Il existe, dans le
département du Gard, un village que nous
appellerons Saint-Agrève, ne pouvant donner
ici son véritable nom. Ce village est
dominé par un château,
propriété de l'ancienne famille de
Mallens.
En 1826 M.
et Mme de
Mallens, après avoir passé une
année à Saint-Agrève, furent
obligés de partir presque subitement, pour
se rendre dans une principauté d'Allemagne
où M. de Mallens était envoyé
en qualité de ministre
plénipotentiaire.
La
nouvelle de ce
départ affligea les habitants du village,
car M. et Mme de Mallens étaient
aimés à cause de leur bienfaisance.
Cependant il y avait dans leur suite une personne
qu'on regrettait encore plus qu'eux - cette
personne était la femme de charge, Mme
Dubois.
Mme
Dubois,
âgée de 40 ans, avait presque
élevé la jeune dame de Mallens; elle
en possédait la confiance, l'accompagnait
dans ses voyages, et se faisait partout aimer. Elle
était habituellement sérieuse, mais
ce sérieux avait tant de douceur qu'il
n'effrayait personne ; elle ne déguisait
jamais sa pensée, mais sa franchise ne
choquait point, parce qu'elle se montrait
accompagnée de beaucoup de bienveillance et
de beaucoup d'humilité. En effet, Mme
Dubois, qui aurait put tirer vanité de
l'affection que lui témoignait sa
maîtresse, ne se donnait jamais des airs
d'importance; elle restait modeste, affable avec
tous. Au château comme au village, on ne lui
reprochait qu'une chose: c'était
d'exagérer sa religion, de prendre trop au
pied de la lettre les enseignements de la Parole de
Dieu, et de ne pas s'accorder assez de jouissances.
Après cela, il n'y avait plus rien à
dire; Mme Dubois, il est vrai, n'était pas
sans défauts, mais on la voyait si chagrine
lorsqu'ils prenaient le dessus, elle avouait ses
torts avec tant de bonne foi, qu'il n'y avait pas
moyen de se fâcher on de lui garder
rancune.
Lorsque
Mme Dubois
avait achevé ses affaires, son plus grand
plaisir était de visiter les pauvres gens,
les vieillards ou les malades de
Saint-Agrève. Avec l'autorisation de Mme de
Mallens, elle leur portait tantôt une
bouteille de vin, tantôt un peu de bouillon,
et lorsqu'elle les y trouvait disposés, elle
leur lisait deux ou trois versets de la
Bible.
Pendant
cette
dernière année, elle s'était
particulièrement attachée à
quatre jeunes filles qui venaient de faire leur
première communion. Le pasteur qui les avait
introduites dans le sein de l'Église,
habitait à plusieurs lieues de
Saint-Agrève, et Mme Dubois
s'efforçait de continuer son oeuvre. Elle
réunissait les jeunes filles chaque
Dimanche, leur expliquait un chapitre de
l'Évangile, s'efforçait, en les
questionnant, de savoir si elles avaient saisi la
bonne nouvelle du salut que nous annonce
l'Écriture, et demandait au Seigneur, en
priant avec elles, de bénir ces
conversations.
Les jeunes
filles
dont nous parlons, avaient diversement
profité des soins de Mme Dubois. L'une
d'entr'elles, Louise, se sentait vraiment
touchée d'amour pour son Sauveur. Longtemps
elle était restée assez froide, ne
comprenant pas trop en quoi consistait la
méchanceté de son coeur, de ce coeur
qui pourtant ne trouvait aucune joie à
s'occuper de Dieu, de ce coeur qui se livrait
à mille mouvements d'impatience, de
vanité et d'envie. Lorsque sa Conscience lui
disait : « Louise, tu as menti; Louise, tu
t'es mise en colère; Louise, tri laisses la
Bible dans un coin sans l'ouvrir! » Louise
répondait : « Tout le monde en fait
autant! » et, se hâtait de penser
à autre chose. Mais quand Mme Dubois, la
Bible à la main, expliqua aux jeunes filmes
que c'était à cause de ce
mépris pour les ordres de Dieu, à
cause de cet amour de la toilette, à cause
de ces mouvements d'humeur, à cause de ces
mensonges, à cause de ces « petits
péchés, » que le Seigneur
Jésus avait été cloué
sur la croix; quand elle leur apprit que si ce bon
Sauveur n'avait pas souffert à leur place,
rien n'aurait pu les arracher aux peines
éternelles; quand elle leur dit que
Jésus les avait connues, aimées avant
que le monde fût fait, qu'Il venait le
premier à elles, qu'Il les appelait chacune
en particulier, qu'Il leur offrait le salut, la
force de l'accepter, le secours dont elles avaient
besoin pour commencer une nouvelle vie; alors
Louise sentit son coeur s'ébranler, il lui
sembla que des écailles tombaient de ses
yeux; elle vit le triste état de son
âme, et elle en pleura ; elle vit presque en
même temps la main du Sauveur qui venait la
relever; avec l'aide du Saint-Esprit elle crut de
toute sa puissance que Christ l'avait
rachetée, et elle se donna à
Lui.
Clémence,
très-intelligente, saisissait les
vérités de l'Évangile. Son
esprit l'avait vite compris; nos
désobéissances à la loi de
Dieu se comptent par milliers, et comme Dieu a dit
: « Maudit est quiconque ne
persévère pas dans toutes les choses
qui sont écrites au livre de la loi pour les
faire; » (1)
nous sommes condamnés par
notre propre conduite. Son esprit l'avait compris
aussi, le Fils de Dieu est mort à la place
de ceux qui croient en Lui ; Il a pris pour Lui le
châtiment et leur a donné sa justice,
tellement qu'au lieu de se présenter nus et
souillés devant le tribunal céleste,
ils y viennent revêtus de la sainteté
de Christ. Mais ces vérités dont
Clémence pouvait rendre compte, ne
pénétraient pas jusqu'à son
coeur. Un grand fond d'orgueil l'empêchait de
s'humilier jusqu'à tout recevoir de
Jésus, de sorte que sa science
évangélique « l'enflait »
au lieu de « l'édifier.
(2)»
Quant à
Justine, la troisième des jeunes amies de
Mme Dubois; d'une nature légère, elle
avait, comme on dit, bon coeur et mauvaise
tête. Douée d'une imagination ardente,
d'un caractère bienveillant et gai, elle
recevait avec joie et semblait s'approprier les
enseignements de Mme Dubois, jusqu'au moment
où une tentation de vanité,
d'impatience, de déraison venant à la
traverse, tout était oublié, quitte
à se repentir après pour recommencer
à la première occasion. La semence
levait vite, mais le soleil en brûlait
promptement les tendres tiges.
