Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VIII

La Réformation

(1500-1550)

Un catéchisme. - Les Frères de la vie commune. - Luther. - Tetzel. - Le quatre-vingt-quinze thèses à Wittenberg. - La bulle du pape brûlée. - Diète de Worms. - La Wartbourg. - Traduction de la Bible. - Efforts d'Erasme pour arriver à un compromis. - Développement de l'Église luthérienne. - Sa réforme et ses limitations. - Avertissement de Staupitz. - Choix de Luther entre les églises du N. Testament et le système de l'Église nationale. - Loyola et la Contre-réformation.




1. Ouvrages des frères

La relation existant entre les frères des divers pays est illustrée par le fait qu'un même catéchisme pour l'instruction des enfants était employé dans les Vallées vaudoises, en France, en Italie, ainsi que par les frères des pays allemands et par les Frères de l'Unité en Bohême (60). C'était un petit livre, publié en italien, français, allemand et tchèque. On en connaît plusieurs éditions, imprimées de temps à autre, de 1498 à 1530.

Étroitement rattachés aux frères nommés ci-dessus, il y avait les Frères de la vie commune qui, au quinzième siècle et au début du seizième, établirent un vrai réseau d'écoles à travers les Pays-Bas et le nord-ouest de l'Allemagne. Elles furent fondées par Gerhard Groote, de Deventer, en Hollande, qui, d'accord avec Jan van Rysbroeck, forma la fraternité et établit la première école, à Deventer. Groote énonça son principe d'enseignement par ces mots. «La racine de l'étude et le miroir de la vie doivent être avant tout l'Evangile de Christ.» Il pensait que l'instruction sans piété pouvait devenir une malédiction au lieu d'une bénédiction. L'enseignement était excellent. Sous la direction du fameux maître d'école Alexandre Hegius, l'institution de Deventer réunissait deux mille élèves. Thomas à Kempis, plus tard auteur de «L'imitation de Jésus-Christ», fréquenta cette école, ainsi qu'Erasme. Ces écoles prirent une grande extension. On y enseignait le latin et un peu de grec et les enfants apprenaient à chanter des hymnes évangéliques en latin. On organisa aussi des classes d'adultes pour la lecture de l'Evangile dans la langue du pays. On y gagnait quelque argent en copiant des manuscrits du N. Testament et, plus tard, en les imprimant. Les traités des Frères et des Amis de Dieu furent largement répandus. Il y eut là un foyer d'éducation solide, basée sur les Saintes Écritures.

Un livre de cantiques, publié à UIm en 1538, montre la place qu'occupaient, dans les congrégations des frères, la louange et l'adoration. La fin du long titre de ce volume indique qu'il était destiné «à la Fraternité chrétienne, aux Picards, considérés jusqu'alors comme des infidèles et des hérétiques, employé et chanté journellement à la gloire de Dieu.»


2. Luther; traduction de la Bible; conflit d'opinions; Erasme

Ce fut la Bible qui, d'abord, éclaira et développa Luther. Il fut aussi aidé par Staupitz, puis il trouva, dans les écrits de Tauler et d'autres frères, des commentaires de la doctrine divine. Le réformateur déclare que, dans toutes les universités et dans les enseignements des savants, rien n'était plus sain et ne correspondait davantage à l'Evangile (61). Luther ne farda pas à écrire. Ses premiers pamphlets (1517-1520) (62) étaient rédigés dans l'esprit des frères, et montraient que le salut ne dépend pas de l'intervention de l'Église, mais que chaque homme a libre accès auprès de Dieu et obtient le salut par la foi en Christ et par l'obéissance à sa Parole. Il avait été saisi par cette grande vérité de l'Écriture que le salut vient de la grâce de Dieu, par la foi en Jésus-Christ, et ne s'obtient pas par nos bonnes oeuvres. Il mit au service de cette doctrine tant de capacité et de zèle qu'il réveilla l'espérance et l'attente dans des cercles où cette vérité était déjà connue, et remua aussi puissamment ceux qui, jusqu'alors, l'avaient ignorée.

