C'est en avril 1538 que les deux
prédicateurs furent chassés. Beaucoup
de Genevois déplorèrent cette mesure,
ceux chez lesquels l'oeuvre de Dieu avait
été véritable et profonde.
Pendant un temps, tout sembla perdu. On aurait pu
croire la ville, après le départ des
réformateurs, tombée au pouvoir d'un
ennemi plus redoutable que le duc de Savoie. Les
désordres, les blasphèmes, les
querelles, l'ivrognerie et les disputes se
succédaient. Le souvenir de Genève
était pour Farel un lourd fardeau, qu'il
était obligé de remettre au Seigneur.
Il devait bannir de sa mémoire les jours
douloureux par lesquels il avait passé et
regarder à Christ, le suppliant de se
glorifier Lui-même et de tirer le bien du
mal, la bénédiction de la
misère et de la ruine. Mais de tout ce qu'il
souffrait, rien ne lui semblait aussi amer que
l'ingratitude de ceux qu'il avait aimés avec
tant de ferveur. Il écrivait de temps
à autre au petit troupeau de croyants
restés fidèles, ne faisant aucune
allusion à ses chagrins, ni à la
conduite des Genevois envers lui, mais les
suppliant de s'humilier devant Dieu afin qu'Il
pût les restaurer et les bénir.
Après un voyage accidenté, Farel et
Calvin arrivèrent à Bâle,
accablés de fatigue. Farel logea chez un
imprimeur ; pour la première fois il
éprouvait le besoin de prendre du repos.
Mais son répit fut de courte durée ;
en juillet ses anciens amis de Neuchâtel lui
écrivirent pour le supplier de venir
s'établir au milieu d'eux. Leurs lettres pleines
d'affection le rafraîchirent et
l'encouragèrent. Cependant il
répondit qu'il n'accepterait d'être le
pasteur de Neuchâtel qu'à la condition
qu'il lui serait laissé pleine
liberté de se rendre ailleurs toutes les
fois que le Seigneur l'y appellerait. Cette
condition ayant été acceptée,
le réformateur se rendit dans la paisible
petite ville, où il fut reçu à
bras ouverts et où il nous dit
lui-même que sans le souvenir de
Genève, il aurait été vraiment
heureux.
Désormais, et jusqu'à la
fin de sa longue vie, Neuchâtel sera son
pied-à-terre. Malheureusement le coeur
humain, à Neuchâtel comme. à
Genève, est toujours le même. Farel
devait en faire l'expérience une fois de
plus. Ainsi que Calvin, il avait compris
d'après la Bible que le Seigneur a
établi une discipline dans son
Église. Or peu après son
arrivée à Neuchâtel, des
difficultés s'élevèrent
à ce sujet. Une dame qui s'était
querellée avec son mari et refusait
d'habiter avec lui, se présenta à la
Table du Seigneur. Farel annonça
publiquement qu'elle ne pouvait être
reçue à là Cène, ses
amis prirent parti pour elle et demandèrent
à grands cris l'expulsion de Farel. Le
réformateur tint bon, prêt à se
retirer plutôt que de désobéir
au Seigneur. Mais cette fois ceux qui avaient
à coeur la gloire de Dieu furent les plus
forts, Farel resta, et la dame en question fut
excommuniée.
Au bout de trois ans, Calvin fut
rappelé à Genève, où il
recommença à constituer la
république genevoise. Il désirait que
Genève s'organisât sur le
modèle de la société de
l'Ancien Testament.
A partir de ce moment, l'histoire de
Genève devient distincte de celle de Farel.
Nous la laisserons de côté,
désormais, sauf dans une ou deux
circonstances.
En 1542, nous trouvons Farel à
Metz, prêchant à un auditoire de,
trois mille personnes, dans un cimetière qui
appartenait aux dominicains. En vain les ,moines
sonnaient leurs cloches et excitaient des
émeutes, la voix de
tonnerre du prédicateur dominait tout ce
bruit. A cette époque, la peste
éclata à Metz ; beaucoup de gens
s'enfuirent, mais Farel trouva au contraire que
c'était le moment de rester. Au milieu du
fléau, des persécutions, en face de
la mort, le réformateur continua son
travail. L'une des prières qu'il
prononça alors, nous a été
conservée. La voici : « Seigneur, tu
sais quelles sont les cruautés qu'on
accumule sur tes serviteurs. Nous voyons la terre
couverte de sang, les corps de tes saints
jetés à la voirie, le feu et la
fumée s'élevant vers le ciel ; on
massacre tes enfants de tous côtés.