(3)
Rose, la
dernière des quatre jeunes filles, causait
peu de satisfaction à la pieuse femme de
charge. Elle se rendait avec assez de
régularité aux entretiens du
Dimanche, mais on voyait là un acte de
complaisance, rien de plus. Elle y bâillait
démesurément, ne pensait guère
qu'à s'en aller le plus vite possible,
répondait en répétant à
peu de chose près ce qu'avaient dit les
autres, ne sortait de cette froideur que pour se
révolter contre telle ou telle parole de
l'Écriture, et s'écriait souvent, en
parlant des conseils de Mme Dubois. que tout cela
était bon pour les vieilles gens, qu'il faut
s'amuser dans la jeunesse, et que, pourvu qu'on
remplisse les devoirs de sa religion, tout va bien
dans ce monde et dans l'autre.
Mme Dubois
ne devait
plus passer que deux semaines à
Saint-Agrève. L'avenir de ses jeunes amies
l'inquiétait. Elle pensait avec raison que
durant sa longue absence, les jeunes filles se
marieraient et deviendraient mères de
famille. Elle-même, veuve alors, avait
apprécié tout le bonheur, toute la
force que donne une union chrétienne; bien
souvent, hélas! elle avait eu l'occasion de
voir quelles chutes entraîne une association
où le Seigneur n'entre pas; et, non contente
d'appeler les bénédictions de Dieu
sur ses protégées, elle
résolut de profiter des moments qui lui
restaient pour leur exposer quelques principes
indispensables, suivant son opinion, à la
sainteté du mariage et à la
félicité des
époux.
Le
dimanche soir, les
quatre jeunes filles se réunirent dans une
des salles basses du château, où les
recevait d'ordinaire Mme Dubois.
- Mes
enfants, dit la
femme de charge, je vais vous quitter; mon absence
durera plusieurs années, et pendant ce temps
vous serez peut-être appelées à
vous marier.
Rose
sourit, ses
compagnes rougirent.
- C'est
une chose
très-grave, reprit Mme Dubois. Je
désire m'entretenir avec vous de cet
important sujet en présence du Seigneur. -
Mes enfants, je crois qu'en général
la vie conjugale est la vie qui nous convient. Dieu
a dit, dans la Genèse: « Il n'est pas
bon que l'homme soit seul, je lui ferai une aide
semblable à lui. »
(4)
Le
Saint-Esprit nous
annonce par la bouche de saint Paul « que la
femme a été créée pour
l'homme » (5)
et nous sentons bien qu'à
moins d'une volonté particulière du
Seigneur, nous associer à l'homme, «
l'aider, » c'est notre affaire ici-bas. Nous
sommes de faibles créatures, et nous avons
besoin de secours; notre coeur est sensible, et il
demande des objets d'affection; nos facultés
cherchent à se développer, notre
influence à s'établir, nos
convictions à se répandre; dès
lors nous appuyer sur un époux, servir Dieu
avec lui, élever nos enfants dans la
vérité évangélique,
établir l'ordre dans notre maison :
voilà la perspective la plus douce pour
nous, voilà le champ de travail où
notre intelligence et notre foi trouvent le mieux
à s'exercer.
- Pour
moi,
s'écria Clémence, avec cette
liberté à laquelle l'indulgence de
Mme Dubois les avait toutes accoutumées,
pour moi, je ne veux pas me marier. On a trop de
peine en ménage. Dans notre condition, il ne
se rencontre guère de gens riches qui
veuillent de nous, et devenir la femme d'un pauvre
garçon, vivre dans la misère,
travailler du grand matin au grand soir pour
nourrir une troupe de marmots....
- Cela ne
vaut pas
l'indépendance, n'est-ce pas,
Clémence? interrompit Mme Dubois. Vous
aimeriez mieux faire votre volonté que
d'obéir à un mari; mieux rester seule
dans l'aisance, que de vivre dans la
médiocrité avec un époux et
des enfants. Clémence, aussi longtemps que
vous pourriez, les jours de fête, vous
promener riche et pimpante sur le cours; tant que
vous seriez jeune, tant qu'on s'occuperait de vous,
peut-être que votre vanité satisfaite
tromperait votre coeur, en lui persuadant qu'il n'a
besoin de rien; mais quand l'âge viendrait,
quand votre orgueil n'aurait plus à se
repaître de quelques avantages
extérieurs, quand ceux qui vous
recherchaient vous laisseraient dans un triste
abandon, croyez-moi, mon enfant, vous regretteriez
ces fatigues, cet assujettissement qu'a mène
le mariage... et qu'il n'amène pas lorsqu'il
est chrétien, sans amener aussi d'immenses
bénédictions.
- Madame,
demanda
timidement Louise à son tour, est-il
possible de servir aussi fidèlement Dieu
dans le mariage que dans le
célibat?
- Et
pourquoi non,
mon enfant? Dieu, qui dès le commencement a
fondé l'union conjugale, nous aurait-il
préparé lui-même un genre de
vie dans lequel nous ne saurions obéir
qu'imparfaitement à sa
volonté?
- Oh! non,
Madame....
Cependant, il me semble qu'une femme non
mariée peut se consacrer plus
complètement aux oeuvres chrétiennes,
peut se dévouer mieux au soin des pauvres et
des malades, qu'une femme assujettie à un
époux, à une famille qui lui
demandent tous ses moments.
- D'abord,
Louise,
dit Mme Dubois, souvenons-nous d'une chose trop
souvent oubliée : c'est que ce mari, c'est
que ces enfants, auxquels vous faites allusion, ont
des âmes; c'est que ces âmes
méritent aussi bien notre sollicitude que
les âmes des pauvres et des malades dont vous
parlez; c'est que Dieu ne nous a pas placées
pour rien auprès d'eux, et que nous avons
pour tâche naturelle, première, de
travailler à leur sanctification et à
leur bonheur, Et puis, disons-le-nous, pour qui le
veut, il y a toujours dans toutes les
carrières, dans celle de femme mariée
comme dans les autres, des instants à donner
aux malheureux. Ah! mon enfant, si chacun cultivait
comme il faut son champ et sa vigne, si chacun
s'efforçait de les agrandir en mordant sur
les terres encore sauvages, notre globe serait
bientôt couvert d'une productive
végétation. Si chaque femme
s'appliquait, avant tout, à vivre saintement
avec son mari, à élever ses enfants
dans la crainte de Dieu; si elle donnait
fidèlement les moments de son loisir aux
nécessiteux, le monde serait bientôt
couvert de chrétiens, et il se trouverait
que chacune de nous, dans son humble maisonnette,
dans sa modeste condition, aurait, comme le
missionnaire ou le pasteur, efficacement
travaillé à l'avancement du
règne de Dieu.