En 1517, Tetzel, bien connu par son trafic d'indulgences papales, faisait son commerce d'une façon si éhontée et si grotesque qu'il contribua, plus que tout autre, à impressionner le peuple par son charlatanisme. Lorsqu'il vint à Wittenberg, Luther, encouragé par Staupitz, et ne pouvant entraîner l'Électeur de Saxe à l'action, cloua lui-même, sur la porte de l'église, ses quatre-vingt-quinze thèses, dont la clarté fulgurante illumina l'Europe. Les hommes comprirent qu'enfin une voix s'était fait entendre, exprimant ce que la plupart sentaient - le mensonge de tout le système des indulgences qui n'avait aucune place dans l'Evangile. - Un pauvre moine eut ainsi à affronter et à combattre le vaste système de la puissance papale. Toute l'Europe fut touchée par son «Adresse à la noblesse de la nation allemande sur la liberté du chrétien», puis par sa «Captivité babylonienne de l'Église». Le pape publia une bulle d'excommunication contre lui, mais il la brûla publiquement à Wittenberg (1520). Sommé par les autorités papales de comparaître devant la Diète de Worms, il s'y rendit en bravant tous les dangers et aucun mal ne l'atteignit. À son retour, sa vie étant menacée, ses amis l'emmenèrent secrètement au château de la Wartbourg, en laissant croire qu'il était mort. Dans cette retraite, il traduisit le N. Testament en allemand, le faisant suivre plus tard de l'Ancien. A une époque où les questions religieuses agitaient violemment les masses, la possibilité accrue de lire les Écritures eut des effets qui devaient révolutionner l'aspect de la chrétienté. La lourde désespérance qui avait gagné les hommes, en constatant la corruption et la rapacité croissantes de l'Église, fit place au vif espoir qu'enfin l'heure du réveil avait sonné et que l'on allait revenir au christianisme primitif des apôtres. Christ fut contemplé à nouveau, révélé dans les Écritures comme le Rédempteur et Sauveur suffisant des pécheurs, comme le Chemin conduisant à Dieu l'humanité souffrante

Des divergences si radicales d'opinions et d'intérêts devaient nécessairement amener un conflit. Les adeptes de Luther et ses sympathisants devinrent très nombreux, mais le vieux système de l'Église romaine ne pouvait être transformé sans lutte. Quelques-uns, Erasme en tête, espéraient un compromis et la paix, tandis que les moines qui voyaient disparaître leur position et leurs privilèges se montrèrent violents au delà de toute mesure. Les autorités papales décidèrent de recourir à leurs anciennes armes, c'est-à-dire de maudire et de tuer pour écraser le nouveau mouvement, Alors Luther, abandonnant son humilité première, devint peu à peu aussi dogmatique que le pape.

Le danger de la situation fut accru par des rivalités politiques. L'oppression qui pesait sur les serfs amena la Guerre des Paysans (1524-1525), que le parti adverse mit sur le compte de Luther et de ses adhérents. Une conflagration générale menaçait les nations. En 1520, Erasme écrivait : «J'aimerais que Luther... se tînt tranquille pour le moment... Ce qu'il dit peut être vrai, mais il y a un temps pour toute chose.» S'adressant (1524) au duc Georges de Saxe, il dit: «Au début, quand Luther parlait, le monde entier applaudissait, ainsi que Voire Altesse. Des théologiens, qui sont aujourd'hui ses adversaires déclarés, étaient alors de son avis. Des cardinaux, et même des moines l'encourageaient. Il attaquait alors des pratiques condamnées par tout honnête homme et luttait contre une bande d'hommes rapaces, sous la tyrannie desquels la chrétienté gémissait. Qui pouvait alors prévoir jusqu'où irait ce mouvement?... Luther lui-même ne s'attendait guère à produire un tel effet. Après la publication de ses thèses, J'essayai de le persuader de s'en tenir là... je craignais des émeutes... je le priai d'être modéré... Le pape publia une bulle; l'empereur décréta un édit. Il y eut des emprisonnements; des bûchers s'allumèrent. Mais tout fut vain. Le mal ne fit que croître... je voyais cependant que le monde était engourdi par le ritualisme. Des moines scandaleux trompaient et étranglaient les consciences. La théologie était devenue un tissu de sophismes. Le dogmatisme tournait à la folie. En outre, il y avait ces prêtres indignes, ces évêques et ces fonctionnaires de Rome... J'estimais qu'il fallait chercher un compromis et faire un accord... Mais les protecteurs de Luther s'obstinèrent et ne voulurent rien concéder. Les théologiens catholiques ne respiraient que feu et fureur... l'espère que Luther fera quelques concessions et que le pape et les princes consentiront encore à conclure la paix. Puisse la colombe de Christ descendre sur nous, sinon ce sera le hibou de Minerve! Luther a appliqué une médecine amère à un corps malade. Dieu veuille qu'elle soit salutaire !»

