Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES DISCIPLES REPOUSSANT LA CANANÉENNE

Et une femme cananéenne qui venait de ces quartiers-là s'écria et lui dit: « Seigneur, fils de David, aie pitié de moi...,, Sur quoi ses disciples s'étant approchés, le prièrent, disant: « Renvoie-la, car elle crie après nous. »

(MATTH. XV, 22, 23.)


Mes frères,

Une femme du pays de Canaan, une pauvre mère est accourue auprès de Jésus-Christ. On lui a dit qu'il est bon, qu'il guérit ceux qui souffrent, et l'excès de sa douleur est tel, que malgré le silence du Maître elle le suit avec obstination pour obtenir de lui une promesse, une parole; mais entre elle et Jésus, il y a les apôtres : à leurs yeux, elle n'est qu'une païenne, et cela leur suffit pour la repousser. « Renvoie-la, disent-ils à Jésus-Christ, renvoie-la, car elle crie après nous ! » Ce n'est pas la seule occasion dans laquelle ils tiennent ce langage. Un jour, des mères viennent vers Jésus, et lui amènent leurs petits enfants pour qu'il les bénisse; mais là encore, les apôtres interviennent et les repoussent. Une autre fois, c'est une femme qui s'approche de lui, dans la maison du pharisien Simon. Humble et silencieuse, elle est entrée apportant un vase plein de parfums qu'elle brise à ses pieds. Mais les disciples s'indignent et disent : « A quoi bon cette perte? » Ainsi, dans ces trois circonstances, je vois les disciples s'interposer entre Jésus-Christ et ceux que Jésus-Christ voulait bénir. Or, ce fait s'est reproduit à toutes les époques; aujourd'hui, j'ai la conviction douloureuse et trop fondée qu'au nombre des causes qui éloignent le plus les âmes de Jésus-Christ, il faut compter parmi les plus puissantes l'attitude des disciples de Jésus-Christ. C'est sous le poids de cette pensée que je veux vous parler mes frères; mon but , ai-je besoin de le dire, n'est pas de rabaisser les disciples : c'est une tâche trop facile dont le monde, d'ailleurs, sait assez s'acquitter. Je voudrais faire mieux; je voudrais rappeler une fois de plus que c'est au Maître, et non pas aux disciples, qu'il faut aller pour trouver la lumière, la paix et le salut.

Ecartons d'abord tout malentendu. Quand j'affirme que c'est au Maître, et non point aux disciples, qu'il faut regarder, quand je rappelle, pour justifier cette pensée, les exemples que j'ai cités, je n'oublie point que les apôtres, éclairés par des révélations spéciales, appelés par Jésus à fonder l'Eglise, ont été revêtus par lui d'une autorité exceptionnelle, et pénétrés de son esprit au point de devenir les vrais et fidèles interprètes de sa pensée. Je n'oublie point leur mission et les promesses qui s'y rattachaient. « Qui vous écoute m'écoute, avait dit Jésus-Christ. Le Saint-Esprit vous conduira dans toute la vérité (1) » C'est avec la pleine conscience de cette mission qu'ils parlent; de là cet accent qui n'appartient qu'à eux, cette paisible et ferme certitude, cette élévation extraordinaire de pensée et de parole, cette autorité sereine qui est la meilleure preuve de leur inspiration. Rien n'est donc plus éloigné de ma pensée que de les mettre, sur le terrain de la vérité chrétienne, en contradiction avec leur Maître; On prétend aujourd'hui opposer leur enseignement à celui de Jésus, de telle sorte que Jésus seul étant pour nous le Maître, nous resterions vis-à-vis de saint Pierre et de saint Paul dans la situation de juges.

Je n'accepte pas une telle position; les apôtres sont pour nous les témoins accrédités de Jésus-Christ: c'est par eux que je connais le Maître. Sans doute il y a entre eux et Jésus-Christ toute la distance qui sépare ceux qui viennent de la terre de celui qui est descendu du ciel. Seul Jésus possède la vérité sans mesure. Il est la vérité. Eux n'en saisissent que ce que Dieu leur en a révélé; ni saint Paul, ni saint Jean, ni saint Jacques ne me suffisent. Chacun d'eux éclaire le plan du salut d'un rayon de la vérité révélée; l'un accentue avant tout la grâce, l'autre pénètre dans l'amour qui est l'essence divine, l'autre insiste sur la loi morale : en Jésus-Christ seul la vérité apparaît dans sa radieuse, dans sa complète harmonie; mais, des apôtres à lui, il n'y a pas contradiction, En lui se rencontrent comme dans leur centre toutes les lignes de l'enseignement apostolique; des apôtres, je vais au Maître, et du Maître, je retourne aux apôtres, sans sortir un moment de la vérité. Comment, d'ailleurs, les opposer au Maître, puisque c'est le Christ qui est leur vie, l'objet de leur enseignement, puisque c'est au Christ que sans cesse ils nous ramènent, puisqu'il est l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin, le centre même de leur enseignement? Le Christ, auquel je vous renvoie, c'est le Christ des apôtres; je n'en connais pas, je n'en veux point connaître d'autre.