- Pardon,
Madame, si
je vous interromps encore, reprit Louise en
rougissant beaucoup; mais comment expliquez-vous ce
passage de saint Paul ? - Et Louise, ouvrant sa
Bible, lut à haute voix ces mots: «
Pour ce qui concerne les vierges, je n'ai point de
commandement du Seigneur; mais j'en donne avis
comme ayant obtenu miséricorde du Seigneur
pour être fidèle. J'estime donc que
cela est bon pour la nécessité
présente, en tant qu'il est bon à
l'homme d'être ainsi.
Es-tu lié
à une femme? ne cherche point d'en
être séparé. Es-tu
détaché de ta femme? ne cherche point
de femme. Que si tu te maries, tu ne pêches
point; et si la vierge se marie, elle ne
pèche point aussi, mais ceux qui seront
mariés auront des afflictions en là
chair ; or, je vous épargne. Mais je vous
dis ceci, mes frères, que le temps est court
; et ainsi que ceux qui ont une femme, soient comme
s'ils n'en avaient point; et ceux qui sont dans les
pleurs, comme s'ils n'étaient point dans les
pleurs; et ceux qui sont dans la joie, comme s'ils
n'étaient point dans la joie, et ceux qui
achètent comme s'ils ne possédaient
point, et ceux qui usent de ce monde, comme n'en
abusant point; car la figure de ce monde passe.
Or, je
voudrais que
vous fussiez sans inquiétude. Celui qui
n'est point marié a soin des choses qui sont
du Seigneur, comment il plaira au Seigneur. Mais
celui qui est marié a soin des choses de ce
monde, et comment il plaira à sa femme, et
ainsi il est divisé. La femme qui n'est
point mariée et la vierge a soin des choses
qui sont du Seigneur, pour être sainte de
corps et d'esprit; mais celle qui est mariée
a soin des choses du monde, comment elle plaira
à son mari.
Or, je dis
ceci,
ayant égard à ce qui vous est utile,
non point pour vous tendre un piège, mais
pour vous porter à ce qui est
bienséant, et propre à nous unir au
Seigneur sans aucune distraction. mais si quelqu'un
croit que ce soit un déshonneur à sa
fille de passer la fleur de son âge et qu'il
faille la marier, qu'il fasse ce qu'il voudra, il
ne pèche point; qu'elle soit mariée.
Mais celui qui demeure ferme en son coeur, n'y
ayant point de nécessité qu'il marie
sa fille, mais étant maître de sa
propre volonté, a arrêté en son
coeur de garder sa fille, il a fait bien. Celui
donc qui la marie fait bien, mais celui qui ne la
marie pas, fait mieux. »
(6)
- Reprenez
un peu
plus haut dans le chapitre, ma chère Louise,
remarquez au verset sixième ces mots :
« Je dis ceci par conseil et non par
commandement; » au douzième, ceux-ci :
« Je leur dis, et non pas le Seigneur; »
au vingt-cinquième, le premier de ceux que
vous venez de citer, ces paroles: « Pour ce
qui concerne les vierges, je n'ai point de
commandement du Seigneur. » Que nous
apprennent de telles
déclarations?
Que ces
conseils
viennent de l'homme, de l'Apôtre qui « a
reçu miséricorde pour être
fidèle » et qui « possède
lui aussi l'Esprit de Dieu, » mais qu'ils ne
sont pas « dictés» par le
Saint-Esprit lui même! Il y a donc une
distinction à faire, et c'est saint Paul qui
la fait, entre ses directions sur le célibat
et le reste de la Bible. Saint Paul nous avertit,
et ne nous avertit pas pour rien, du moment
où il parle de son propre mouvement. Le soin
particulier qu'il apporte à signaler
l'instant ou son inspiration, à lui,
remplace l'inspiration directe, absolue du
Saint-Esprit, ce soin qui fait ressortir fortement
la divinité de toutes les autres expressions
de la Bible; ce soin nous démontre qu'une
différence très-réelle
sépare la dictée du Saint-Esprit de
la dictée de l'homme.
Mais il y
a autre
chose. Cette phrase : « pour » ou «
à cause de » la nécessité
présente, nous fait voir que saint Paul
parle ici pour son temps, pour un temps de trouble
et de persécution, où le
christianisme pénétrant dans les
familles païennes, touchant le coeur de
quelques-uns de leurs membres, obligeait
l'épouse, obligeait la fille à
choisir entre l'époux, entre la mère
qui lui ordonnaient de sacrifier aux faux dieux, et
Jésus qui lui ordonnait de n'adorer que Lui.
Il parlait pour un temps où Malgré
les pleurs, les prières de parents
idolâtres, le nouveau disciple de Christ
devait renoncer à la vie, pour l'amour du
Sauveur qui a dit, « Celui qui aime son
père ou sa mère plus que moi, n'est
pas digne de moi. »
(7)
Dans ces
moments
où l'existence était courte, il ne
valait pour ainsi dire pas la peine d'accepter des
devoirs que la main des bourreaux ne laissait pas
aux disciples de Jésus le temps d'accomplir.
Dans ces jours, où il fallait confesser sa
foi en présence des supplices, il
était bon de ne tenir à la terre par
aucun fil. Maintenant il en va tout autrement, nous
sommes rentrés dans un état naturel,
et les grandes lois naturelles de Dieu doivent nous
régir de nouveau. Dieu a placé la
carrière du mariage devant les femmes, il
leur en a imposé les sérieuses
obligations; gardons-nous, ma chère Louise,
gardons-nous de vouloir faire mieux que Dieu;
gardons-nous de sortir des conditions toutes
simples d'une vie ordinaire, pour rêver une
existence à part; ne mettons pas des devoirs
et des dévouement exceptionnels à la
place des devoirs et du dévouement de tous
les jours, proposés à notre foi par
le Seigneur! Broutons devant nous l'herbe modeste
des prés, ma chère enfant, au lieu
d'aller chercher quelque savoureuse plante, quelque
fleur délicate, sur des rochers où
nous trouverions peut-être la mort. Si Dieu
nous appelle à un genre de vie
différent de celui des autres femmes; oh!
alors, répondons avec une soumission joyeuse
; mais ne nous écartons pas de la ligne unie
et simple, sans une indication toute
particulière de
l'Éternel.
- Eh! sans
doute!
s'écria Justine avec vivacité, le
mariage est fait pour nous , c'est clair. Quant
à moi, je vais avoir vingt ans, et si je
trouve une occasion convenable, un homme qui
m'aime, qui ait bon coeur..., je n'hésiterai
pas.