Erasme écrivait encore (1525): «J'estime que Luther est un homme de bien, suscité par la Providence pour remédier à la dépravation du temps présent. D'où sont venus tous ces maux? De l'immoralité effrontée de la prêtrise, de l'arrogance des théologiens et de la tyrannie des moines.» Il conseillait d'abolir ce qui était manifestement mauvais, et de retenir tout ce qui pouvait être retenu sans que ce soit nuisible, d'exercer la tolérance, d'accorder la liberté de conscience, et il ajoutait: «Les indulgences ont fait leur temps. Les moines, soutenus par les théologiens, ne peuvent plus leurrer le peuple par ces mensonges. Eh! bien, que ceux qui n'ont pas foi aux mérites des saints, adressent leurs prières au Père, au Fils et au St-Esprit. Qu'ils imitent Christ dans leur vie et laissent en paix ceux qui croient aux saints... Qu'ils pensent ce qu'ils veulent du purgatoire, sans se quereller avec ceux qui sont d'une autre opinion... Qu'importe que ce soit la foi ou les oeuvres qui justifient, puisque tous admettent que la foi ne peut sauver sans les oeuvres.»


3. L'Église luthérienne

Un conflit si âpre ne pouvait être réglé par des conseils de modération. Bien peu étaient ceux qui entrevoyaient la moindre possibilité de tolérance. Sous l'influence de circonstances si extraordinaires, Luther lui-même subit une nouvelle orientation qui en entraîna d'autres. Après avoir été, dans sa jeunesse, un catholique romain dévot, il avait, dans son contact avec Staupitz et par la lecture de la Bible, tourné ses sympathies du côté des Frères et des mystiques. Mais ses luttes avec le clergé romain le poussèrent à se lier étroitement avec bon nombre de princes allemands. Cette association, combinée avec l'influence inconsciente de sa première éducation, le conduisirent graduellement à former l'Église luthérienne. Les étapes de ce changement furent marquées par son éloignement insensible des anciennes congrégations de frères, puis par l'incorporation, dans sa nouvelle église - parallèlement à l'adoption de beaucoup de vérités bibliques - de bien des choses empruntées au système romain.