Mais dès que nous sortons de l'âge apostolique, la situation change; un trait marque ce changement : Jésus-Christ n'est plus sur le premier rang. A sa place, on a mit l'Eglise. On avait dit d'abord : « Où est Christ, là est l'Eglise. » On change cette formule et l'on dit : « Où est l'Eglise, là est le Christ. » Il y a là toute une révolution. C'est donc par l'Eglise qu'il faut passer pour trouver le Christ. Dans cette pensée, le catholicisme est en germe tout entier. L'Evangile appelait l'Eglise l'épouse; on en fait la mère... Mot nouveau qui n'est point dans l'Evangile; car, tandis que le nom d'épouse exprime l'idée de soumission, celui de mère exprime l'idée d'autorité (2) : dès lors, le Christ est au second rang. Ah! je sais bien qu'en même temps on lui prodigue toutes les marques de l'adoration, qu'on le place à côté du Père dans le même culte. Qu'importe! il est au second rang dans la vie des chrétiens. C'est l'Eglise qui est désormais l'objet premier de la foi; agrandir l'Eglise, enrichir l'Eglise, glorifier l'Eglise, c'est le moyen âge tout entier. Qu'est devenue l'oeuvre du Christ? Elle a disparu derrière les oeuvres méritoires que commande l'Eglise. Qu'est devenue sa médiation? Elle a disparu derrière l'intercession des saints. Qu'est devenue sa parole ? Elle a disparu derrière les traditions, les décrets des conciles. Entre le Christ et les âmes, il y a désormais une institution par laquelle seule on aura accès auprès de lui. Je n'oublie point, mes frères, que derrière cette institution, il y a de pieuses, de saintes âmes qui vivent du Christ et qui sont à lui. Il faut les reconnaître, les admirer, les imiter; il faut nous sanctifier à leur exemple. Mais il n'en faut par, moins, avec toute l'énergie dont nous sommes capable, affirmer que l'Eglise ne devait pas usurper ainsi la place, le rôle de Jésus-Christ. Qu'en est-il résulté ? C'est une loi de l'histoire que chaque système doit accentuer de plus en plus son principe, et c'est le châtiment de l'erreur d'être fatalement forcée d'épuiser toutes les conséquences pratiques qu'elle renferme. L'Eglise qui, dans la pensée de Jésus-Christ, devait être avant tout la famille spirituelle de ses rachetés, est devenue une société autoritaire qui exige de tous ceux qui lui appartiennent une première, une indispensable condition - la soumission absolue, sans réserve. La foi à l'Eglise est devenue la condition de la foi au Christ.

C'est par l'Eglise, par l'Eglise seulement, qu'on peut aller à lui. Mais si, en dehors de l'Eglise officielle et visible, une âme s'avise de rencontrer le Christ, de croire en lui, de puiser en lui sa vie et de porter ces fruits admirables de piété, de dévouement, de charité que la foi seule peut produire, alors on est obligé de nier ces oeuvres, de tenir cette piété pour suspecte, de la railler peut-être, et à coup sûr de lui préférer la soumission, même passive et morte, de ceux que le hasard de la naissance a placés dans le cadre extérieur de l'Eglise et fait participer à son baptême, à la grâce de ses sacrements. Ces derniers sont les enfants légitimes; les autres ne sont que des étrangers, des rebelles, oui, lors même que leur vie s'est donnée au Christ, lors même que l'amour et la foi au Christ a pénétré leurs âmes, lors même qu'ils ont laissé après eux la terre fécondée des sueurs de leur travail et des larmes de leur charité. Conséquence monstrueuse, mais logique , d'un système qui met l'adhésion à l'Eglise visible avant la foi en Jésus-Christ! Il y a plus : par cela même qu'on a donné la première place à l'institution visible et terrestre, elle finit par envahir toutes les préoccupations, par se substituer à la religion même. En voulez-vous la preuve? Parlez en France à un homme, au premier venu, de la religion. Vous croyez par ce simple mot éveiller dans son âme le sentiment de sa destinée éternelle, de ses rapports avec Dieu. Vous vous trompez. Cent fois sur une, il vous répondra en vous parlant du clergé, de l'Eglise, et l'Eglise, pour lui, c'est l'institution sociale, c'est le pouvoir temporel. Hélas! c'est presque un parti politique que l'on soutient ou que l'on attaque pour des causes auxquelles la foi reste le plus souvent étrangère. S'appelle-t-on libéral? On lui est hostile, parce. qu'on ne peut consentir à étouffer sous le poids d'une aveugle réaction des droits péniblement conquis par des luttes séculaires, et sans lesquels la société moderne n'existerait plus. Voilà ce qu'a gagné l'Eglise à usurper le rang qui n'appartenait qu'à Jésus-Christ. Voilà, grâce à cette usurpation, la cause chrétienne misérablement mêlée à toutes les préoccupations, à toutes les rancunes, à toutes les haines de la politique, suspendue à toutes les complications de la diplomatie, à toutes les chances de la guerre, victorieuse aujourd'hui, vaincue demain, et traînant dans le sang le drapeau qui ne devait servir qu'à rallier les âmes et à les conduire aux combats de la foi... 0 Jésus-Christ, fils de Dieu, sauveur des âmes, est-ce donc là ta cause? Oui, mes frères, c'est ainsi qu'en juge ce peuple qui nous entoure... Voilà les préventions qui montent et s'accumulent comme autant d'épais nuages, et viennent lui dérober de plus en plus la face pure, adorable, du Christ des évangiles.