-
Doucement,
doucement, reprit en riant Mme Dubois. Nous ne nous
comprenons pas encore. Se marier pour avoir un mari
quel qu'il soit, n'est point ce que je veux dire;
mieux vaut cent fois rester célibataire, que
d'épouser le premier venu. Le mariage est
une chose sérieuse, mes enfants, et si vous
ne m'aviez pas interrompue (ce dont je suis loin de
me plaindre), je vous aurais dit toute ma
pensée là-dessus. M'y
voici.
Lorsque je
vous parle
de « mariage, » j'entends le mariage dans
sa pureté, le mariage tel que Dieu le forma,
quand au jardin d'Eden il unit Adam et Eve; je
n'entends pas l'association de deux êtres
légers, indifférents à leur
salut, qui ne se rassemblent que pour passer plus
commodément quelques années sur la
terre.
Il y a
mariage et
mariage. Au sein des pays où notre sainte
foi n'a pas pénétré, ce qu'on
appelle de ce nom, c'est une union corrompue,
hideuse, qui ne ressemble pas plus à
l'institution de Dieu, que le jour ne ressemble
à la nuit. Dans les contrées
où règne la fausse religion de
Mahomet et chez quelques peuples païens,
plusieurs femmes sont données à un
homme; celui-ci les considère comme des
esclaves, ne leur accorde aucune estime, aucune
confiance; et ces pauvres créatures,
profondément ignorantes, gardées
à vue ainsi que des prisonnières,
privées de leurs fils dès que ceux-ci
ont atteint l'âge de six à sept ans,
constamment remplacées dans le coeur de leur
époux par quelque nouvelle favorite, ne se
doutent ni des devoirs ni de la sainteté du
mariage, vivent et meurent dans un abaissement, au
milieu de douleurs dont nous ne pouvons nous faire
une juste idée. Dans le reste des pays
soumis à l'idolâtrie, souvent le
mariage n'unit l'époux à
l'épouse que pour un temps, souvent il est
souillé par d'abominables crimes; mais ce
qu'on retrouve partout où Jésus n'est
pas connu, c'est l'asservissement des femmes. Dans
les contrées où Christ ne
règne point, elles sont tenues pour des
êtres bornés, malfaisants, à
peine supérieurs à la brute. On les
tyrannise, on leur réserve les plus rudes
travaux, on les maltraite au lieu de les
protéger, et, il faut le dire, leur
dégradation, résultat de, ces
procédés cruels, semble justifier la
dureté des hommes. Voilà ce qu'est
devenue l'union conjugale, partout où la
bonne nouvelle du salut par grâce n'a pas
renouvelé, le coeur, et avec le coeur toutes
les affections, toutes les
habitudes.
- Ah!
s'écria
Clémence, il n'est pas besoin d'aller chez
les païens on chez les Turcs, pour voir des
femmes tourmentées par leurs maris! Jean
Firmin, dont les accès de violence ont
détruit la santé de Jeanne; Joseph
Charlet, qui s'enivre deux ou trois fois la semaine
et qui tempête, jure, brise tout en rentrant
chez lui; Jean Ricou, ce grand paresseux qui va
aujourd'hui à la chasse, demain à la
pêche, puis au marché, puis à
la foire, pendant que Marguerite se fatigue
à gagner péniblement quelques pauvres
sous, ce sont là des
exemples...
- Ce sont
là
des exemples, interrompit Mme Dubois, qu'il aurait
été plus charitable de ne pas
chercher parmi les gens de votre connaissance, mais
qui nous prouvent la vérité de ce que
j'avançais : c'est que, chez les
chrétiens qui n'ont de Christ que le nom,
pas plus que chez les païens ou chez les
Musulmans, le mariage n'est ce qu'il doit
être.
La
brutalité,
l'inconduite, l'avarice des hommes; la
vanité, la désobéissance, le
babil des femmes font les mauvais ménages.
À la place de ces vices on verrait
bientôt régner la douceur, l'ordre, le
bon accord, si , au lieu de mettre
l'Évangile dans leur tête, hommes et
femmes le mettaient dans leur cour.
Mais
dites-le-moi
vous-mêmes, mes enfants , à quoi
faut-il regarder quand on se marie ?
- Au mari
qu'on
prend, répondit timidement
Louise.
- Sans
doute. Avant
tout cependant, il faut regarder à
soi-même. Oui, mes chères filles, il
faut savoir si l'on comprend bien ce que c'est que
le mariage. Il faut savoir si l'on y entre
légèrement , comme dans un
état où l'on ne doit rencontrer que
plaisir et qu'indépendance, Ou bien si l'on
s'en approche avec sérieux, si l'on mesure
l'étendue des obligations qu'il impose, si
l'on pressent que pour les accomplir le secours du
Seigneur sera constamment nécessaire. Le
premier cas est-il le vôtre; nourrissez-vous
ces fausses idées sur l'union? ne vous
mariez pas ; vous ne seriez nullement propres
à remplir les devoirs de la vie conjugale;
pas plus à aimer un mari, à servir
avec lui le Seigneur, qu'à élever des
enfants. Et puis, vous choisiriez mal. L'une
accepterait le premier étourdi qui
répondrait à ses frivoles
désirs; l'autre chercherait quelque homme
riche qui satisfit les besoins de son orgueil ;
celle-ci se laisserait séduire par deux ou
trois mois d'amour; chacune prendrait un mari pour
ses passions, et les mariages de
péché avec péché
n'enfantent que du désordre.
Êtes-vous
au
contraire dans le second cas; comprenez-vous tout
ce qu'a de sérieux l'acte qui vous donne
à un autre? vous pouvez vous marier. Alors
commence cet important examen dont parlait Louise,
'celui de l'homme qui doit être votre
mari.
Cet homme,
mes
chères amies, ne le cherchez ni parmi les
jeunes gens avides de plaisir, ni parmi ceux qui
vivent dans l'indifférence religieuse, ni
parmi les êtres immoraux qui s'efforceront
peut-être de vous entraîner à
l'oubli de la modestie. Cet homme, mes enfants , si
vous le voulez tel qu'il puisse vous rendre
heureuses, cet homme sera un véritable
chrétien, cet homme sera un frère
avec lequel vous pourrez lire la Bible et prier
d'un même coeur. Vous le rencontrerez
difficilement, mais Dieu qui est puissant le mettra
sur votre chemin , s'Il veut que vous embrassiez la
carrière de femme mariée; et s'Il ne
le fait point, mes chères filles, restez
dans le célibat : il n'y a pas de
bénédiction dans l'union
formée avec un incrédule, avec un
tiède, avec un mauvais sujet.