Mais pour toute vengeance, nous te demandons
seulement que ta Parole ait son libre cours et que
Satan soit confondu. Accorde-nous cette
requête, Seigneur, car qu 1 est-ce que nos
corps et nos biens en comparaison des âmes,
ces âmes que tu as rachetées, ces
âmes dont quelques-unes soupirent
après toi, bien qu'elles te connaissent si
peu ? Père Éternel, fais en sorte que
nul ne soit reçu que ton Fils Jésus,
qu'il ne soit fait mention d'aucun autre, que rien
ne soit dit, ni fait, ni enseigné, ni
pensé, excepté ce qu'Il a
ordonné et commandé. »
Pendant que le réformateur
était à Metz, il faillit être
étranglé dans les environs par une
bande de femmes, puis il fut attaqué par des
hommes armés pendant qu'il prenait la
Cène avec trois cents croyants, et
grièvement blessé ; on dut le soigner
quelque temps à Strasbourg avant qu'il
pût reprendre ses travaux.
Ensuite, il fit une visite à
Genève ; les temps étaient
changés, Calvin devenait peu à peu le
chef de la république genevoise, il se
voyait honoré et obéi par les
citoyens les plus respectés.
Les habits usés et
déchirés de Farel attestaient sa
pauvreté et sa vie laborieuse. Le Conseil
lui fit faire un costume neuf. Mais le
réformateur voulait rester indépendant du Conseil
et
des Genevois, et être libre de leur dire la
vérité. Il refusa donc poliment le
présent offert. Il est réjouissant de
voir Farel rester toujours le même, « le
chétif prédicant »
envoyé, le bâton à la main,
dans le service du Seigneur et ne dépendant
que de Lui seul. C'était une plus belle
place que celle de dictateur dans la
république de Genève.
Calvin garda le costume, il
écrivait plus tard à Farel qu il
était encore chez lui, attendant que
quelqu'un voulût l'accepter. Il aurait bien
aimé que Farel vint s'établir
auprès de lui ; mais le Seigneur avait
donné une autre tâche à son
serviteur. Il lui avait tracé un sentier
moins remarqué des hommes et qui le
laissait. dans l'ombre, tandis que Calvin allait
acquérir un renom égal à celui
de Luther.
Néanmoins Calvin éprouvait
une très sincère amitié pour
Farel, et n'ayant pas réussi à le
retenir à Genève, il espéra
que le Conseil de Berne lui donnerait la place de
professeur à Lausanne.
De cette manière son ami serait
peu éloigné de lui et occuperait un
poste distingué.
Mais Farel n'était pas
destiné aux honneurs de ce monde et du reste
Berne le regardait avec froideur, ne lui ayant pas
pardonné son opposition aux jours
fériés, aux pains sans levain et aux
fonts baptismaux.
Heureusement pour lui, Farel put
continuer sa route sans être entravé
par les dignités et les titres, n'ayant
d'autre maître que Christ. Il disait que le
seul nom auquel il aspirât, c était
celui de prédicateur de l'Évangile de
Dieu. Les années passaient et Farel
travaillait toujours. - Nous retrouvons ses traces
à Montbéliard, à Metz,
à Genève, en Allemagne et dans
diverses villes de France.
Enfin, en 1553, Calvin reçut la
nouvelle que Farel, qui avait alors soixante-quatre
ans, était mourant à Neuchâtel.
Il se rendit en toute hâte auprès de
lui, mais après lui avoir
fait une visite de quelques jours il repartit, ne
pouvant supporter de le voir mourir. Cependant le
Seigneur exauça les prières des siens
et Farel se rétablit ; peu après il
prêchait comme par le passé.
