Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

INTRODUCTION

-------


Commentaire des BÉATITUDES par saint Jean Chrysostome

Docteur de l'église

 

15e homélie des 90 homélies prononcées à Antioche par le Saint sur l'Évangile de Saint Matthieu.

Note de Regard: Nos liens sont reliés avec la version Segond, pour cette raison il vous faudra parfois remonter d'un verset pour retrouver le texte cité.



"Jésus voyant les foules accourir gravit la montagne. Quand il se fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui. Ouvrant alors la bouche, il les instruisait, en disant : Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux leur appartient..." (Matth., V, 1-2)

Voyez quelle absence de faste et d'éclat. Il ne se fait pas accompagner par un nombreux cortège ; lorsqu'il s'agit de guérir les maladies, c'est lui-même qui va partout, qui parcourt les villes et les bourgades ; lorsque la foule vient le trouver, il s'assoit à l'écart, non dans une ville ou sur l'agora, mais dans la solitude, sur la montagne, nous apprenant ainsi que rien ne doit être fait pour l'ostentation, qu'il faut s'éloigner du tumulte et du bruit, surtout pour entendre les enseignements de la sagesse, pour méditer sur les choses nécessaires.

Ses disciples approchent donc, après qu'il s'est élevé sur la montagne et qu'il s'est assis. Observez leur progrès dans la vertu, l'heureux changement qui s'est tout à coup produit en eux. Beaucoup n'aspiraient qu'à voir des miracles ; eux désiraient recueillir une grande et sublime doctrine : c'est même là ce qui détermine le Christ à les instruire, à commencer ce magnifique discours. Non content de guérir les corps, il redressait les âmes donnant tour à tour ses soins aux deux parties constitutives de l'être humain, multipliant et variant ses bienfaits, unissant l'enseignement des oeuvres à celui de la parole : il réprimait ainsi l'impudence des hérétiques à venir, en accordant son attention à la matière comme à l'esprit, en montrant qu'il était le créateur de toutes les existences. Voilà pourquoi sa providence s'étend à toutes sans exception, allant sans cesse des âmes aux corps.

Telle était donc alors sa conduite. " Ouvrant la bouche, est-il dit, il les instruisait. " Et pourquoi cette expression : " Ouvrant la bouche ". Pour vous apprendre qu'il enseignait en se taisant aussi bien qu'en parlant, que ses oeuvres élevaient la voix, alors qu'il n'ouvrait pas la bouche. Quand vous entendez qu'il les instruisait, ne vous imaginez pas qu'il s'adressât uniquement à ses disciples ; par eux il s'adressait à tous. Comme devant lui se trouvait la multitude, en grande partie composée de personnes de la plus basse condition, il plaçait au premier rang le choeur de ses disciples ; et c'est à ces derniers principalement qu'il adressait la parole, de telle sorte néanmoins qu'elle pût parvenir à tous les autres, pour les arracher à leur ignorance et les familiariser avec les leçons de sa sublime philosophie. Ce même trait se lit dans saint Luc, ou du moins s'y trouve indiqué. (Luc, VI, 27) Voilà ce que Matthieu nous fait entendre en disant : " Ses disciples s'approchèrent, et il les instruisait. " Les autres devaient écouter avec d'autant plus d'attention que la parole ne semblait pas s'adresser à tous.

Par où commence-t-il, quels fondements donne-t-il à sa législation nouvelle ? Écoutons bien ce qu'il va dire ; car, si la parole était pour les contemporains, l'écriture est pour toutes les générations suivantes. S'il paraît faire l'éducation spéciale de ses disciples, il ne circonscrit pas son enseignement dans un cercle aussi restreint ; c'est à vous indistinctement qu'il adresse ses béatitudes.

Il ne dit pas, en effet : " Vous serez bienheureux, vous, si vous êtes pauvres". Non; il dit : "Bienheureux les pauvres". Assurément, bien que son instruction eût une direction spéciale, elle était de nature à devenir un bien commun. Lorsqu'il disait encore : "Voilà que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles", (Matth., XXVIII, 20) ce n'est pas seulement aux disciples alors présent qu'il parlait, il voit en eux le monde entier. De même, lorsqu'il les proclame heureux parce qu'ils auront à souffrir la persécution, l'exil et toute sorte de traitements intolérables, ce n'est pas pour eux seuls, c'est aussi pour tous ceux qui subiront avec courage les mêmes maux qu'il tresse ses couronnes.