Certes, je sais toutes les misères, toutes les divisions , toutes les faiblesses du protestantisme; j'en gémis et je m'en humilie. Mais au moins, dans nos Eglises, quand elles sont fidèles à leur beau nom d'évangéliques, il n'y a rien entre les âmes et Jésus-Christ. Leur enseignement, c'est la parole du Christ, leur vie, c'est la communion du Christ, leur mission, c'est de conduire les âmes aux pieds du Christ .... Je gémis de tout ce qui leur manque; je déplore notre culte défectueux, nos traditions rompues, notre organisation trop faible; mais s'il nous était possible de retrouver toutes ces forces qui nous manquent, et si elles devaient nous satisfaire, si elles nous faisaient moins désirer la présence du Chef invisible, si elles nous la rendaient moins nécessaire, alors mieux vaudrait nous en passer... Oui, rendez-moi l'Eglise pauvre, humiliée et sans gloire, mais l'Eglise appelant son Christ, vivant de sa présence et de son amour, et toujours prête à redire avec le Précurseur : « Il faut qu'Il croisse et que je diminue! »

J'ai parlé jusqu'à présent de l'Eglise. Descendons maintenant sur le terrain de la conscience individuelle, Je m'adresse directement à vous, mes frères, à vous qui êtes, qui voulez être les disciples de Jésus-Christ, et je vous demande si vous n'avez jamais éloigné de lui des âmes qu'il voulait bénir.

Disciples de Jésus-Christ, et par conséquent témoins de Jésus-Christ par notre vie autant que par nos paroles, nous pouvons conduire les âmes à Jésus-Christ ou éloigner les âmes de Jésus-Christ. Redoutable alternative à laquelle il est impossible d'échapper!

Conduire à Jésus-Christ! Quel privilège et quelle gloire! Il faut à cette mission tout d'abord la fidélité dans le témoignage; il y faut la fidélité du croyant qui s'oublie lui-même et qui sait imiter l'exemple de Philippe lorsque, amenant aux pieds du Messie Nathanaël tout rempli de préjugés, il lui dit simplement : «Viens et vois. » Mais, je l'ai dit, ici la parole ne suffit pas. Rendez-vous compte de ce qui vous a tout d'abord amenés au Christ. C'était souvent une influence indirecte et d'autant plus persuasive. Vous aviez rencontré sur votre route une vie qui reflétait la pure lumière de Jésus-Christ; c'était la sainteté sans faste, c'était l'amour rayonnant à travers les paroles et les moindres actes. Il y avait là quelque chose qui n'était pas de la terre; or, de même que l'éclat des couleurs qui ornent la campagne, et la chaleur qui pénètre partout l'atmosphère, annoncent le soleil d'été qui s'est levé dans sa gloire, de même aussi cette vie transformée vous annonçait Celui qui s'est appelé la lumière du monde. A ses oeuvres, vous reconnaissiez sa présence; instinctivement vous alliez à lui. Enfin vous l'avez vu, vous l'avez contemplé lui-même, et vous êtes tombés à ses pieds. Heureux ceux qui vous ont ainsi conduits à lui! Peut-être l'ont-ils ignoré, Peut-être ne sauront-ils qu'au dernier jour qu'ils ont été les instruments de votre salut.

D'autres sont gagnés d'une autre manière; il leur faut la charité que rien ne lasse, et qui persévère contre toute espérance; c'est malgré eux, c'est par la force victorieuse de l'amour qu'ils sont subjugués. A la résistance qu'ils opposent à l'Evangile, on peut mesurer d'avance la vigueur qu'ils apporteront à le servir, le jour où ils y auront été gagnés; mais plus cette résistance est forte, plus doit être infatigable aussi la charité qui les poursuit. Heureux ceux qui remportent ces victoires! Heureux ce père chrétien que j'ai connu, qui, serrant dans ses bras son fils mourant, autrefois égaré et rebelle, mais repentant et changé, s'écriait : « Maintenant, je l'ai, je le possède, » et affirmait ainsi l'éternelle réalité de l'amour jusque dans les étreintes de la mort! Oui, heureux ceux qui remportent ces victoires! Si le monde a ses applaudissements et ses trophées pour les généraux qui reviennent triomphants des batailles, l'Evangile nous parlé d'un autre triomphe réservé à ceux qui auront sauvé des âmes de leurs égarements. Ce qui les attend, c'est la couronne de vie; leur cortège, ce seront les âmes qu'ils auront sauvées, et dans le ciel, nous dit un prophète de l'ancienne alliance, ils brilleront comme des étoiles aux siècles des siècles.

