Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXXIX

Le siège de Grandson.

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Vous rappelez-vous le village de Tavannes près de Bienne, où les images furent brisées après une visite de Farel et de Froment ? Depuis ce temps-là, un évangéliste pieux, nommé de Glantinis, s'était établi à Tavannes, et à l'époque dont nous parlons, il vint aider Farel qui avait en vue une nouvelle expédition.

Au bord du lac de Neuchâtel, il y avait une ville qui n'avait pas encore ouvert ses portes à l'Évangile, c'était Grandson. A l'entrée de la ville s'élevait un vaste monastère appartenant à des moines gris; c'est chez eux que Farel dirigea d'abord ses pas, accompagné de son ami de Tavannes. On les fit entrer dans le parloir, et le supérieur, Guy Régis, vint s'enquérir très poliment de ce qu'ils désiraient. « Nous sommes venus, répondit Farel, pour vous demander la permission de prêcher dans la chapelle attenante à ce couvent. » A l'ouïe de cette requête, les moines devinèrent qu'ils avaient devant eux le fameux Farel. Hérétique ! s'écria le supérieur; fils de juif ! reprit un autre frère, et les deux étrangers furent expulsés du parloir en toute hâte. Le bruit de l'arrivée de Farel se répandit en ville avec la rapidité de l'éclair, et lorsqu'il se présenta chez les Bénédictins, ceux-ci étaient préparés à le recevoir. Farel s'étant adressé à eux avec la même demande, à savoir la permission de prêcher dans leur chapelle, en guise de réponse I un des moines se précipita sur lui avec un pistolet. De Glantinis arrivait au secours de son compagnon, lorsqu'un autre religieux l'attaqua avec un couteau. A ce moment, des amis, qui attendaient dehors le résultat de la visite des deux évangélistes, entendant du bruit, pénétrèrent dans le couvent, et, retirant les prédicateurs des mains des religieux, ils les emmenèrent. Après cela, les Bénédictins eurent si peur d'une seconde visite, qu'ils tinrent toutes leurs portes verrouillées et se barricadèrent chez eux pendant quinze jours.

Farel s'en alla prêcher dans les villages d'alentour, et de Glantinis resta à Grandson, où il eut la partie belle, prêchant dans les rues à des foules considérables, tandis que les moines restaient cachés derrière leurs murailles.
Quelques seigneurs de Berne, se trouvant à Neuchâtel, apprirent comment Farel avait été reçu à Grandson. Ces messieurs se rendirent aussitôt dans cette ville, y firent revenir Farel et donnèrent ordre de lui ouvrir toutes les églises, qui se remplirent d'auditeurs.
La paisible petite ville se divisa alors en deux partis; les nombreux catholiques paradaient en corps dans les rues, portant une pomme de pin à leur chapeau pour défier Messieurs de Berne. Les magistrats se rangèrent du côté des catholiques au bout de quelques jours; plus tard, poussés par les moines, ils arrêtèrent les deux évangélistes et les mirent en prison; ils furent obligés de les relâcher peu après. Alors les moines firent venir de Lausanne un prêtre étranger pour prêcher le 24 juin, fête de la Saint-Jean. Après le sermon, Farel se leva pour répondre (comme c'était l'usage alors). Mais le bailli de Grandson, ennuyé de son intervention, lui lança un coup de poing. Ce fut le signal d'une attaque générale. Les magistrats, le clergé et une partie des bourgeois tombèrent sur les évangélistes et les maltraitèrent «merveilleusement», dit la chronique.

Leurs amis envoyèrent aussitôt chercher un officier bernois à Colombier. Il arriva immédiatement, appela les magistrats et déclara que Farel et le moine de Lausanne prêcheraient chacun à son tour et que le peuple devrait les écouter. Ces prédications furent fixées au lendemain. Dans l'intervalle, les moines cherchèrent à exaspérer l'opinion publique contre Farel en répandant le bruit qu'il avait l'intention d'aller renverser secrètement le grand crucifix de l'église. Deux moines nommés Tissot et Gondoz, ajoutant foi à ce conte, pensèrent être agréables à Dieu en cherchant à tuer Farel. Ils s'armèrent de haches qu'ils cachèrent sous leurs vêtements et se postèrent devant le grand crucifix. Mais le temps passait et Farel n'arrivait point. Enfin des pas se font entendre et deux étrangers entrent dans l'église. Tissot et Gondoz, certains d'avoir affaire avec les hérétiques, leur disent: « Reculez, vous n'entrerez pas ici »; l'un d'eux même poussa assez rudement celui des deux étrangers qui marchait le premier. C'était l'avoyer bernois de Watteville, accompagné de son domestique, entré pour entendre la prédication. « Tout beau, dit-il gravement, il ne faut pas tant s'échauffer. » Mais le serviteur, moins patient que son maître, saisit le frère par le bras et toucha accidentellement la hache que celui-ci tenait cachée. Le domestique s'empara de cette arme et il en aurait frappé le moine, si son mettre ne l'en avait empêché. Les deux catholiques, épouvantés, se sauvèrent.