-
Cependant, demanda
Justine, ne peut-on espérer de gagner
à l'Évangile un mari qui nous
aime?
- Pour
faire des
conversions, mon enfant, il faut posséder
soi-même une conviction ferme, n'est-ce
pas?
- Je le
crois,
Madame.
- Eh bien,
Justine!
penses-tu qu'une jeune fille qui ne
s'arrêterait pas devant cet ordre de Dieu :
« Ne portez pas un même joug avec les
infidèles ; car quelle participation y
a-t-il de la justice avec l'iniquité? et
quelle communication y a-t-il de la lumière
avec les ténèbres? Sortez du milieu
d'eux et vous en séparez, dit le Seigneur.
» (8)
Penses-tu qu'une jeune fille qui,
sachant un homme impur, léger, immoral ,
s'unirait à lui, c'est-à-dire
jurerait de lui obéir; penses-tu que cette
jeune fille montrât une foi sincère,
une foi capable de transporter des montagnes
?
Oh! non!
murmura
Justine.
- De quel
droit, mon
enfant, crois-tu qu'on pourrait parler à un
mari de fidélité envers Dieu , quand,
par l'acte le plus grave de la vie, ou lui aurait
donné l'exemple d'une complète
désobéissance aux prescriptions du
Seigneur? Quel respect un époux
concevrait-il pour des croyances qui n'ont pas su
garder notre coeur contre une telle
tentation?
-
Cependant, Madame,
saint Paul dit : « Si quelque femme a un mari
infidèle et qu'il consente à habiter
avec elle, qu'elle ne le quitte point.... Car que
sais-tu, femme, si tu ne sauveras point ton mari?
» (9)
- Ici, mon
enfant,
Dieu promet son secours aux femmes que le
christianisme trouve unies à un époux
privé de sa connaissance, aux femmes dont la
conscience se réveille pour la
première fois au milieu de noeuds
déjà formés et formés
dans un temps d'ignorance; Il ne s'adresse
nullement à la jeune fille
éclairée, qui, de propos
délibéré, viole les
commandements de l'Éternel en se choisissant
pour maître et pour appui un homme qui ne le
craint pas, qui ne l'aime pas, qui combat contre
Lui peut-être,
- S'il
n'est
qu'indifférent ! ajouta tout bas
Justine.
- S'il
n'est
qu'indifférent, son indifférence vous
gagnera. Oh! mes chères enfants, ne vous
faites pas d'illusions. Donner la main au
péché, c'est lui livrer l'âme
tout entière. Vous croyez que votre
piété réchauffera le coeur
engourdi du tiède: vous vous trompez, c'est
sa tiédeur qui engourdira votre
piété. Tantôt vous craindrez de
déplaire à un époux en vous
montrant trop scrupuleuses, trop rigides;
tantôt vous essaierez de l'attirer à
vous, en faisant un pas vers l'oubli des
volontés de Dieu, vers la
légèreté, vers l'amour du
gain, vers les mauvais plaisirs. Vos lectures de la
Bible, vos prières ennuieront cet
époux, il n'y prendra aucune part, il s'en
moquera peut-être; bientôt elles vous
paraîtront, à vous aussi, longues et
fastidieuses, Il vous dira qu'en travaillant, qu'en
s'aimant, on sert mieux l'Éternel qu'en
méditant sans cesse.... et vous le croirez;
vous vous écarterez du Seigneur; votre
âme privée de nourriture se
desséchera; la pensée de Dieu, au
lieu de vous causer de la joie, vous causera des
remords, de la crainte; vous fuirez votre unique
Sauveur, et vous vous perdrez, séduites par
Satan le menteur, qui vous aura fait croire que
vous pouviez ramener un égaré, en
vous égarant vous-mêmes
!
- Moi, il
me semble,
s'écria brusquement Rose, que, pourvu qu'un
mari nous laisse libres de remplir les devoirs de
notre religion, c'est tout ce qu'il nous faut. On
peut ne pas penser de même et vivre en bonne
intelligence. Quand on a de l'affection l'un pour
l'autre, cela suffit à la
paix.
- Rose,
croyez-vous
que « remplir les devoirs de sa religion,
» c'est-à-dire aller au temple,
à ce que je suppose, réciter le matin
et le soir une prière, lire quelques versets
à la hâte et pour l'acquit de sa
conscience ; croyez-vous que ce soit là tout
ce que demande Christ? Croyez-vous qu'Il
s'arrête aux paroles, aux pratiques, et qu'il
n'aille pas au coeur? Croyez-vous qu'on puisse Lui
faire prendre des semblants de respect et d'amour
pour une véritable tendresse, pour une
véritable soumission ?
D'ailleurs
je viens
de vous le dire, mes enfants, ces dehors de
piété, on ne les conserve
guère avec un époux
indifférent ou incrédule. En le
choisissant pour son seigneur, on a fait un premier
acte de rébellion envers Dieu, les autres
suivent de près. - Mais vous avez
parlé d'affection, Rose, d'affection entre
deux personnes que n'unit pas une même foi au
Père céleste! Cette affection, si
elle naît, ne dure pas; elle ne peut pas
durer. Non, mes enfants, en dehors du Seigneur, il
y a rarement d'amitié éternelle. Les
défauts, la mauvaise humeur, la
colère, la dissimulation, l'orgueil, toutes
les passions que le Saint-Esprit combat et qu'il
chasse du coeur; toutes ces passions sont les
ennemies du bon accord. Les vices contre lesquels
Jésus nous met en garde détruisent la
paix. Quand Christ ne règne pas dans
l'âme des époux, c'est le monde, c'est
le péché qui les dominent, et avec le
péché viennent les disputes, viennent
les larmes.
Cependant,
Rose,
j'admets que vous aimiez un époux qui n'aime
pas Dieu, j'admets que cet époux vous aime,
j'admets que vous puissiez vivre l'un avec l'autre
en bonne intelligence... Quand la mort frappera ses
coups , quand elle vous arrachera votre mari, quand
vous saurez que cette pauvre âme
pécheresse paraît devant son Juge et
qu'il y a contre elle une condamnation... votre
coeur ne sera-t-il pas brisé? Pourrez-vous
trouver des consolations?...
Rose
secoua la
tête, regarda d'un autre côté,
pensa que Dieu était « trop bon »
pour damner personne; et Mme Dubois qui la devina
soupira profondément.
- Dieu a
des
miséricordes pour tous ceux qui se tournent
vers lui d'un coeur droit, dit-elle; il a, par
conséquent, des compassions pour celle qui
revient à lui, après l'avoir
offensé en prenant un époux
dépourvu de foi; mais, je vous le
répète, celle-là s'est
placée dans la plus défavorable des
conditions.