Mais on peut éloigner des âmes de Jésus-Christ. Ah! qui de nous, à cette pensée, ne sent son coeur se serrer? Qui ne se rappelle de douloureux souvenirs ? Un jour des âmes étaient venues sur notre route, lasses du monde, travaillées et chargées, avides de paix et de pardon... Le Christ les attendait; c'était à nous de les conduire à ses pieds. Que sont-elles devenues? Pourquoi ne sont-elles pas à nos côtés? Jésus-Christ, lui, aurait su les accueillir et les comprendre. Dans ces âmes encore enveloppées de ténèbres, il aurait su faire pénétrer la lumière; dans ces coeurs encore incrédules, il aurait su faire vibrer la corde sensible. Il n'aurait point éteint le lumignon fumant; il n'aurait point brisé le roseau froissé. Nous, nous avons passé à côté d'elles comme le lévite à côté de l'homme blessé de la parabole. Si encore nous nous étions bornés à ne pas les accueillir, mais nous les avons repoussées. Hélas! elles nous ont vus, elles nous ont entendus! Entre elles et le Christ, il y a eu nos péchés, nos misères, notre orgueil, nos implacables jugements, nos étroitesses; il y a eu nos légèretés, il y a eu les déplorables démentis que notre vie donne souvent à nos croyances. S'il est dit que la sagesse doit être justifiée par ses enfants, n'est-il pas certain qu'elle peut aussi être accusée par eux? Si nous sommes appelés à sanctifier le nom de Dieu, n'est-il pas certain que nous pouvons le déshonorer?

Quand on a compris cela, on devient humble, mes frères. On ne passe plus au milieu de sa génération avec une parole d'accusation à la bouche; on n'a plus dans le regard cette censure hautaine qui trahit l'orgueil spirituel. Bien loin de vouloir repousser ceux (lui viennent à Jésus-Christ, on s'étonne d'avoir été reçu au nombre de ses disciples, et l'on comprend que les derniers, d'après le jugement des hommes, seront souvent les premiers d'après le jugement de Dieu. Ah! disciples orgueilleux, vous avez repoussé la Cananéenne ! Votre Maître l'admire (3). Vous avez écarté de lui les enfants comme indignes de son attention! Il vous les donne en exemple (4). Vous avez demandé que le feu du ciel descendît sur une bourgade des Samaritains! Il vous humilie par le spectacle de la charité d'un Samaritain (5). Vous avez laissé tomber sur la femme qui pleure aux pieds du Christ un regard dédaigneux! Il la relève et promet à son acte obscur l'immortalité (6). Et nous-mêmes, mes frères, instruits par ces exemples, souvenons-nous que les péagers et les gens de mauvaise vie peuvent nous devancer dans le royaume des cieux; craignons, suivant la parole de saint Paul, de faire périr par notre dureté une âme pour laquelle Christ est mort (7) ! 

Je viens de montrer combien de fois l'exemple des chrétiens contribue à éloigner les âmes de Jésus-Christ. Je ne serais point surpris si mes paroles étaient bien accueillies d'un grand nombre de ceux qui m'écoutent, et si elles leur causaient même une secrète satisfaction. Qu'ils me permettent cependant de m'adresser maintenant à eux, et de chercher ce qui se cache dans le sentiment qu'ils éprouvent.

Il vous plaît donc, mes frères, d'entendre rejeter sur les fautes des chrétiens les causes de l'incrédulité du grand nombre, et (qui sait, peut-être?) de votre propre incrédulité. C'est là un sujet que vous abordez volontiers. Vous qui n'aimez point que l'on soit trop sévère envers l'humanité, vous ne vous plaignez plus de cette sévérité, si elle est dirigée contre les croyants exagérés, contre les esclaves de l'orthodoxie; vous qui vous plaisez à résumer la religion dans la charité, vous oubliez peut-être cette charité quand il s'agit de censurer la conduite de ceux dont la foi vous paraît trop rigide. Cette conduite vous sert d'excuse quand on vous reproche de ne pas vous engager au service de Jésus-Christ. Vous ne pouvez cependant pas alléguer l'exemple de mon texte. La Cananéenne, malgré les disciples, est allée jusqu'au Christ; elle a cru en lui. Quel rapport entre sa conduite et la vôtre? Vous ne voulez pas servir résolument Jésus-Christ, et votre excuse, nous dites-vous, ce sont les fautes des chrétiens.

Les fautes des chrétiens, je les ai publiquement confessées, je les déplore; mais entre vous et moi, il y a cette différence qu'elles m'attristent et m'humilient, tandis qu'au fond elles vous causent une secrète joie et que vous y cherchez, une excuse. Pas plus que vous, je ne songe à les dissimuler; toutefois, je vous demande si vous êtes bien placés pour porter sur elles un jugement impartial.

