesse de notre chair doit nous pousser à
nous plonger, en veillant et en priant, dans les souffrances
du Sauveur, afin que par le doux fruit de sa Passion, il fortifie en
nous l'esprit de franche volonté.
Après avoir prié pour la troisième fois, Jésus se leva,
vint vers ses disciples et les trouva encore endormis.
Vous dormez encore et vous reposez, leur dit-il ; voici
l'heure est venue et le Fils de l'homme va être livré entre les
mains des méchants. Levez-vous, allons, voici, celui qui me trahit
s'approche. Le Sauveur a traversé, en adorant et en
priant, l'Océan des péchés du monde. Il a pénétré jusqu'au coeur du
Père en accomplissant sa volonté. C'est là la nourriture qui le
restaure, le fortifie et le rend capable d'aller avec courage
au-devant du traître, afin de livrer son corps pour être martyrisé par
les mains des méchants.
Et comme il parlait encore, voici
Judas, l'un des douze, et avec lui une grande troupe de gens armés
d'épées et de bâtons, qui venaient de la part des principaux
sacrificateurs et des sénateurs du peuple. Pour plus de
sûreté et pour parer à toute éventualité, les principaux
sacrificateurs avaient demandé au gouverneur romain un détachement de
soldats armés qu'ils donnèrent à Judas avec leurs serviteurs. Et
celui qui le trahissait leur avait dit : Celui que je
baiserai, c'est lui, saisissez-le. Et aussitôt, s'approchant de
Jésus, il lui dit : Maître, je te salue ; et il le
baisa. Mais Jésus lui dit : Judas, trahis-tu ainsi le Fils de
l'homme par un baiser ? Après être convenu du
signe, Judas s'approche de Jésus et le baise. - Admirable
humilité ! Jésus connaît celui qui le trahit, et cependant il
consent à recevoir son baiser ! Ce baiser lui a sans doute fait
plus mal que les coups de poing que de grossiers soldats lui
appliqueront bientôt. Et cependant avec quelle douceur ne traite-t-il
pas le traître ! Par ces deux mots, il tente encore de toucher le
coeur de Judas, afin de voir si, au dernier moment, il ne se laissera
pas encore attirer. Mon ami, pour quel sujet
es-tu, ici ? Judas, trahis-tu ainsi le Fils de l'homme par un
baiser ? Ce saint amour de
Jésus ne fait aucune impression sur Judas. Il n'a pas voulu !
Mais gardons-nous d'entendre cette parole
vainement ! Lorsque nous nous approchons de Jésus de bouche et
que nous l'honorons des lèvres, puissions-nous voir vivante devant nos
yeux sa sainte personne torturée par les souffrances, et puisse cette
douloureuse question brûler nos consciences : N'est-ce pas là un
baiser de Judas ? Lorsque nous chantons les cantiques de la
Passion, et qu'en même temps nous caressons le péché qui a tué Jésus,
n'est-ce pas là un baiser de Judas ? Lorsque nous participons au
corps et au sang du Sauveur avec un coeur sans repentance, sans
crucifier le vieil homme avec ses passions et ses convoitises,
n'est-ce pas là un baiser de Judas ?
Le traître, ayant mauvaise conscience, s'était hâté de
conduire sa troupe ; mais après un tel accueil, il se retire,
couvert de confusion, dans l'obscurité. Les serviteurs des principaux
sacrificateurs, n'ayant pas vu le signe convenu, Jésus est obligé
d'aller lui-même au-devant d'eux. Personne ne lui ôte la vie ; il
la sacrifie lui-même dans toute la liberté de son amour. Et
Jésus qui savait tout ce qui devait lui arriver, s'avança et leur
dit : Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent :
Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C'est moi. Le
moment est arrivé où tout doit être accompli. Soumis à la volonté du
Père, Jésus choisit la croix. La mort ne le surprend pas. Il va
au-devant d'elle et se livre à sa puissance. - Toute la troupe est
accourue et entoure Jésus, mais ils ne le reconnaissent pas. Il faut
qu'il se désigne lui-même. Avec quelle facilité n'aurait-il pas pu
leur échapper ! Personne n'aurait pu l'arrêter. Mais il veut
boire la coupe que le Père lui donne à boire. Qui cherchez-vous ?