Maintenant,
mes
chères filles, il me reste à vous
prémunir contre un grand danger.... Je veux
parler des mariages mixtes, de l'union avec un
membre de l'église romaine.
- Les
catholiques
sont pourtant des chrétiens? interrompit
Clémence.
- Oui,
mais, aux
divines vérités de l'Évangile,
ils ont ajouté une foule d'erreurs humaines;
ils ont tendu, entre la croix de Christ et le
pécheur, des filets qui arrêtent
celui-ci dans sa course et l'empêchent
souvent d'arriver à
Jésus.
- Mais un
catholique
peut être, sauvé, il peut mettre toute
son espérance dans le sacrifice du Seigneur,
on peut lire avec lui la Parole de Dieu, prier,
servir Christ! reprit vivement
Clémence.
- Un
catholique
romain peut être sauvé,
répondit Mme Dubois, mais il le sera
difficilement tant qu'il restera enveloppé
dans les fausses croyances de sa religion. Il peut
mettre son espérance en Jésus, ne la
mettre qu'en lui ; mais, pour le faire, il devra
refuser sa foi aux « papes, » à
ces représentants infaillibles de Christ,
qui déclarent que par le moyen d'un pardon
acheté à prix d'argent, que par le
moyen de pénitences
régulièrement accomplies, de
prières récitées un certain
nombre de fois, le pécheur apaise la
colère de Dieu; tandis que Dieu, Lui, dit
dans sa Parole : Personne ne pourra en aucune
manière racheter son frère, ni donner
à Dieu sa rançon.
(10)
- Vous avez été
rachetés ... non point par des choses
corruptibles, comme par argent ou par or; mais par
le précieux sang de Christ.
(11)
Vous êtes sauvés par la
grâce, par la foi; et cela ne vient point de
vous, c'est le don de Dieu; non point par les
oeuvres, afin que personne ne se glorifie;
(12)
- et plus loin : Quand vous priez,
n'usez point de vaines redites, comme font les
païens; car ils s'imaginent d'être
exaucés en parlant beaucoup.
(13)
Il ne
devra pas
croire « les conciles, » ces
interprètes infaillibles de la
volonté divine, qui lui ordonnent d'adresser
un culte à des hommes
(14)
et de les regarder comme des
médiateurs, taudis que Dieu, Lui, dit: Tu
adoreras le Seigneur ton Dieu, tu le serviras lui
seul. (15)
- Il y a un seul Dieu, un seul
médiateur entre Dieu et les hommes, savoir
Jésus-Christ homme, qui s'est donné
en rançon pour tous.
(16)
Il devra
désobéir à « l'Eglise,
» dépositaire infaillible du
Saint-Esprit, qui déclare Marie
immaculée (17)
et lui enjoint de
l'intercéder, tandis que Jésus par
ces mots : Femme, qu'y a-t-il entre toi, et moi!
(18)
- tandis que l'ange de l'Eternel par
ceux-ci : Je le salue , ô toi qui es «
reçue » en grâce;
(19)
- tandis que Marie elle-même,
par ces paroles : Mon esprit s'est
égayé en Dieu, « qui est mon
Sauveur, » car il a regardé la «
bassesse » de sa servante,
(20)
- lui montrent clairement que la
mère de Jésus, bénie entre
toutes les femmes, est une créature sujette
au péché, rachetée par le sang
de Christ, pardonnée par « grâce,
» incapable de sauver ou d'entrer en aucune
manière dans l'oeuvre divine de la
rédemption, car « qu'y a-t-il, »
femme, entre toi et moi! »
(21)
On peut,
avec un
catholique romain, lire la Bible. Oui, s'il viole
le commandement de ses chefs spirituels, s'il ouvre
le livre sacré en dépit de ces «
brefs » où le vicaire de Christ,
faisant Christ menteur, proscrit la lecture de la
Bible, et décide qu'elle n'est écrite
ni pour les « petits » ni pour les «
ignorants, » tandis que Christ, Lui, dit:
Sondez diligemment les Écritures, car vous
estimez avoir par elles la vie éternelle, et
ce sont elles qui rendent témoignage de moi.
(22)
- Je te célèbre,
ô mon Père! Seigneur du ciel et de la
terre, de ce que tu as caché ces choses aux
sages et aux intelligents et que tu les as
révélées aux petits enfants,
(23)
- et dans le Deutéronome, par
la bouche de Moïse : Les choses cachées
sont pour l'Éternel notre Dieu; mais les
« choses révélées »
sont pour nous et nos enfants à «
jamais. » (24)
Mais de
bonne foi,
croyez-vous tout cela bien facile? Pensez-vous
qu'un catholique éclairé,
émancipé de la sorte, reste
catholique?... S'il reconnaît les erreurs de
sa communion , attendez pour lui donner votre vie
à diriger, attendez qu'il en ait
secoué le joug, attendez qu'il ait pris
celui de Christ. S'il ne les reconnaît point,
gardez-vous d'en faire votre mari. Dans ce dernier
cas, ou il est insouciant en matière de foi,
et vous retombez dans les misères d'une
association sans «Dieu; ou il est disciple
fervent de l'église romaine; et, en
l'épousant, vous vous soumettez à ce
que vous regardez comme un mensonge. Alors, pour
vous plus d'unité dans les pensées,
dans les actes, mais au contraire [otites les
douleurs qu'entraîne la séparation
dans ce qui fait la vie de l'âme et des
affections: dans la foi. Alors, vous verrez un
époux s'éloigner chaque jour
davantage de ce que vous estimez être la
seule vérité vraie, la seule qui
sauve. Alors, vous verrez des hommes,
pécheurs comme lui, comme vous, comme nous
toits, prendre, sous le nom. de confesseurs et de
directeurs, une souveraine, souvent une
déplorable influence dans votre maison ;
vous les verrez, se mettant à la place de
Dieu, prononcer tantôt l'anathème,
tantôt l'absolution; arracher à
l'âme de votre mari sa responsabilité,
dominer absolument sa conscience et celle' de vos
enfants... vos enfants! Ah! Clémence, quelle
responsabilité! Si un mari vous laissait la
liberté de les élever dans vos
convictions évangéliques, cette
complaisance ne dénoterait-elle pas chez lui
une indifférence religieuse , qui devrait
à elle seule vous empêcher de
l'épouser ! Et s'il exigeait que tous ou que
quelques-uns seulement entrassent dans
l'église romaine, pourriez-vous y consentir
? Assujettiriez-vous à l'erreur, à
une erreur qui les retiendra peut-être loin
de Jésus, ces âmes que Jésus
vous a confiées? Renonceriez-vous à
vos droits sur eux, au droit doux et sacré
de les instruire dans la foi purement
évangélique ? Les livreriez-vous
à d'autres, à d'autres que vous savez
égarés?