Ecartons d'abord les hypocrites; se faire de leur duplicité une arme contre l'Evangile est une tactique indigne, quoique trop répandue. Je ne dirai ici qu'une chose : connaissez-vous un livre qui condamne l'hypocrisie avec plus de force que l'Evangile, qui, plus que l'Evangile, lui dénonce d'effrayants jugements? Parlons donc des chrétiens sincères, mais inconséquents, faibles comme nous le sommes tous.

Vous voyez leurs faiblesses, leurs inconséquences. Etes-vous sûrs de ne pas les exagérer dans l'intérêt de votre cause? N'apportez-vous pas à cette étude une perspicacité maligne, un injuste acharnement? Comment voulez-vous qu'ils échappent à votre censure ? Quoi qu'ils fassent, ils sont condamnés d'avance. Sont-ils généreux ? C'est du faste, c'est un étalage orgueilleux de charité. Cachent-ils leurs bienfaits? C'est de l'avarice. Sont-ils joyeux dans leur piété? C'est une joie mal placée chez des gens qui ne voient dans la terre qu'une vallée de larmes. Sont-ils sérieux? C'est un zèle morose, une humeur acariâtre. Sont-ils ardents à répandre leurs convictions? C'est un intolérable prosélytisme. Leur zèle s'arrête-t-il ? Vous êtes les premiers à leur reprocher leurs insuccès. Jouissent-ils simplement des joies de la vie et des affections légitimes? Ce sont des gens qui en prennent à leur aise avec l'existence. Y renoncent-ils par esprit de sacrifice? C'est de leur part une vaine parade d'austérité. Négligent-ils leurs affaires terrestres ? Ce sont des rêveurs mystiques, des membres inutiles de la société. Réussissent-ils dans leurs entreprises ? C'est trop. d'habileté pour des gens qui se prétendent détachés du monde. Ainsi, quelle que soit leur attitude, votre critique malveillante les trouvera toujours en défaut.

Et puis, quand vous avez ainsi découvert tous les ridicules, toutes les contradictions de leur vie, avez-vous tenu compte de l'autre côté de la question ? Avez-vous jamais, avec le même soin, pesé dans la balance tout ce que la foi chrétienne produit à chaque heure, à chaque minute, de dévouements, de sacrifices, d'oeuvres admirables? Vous voyez les fautes; voyez-vous les repentirs? Comptez-vous les larmes cachées, les retours à Dieu, les saintes consécrations? Discernez-vous surtout la piété silencieuse, mais active, qui n'attire pas les regards, mais qui, tandis que vous vivez paisiblement pour vous-mêmes, visite vos pauvres, vos écoles, vos malades, et s'en préoccupe sans cesse? Pour moi, je vous donnerai ici le résultat de mon expérience, que des témoignages éclatants confirmeraient au besoin : il peut y avoir, dans toutes les religions et dans tous les systèmes, de beaux élans d'enthousiasme pour le bien, et des mouvements admirables; mais toutes les fois qu'il s'agit de poursuivre avec persévérance des oeuvres cachées, rebutantes et sans gloire, c'est sur la foi chrétienne , sur la foi ferme et décidée que je compte (8) La bonne tenue suffit pour des soldats de parade; pour l'action, il faut autre chose. On peut, au nom d'une philosophie humanitaire, prononcer d'éloquents discours. On peut, dans la vie la plus mondaine, avoir un élan de. sensibilité, et jeter de l'or au misérable; mais qui le visitera, qui descendra dans son logis souvent infect, qui recueillera ses enfants, qui les instruira? qui opposera à la propagande du vice la propagande de la charité? qui s'inclinera avec amour sur de dégoûtantes maladies, sur d'incurables infirmités? Des croyants, vous dis-je. C'est la règle. Le monde le sait; il s'y attend : il compte sur l'Eglise. Dans son égoïsme brutal, il semble lui dire : « Je t'appellerai à mon heure; tu seras là pour soigner mes misères, tu recueilleras ceux dont je n'ai que faire, tu panseras ces blessures, ces plaies saignantes pour lesquelles je n'ai ni secours, ni consolation. » Et l'Eglise accepte cette mission; mais si elle cessait de l'accepter, si on pouvait éteindre ce feu de l'amour chrétien, qui seul inspire ces dévouements continus et sans nombre, vous pourriez, à l'excès de nos misères, mesurer ce qu'opérait à chaque jour, à chaque heure, cette foi chrétienne dont vous n'avez su voir que les faiblesses et les ridicules.