Dans l'automne de cette même
année, Calvin supplia son vieil ami de venir
à Genève. Cette invitation avait lieu
dans de tristes circonstances. Depuis quelque temps
un Espagnol, Michel Servet, prêchait,
enseignait, et publiait des erreurs
blasphématoires ; il niait entre autres la
divinité du Seigneur Jésus. Servet
entraîna plusieurs des libertins de
Genève, qui furent bien .aises de trouver
l'occasion de contredire et d'attaquer Calvin,
lequel avait parlé sévèrement
des hérésies de Servet.
Jusque-là nous pouvons approuver Calvin; il
agissait comme un fidèle serviteur de Dieu.
Mais il commettait une grave erreur en
plaçant les chrétiens sous la loi
ancienne des dix commandements, et en croyant que
les châtiments prescrits par la loi de
Moïse contre les hérétiques,
devaient encore être appliqués tels
qu'ils sont indiqués dans le chapitre
vingt-quatrième du Lévitique. Il
croyait sincèrement qu'on ne devait pas
laisser vivre les hérétiques et les
blasphémateurs. Ceci ne doit point nous
étonner, car il avait été
élevé comme tous ses contemporains
dans l'idée que l'hérésie doit
être punie de mort; Rome enseignait. cette
erreur depuis des siècles. Si des
péchés contre l'homme tels que le
meurtre, par exemple, doivent être punis de
mort, combien Plus, disaient les docteurs papistes,
les péchés contre Dieu !
Cet argument était plausible en
apparence et nous ne pouvons pas nier qu e
pécher contre Dieu ne soit pire que
pécher contre l'homme. Mais le Seigneur
Jésus avait prévu la conclusion que
les siens pourraient en tirer. Il avait donc dit
à ses disciples que Satan sèmerait de
l'ivraie parmi le bon grain, et que ses serviteurs voudraient
l'arracher ; et
il
leur avait donné l'ordre de laisser l'ivraie
et le bon grain croître ensemble dans le
champ qui est le monde, jusqu'à la moisson.
Ensuite, au temps de la moisson, le Seigneur
enverra ses anges lier l'ivraie en faisceaux pour
être brûlée.
Mais l'Église qui avait
abandonné les enseignements de
Jésus-Christ pour retourner aux coutumes
judaïques, aux autels et aux sacrifices,
abandonna aussi la grâce pour la loi, quant
aux hérétiques, elle se chargea de
brûler l'ivraie.
De nos jours on est plus
éclairé, mais ne nous en glorifions
pas, car souvent nous tombons dans l'autre
extrême. Le Seigneur avait dit : Le champ
c'est le monde ; or il arrive maintenant à
beaucoup de chrétiens d'agir comme si le
champ était l'Église. Cette erreur
nous conduit à ne plus faire aucune
distinction entre les croyants et les
incrédules, entre ceux qui sont sains dans
la foi et ceux qui croient et enseignent des
hérésies, entre ceux qui vivent
sobrement, justement, pieusement, et ceux qui ne
vivent que pour eux-mêmes, étant
rebelles à la volonté et à la
pensée de Dieu. Les protestants de nos
jours, aussi bien que les papistes d'alors,
trouveraient des avertissements importants dans la
seconde épître aux Thessaloniciens,
chap. III, versets 14 et 15, et dans Tite III, 10
et 11.
Dans ce temps-là, le
clergé ne comprenait pas qu'éviter un
homme et lui refuser la communion avec
l'Église dans l'espérance de l'amener
à se repentir, n'est pas du tout la
même chose que de le mettre à mort.
Les protestants de nos jours, au
contraire, ne voient pas que c est
désobéir au Seigneur, que de recevoir
à sa Table et dans la communion
chrétienne ceux qu'Il nous a ordonné
d'éviter et de refuser.