Mes
filles, mes
chères filles, je vous le demande au nom du
Seigneur qui est présent quoique invisible,
dans un mari cherchez avant tout une
piété solide et vraie. Ne vous
laissez séduire ni par votre imagination, ni
par votre orgueil, ni par votre
légèreté. Ne contiez la
direction de votre existence qu'à l'homme
avec lequel vous pourrez méditer les
Écritures, prier Dieu, qu'à l'homme
que Jésus aura appelé et qui aura
répondu.
- Madame,
avec le
secours du Saint-Esprit, j'ose vous le promettre,
s'écria Louise fortement émue... Oui,
je le sens, la communion, chrétienne avec un
époux, il ne faut rien de plus pour la
sanctification et pour le bonheur.
Mme Dubois
la regarda
tendrement. Après un instant de silence; -
C'est la première, c'est l'indispensable
condition, reprit-elle, cependant il faut encore
autre chose... Je vais vous l'apprendre en peu de
mots, car la nuit approche, il nous reste pour
Dimanche, prochain plusieurs sujets à
traiter, Mme de Mallens aura besoin de moi de bonne
heure ... et puis n'aurons-nous pas à nous
dire adieu ... pour longtemps
peut-être!...
- Chère
Louise, les caractères, les goûts des
époux, doivent non pas, comprenez-moi bien,
être parfaitement pareils, mais s'accorder,
se convenir, s'adapter les uns aux autres. Le
christianisme tempère les fortes
divergences, il les efface difficilement. Des
époux pieux et très-opposés
d'humeur ne se querelleront pas, mais ils auront de
la peine à maintenir la paix; ils ne
tireront pas chacun de leur côté,
comme on le voit faire aux époux mondains,
mais il leur sera malaisé d'établir
l'intimité; en un mot, ils entasseront
devant eux des difficultés dont, à la
longue, une foi vive pourra bien débarrasser
leur route, mais qui useront beaucoup de leurs
forces, mais qui peut-être retarderont leur
sanctification.
Appliquez-vous
donc
à connaître le caractère d'un
futur époux, le vôtre; demandez au
Saint-Esprit de vous éclairer dans cet
examen. Si les différences qui vous
séparent sont de celles que la vie cri
commun, que l'amour de Jésus fait
disparaître; si elles sont de. celles qui
resserrent les, liens au lieu de les
relâcher, comme par exemple le contraste de
l'énergie avec la douceur, de l'ardeur
impétueuse avec le calme
réfléchi, unissez-vous, vous le
pouvez sans crainte. Si vous pensez, au contraire
que telle ou telle divergence, loin de
s'atténuer doive s'accroître, loin de
fortifier l'union doive amener de l'antipathie, ne
fût-ce que de l'éloignement, oh!
rompez alors, épargnez-vous, épargnez
à l'homme qui vous recherche les chagrins
que vous causeraient de perpétuelles
divisions.
Ce n'est
pas tout,
mes enfants.
Gardez-vous
d'entrer
trop jeunes dans la carrière conjugale. Il
faut s'élever soi-même au sein du
mariage; pour s'élever il faut se
connaître, et l'âge où l'on
commence à s'étudier, à se
rendre compte des choses, à travailler sur
son coeur, c'est l'âge de dix-huit, de
dix-neuf, de vingt ans.
Même
alors, on
voit bien confusément en soi-même,
bien confusément dans la vie, on est
rarement en état de choisir sainement, parce
qu'on n'a pas encore appris à distinguer
l'homme dont, l'âme appartient
réellement à Christ, de l'homme qu'un
moment d'entraînement, que les ruses d'un
calcul habile rapprochent pour quelques jours de
son Sauveur. On ne connaît ni soi ni les
autres, et si l'on se décide, habituellement
l'on se décide mal.
Mais je
veux qu'une
jeune fille de dix-huit à vingt ans ait fait
un bon choix, elle n'est qu'au commencement de sa
tâche. À peine quelques semaines se
sont-elles écoulées depuis le jour
des noces, que d'un côté comme de
l'autre, voici des défauts qui paraissent,
qui froissent, qui demandent du support; voici des
devoirs envers un mari, envers un beau-père,
envers une belle-mère; voici des soins
à donner au ménage, de l'ordre
à établir, des habitudes nouvelles
à prendre. Tout cela étonne, tout
cela trouble, souvent afflige. De quel
côté se tourner, comment s'y prendre,
par où commencer? - La femme trop jeune
risque de se tromper faute d'expérience,
faute de réflexion, faute de bonne
volonté parfois. Elle risque de se livrer
à de premiers mouvements impétueux,
elle risque de plier quand il faudrait
résister, de résister quand il
faudrait plier. Et puis, son influence dans la
maison s'établit difficilement. Un mari, des
parents, lui ferment la bouche avec ces
mots:
« Vous
n'êtes qu'une enfant! » Ils trouvent
dans sa jeunesse un commode prétexte pour ne
l'écouter point, même lorsqu'elle a
raison.
- Si cette
jeune
fille est chrétienne, le Seigneur ne se
tient-il pas à son côté ?
demanda Louise.
- Oui, ma
Louise, il
s'y tient, il n'abandonne point ses
rachetés. Mais quand on se place
volontairement dans une position dangereuse, le
Seigneur nous en laisse sentir les épines.
Vous avez pu le remarquer. Jésus, qui nous
annonce le pardon de nos pêchés,
permet cependant que nous recueillions quelques-uns
de leurs fruits les plus
âpres.
Si, dans
un moment de
mauvaise humeur, je me fâche contre le
cuisinier qui a manqué un plat, contre le
valet-de-chambre qui a laissé tomber un
plateau de porcelaine, je pourrai bien me repentir,
demander pardon à mes compagnons de service,
me réjouir de ce que Christ a effacé
ma faute ; mais on ne m'en dira pas moins à
l'office : Madame Dubois, avec ses grands
principes, est aussi colère qu'une autre!
Mon impatience aura fait, tort à
l'Évangile, j'en éprouverai un
chagrin amer.
Encore un
mot, et
ceci, mes chères enfants, n'est qu'une
considération secondaire, une condition qui
va longtemps après les autres. Sans chercher
la fortune dans un mari ne vous associez
qu'après mûre réflexion
à un homme dont l'indigence vous
soumettrait, vous et vos enfants, aux tourments de
la misère.
- Avec des
bras, une
bonne santé, une volonté forte, dit
Justine, il me semble qu'on a tout ce qui est
nécessaire pour vivre.