De Watteville résolut alors de monter la garde à son tour pour les évangéliques; il posta son valet à l'entrée de l'église, ayant sur l'épaule la hache qu'il avait prise au moine. Peu de moments plus tard, une vingtaine de femmes parurent; elles se dirigeaient vers les galeries, chacune d'elles tenant son tablier relevé et serré avec quelque chose dedans. Les allures de ce bataillon paraissant suspectes au valet bernois, il courut sus en brandissant sa hache. Les femmes, surprises et effrayées, s'enfuirent en poussant des cris de terreur Dans leur trouble, elles laissèrent tomber leurs tabliers, et les dalles de l'église se trouvèrent couvertes de cendre et de terre. Les femmes avaient formé le projet de se cacher dans les galeries, aussi près que possible de la chaire, puis, quand Farel parlerait, de faire pleuvoir sur lui la boue et la terre qu'elles apportaient.
Le sieur de Watteville, de son côté. n'avait pas perdu de temps. Il avait poursuivi Tissot et Condoz, les avait fait arrêter et mettre au cachot pour quinze jours.

La prédication put enfin commencer sans entrave, et l'on entendit Farel et son adversaire chacun à son tour. Mais le réformateur pensait aux deux malheureux fanatiques qui avaient voulu l'assassiner, et, aussitôt la conférence finie, il se rendit vers eux pour leur parler de I amour de Dieu et de la grâce de Christ. Ces pauvres gens furent stupéfaits en découvrant que l'hérésie qu'ils redoutaient si fort n'était autre chose que l'histoire de la croix de Christ. Ils crurent à l'amour de Jésus par le moyen de Farel, et trouvèrent ainsi le repos de leurs âmes. Lorsqu'ils sortirent de prison quinze jours plus tard, ce fut pour aller proclamer les grandes choses que le Seigneur avait faites pour eux, et ils devinrent de fidèles prédicateurs de la doctrine qu'ils blasphémaient jadis.


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CHAPITRE XL

Les batailles du Seigneur.

 

Dans les villes et les campagnes, de tous côtés, de nombreux pécheurs, hommes et femmes, venaient au Sauveur pour avoir la paix. C'était une grande joie pour Fard au milieu de ses difficultés. Outre l'opposition des catholiques, il avait encore à supporter bien des choses qui venaient de la chair et non de l'Esprit, même parmi les défenseurs de la cause de l'Évangile. Les auteurs catholiques font de tristes récits des violences commises par les réformés, mais il ne faut pas oublier que ces écrivains pensaient ne point faire mal en mentant dans le but de servir les intérêts de l'Église. Ils appelaient cela une « fraude pieuse ». Farel nous dit que dans plusieurs endroits les images furent brisées en secret par les prêtres eux-mêmes, soit pour exciter les papistes contre les réformés, soit pour gagner de l'argent en vendant les débris des images aux dévots comme reliques. « Mais, dit encore Farel, il y a aussi des gens qui brisèrent les images par orgueil et par méchanceté. »
Puis bien des gens entraient dans le courant des idées nouvelles parce qu'ils détestaient les prêtres, ou simplement par amour pour la nouveauté. Il y avait aussi des personnes qui subissaient l'influence de leurs parents et de leurs amis, mais dont la conscience n'avait jamais été réveillée.