dit Jésus. Telle est la question qu'il adresse à ses persécuteurs et à
ses enfants. Qui cherchez-vous ? Depuis que Dieu s'est fait
homme, l'humanité se divise en deux partis : pour Christ
ou contre Christ. Il est impossible d'être indifférent. Tous
le cherchent ; les uns pour lier ses mains, pour ruiner son
règne ; les autres pour le servir et pour jouir de son amour et
du fruit de sa mort.
Lorsque Saul persécutait les chrétiens, il croyait servir
Dieu. Toutefois le Seigneur vint au-devant de lui
sur le chemin de Damas et lui dit d'un ton sévère : « Saul,
pourquoi me persécutes-tu ? » Saul poursuit les chrétiens,
mais, au fond, c'est Jésus de Nazareth qu'il cherche. Aujourd'hui
encore, les railleries et les haines qui s'adressent aux chrétiens
sont en réalité dirigées contre Christ. Elles frappent les chrétiens,
et cherchent cependant Jésus de Nazareth. Reconnaissons, malgré les
apparences, le véritable objet de la haine du monde ; ce sera
autant de gagné pour le miséricordieux amour dont nous devons être
animés, qui croit tout, supporte tout, espère tout, et qui nous
portera à prier pour que les Saul deviennent des Paul.
- Mais grâce à Dieu, il y a aussi des âmes qui marchent sur les traces
du Sauveur d'un coeur sincère et avec un ardent amour, tellement que
lorsqu'on leur demande : Qui cherchez-vous ? Elles répondent
sans hésiter : Jésus de Nazareth. Or, qui cherche trouve. Jésus
va au-devant de ses ennemis, mais combien plus volontiers ne vient-il
pas au-devant des coeurs qui cherchent sa grâce et ses
consolations ? Il se montre à ses ennemis qui le cherchent pour
lui lier les mains, en leur disant : C'est moi ! et ils
reculent et tombent par terre. Ils sont forcés malgré eux de
reconnaître sa majesté sainte. Mais avec quelle céleste joie ne dit-il
pas à l'âme avide de consolations : C'est moi, sois tranquille,
n'aie point de peur. Et alors toutes les douleurs et tous les soupirs
disparaissent ; alors les larmes sont séchées, le coeur inquiet
est rassuré et ses plaies sont guéries.
Jésus leur dit : C'est
moi ! et dès qu'il leur eut dit : C'est moi, ils
reculèrent et tombèrent par terre. Lorsque les
disciples virent Jésus sur la sainte montagne, dans le glorieux
rayonnement, de sa transfiguration, ils tombèrent aussi par terre
comme anéantis. Ici, il fait sentir aux soldats qui le cherchent pour
le lier, quelque chose de la gloire du Fils unique venu du Père, pour
montrer qu'il n'est dominé par aucune nécessité, mais qu'il se laisse
lier en vertu du don libre et volontaire qu'il fait de lui-même. Le
voilà donc, cet Agneau de Dieu, doux et humble de coeur, dont on
n'entend pas les cris dans les rues, mais qui ne lasse pas de faire
entendre sa puissante voix, lorsqu'il s'agit de se laisser juger et
mettre à mort par les pécheurs et pour les pécheurs.
Le voilà, cet homme désarmé en face de soldats venus contre lui, comme
s'il s'agissait de livrer un combat sanglant. Mais leurs armes ne leur
servent de rien. Le seul mot : « C'est moi, » les
renverse dans la poussière. - Ses ennemis de tous les temps se
trompent singulièrement à son sujet s'ils croient pouvoir le vaincre
par leurs armes. Ils trouvent en lui leur Maître ! Sa Parole est
un marteau qui brise les rochers. Ses adversaires n'ont de puissance
sur lui que celle qu'il veut bien leur donner, dans son amour pour les
pécheurs. Il ne veut pas leur perte, c'est pourquoi il ne commande pas
à la terre de s'ouvrir.