Pas
toujours. La
santé, Dieu peut la retirer; la
volonté, elle s'use parfois; l'ouvrage,
souvent il manque aux bras. Ah! vous ne savez pas
ce que c'est que les cris de petits enfants qui ont
faim; vous ne s'avez pas ce que c'est que les
gémissements d'un mari qui souffre,
étendu sur quelque mauvais grabat, d'un mari
dont le travail nourrissait toute la famille, et
auquel on ne peut procurer aucun soulagement, pas
même une visite du
médecin!
- Il n'y a
aucun
doute, s'écria Clémence, l'argent
sert à tout ! On est tranquille sur son
avenir, sur celui de ses enfants, lorsqu'on
épouse un homme riche. Et puis l'on peut
s'accorder quelques jouissances, l'on peut donner
une bonne éducation à ses fils,
à ses filles, on peut répandre des
aumônes en abondance...
-Oui,
interrompit Mme
Dubois, et l'on peut aussi attacher son coeur
à des vanités, mettre son plaisir
à se voir la plus huppée du village;
on peut oublier les misères du prochain,
misères qui échappent d'autant mieux
à la mémoire, qu'on ne les a point
éprouvées. On peut se faire une idole
de ses biens, croire, comme vous le disiez, ma
fille, que l'argent suffit à tout; on peut
sacrifier, dans le choix d'un mari, la recherche
des convictions religieuses, des sympathies de
caractère, à celle de la fortune; on
peut encore rencontrer dans un homme riche un coeur
avare, et l'on peut se repentir toute une vie,
toute une éternité, d'avoir
placé au premier rang ce qui devait tenir le
dernier.
Mes chères
enfants, je le redis à
satiété, cherchez d'abord la foi dans
un mari, puis la conformité des
idées, des goûts; après,
très-longtemps après, l'aisance. Vous
rencontrerez malaisément de tels avantages
réunis chez un seul individu, mais du, moins
vous n'accepterez pas l'homme auquel manquerait la
piété, et si, ne trouvant ni aisance,
ni une parfaite convenance de caractère chez
celui qui craint Dieu, vous vous décidez
à passer outre et à l'épouser,
vous saurez à quelles difficultés
vous vous soumettez, vos coeurs en seront mieux
disposés à chercher leur force
auprès de l'Éternel.
Il se fait
tard,
partez, mes enfants, retournez chez vos parents.
Adieu... à Dimanche.
Les quatre
jeunes
filles s'acheminèrent par le sentier qui
serpentait au tour de la colline couverte,
d'oliviers. Après un instant de silence -
Mme Dubois est drôle, dit Rose, où
veut-elle donc que nous prenions un mari bien
pieux, bien aimable et bien riche!
- Encore
si elle nous
permettait de nous divertir avec la jeunesse,
ajouta Justine, on pourrait se rencontrer, faire
connaissance!... mais tant que nous vivrons comme
des religieuses au couvent... il n'y a pas de
risque!...
-
Pouvez-vous parler
de la sorte, s'écria Louise. Rose, Mme
Dubois ne vient-elle pas de dire que nous
trouverions difficilement toutes ces
qualités dans un mari, que la
première est seule indispensable, qu'elle a
parlé des autres parce qu'il faut les
chercher, parce qu'on peut les rencontrer, parce
qu'il faut savoir ce que c'est que le mariage, mais
non...
- Ah! la
voilà
qui va recommencer toute la leçon,
interrompit Rose, j'en ai assez comme ça! et
poussant un bruyant éclat de rire, elle
s'élança la première an bas du
sentier.
- Pour
moi, reprit
Louise un peu blessée mais d'un ton plus
doux et plus modeste, pour moi j'en ai l'espoir,
Dieu me dirigera. J'attendrai, pour entrer dans la
vie conjugale, d'avoir trouvé un homme qui
aime le Seigneur. Dieu saura bien me le faire
rencontrer s'il veut que je me marie... et si je ne
le rencontre pas, je ne me marierai
pas.
- Tiens !
elle a
raison pourtant! dit Justine qui très-vite
entraînée revenait vite
aussi.
- Alors,
fit
Clémence, vous désobéirez
à Mme Dubois, car elle veut qu'on se
marie.
- Qu'on se
marie
lorsqu'on peut le faire selon Dieu, reprit Louise
en souriant, et qu'on reste dans le célibat
quand ou ne peut en sortir sans déplaire au
Sauveur.
- Bah!
bah!
s'écria Rose qui attendait ses compagnes au
pied du coteau, vous avez beau dire,
j'épouserai, moi, un joli homme, gai, en
train, bon vivant, et s'il ne pense pas comme moi
en religion ... eh bien, nous prierons Dieu chacun
à notre manière !
-
C'est-à-dire
que vous ne le prierez peut-être ni l'un ni
l'autre, interrompit Justine en se rapprochant de
Louise. Celle-ci la poussa du coude.
- Ne
l'irritez pas,
murmura-t-elle tout bas. Puis elle dit à
haute voix: - Ma chère Rose, il me semble
qu'il n'y a qu'une manière de prier
Dieu.
-Oui? fit
Rose, et
laquelle, s'il vous plaît?
- Celle
que nous
indique la Bible. Il nous est ordonné dans
les Saintes - Écritures de prier au nom de
Jésus, de Jésus seul, et Christ dit:
« Nul ne vient au Père que par moi.
» (25)
- Je
n'épouserai ni un païen, ni un Turc,
répliqua brusquement Rose,
j'épouserai un chrétien... tous les
chrétiens croient au Christ... vous
m'accorderez cela peut-être?
Louise
comprit qu'il
serait inutile, fâcheux même de pousser
la discussion plus loin, elle se tut, Justine
déclara que, quant à elle, elle
voulait voir le monde avant de s'engager pour la
vie. Clémence dit que sans doute la
piété et les convenances de
caractère avaient leur importance, mais que
la richesse a son mérite aussi; que les
soins grossiers du ménage ne lui convenaient
guère, qu'elle se déciderait
difficilement à épouser un homme qui
ne lui procurerait pas les jouissances de la
fortune, tout au moins celles de l'aisance; et
chacune regagna son logis, rapportant de cet
entretien selon ce qu'elle y avait porté.
Louise, une résolution conforme à
l'esprit de l'Évangile; Justine, un
improductif mélange de désirs pieux
et de penchants mondains; Clémence, des
besoins orgueilleux dont ne la délivrait pas
une foi morte; Rose, une sécheresse, presque
une inimitié contre Dieu, que cette
application des principes chrétiens à
la vie pratique venait de mettre dans tout leur
jour.
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