N'est-ce rien d'ailleurs que la piété, la simple piété, même avec ses lacunes et ses inconséquences ? Une âme qui prie Dieu sincèrement, qui le bénit, qui lui rend grâces, n'est-elle pas digne de votre respect? Dieu doit-il donc être rayé de la morale, et les devoirs qui se rapportent directement à lui n'ont-ils plus de valeur à vos yeux? Quoi! vous flétrissez le fils ingrat qui néglige son père en cheveux blancs, « vous trouvez tout simple, tout naturel qu'on passe à côté de Dieu sans élever vers lui une prière, un élan de reconnaissance, sans songer qu'on a tout reçu de lui? Vous opposez avec plaisir aux fautes des chrétiens l'honnêteté de l'athée, et vous ne trouvez rien de criminel dans cette orgueilleuse indépendance de la créature qui, du haut de sa probité, traite Dieu comme s'il n'existait pas! Mais si Dieu existe, peut-on contempler un instant avec indifférence un renversement aussi prodigieux? Vous ne comptez pour rien la vie cachée de l'âme, la sanctification intérieure, l'humble soumission du coeur repentant, et parce que tout cela ne se traduit pas en oeuvres d'utilité publique, vous dites comme Judas : « A quoi bon cette perte? » Dans la balance où vous pesez les vertus chrétiennes, vous n'oubliez qu'une chose, c'est la part de Dieu, et vous vous savez gré de votre justice et de votre impartialité!

Je veux pourtant que vos griefs soient fondés. Les fautes des chrétiens sont bien telles que vous les dépeignez. Je ne vous demande plus qu'une chose : En quoi peuvent-elles justifier votre incrédulité? Elles ne le pourraient que si vous aviez le droit d'en chercher la cause dans l'Evangile lui-même. Or, vous vous gardez bien de le faire; car votre argument le plus fort consiste à montrer le contraste qui existe entre l'Evangile et ceux qui le professent. Vous dites en parlant des chrétiens: « Ces hommes servent Jésus-Christ, et ils renient son esprit! Ils admettent l'Evangile, et ils sont égoïstes et sans charité ! Ils s'inclinent devant la loi la plus sainte, et ils ne valent pas mieux que les autres ! » C'est là, je le répète, ce qui fait. Votre force. Laissez-moi ajouter que c'est ce qui vous rend inexcusables; car plus vous glorifiez l'Evangile en l'opposant à nos misères, plus vous êtes impardonnables de ne pas y croire. En effet, si nous sommes pécheurs, l'Evangile en est-il moins vrai; Jésus en est-il moins divin ? Quoi! parce que nous sommes inconséquents et pleins de défauts, vous serez dispensés de vous convertir, de croire et de vous humilier? Parce que vous nous avez rencontrés sur votre route, vous serez excusés de ne pas aller jusqu'au Christ, de ne pas l'écouter, de ne pas pratiquer ses enseignements? Quoi! ce sont nos misères qui vous justifieront, qui laveront les souillures de votre vie, qui vous absoudront aux yeux du juste juge, et vous lui direz au dernier jour : « Seigneur, je suis pur, car ceux-là sont coupables. » Oh ! l'étrange justification. Oh ! le ridicule sophisme, et c'est sur cela pourtant que vous vous appuyez pour expliquer votre incrédulité!

Soyez donc sincères avec vous-mêmes; car ces vaines excuses seront consumées comme le chaume par la flamme du jugement éternel. Demandez-vous si ce qui vous choque chez les chrétiens, ce sont leurs fautes et leurs inconséquences, et si ce n'est pas plutôt leur fidélité. Vous blâmez leurs faiblesses; supporteriez-vous chez eux la sainteté ? Vous blâmez leur égoïsme; supporteriez-vous chez eux la charité, j'entends la vraie charité, celle qui trouble la conscience, qui remue le coeur, qui appelle au sacrifice, qui aime non-seulement pour le temps, mais pour l'éternité? Ah! combien de motifs j'ai pour croire qu'ici vous ne dites pas toute votre pensée, et que les raisons que vous alléguez ne sont pas celles qui vous déterminent! Vous iriez à Jésus-Christ, si la vie des chrétiens ne vous repoussait pas; et qui m'assure que ce qui vous écarte des chrétiens, ce n'est pas ce qu'ils ont de meilleur, je veux dire, suivant l'expression de saint Paul : « Jésus-Christ en eux? » Vous vous récriez! Comment Jésus-Christ pourrait-il ne pas vous attirer? Mes frères, quand il était sur la terre, il a vu s'éloigner de lui des hommes qui valaient sans doute autant que vous. Vous aimez le Christ à distance! Vous ne voyez en lui que ce Maître, doux, aimable, dont notre siècle s'est plu à retracer l'image efféminée! Mais le vrai Christ, l'auriez-vous aimé? Quand sa voix fidèle aurait dénoncé votre avarice, n'y en a-t-il aucun, parmi vous, qui l'eût quitté tout triste comme le riche de l'Evangile? Quand il vous aurait dit que la recherche de la gloire humaine est incompatible avec celle qui vient de Dieu, n'y aurait-il eu aucun de vous qui se serait écrié, comme les habitants de Capernaüm : « Cette parole est dure, qui peut l'écouter ? » Quand sa main fidèle, écartant tous les voiles d'honnêteté extérieure dont vous vous entourez, vous eût montré au fond de votre âme l'idole secrète, la passion coupable, l'adultère intérieur, le meurtre spirituel qui s'y abritent, seriez-vous restés calmes? Quand il vous eût dit : « Suivez-moi, renoncez au monde, chargez-vous de votre croix, votre égoïsme n'eût-il pas protesté ? Quand il vous aurait ordonné de perdre sans retour votre vie, en la sacrifiant à Dieu, n'auriez-vous pas voulu fuir cette voix importune? Ah! prenez garde! si notre piété languissante, si notre foi trop faible, si notre parole trop molle, si notre vie trop peu sanctifiée vous étonnent et vous repoussent, qu'auriez-vous éprouvé en présence de Celui qui fut sur la terre la sainteté vivante, incarnée? Encore une fois, prenez garde qu'en alléguant pour vous justifier les fautes des disciples, ce ne soit Jésus-Christ, Jésus-Christ lui-même dont vous ne vouliez pas!