Calvin n'avait pas entièrement
désappris les doctrines romaines et Farel
non plus ; les deux réformateurs crurent
donc sincèrement que le Conseil de
Genève faisait son devoir
en arrêtant Servet et en le mettant à
mort. Il fut condamné à être
brûlé vif. Ce qu'il y a
d'étrange c est que nul n'a saisi avec plus
d'empressement cette occasion de blâmer
Calvin~ que l'historien catholique qui a
écrit sa vie. On pourrait supposer, en
lisant ce qu'il dit à ce sujet que
brûler les hérétiques
était une atrocité qui n'était
jamais venue à l'esprit d'aucun autre
chrétien. Il semble que ce soit un crime
dont les annales de Rome n'offrent aucun exemple.
Nous savons ce que l'histoire raconte à ce
sujet. Pour ne citer qu'un seul pays, l'Angleterre,
cinq ans après le supplice de Michel Servet,
vit des centaines de bûchers allumés
par les prêtres.
Calvin, plus miséricordieux que
le Conseil de Genève, le supplia de faire
décapiter et non brûler Servet, mais
on refusa d'accéder à sa
requête. C'est alors qu'il pria Farel de
venir tenter un dernier effort pour amener le
misérable à la repentance.
Farel vint donc et alla visiter Servet
dans sa prison, le suppliant de reconnaître
Jésus-Christ pour son Dieu. Mais Servet ne
voulut point l'écouter. Farel joignit
ensuite ses instances à celles de Calvin
pour que le Conseil ne fit pas mettre à mort
l'hérétique d'une façon si
cruelle, mais ses efforts furent vains. On chargea
Farel de la triste corvée d'accompagner le
condamné au lieu de l'exécution ; il
essaya encore inutilement de lui parler du Dieu que
le malheureux reniait ; l'Espagnol maintint son
hérésie jusqu'à son dernier
soupir et Farel s'en retourna tristement à
Neuchâtel.
Les libertins prirent occasion de la
mort de Servet pour formuler de nouvelles plaintes
contre Calvin. Cependant il est certain que si
Calvin n'était pas rentré à
Genève, le Conseil n'aurait pas agi
autrement à l'égard de Servet. Il
n'était pas difficile d'exciter l'opinion
publique contre l'austère réformateur
; il y avait bien des gens qui
ne l'aimaient guère, parce qu'en beaucoup de
choses il se montrait un fidèle serviteur de
Dieu.
Calvin fut donc sur le point de quitter
de nouveau la ville. Farel apprenant ce qui se
passait, se rendit en toute hâte à
Genève, il y fit entendre de
sévères répréhensions,
puis il repartit aussi vite qu'il était
venu.
Le Conseil genevois, harcelé et
dominé par les chefs du parti des libertins,
leur donna pour le Conseil de Neuchâtel une
lettre ayant pour objet de réclamer Farel
qui devait être conduit à
Genève afin d'y être jugé ; les
libertins espéraient qu'il serait
condamné à mort.
Calvin fit avertir son ami du danger qui
le menaçait. Le vieil
évangéliste se mit aussitôt en
route, à pied, par une tempête de
pluie et de vent, et alla se présenter
à Genève.
Il s'en suivit une scène qui doit
avoir rappelé au réformateur sa
première visite dans cette même
cité, vingt ans auparavant. Il se trouva
comme alors au milieu d'une foule hostile et
violente qui couvrait sa voix par ses cris de
colère. Au Rhône ! criait-on de toutes
parts dans la salle du Conseil. Parmi ses
principaux ennemis se trouvait cet Ami Perrin qui
avait été autrefois chez le vicaire
épiscopal, pour le défier de
contredire les sermons de Froment.