Du reste, pour vous mieux assurer de cette vérité, pour que vous sachiez bien quelles choses dites vous regardent, regardent le genre humain tout entier, pourvu qu'on veuille y prêter une oreille attentive, voyez sous quelle forme se produit cet admirable discours : "Heureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient." (Matth., V, 3) Qui sont les pauvres en esprit? Les humbles, ceux dont le coeur est contrit. L'esprit désigne ici l'âme, l'intention, la volonté. Il y a des pauvres qui le sont involontairement et par nécessité; ce n'est pas de ceux-là qu'ils parle, vu qu'ils ne méritent aucun éloge: sa première béatitude est pour ceux qui s'humilient et s'abaissent de leur propre mouvement et par un libre choix.

Pourquoi met-il la pauvreté à la place de l'humilité? C'est parce que l'une de ces vertus est renfermée dans l'autre. Il désigne pas là les hommes qui craignent et respectent les préceptes du Seigneur; les mêmes que Dieu déclare par la bouche du prophète Isaïe mériter tout son amour: "Sur qui porterai-je un regard favorable, si ce n'est sur l'homme doux et paisible, qui reçoit mes paroles avec un religieux tremblement?" (Isaïe, LXVI, 2).

 

L'humilité se présente sous différentes formes: Il y a des hommes qui sont modérément humbles, et d'autres qui le sont au suprême degré. C'est à ces derniers que s'appliquent les louanges du bienheureux prophète, et non à ceux dont l'âme est simplement humiliée, mais n'est pas entièrement contrite, quand il dit: "Un sacrifice agréable à Dieu, c'est une âme brisée; vous ne dédaignerez pas, Seigneur, un coeur contrit et humilié." (Psalm., L. 19) (Psaume 51: 17) Telle est la vertu que les trois enfants offraient à Dieu comme un grand sacrifice, en priant en ces termes: "Que nous soyons reçus avec une âme contrite et un esprit humilié." (Daniel, III, 39) (?). Voilà celle que le Christ proclame bienheureuse.

Les plus grands maux qui ravagent le monde entier proviennent de l'orgueil, puisque le diable lui-même, qui ne méritait pas auparavant ce nom, est par là devenu diable, ce que que Paul nous fait entendre en disant: "De peur qu'en s'enorgueillissant il ne subisse la condamnation du diable." (I Tim., III, 6) Le premier homme également, poussé par la même ambition que le diable, tomba de sa hauteur réelle. Dieu lui reproche ce fol espoir et met à nu sa démence, quand il parle ainsi: "Voilà qu'Adam est devenu semblable à nous." (Gen., III, 22) Tous ceux qui vinrent après lui tombèrent dans l'impiété pour la même raison, en prétendant à la nature divine. Puisque c'était là le centre et le foyer de tous les maux, la source et le principe de toutes les iniquités, le Christ nous donne un remède en rapport avec la maladie, lorsqu'il nous impose l'humilité comme le fondement inébranlable de toutes les vertus.

Celle-là posée, l'architecte peut en toute sécurité construire son édifice: si vous l'ôtez, au contraire, on aurait beau s'élever jusqu'au ciel par la sublimité de sa conduite, tout croule et doit avoir une malheureuse fin.

Auriez-vous accumulé tous les biens possibles, le jeûne, l'oraison, l'aumône, la charité même et les autres, sans l'humilité, tous ces biens s'en iront en fumée. C'est ce qu'éprouva le Pharisien : après avoir atteint le faîte, il roula jusqu'au fond, ne possédant plus rien, parce que la mère des vertus n'était pas avec lui. De même donc que l'orgueil est la source de tous les vices, l'humilité est la base de toute philosophie. Vous comprenez maintenant pourquoi le Christ commence par là son oeuvre: il arrache du coeur de ses auditeurs la mauvaise racine de la superbe...

Que vous soyez esclave, mendiant, réduit à la dernière indigence, étranger sans considération aucune, rien ne vous empêchera d'être heureux, pourvu que vous embrassiez cette vertu. Après avoir commencé par ce qui devait nécessairement passer avant tout, il pose un autre principe, qui contredit aussi toutes les idées reçues dans le monde. Tous les hommes, en effet, regardent comme heureux ceux qui sont dans la joie, et comme malheureux ceux dont la vie s'écoule dans la tristesse, la misère et le deuil: et ce sont ces derniers qu'il proclame heureux en ces termes: "Heureux ceux qui pleurent." (Matth., V. 5)

Mais tous les déclarent malheureux; aussi a-t-il accompli des prodiges pour accréditer de semblables lois. Il ne faut pas non plus croire ici qu'il béatifie simplement les larmes; il parle des larmes versées sur le péchés; car il est un deuil défendu, celui qui porte simplement sur les choses temporelles.