Un mot encore à vous, mes frères, qui croyez, mais dont la foi est si souvent troublée par la vue des misères, des imperfections des disciples. Votre trouble, je le comprends, et bien souvent, je l'ai ressenti moi-même. Laissez-moi vous montrer, en terminant, comment vous pouvez en sortir victorieux.

Et tout d'abord, au moment de juger les autres, tournez sur vous-mêmes ce regard pénétrant qui sait si bien discerner ce qui leur manque. Ils vous ont calomnié? N'avez-vous jamais malignement condamné vos frères? Ils vous ont accueillis avec sécheresse ? N'avez-vous jamais vu s'éloigner de vous plein de tristesse le malheureux que vous aviez repoussé ? Ils sont étroits dans leurs jugements, dans leurs opinions, dans leurs idées ? Avez-vous toujours été larges? Ils sont mondains, ils étalent un faste insupportable? Vous êtes-vous refusé ce plaisir, cette jouissance dont un pauvre attendait peut-être le sacrifice ? Placés dans leur position, auriez-vous échappé aux pièges qui les entourent? Au lieu de les juger, ne devez-vous pas demander grâce?

C'est la justice, mes frères, qui vous forcera de raisonner ainsi, la pure, la simple justice. Mais, puis-je oublier que vous êtes épargnés, sauvés par charité? Puis-je oublier qu'à chaque jour, à chaque heure, Dieu nous supporte, et que s'il voulait nous traiter selon sa rigueur, nous serions condamnés? Pardonnés, ne pardonnerons-nous pas; sauvés par grâce, n'exercerons-nous pas la miséricorde?

Voilà ma première pensée, et voici la seconde. Apprenons à voir en nos frères, à côté du mal qui nous attriste, le bien que nous avons méconnu jusqu'ici. Il y un instant, j'y invitais l'incrédule, vous étonnerez-vous que je vous y exhorte à votre tour? Je vois les disciples repoussant la Cananéenne; mais est-ce là tout ce qu'ils ont fait? Pour cette âme par eux repoussée, combien d'autres sauvées par leur parole et leur exemple? Pour cet acte d'égoïsme, combien d'admirables élans de charité, combien de dépouillements et de sacrifices? Et chez vos frères que vous jugez, que de choses qui vous échappent, et que vous seriez confus et humiliés de savoir? Chez l'un dont les opinions vous blessent, que de support, que de bonté, que dé généreuse ardeur? Chez un autre, dont la froideur vous a souvent repoussés, que de scrupuleuse fidélité, quelle exactitude dans l'accomplissement des plus humbles devoirs! Chez -un autre dont la vie vous a paru dissipée, que de souffrances intérieures courageusement supportées, si courageusement que vous n'avez pas même su les deviner! Apprenez à discerner ces choses; ayez pour découvrir le bien la même pénétration qui vous a servi pour découvrir le mal. En faisant cela, vous ne glorifierez point les qualités des hommes, vous reconnaîtrez simplement, avec actions de grâce, l'oeuvre de Dieu. Vous imiterez saint Paul qui, dans ses épîtres, se plaît à relever tout ce qu'il sait de bon sur les Eglises, sur les chrétiens auxquels il écrit; vous imiterez Jésus-Christ disant à ceux qui contristent Marie : « Pourquoi lui faites-vous de la peine? Elle a fait une bonne oeuvre à mon égard. »

Enfin, mes frères, pour échapper au trouble, aux doutes que vous inspirent les fautes des chrétiens, laissez-moi vous indiquer la voie la plus courte et la plus facile. Elevez vos regards au-dessus des disciples, et contemplez le Maître. Là seulement vous retrouverez la paix et la certitude. Ah! que de fois ne l'avons-nous pas éprouvé ! Un jour, c'étaient les doutes cruels de l'intelligence qui nous assaillaient; c'étaient les mystères sans nombre que soulève la révélation; c'étaient les contradictions de la théologie. Notre raison s'usait dans ces insolubles problèmes; sa lumière troublée ne jetait plus dans ces ombres qu'une lueur vacillante, et la nuit, en s'épaississant, menaçait de glacer notre coeur; mais nous avons prié, et dans les ténèbres nous avons vu se lever la pure et lumineuse figure de Jésus-Christ. Il ne raisonnait pas; mais en lui, nous contemplions la vérité vivante. Il parlait, et le ciel se déroulait à nos yeux : Dieu nous apparaissait de nouveau dans sa grandeur, dans sa justice, dans son immuable bonté. La paix se faisait dans notre coeur, et avec Simon Pierre nous disions : « A qui pourrions-nous aller qu'à toi? Tu as les paroles de la vie éternelle. »