Farel dit de lui que c'était un
pilier de cabaret. Le cas d'Ami Perrin vaut la
peine que nous nous y arrêtions un instant,
car il nous montre qu'il est facile d'avoir le
coeur rempli d'inimitié contre Dieu, tout en
étant zélé, protestant. Le
papisme est un joug pesant pour le coeur naturel
qui ne veut aucune espèce d'entraves ou de
tyrannie ; ce n'est donc pas étonnant qu'il
se débarrasse du papisme. Mais le coeur
naturel craint encore plus le joug de la Parole de
Dieu et l'autorité de Christ que celui d'une
fausse religion. Si Farel n'avait été que
protestant, 'il aurait pu devenir le héros
de Genève. Mais il était
appelé à partager l'opprobre de
Christ. Cependant, il y avait encore des
chrétiens sincères à
Genève ; ceux qui avaient reçu
l'Évangile par le moyen de Farel se
groupèrent autour de lui et
défièrent ses ennemis de toucher un
cheveu de sa tête. Il se fit alors un silence
et le vieillard put prendre la parole pour
présenter sa défense, son plaidoyer
respirait une puissance, une ferveur qui
atteignirent même les coeurs de ses ennemis,
entre autres d'Ami Perrin. Le Conseil
l'écouta avec respect et
déférence. Quand Farel eut fini de
parler, la majorité du Conseil le
déclara innocent. On reconnut qu'il avait
agi comme un serviteur fidèle ; ses
reproches et ses avertissements furent
acceptés. Ami Perrin convint que Farel avait
raison. Tous lui tendirent la main en signe de
réconciliation, et ils l'invitèrent
à dîner avec eux en public, comme
preuve d'amitié, avant qu'il quittât
la ville. Après cela, de meilleurs, jours se
levèrent pour la petite république.
Le conflit entre la lumière et les
ténèbres s'apaisa ; Genève
devint un centre lumineux au milieu des ombres
épaisses de la chrétienté. En
effet, cette ville servit bientôt de refuge
à tous les chrétiens
persécutés en France. Farel fit la
connaissance de ces étrangers et jouit
beaucoup de la communion fraternelle avec eux. A
partir de ce moment, le nom de Genève fera
dans l'histoire de l'Église un contraste
honorable avec celui de Rome.
La circonstance la plus importante que nous
ayons à signaler dans la vie de Farel,
à cette époque, est bien celle
à laquelle nous aurions le moins
pensé. A l'âge de soixante-neuf ans,
il épousa une de ses compatriotes qui avait
quitté la France à cause de sa foi,
Marie Torel. Depuis quelques années, elle
habitait à Neuchâtel, et sa
mère, qui était veuve, dirigeait le
ménage de Farel. Marie était une
jeune femme pieuse et modeste et paraît avoir
été une bonne épouse. Cinq ou
six ans après son mariage, Farel eut un
petit garçon qu'il appela Jean, probablement
en souvenir de Calvin.
Calvin ne paraît pas avoir
été satisfait de ce mariage. On dit
qu'il resta muet d'étonnement, ce qui n'est
pas précisément exact ; au contraire,
Calvin fit plusieurs remarques
sévères à ce sujet, il
trouvait que Farel faisait une folie digne de
pitié. Cependant, le mariage du vaillant
réformateur ne l'empêcha point de
porter la Parole du Seigneur partout où son
Maître l'envoyait. En 1560 ou 1561, il
entreprenait un dangereux voyage. Malgré ses
labeurs incessants, il n'avait jamais oublié
le lieu de sa naissance, les Alpes
françaises. Depuis l'époque
où, après avoir quitté Meaux,
Farel prêcha en Dauphiné, plusieurs de
ceux qui l'avaient entendu
s'étaient employés à faire
connaître la Parole de Dieu dans leurs
contrées. En outre, Farel envoyait
fréquemment dans son pays des colporteurs
qui répandaient des Bibles et dont les
efforts n'avaient pas été vains,
grâce a Dieu. Les compatriotes du
réformateur ne l'avaient pas oublié
non plus ; en 1560, quelques
délégués arrivèrent de
Cap à Neuchâtel et le
supplièrent de venir les visiter encore une
fois.
Le vieillard se remit en route avec une
Bible et le bâton à la main ; peu
après, il prêchait comme au temps de
sa jeunesse dans ses montagnes natales.
Pendant un certain temps, il
prêcha sur la place du marché à
Cap ; ses auditeurs lui demandèrent ensuite
de le faire dans une église. Le gouvernement
défendit alors de prêcher ailleurs que
dans des maisons particulières, mais
l'église étant le seul local assez
vaste pour contenir la foule, Farel n'en continua
pas moins à la réunir dans cet
édifice.