Luther insistait plus que les anciennes églises de croyants sur les enseignements de Paul, et moins qu'elles sur les paroles de l'Evangile. Il appuyait fortement sur la doctrine de la justification par la foi, sans montrer suffisamment la nécessité de suivre Christ, qui tenait une si grande place dans la prédication des frères. En enseignant l'absence complète du libre arbitre de l'homme, et en faisant dépendre le salut uniquement de la grâce de Dieu, Luther alla si loin qu'il négligea la question de la marche fidèle du chrétien, qui fait pourtant partie de l'Evangile. Parmi les doctrines de l'Église romaine qu'il conserva se trouve la régénération baptismale, avec son corollaire le baptême des petits enfants. Tout en remettant en lumière l'enseignement de l'Écriture sur le salut individuel par la foi en Jésus-Christ et en son oeuvre parfaite, il ne suivit pas le N. Testament dans son enseignement sur les églises séparées du monde, quoique restant dans le monde, pour y témoigner en faveur de l'Evangile de Jésus-Christ. Il adopta le système catholique romain des paroisses, avec leur administration cléricale d'un monde considéré comme christianisé. Soutenu par plusieurs princes, il maintint le principe de l'union de l'Église et de l'État et accepta l'épée de l'État comme moyen approprié pour convertir, ou pour punir ceux qui refusaient la nouvelle autorité ecclésiastique. Ce fut à la Diète, ou Concile, de Spire (1529) que le parti de la Réforme présenta aux représentants catholiques romains, la protestation, d'où le nom de protestants donné aux réformés. La Ligue de Smalkalde, en 1531, unit neuf princes et onze cités libres à titre de puissances protestantes.

Staupitz avertit Luther concernant ces changements et leurs dangers: «Que Christ nous assiste, afin que nous vivions enfin selon l'Evangile qui retentit à nos oreilles aujourd'hui et qui est sur les lèvres de beaucoup. Car je constate que des multitudes de gens abusent de l'Evangile pour donner libre cours à la chair. Laissez-vous toucher par mon instante requête, car j'ai été une fois le pionnier de la sainte foi évangélique.» Déclarant finalement qu'il diffère dans sa manière de voir de celle de Luther, il établit le contraste entre les chrétiens de nom et les vrais croyants: «C'est aujourd'hui la mode de séparer la foi de la vie évangélique, comme s'il était possible d'avoir une foi vivante en Christ et de ne pas lui être semblable dans la vie journalière. Oh, que l'ennemi est rusé! Comme il égare le peuple! Écoutez le langage des insensés: «Quiconque croit en Christ peut se passer des oeuvres.» Puis entendez aussi la parole de la vérité: «Si quelqu'un Me sert, qu'il me suive.» L'esprit malin dit à ces chrétiens charnels qu'un homme est justifié sans les oeuvres et que Paul l'a prêché. C'est faux. Il a certainement blâmé le légalisme dans les observances extérieures, en quoi, mus par la crainte, les hommes mettent leur confiance pour être sauvés. Il a lutté contre ces choses, comme inutiles et conduisant à la condamnation, mais il ne blâma jamais et ne fit que louer les oeuvres qui sont les fruits de la foi, de l'amour et de l'obéissance aux commandements célestes. Dans toutes ses épîtres, il en proclama et en prêcha la nécessité.»

Luther a enseigné: «Apprenez de saint Paul que, lorsque Christ vint - ainsi le dit l'Evangile - ce ne fut pas pour donner une loi nouvelle, réglant la marche chrétienne, mais pour s'offrir Lui-même en sacrifice pour les péchés du monde entier.» Les anciennes églises avaient toujours enseigné que, pour être un vrai chrétien, il fallait, après avoir reçu la vie de Christ par la foi, désirer et s'efforcer d'avoir une marche en accord avec son exemple et sa parole, ce qui est faisable à l'aide de sa vie en nous.

En frappant ses grands coups, Luther ouvrit une route à travers des privilèges et des abus longtemps tolérés, et la réforme devint possible. Il révéla Christ à d'innombrables pécheurs comme le Sauveur auquel chacun peut s'adresser, sans l'intervention du prêtre, des saints, de l'église ou des sacrements, et en dehors de tout mérite personnel. Il montra que le pécheur peut venir à Lui avec ses besoins et trouver en Lui, par la foi, un salut parfait, fondé sur l'oeuvre parfaite du Fils de Dieu. Toutefois au lieu de continuer dans le chemin de la Parole, il organisa une église, où certains abus du passé étaient réformés, mais qui, à maints égards, était une reproduction de l'ancien système. Les multitudes, regardant à lui comme à leur guide, acceptèrent la forme en laquelle il moula l'Église luthérienne. Beaucoup, réalisant qu'il ne persévérait pas dans un retour complet aux Écritures, furent désappointés et demeurèrent dans l'Église catholique romaine. Les espoirs éveillés chez les frères s'évanouirent graduellement, lorsqu'ils se virent placés entre deux systèmes ecclésiastiques, prêts tous deux à employer l'épée Pour imposer la conformité en matière de conscience. Luther avait perçu le divin modèle des églises, et ce ne fut pas sans une lutte intérieure qu'il abandonna l'enseignement du N. Testament concernant les assemblées indépendantes de vrais croyants, en faveur du système de l'Église nationale, système que les circonstances extérieures le poussèrent à adopter.