Un autre jour, c'était notre conscience qui se troublait à la vue des iniquités commises par des chrétiens. Nous sentions l'amertume envahir notre âme en contemplant les hontes de l'Eglise, les moyens mauvais, la ruse, la violence, servant la plus sainte des causes, le sanctuaire déshonoré, les marchands envahissant le temple, et nous disions : « Est-ce donc là le règne de Dieu? Est-ce là l'histoire de la vérité? » Mais nous nous sommes recueillis et, ouvrant l'Evangile, nous y avons retrouvé le Christ. Il était là, l'ennemi des pharisiens et l'ami des péagers, dans la gloire de sa majesté sainte, terrible aux iniques et doux aux pécheurs repentants, chassant les vendeurs du temple et posant sa main sur les petits enfants, foudroyant le pharisaïsme et disant à la pécheresse : « Va en paix, tes péchés te sont pardonnés. » Il était là, prenant la défense de tous ceux qui souffrent, de tous les opprimés, de tous les pauvres, et disant : « C'est moi que Vous soulagerez quand vous leur ferez du bien. » Nous l'avons vu, notre âme s'est calmée, car nous avons senti que son règne viendrait, et qu'à lui était la victoire suprême.

Une autre fois encore, c'était notre coeur qui souffrait au contact du monde. Nous nous étonnions de tout ce qui s'abrite d'égoïsme et de sécheresse sous le langage des affections humaines; nous voyions comment les douleurs se consolent vite, comment les paroles dépassent la réalité des choses, combien tout est vide et déclamatoire. Nous nous tournions vers les chrétiens , mais là aussi les déceptions nous attendaient, là aussi l'amour véritable était rare, et un froid mortel nous envahissait peu à peu. Mais nous avons vu apparaître le Fils de l'Homme; il disait: « Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés. » Et de ses lèvres et de son coeur la consolation sortait et pénétrait notre âme. Nous le contemplions en Gethsémané et sur le bois maudit du Calvaire; à l'immensité de son sacrifice, nous mesurions l'immensité de la miséricorde divine. Nous le voyions, ce Fils adorable, « navré pour nos forfaits , froissé pour nos iniquités, fait, suivant l'énergique expression de saint Paul, fait péché pour nous, afin que nous soyons justes en lui, » et devant ce prodigieux mystère d'amour, notre coeur a été de nouveau soumis, calmé, consolé.

C'est donc à lui, mes frères, c'est à lui qu'il faut aller pour raffermir votre foi chancelante; c'est sur lui, sur lui seulement qu'il faut fixer votre regard.

Ah ! que ne pouvons-nous vous le rendre présent, que ne pouvons-nous, détournant vos yeux et votre attention de ceux qui l'annoncent, vous le dépeindre de telle sorte que vous puissiez le saisir! Oui, je voudrais, Seigneur, te conduire ces âmes auxquelles je ne puis pas suffire, et que seul je pourrais peut-être repousser, soit par mes raisonnements, soit par les faiblesses et les infidélités de mon ministère. Heureux si, comme Philippe, je puis dire à ceux qui m'écoutent. «Venez et voyez. »

Heureux si ton image resplendit seule à leur regard, heureux si tu es le principe, le milieu et la fin de tous mes discours, heureux si, après m'avoir entendu, ils vont s'asseoir à tes pieds et y écouter les paroles de la vie éternelle!


1) Luc X, 16; Jean XVI, 13.

2) Ai-je besoin de dire que je ne proscris point ici l'usage du mot mère appliqué à l'Eglise, dans le sens d'une respectueuse tendresse? Ce que je condamne, c'est l'idée autoritaire attachée à ce mot. C'est ainsi que, tout en approuvant l'emploi du mot père appliqué dans un sens spirituel à quiconque engendre une âme d'homme à la vie nouvelle, je repousse l'idée fausse qu'on en voudrait tirer, et je me souviens de la parole du Maître : « N'appelez personne ici-bas votre père. » (Matth. XXXIII, 9,)

3) Matth. XV, 28.

4) Luc XVIII, 17.

5) Luc IX, 54 et X, 3 3.

6) Matth. XXVI, 13.

7) Rom. XIV, 15.

8) Qu'il me soit permis de citer ici un mot qui a sa valeur. Je m'entretenais un jour avec l'un des administrateurs les plus intelligents de l'assistance publique, à Paris. Nous parlions du chiffre effroyable de la mortalité chez les enfants abandonnés et recueillis par l'administration (90 pour 100). Il me dit ces propres paroles : « Oui, tout le monde connaît ces chiffres. On est venu cent fois me les demander pour écrire des articles, pour faire des discours éloquents au Sénat et au Corps législatif. Le discours fait et l'émotion produite, on n'y pense plus. Il n'y a que la foi chrétienne qui descende dans cette fange et qui recueille ces pauvres petits. »

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