Le procureur du roi reçut l'ordre
de faire saisir ce prédicant rebelle, mais
le procureur était un de ceux qui avaient
cru à l'Évangile ; il refusa
d'arrêter Farel. On envoya alors un autre
procureur avec une compagnie de sergents qui se
présentèrent à la chapelle de
la Sainte-Colombe à l'heure du prêche.
La porte était fermée en dedans. Les
sergents y frappèrent rudement, et comme
personne n'ouvrait, ils forcèrent la serrure
et entrèrent. L'édifice était
comble d'un bout à l'autre, mais tous les
yeux étaient rivés sur le
prédicateur et nul ne bougea. Farel ne
s'interrompit pas non plus, jusqu'à ce que
les sergents, s'étant frayé un
passage à travers l'auditoire,
montèrent dans la chaire et se saisirent de
l'hérétique ayant à la main le
corps du délit, la Bible.
Farel fut emmené et
enfermé dans un cachot ; on ignore comment
les amis de l'Évangile réussirent
à le faire sortir de prison pendant la nuit.
Il se rendit à la faveur des
ténèbres sur les remparts de la
ville, et comme Paul autrefois,
on le descendit dans une corbeille. D'autres amis
l'attendaient sous les murs pour le conduire en
sûreté à Neuchâtel.
L'année suivante, Farel reparut
dans les montagnes du Dauphiné; les
réformés venaient de recevoir la
permission de se réunir en plein air, pourvu
que les officiers du roi fussent présents.
Parmi l'auditoire se trouvait le vieil
évêque de Gap, Gabriel de Clermont. Un
prêtre qui a écrit l'histoire de ces
temps-là, nous dit qu'à la fin d'un
des sermons, ce vieillard se leva,et jetant
à terre la mitre et la crosse qu'il avait
portées pendant trente-cinq ans, il les
foula aux, pieds, déclarant qu'il voulait
suivre le Seigneur Jésus avec maître
Farel.
Peu de temps après, la foi de
l'ex-évêque fut mise à
l'épreuve. De terribles persécutions
fondirent sur les évangéliques des
environs de Gap ; ils prirent la résolution
de quitter leurs demeures pour chercher un refuge
ailleurs.. Ils se mirent en route au nombre -de
quatre cents, ayant à leur tête Farel
et l'ancien évêque de Gap. Cependant,
la semence déposée dans les coeurs
avait germé et jeté de profondes
racines, et malgré cette émigration,
la lumière évangélique s'est
maintenue jusqu'à nos jours dans cette
contrée.
Après le retour de Farel à
Neuchâtel, son aide, Christophe Fabri, le
quitta pour se rendre à son tour en
Dauphiné, accompagné de Pierre Viret.
Les deux amis s arrêtèrent à
Lyon, où régnait une peste terrible ;
ils pensaient que les malades et les mourants
seraient accessibles à la bonne nouvelle
qu'ils prêchaient.
« Ni la vie, ni ma femme, ni mes
enfants, écrivait Christophe Fabri, ne me
sont si chers que le Seigneur Jésus et son
Église. »
Pendant que Farel continuait à
travailler à Neuchâtel, la
carrière de Calvin touchait à sa fin.
Au printemps de 1564, Farel reçut de son ami
la lettre suivante : «
Adieu, mon meilleur et mon plus fidèle
frère, adieu ! Puisque le Seigneur a voulu
que tu demeures et que je parte, n'oublie jamais
notre amitié qui portera des fruits
éternels en ce qu elle a été
utile à l'Église de Dieu. Ne prends
pas la peine de venir me voir, je t'en supplie. je
ne respire qu'avec peine et je m'attends à
déloger à chaque instant. je sais que
je vis et je meurs en Christ. Adieu encore une fois
à toi et aux frères. »
Farel se mit aussitôt en route pour
Genève ; il eut le bonheur de trouver Calvin
encore vivant. Les deux amis s'entretinrent une
dernière fois du Seigneur qu'ils aimaient,
et, quelques jours après Calvin était
recueilli dans les demeures éternelles.
Farel arrivait, lui aussi, au terme de
sa course ; il était âgé de
soixante-quinze ans ; ses travaux incessants
auraient tué tout autre moins robuste que
lui. Mais jusqu'à ce que son Maître
l'appelât, il, ne voulut point se reposer.