Il leur demanda encore une
fois : Qui cherchez-vous ? Et ils lui répondirent :
Jésus de Nazareth. Jésus répondit : Je vous ai dit que c'est
moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci.
C'était afin que celle parole qu'il avait dite fût
accomplie : Je n'ai perdu aucun de ceux que tu m'as donnés.
C'est avec des coeurs pleins de gratitude que les disciples
reconnurent l'amour de leur Maître, qui les préservait de tout danger.
« Laissez aller ceux-ci » tel fut le puissant sauf-conduit
qui garantit les disciples contre les mauvais traitements des soldats.
Alors ils mirent les mains sur Jésus et le saisirent. Alors
Pierre, ayant une épée, la tira et frappa un serviteur du
souverain sacrificateur, et lui coupa l'oreille droite. Et ce
serviteur s'appelait Malchus. Mais Jésus, prenant la parole, lui
dit : Arrête-toi, et ayant touché l'oreille de cet homme, il
le guérit. - Le Seigneur ne veut pas être défendu par
l'épée. Son règne n'est pas de ce monde. Pierre agit follement et ne
fait que préparer à son Maître, au milieu de ses souffrances, une
douleur de plus. Il devait en être ainsi. Lorsque le Seigneur,
toujours doux et patient, voit ses disciples animés d'un zèle charnel,
il ne peut pas les reconnaître pour ses imitateurs. Pierre veut bien
faire, mais il a négligé de veiller et de prier. C'est pourquoi, tout
en ayant de bonnes intentions, il agit mal. Un zèle aveugle ne peut
qu'être nuisible. Comme on peut facilement, sous l'empire d'un pareil
zèle, couper les oreilles aux gens, c'est-à-dire leur ôter le désir
d'entendre la Parole de Dieu !
Cependant on ne saurait nier que Pierre, en tirant l'épée
pour le Seigneur Jésus, ne montre un courage de
confesseur comme on n'en trouve pas précisément beaucoup de nos jours.
Il expose sa vie pour défendre Jésus. Il ne peut pas souffrir qu'on
fasse violence à son Seigneur. De nos jours, les uns étendent leurs
mains impies comme pour renverser le trône du Seigneur de gloire. Les
autres les contemplent d'un oeil parfaitement calme, comme si c'était
une chose qui ne les regarde pas. Ils se lient volontiers avec les
blasphémateurs et fréquentent leur société.
Assurément Pierre commet une faute en voulant défendre
Jésus avec l'épée ; mais que celui-là se garde de le condamner,
qui ne sait pas le défendre avec de meilleures armes, et qui le renie
par lâcheté. Jésus guérit l'oreille de cet homme. Il répare le mal que
Pierre a fait. Autrement, les soldats auraient rendu le Seigneur
responsable de l'action de Pierre, en disant : Tel qu'est le
disciple, tel est le maître qui l'a formé. - Oh ! que d'occasions
n'a-t-il pas de changer en bien le mal que nous faisons ! Plus
Pierre était convaincu que son zèle était agréable au Seigneur, plus
il doit être humilié par la sérieuse quoique douce réprimande que
Jésus lui adresse : Remets ton épée
dans le fourreau, car tous ceux qui prendront l'épée, périront par
l'épée. L'épée est donnée aux agents de l'autorité et
aux gens de guerre, mais celui qui, de son autorité privée, veut se
faire justice à soi-même, par une attaque qui peut amener la mort,
celui-là expose sa vie. C'est pourquoi toute rébellion et toute
révolution violente est taxée de péché. En revanche, la Parole du
Seigneur donne à l'autorité le droit d'infliger la peine de mort à
celui qui, d'une main criminelle, a abrégé la vie de son semblable.
Car le prince ne porte pas l'épée en vain. Il a le devoir de
s'en servir pour protéger les sujets paisibles contre les assassins.
Car si quelqu'un répand le sang humain, son sang doit être répandu par
un pouvoir humain.