C'est ce que Paul nous enseigne dans ce passage; "La tristesse selon le siècle opère la mort; la tristesse selon Dieu produit la pénitence et conduit sûrement au salut." (II Cor., VII, 10)

Le Sauveur proclame donc heureux ceux qui pleurent sous l'impression de cette dernière tristesse, mais qui pleurent abondamment, et non d'une manière quelconque. C'est pour cela qu'il emploie cette expression: "Qui pleurent", au lieu de celle-ci: "Qui sont tristes". Ce précepte enseigne éminemment toute philosophie. Ceux qui pleurent des enfants, une femme, ou quelque autre de leurs proches, sont insensibles dans un pareil moment aux attraits de la richesse ou de la beauté, à l'amour de la gloire, au sentiment même des injures, aux atteintes de l'envie, aux assauts d'une passion quelconque; ils sont tous entiers à leur deuil; à plus forte raison ceux qui pleurent leurs péchés comme les péchés doivent être pleurés, montreront-ils une philosophie supérieure.

Après cela quelle sera leur récompense? "Parce qu'ils seront consolés", ajoute le divin Maître. Mais où seront-ils consolés, je vous le demande? Dans cette vie et dans l'autre. Comme c'était là un précepte difficile et ardu, il a promis ce qui pouvait le mieux en adoucir les aspérités. Voulez-vous donc recevoir la consolation? pleurez. Et ne regardez pas cette parole comme une énigme. Dès que c'est Dieu qui vous consolera, seriez-vous assaillis de mille peines, vous les fouleriez toutes aux pieds. Les récompenses que Dieu donne l'emportent toujours sur les travaux: vous le voyez dans cette circonstance, puisqu'il béatifie les larmes non d'après le mérite de celui qui les répand, mais selon sa propre munificence; non d'après la grandeur de l'action, mais dans la mesure de son amour pour les hommes.

Ceux qui pleurent, en effet, pleurent leurs péchés; et dès lors il suffit pour leur récompense qu'ils en obtiennent le pardon et l'oubli; c'est la bonté divine qui ne s'en contente pas: elle ne s'en tient donc pas à remettre le supplice, à pardonner les péchés, elle rend l'homme heureux et lui prodigue ses consolations. À bien saisir la portée du précepte, il ne suffit pas de pleurer ses propres péchés, il faut encore pleurer ceux des autres. Ainsi sont disposées les âmes des saints, d'un Moïse, d'un Paul, d'un David: que de fois ces hommes ont pleuré les péchés de leurs frères!

"Heureux ceux qui sont doux parce qu'ils posséderont la terre" (Matth., V, 4) Quelle terre, dites-moi? Quelques-uns disent une terre purement intellectuelle. Mais il n'en est pas ainsi; nulle part dans l'Écriture il n'est question d'une semblable terre. Que signifie donc ce mot? Une récompense qui tombe sous les sens, comme celle dont parle l'Apôtre, lorsqu'il dit "Honore ton père et ta mère", et qu'il ajoute: "Ainsi tu vivras longtemps sur la terre"? (Eph., VI, 2-3). Le Seigneur lui-même disait dans le même sens au larron: "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis." (Luc, XXIII, 43) Il place en perspective non seulement les biens à venir, mais encore ceux de la vie présente, à cause de ces esprits terrestres qui cherchent ceux-ci plutôt que ceux-là. Aussi dira-t-il dans la suite de son discours: "Sois d'accord avec ton adversaire." Il montre immédiatement comment cette prudence sera récompensée: "De peur que ton adversaire ne te livre au juge et le juge au bourreau." (Matth., V, 25).

Voyez-vous quelle crainte il suscite? La criante d'un malheur corporel, comme il n'en arrive que trop souvent. Il avait déjà dit: "Quiconque dira à son frère, Raca, sera passible du conseil." (Matth., V, 22) Paul de même propose fréquemment des récompenses sensibles, appuie ses exhortations sur l'espoir des biens présents; comme, par exemple, quand il parle de la virginité, il n'est pas là question des cieux, mais bien des choses présentes; écoutez plutôt: "À cause de la nécessité qui vous presse...; mais je veux vous ménager...; j'exige que vous soyez sans sollicitude." (1 Cor., VII, 26, 28, 32)

Le Christ mêle donc les objets sensibles aux objets spirituels. L'homme doux pourrait penser qu'il s'expose à tout perdre; c'est l'opposé qu'il lui promet: l'homme sans audace et sans jactance est celui-là même qui possède le plus sûrement ce qui lui appartient; tandis que ces deux vices nous font souvent perdre les biens paternels, et de plus notre âme elle-même. Ajoutez à cela que le prophète ayant dit dans l'Ancien Testament: "Les doux auront la terre pour héritage", (Ps., XXXVI, II) (?) le Christ s'empare d'une expression connue, afin de rendre son discours plus accessible à ses auditeurs, et de ne pas les étonner à chaque parole.