Après la mort de Calvin, Farel
entreprit un dernier voyage à Metz ; il
risquait sa vie pour aller « semer l'ivraie
», disait l'évêque, mais nul
péril ne l'arrêtait.
Et cette fois encore, sa
prédication fut empreinte d'une puissance
qui releva et consola le troupeau
persécuté de Metz.
Enfin, après l'un de ses sermons,
il tomba épuisé et ses amis eurent
grand'peine à le transporter à
Neuchâtel. Arrivé chez lui, il resta
couché, trop faible pour se remuer, mais sa
chambre était sans cesse remplie de ceux qui
l'aimaient, qui venaient lui dire adieu et recevoir
ses dernières paroles.
Le 13 septembre 1565, à
l'âge de soixante-seize ans, Guillaume Farel
fut admis en la présence de son Seigneur,
quinze mois après Calvin. Son corps repose
dans le cimetière de Neuchâtel, mais
personne ne sait plus où est sa tombe, sinon
Celui à la voix duquel elle s'ouvrira
bientôt. Tous ceux qui
visitèrent Farel pendant sa dernière
maladie, eurent un avant-goût du ciel qu'ils
ne purent jamais oublier. « Ceux qui le
virent, nous dit-on, s'en retournèrent
donnant gloire à Dieu » ; c'est ainsi
que le pieux évangéliste fut encore
utile, par sa mort édifiante, aux
intérêts de la cause qu'il avait si
fidèlement servie.
il y eut un deuil général
à la nouvelle de sa mort. Son ami Christophe
Fabri resta à Neuchâtel pour prendre
soin du troupeau qui lui avait été si
cher. Le petit Jean Farel mourut deux ans
après son père. Telle est l'histoire
de ce fidèle chrétien, qui n'a
recherché autre chose que d'être un
ouvrier approuvé de Dieu, qui n'a
désiré d'autre joie que celle de voir
glorifier Jésus-Christ. « Les honneurs,
les richesses, lés plaisirs de ce monde,
dit-il, ne nous ont pas été
proposés. Nous avons à servir le
Seigneur, c'est tout ce qui nous est offert. »
Il fut fait à Farel selon sa foi ; il a joui
de l'affection de tous ceux qui aimaient le
Seigneur, mais il a eu aussi sa grande part de
mépris, d'insultes, d'opprobre et de haine ;
des souffrances de tout genre et des travaux
incessants ne l'ont jamais abattu. Tandis que les
noms de Calvin et de Luther sont
célèbres et que chacun connaît
leur histoire, on n'a guère entendu parler
des cinquante années de travaux de Guillaume
Farel. Peu d'hommes, après avoir autant
travaillé, sont tombés aussi
promptement dans l'oubli, et même ses rares
écrits sont presque inconnus.
Il y a peut-être à ce fait
singulier une raison que nous n , aimons pas
à nous avouer. Le message dont Farel fut
chargé n'était pas agréable au
coeur naturel de tous. « Que nul ne
s'étonne, disait Farel, si je ne puis
supporter qu'on mêle Jésus-Christ et
son Évangile à des
cérémonies que Dieu n'a point
commandées, si je ne puis souffrir qu'on
prêche et qu'on enseigne des choses qui ne sont
pas
dans
l'Évangile, ni qu'on cherche le salut, la
grâce dans les choses d'ici-bas et non point
en Jésus-Christ seul. Qui pourrait me
condamner avec justice si je dis qu'il n'y a point
d'autre Évangile, point d'autre bonne
nouvelle de salut qu'en Jésus-Christ seul.
» C'est pourquoi, lorsque ces Pères
célèbres dans les temps anciens
parleraient autrement, et même si les anges
du ciel venaient nous annoncer un autre
Évangile, ne puis-je pas toujours dire avec
l'apôtre Paul, qu'ils soient anathème
? Jésus-Christ et son Évangile !
Sont-ce là des choses avec lesquelles on
puisse mêler des inventions des hommes ?