Penses-tu que je ne puisse pas
maintenant prier mon Père, qui me donnerait plus de douze légions
d'anges ? La résistance à l'autorité était
contraire à l'ordre divin, mais elle était de plus parfaitement
inutile. Si Jésus avait dû être délivré de la violence des hommes, il
n'avait vraiment pas besoin de l'épée de Pierre. Les anges
de son Père étaient attentifs à son moindre signal. Lorsque Jésus
dit à Pierre : Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donné
à boire ? il reconnaissait que ce disciple n'avait fait que
traduire en action la Parole qui l'avait lui-même naguère autant
troublé qu'indigne : « Seigneur, aie pitié de toi-même, cela
ne t'arrivera point. » Les disciples ne peuvent comprendre ces
souffrances propitiatoires de Christ. C'est pourquoi il faut sans
cesse leur rappeler l'irrévocable décret du Père. Le Seigneur ne veut
pas éviter le calice de ses souffrances. Il veut le boire ; mais
s'il ne l'avait pas voulu, aucune puissance au monde n'aurait pu l'y
forcer.
Puis Jésus dit aux principaux
sacrificateurs, et aux capitaines du temple et aux sénateurs qui
étaient venus pour le saisir : Vous êtes venus avec des épées
et des bâtons comme après un brigand. J'étais tous les jours dans
le temple avec vous, et vous n'avez point mis la main sur moi.
Mais c'est ici votre heure et la puissance des ténèbres.
Avant que son heure fût venue, le Sanhédrin envoyait en vain des
émissaires pour saisir Jésus ; personne n'osait mettre la main
sur lui. Ils disaient au contraire : « Jamais homme n'a
parlé comme cet homme. » Mais maintenant le Père présente le
calice aux lèvres de son Fils. Il concède pour une heure à Satan le
pouvoir d'exercer sur le Fils de l'homme le droit qu'il a sur les
pécheurs. Mais c'est seulement pour une heure, qui passera rapidement,
et bientôt luira de nouveau le Soleil de Justice qui porte la santé
dans ses rayons.
Alors tous ses disciples
l'abandonnèrent et s'enfuirent. Et les soldats, le capitaine et
les sergents des Juifs prirent Jésus et le lièrent.
Quelques instants auparavant, tous les disciples avaient promis au
Seigneur de lui rester fidèles ; et maintenant tous
l'abandonnent. - D'abord arrogant, puis lâche, tel est le coeur humain
qui veut bien être consolé par Jésus, mais refuse de souffrir pour
lui. Quel spectacle ! Le Prince de la vie, le Seigneur de gloire,
les deux mains liées ! On ne traite ainsi que les malfaiteurs
dangereux, les hommes violents qui commettraient d'autres crimes si on
leur laissait les mains libres. - Mais ici on lie Jésus, qui est venu
en aide à tous les malheureux, dont les mains étaient constamment
étendues pour faire le bien, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour
rompre le pain à des milliers d'hommes et pour
bénir tous les coeurs angoissés et privés de consolations. On voudrait
presque souhaiter qu'il déchirât, ces liens, renversât encore une fois
ses ennemis dans la poussière et s'enfuit en passant sur leur corps.
Mais non ! nous ne voulons pas former ce voeu ; nous voulons
au contraire bénir ces liens avec des coeurs pleins de reconnaissance.
Malheur à ceux, qui ont lié Jésus !
Quant au Seigneur, nous lui rendons grâce de s'être
laissé faire, afin que par ces liens il nous délivre des chaînes d'une
éternelle obscurité. Les cordeaux du péché et de la mort nous auraient
enlacés pour l'éternité si Jésus ne s'était pas laissé lier pour nous.
La fausse liberté et la licence effrénée de nos péchés devaient être
châtiées par des liens : Jésus les porte pour nous. La puissance
captivante du péché est trop forte pour que nous puissions nous en
affranchir nous-mêmes. Mais si nous entrons par la foi dans la
communion de Jésus lié, notre vieil homme sera enchaîné, et le nouvel
homme, animé de la vie de la foi, pourra librement respirer.
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