Il n'est donc pas surprenant si, dans les rangs d'un parti composé d'éléments aussi divers, il s'est produit des violences regrettables vis-à-vis des catholiques. Les usages du temps les excusaient, et l'on était habitué à une rudesse de langage et de procédés qu'on ne connaît plus à notre époque. Farel lui-même emploie des expressions qui choqueraient maintenant, et peut-être n'a-t-il pas toujours montré la prudence du serpent unie a la douceur de la colombe.
De nos jours, on tombe dans l'excès contraire; on trouve que l'épée de l'Esprit est trop tranchante, et comme les chiens de berger dont parle la fable, les pasteurs du troupeau font souvent alliance avec les loups, au grand détriment des brebis.
Mais il est impossible que l'orgueil, l'égoïsme, l'impatience de l'homme ne se manifestent pas dans toutes les oeuvres auxquelles il se trouve mêlé; nous rencontrons encore de nos jours ces misères chez les enfants de Dieu. Il ne faut pas que cela nous décourage, et nous ne devons pas juger de la cause par ceux qui la défendent, mais par la Parole de Dieu. Si la cause est de Dieu, il faut la soutenir quels que soient les manquements de nos compagnons d'armes et peut-être aussi les nôtres.
Il est impossible de donner ici une liste de tous les endroits où Farel prêcha dans la Suisse occidentale, et où son ministère fut béni. De tous côtés on réclamait des prédicateurs et l'on se réunissait pour la Cène sans autres formes que celles du Nouveau Testament. Dans ces petites réunions, tout se passait avec simplicité et sans les rites formalistes auxquels le monde attache tant de prix.

Dans le cours de cette année, nous voyons Farel deux fois emprisonné, continuellement insulté, attaqué, maltraité: L'évêque de Lausanne suscitait des émeutes, Berne les apaisait. «Je loue Dieu et Notre-Dame, écrivait l'évêque aux habitants d'Avenches à l'occasion d'un de ces tumultes, de ce que vous vous êtes montrés vertueux, bons et vrais chrétiens catholiques. Je vous en sais bon gré, et je vous prie et vous exhorte paternellement et affectueusement à vouloir bien continuer et persévérer, vous obtiendrez ainsi la grâce de Dieu, le bien de vos âmes et de vos corps, et à la fin la gloire du paradis.»

Peu après cela, Wildermuth écrivait à Berne «Sachez que maître Guillaume Farel a subi aujourd'hui dimanche à Payerne un si grand outrage que j'ai eu pitié de lui. Plût à Dieu que j'eusse eu vingt Bernois avec moi ! avec l'aide de Dieu nous n'aurions pas laissé arriver ce qui est arrivé. Car on a fermé à Farel les deux églises, de sorte qu'il a dû prêcher en plein air sur le cimetière. C'est alors qu'est survenu le banneret et le secrétaire de la ville, auquel je l'avais recommandé. Le banneret l'a fait prisonnier, mais pouvait-il faire autrement, car les gens qui voulaient jeter Farel à l'eau, menaçaient de lui en faire autant».

En octobre, les gens de Grandson avaient demandé qu'on en appelât à Berne pour avoir la messe et l'Evangile en même temps. «Il leur fut répondu, dit Farel, que Messieurs de Berne ne voulaient pas des prêcheurs qui chantent la messe, mais qui prêchent purement et fidèlement l'Évangile, car la messe et l'Evangile sont comme le feu et l'eau... Et après cela on n'a jamais cessé de faire du trouble pendant le sermon, tant dedans l'église, comme dehors. On sonnait les cloches, on criait, on hurlait, on frappait aux portes en se moquant de ceux qui prêchaient et de ceux qui allaient les entendre. Les uns venaient mettre de grandes croix sous le nez du prédicateur, les autres faisaient la moue à la porte. Les prédicateurs recevaient des coups, des menaces, des injures... et en tout se sont montrées la patience et la tolérance de ceux qui aimaient la Parole de notre Seigneur. Car vraiment personne n'eût pu supporter les injures et outrages que faisaient les adversaires aux amis de la vérité.»
C'est à cette époque qu'un réformé, qui venait d'arriver à Grandson, écrivait le lendemain: « Les prédicants ont le visage aussi déchiré que s'ils s'étaient battus avec des chats, et l'on a sonné contre eux le tocsin comme pour une chasse aux loups. »

Quelques semaines plus tard, Masuyer, ministre de Concise, écrivait à Berne: « Le curé de Concise lisant dans une Bible chez un hôte nommé Pilloue..., l'une des filles de céans lui dit: Déclarez-nous quelque chose de ce livre, et il répondit: Ce n est pas à vous de savoir les affaires de Dieu, et elle dit: Aussi bien que vous, car je suis chrétienne et fille de notre Seigneur aussi bien que vous. Alors le curé se lève, la voulant frapper et lui dit: Si tu étais ma soeur, je te frapperais jusqu'à te faire baiser le plancher. Mais la fille prit une chaise pour se défendre et il n'osa la toucher. » Telles étaient les scènes au milieu desquelles les serviteurs du Seigneur prêchaient journellement.

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