Est-ce que les hommes ont la permission d'y ajouter
ce qui leur paraît bon et juste ?» je
suis convaincu que cette liberté que
prennent les hommes et qui consiste à
établir et à garder les observances
humaines dans l'Église de Dieu, n'est pas
une liberté qui vienne de
Jésus-Christ, mais une licence qui a
été forgée sur l'enclume de
l'enfer.
C'est une liberté qui nous
affranchit de l'obéissance et du service de
Jésus-Christ pour nous rendre esclaves de
Satan et de l'iniquité. Ne vaut-il pas mieux
être les esclaves de Dieu et nous sentir
affranchis de tout ce que Jésus-Christ n'a
pas commandé et qui n'est pas contenu dans
sa Parole, en sorte que Lui et son Évangile
béni règnent seuls dans nos coeurs !
Que le Seigneur nous donne dans sa grâce un
coeur honnête et un sentiment vrai de ce qui
Lui est dû, qu'Il nous donne une intelligence
aussi claire et un don de l'Esprit aussi excellent
qu'à l'apôtre Paul, afin que nous
soyons gardés de mélanger, de
professer, d'observer dans l'Église de
Jésus-Christ quoi que ce soit qu'Il n'ait
pas commandé... Soumettons à une
sainte discipline ce qui doit être admis,
rejetant ce qui doit être rejeté ; de
sorte que rien ne se fasse ni ne se dise qui ne
soit pas purement et simplement
selon la Parole de Dieu, par laquelle seule touue
-péchert devrait être ordonné
et gouverné !
Et que cette Parole soit la seule
autorité pour l'Église sans qu'on y
ajoute ni qu'on en retranche rien de ce que nous y
trouvons. »
Chers lecteurs, ayant cru en
Jésus, l'ayant connu comme Celui qui nous a
sauvés pleinement, parfaitement et pour
toujours du péché et de la
condamnation, l'ayant connu comme Celui qui
siège dans la gloire et qui en même
temps habite dans son Église par l'Esprit,
puissions-nous Lui obéir en
simplicité et en vérité comme
l'écrit Farel.
Si le Seigneur daignait employer
l'histoire de la vie de son serviteur pour amener,
ne fût-ce qu'une seule âme a suivre le
bon Berger, ce serait la continuation de l'oeuvre
qui faisait la joie de Guillaume Farel. Ainsi
quoique mort, il parlerait encore pour la gloire de
son Maître. « Non pas, disait-il, afin
que j'aie des disciples qui suivent mon
enseignement et desquels je sois le chef, mais afin
que quelques-uns deviennent avec moi disciples de
Jésus, le Crucifié,... afin que
quelques-uns portent leur croix après Lui et
le reconnaissent comme leur Seigneur. »
« Il n'y a pas un seul homme sur la
terre, ajoute Farel, ni un ange dans le ciel, qui
puisse dire en vérité que j'aie
attiré des disciples à moi et non
à Jésus. » Ainsi Dieu fit
à son serviteur l'honneur signalé de
ne pas permettre qu'il eût un seul disciple
se rattachant à son nom. Il. lui a
accordé de rassembler les hommes non point
autour d'un homme, mais de. leur présenter
Christ dans le ciel comme unique centre de
ralliement. « Si nous le connaissons,
écrivait Farel, il faut que ce soit
là où Il est, dans le ciel, à
la droite du Père. »
C'est
vers Christ
seul que Farel dirigeait tous les regards et tous
les coeurs. «La foi, disait-il, ne se tourne
que vers Dieu et ne reçoit que ce qui est de
Dieu. Tout ne lui est rien, excepté Dieu.
Rien ne lui plaît., excepté Dieu et sa
Parole. » Et maintenant prenons congé
de ce fidèle chrétien auquel la voix
du Seigneur était si bien connue. Le jour
vient où à l'ouïe de cette
même voix son corps qui depuis si longtemps
repose dans le vieux cimetière de
Neuchâtel, ressuscitera en gloire pour aller
à la rencontre du Seigneur sur les
nuées. Chers lecteurs, puissiez-vous tous le
rejoindre dans la gloire éternelle, ayant
compris comme lui, par la grâce et la
bonté de Dieu, la vertu et la valeur du sang
de Christ.
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