Par là néanmoins il n'entend pas circonscrire la récompense dans le temps présent; il ajoute seulement le visible à l'invisible. En effet, s'il appelle notre attention sur les biens spirituels, il ne nous enlève pas pour cela les biens sensibles; et, d'un autre côté, s'il nous fait des promesses pour cette vie, son intention n'est pas de nous interdire d'autres espérances. Entendez ce qu'il dit: "Chercher d'abord le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît;" (Matth., VI, 33) puis encore: "Quiconque aura quitté pour moi, maison, frères, père, mère, femme, enfants et champs, recevra le centuple en ce monde, et possédera la vie éternelle dans l'autre." (Matth., XIX, 29 ; Marc., X, 29-30)

"Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice." (Matth., V, 6) Que faut-il entendre ici par justice? Ou bien l'essence même de la vertu prise dans son ensemble, ou bien cette vertu spéciale qui est l'opposé de l'avarice et de la rapacité. Comme il allait donner un précepte touchant l'aumône, il nous apprend de quelle manière il faut l'exercer; et c'est ainsi qu'en béatifiant la justice il condamne la convoitise dans son but et ses moyens. Remarquez avec quelle force le Sauveur exprime sa pensée. Il ne se borne pas à dire: "Heureux ceux qui pratiquent la justice", mais il dit: "Heureux ceux qui ont faim et soif de justice".

C'est nous signifier qu'il faut l'embrasser avec toute l'ardeur dont une âme est capable, et non par manière d'acquit. Comme c'est là surtout le propre de l'avarice, de vouloir acquérir et posséder plus encore que nous ne désirons manger et boire, il a voulu nous inspirer ce même désir pour le désintéressement. Une récompense sensible nous est également promise ici, puisqu'il ajoute: "Car ils seront rassasiés." On croit généralement que l'avarice enrichit; il nous affirme le contraire: c'est la justice qui produit cet effet. Lors donc que vous marchez dans les voies de la justice, ne craignez pas la pauvreté, vous n'aurez pas à souffrir la faim. C'est aux hommes rapaces à redouter d'être dépouillés de tout; les justes posséderont tout avec sécurité. Si les hommes qui ne désirent pas le bien d'autrui ont tant de richesses en partage, à plus forte raison ceux qui distribuent leur bien.

"Heureux les miséricordieux." Ce n'est pas seulement ceux qui font l'aumône de leur argent que cette parole désigne; à mon avis, c'est encore ceux qui la font par leurs oeuvres. La miséricorde revêt diverses formes, et ce précepte s'étend bien loin. Quelle en sera la récompense? "Car eux-mêmes obtiendront miséricorde." Dans les termes ce n'est que l'équivalent; mais en réalité, la récompense l'emporte de beaucoup sur la bonne oeuvre. Eux exercent la miséricorde comme il est possible à des hommes de l'exercer, tandis qu'ils la reçoivent du Dieu de l'univers. Or, il n'existe aucune comparaison entre la divine miséricorde et la miséricorde humaine; elles diffèrent autant que la bonté diffère de la malice.

"Heureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu." (Matth, V, 8) Voici maintenant une récompense spirituelle. Les hommes au coeur pur, dans la pensée du divin Maître, sont ou bien ceux qui pratiquent toutes les vertus et dont la conscience est sans reproche, ou bien ceux qui vivent dans la chasteté; car il n'est pas de vertu qui nous conduise comme celle-ci à la vision divine. Voilà pourquoi Paul disait: "Vivez en paix avec tous et dans la continence, sans laquelle nul ne verra le Seigneur." (Héb., XII, 14)

Mais la vision dont il s'agit est évidemment celle dont l'homme est capable. Comme il y en a beaucoup qui font l'aumône, qui ne sont ni rapaces ni cupides, et qui néanmoins commettent la fornication, s'adonnent à l'impureté, le Christ, en parlant de la sorte, a voulu nous montrer que ces premières vertus ne suffisent pas. Paul l'atteste aussi dans l'épître aux Corinthiens; il dit des Macédoniens qu'ils étaient riches non seulement par l'exercice de l'aumône, mais encore par les autres vertus. Après avoir parlé de la largesse de leurs dons, il dit qu'ils se sont dévoués au Seigneur, "et à nous". (II Cor., VIII, 5)

- - Chapitre suivant