La différence irréconciliable entre ces deux idéals fut le terrain essentiel du conflit. Si le baptême et la Ste-Cène prirent une si grande importance dans la lutte, c'est parce que - dans la vraie Église - ils marquent l'abîme qui sépare l'Église du monde, tandis que l'Église nationale s'en sert comme d'un pont jeté sur cet abîme, puisque le baptême des petits enfants et la distribution générale de la Ste-Cène dispensent les âmes de la nécessité de la foi individuelle. En outre, les prérogatives accordées aux prêtres, ou pasteurs, comme seuls compétents pour accomplir ces rites, placent le peuple sous une vraie domination en matière de foi et de conscience. Quand cette domination s'exerce en coopération avec le gouvernement civil, il ne peut y avoir d'églises indépendantes et la religion devient une question de nationalité. Une Église nationale se prête à tout. Elle peut inclure une grande variété de vues. Elle peut recevoir les infidèles et fermer les yeux sur beaucoup d'impiété, même permettre à son clergé d'exprimer son impiété à l'égard des Écritures. Si elle en a le pouvoir, elle ne tolérera pas ceux qui ne baptisent que les croyants ou prennent la Ste-Cène entre eux comme disciples du Christ, parce que ces choses condamnent les principes qui sont à la base de son institution en tant qu'Église nationale. Et pourtant les rites mêmes ne sont pas la cause fondamentale qui la différencie, mais bien la question d'Église.

Doué d'un courage et d'une énergie sans précédent, Luther avait remis en lumière les vérités bibliques concernant le salut individuel du pécheur par la foi. Mais il faillit à sa mission, alors qu'il aurait pu rentrer en toutes choses dans le chemin de l'Écriture, y compris l'enseignement concernant l'Église. Il avait dit: «Je le dis cent mille fois - Dieu ne veut pas de service forcé.» «Personne ne peut ou ne doit être forcé de croire.» En 1526, il avait écrit: «Le véritable ordre évangélique ne peut être établi parmi toutes sortes de gens. Seuls ceux qui sont sérieusement décidés à être chrétiens et à confesser l'Evangile, par la parole et par l'action, doivent s'enrôler nominalement et se réunir à part en un lieu pour la prière, la lecture, pour baptiser, prendre la Ste-Cène, et faire d'autres oeuvres chrétiennes. Ce type d'église permet de découvrir ceux qui ne se conduisent pas en vrais chrétiens, de les réprimander, de les restaurer ou de les exclure, d'après la règle de Christ (Matth. 18. 15). Les croyants réunis peuvent aussi offrir des aumônes qui seront distribuées aux pauvres, selon l'exemple de Paul (2 Cor. 9. 1-12). Là on n'estimera pas qu'il soit nécessaire d'avoir beaucoup de belle musique. Les services de baptême et de Ste-Cène peuvent y être célébrés en toute simplicité, en accord avec la Parole et dans l'amour. Mais je ne puis pas encore organiser un tel rassemblement, car je n'ai pas les gens qu'il faudrait pour cela. Cependant, si cela doit être, et que j'y sois contraint, je le ferai, et même volontairement. En attendant, je puis faire des appels, prêcher, aider et entraîner à l'action, jusqu'à ce que les chrétiens prennent la Parole vraiment à coeur et découvrent par eux-mêmes comment agir et persévérer.»

Cependant, Luther savait bien que les «gens qu'il faudrait» étaient là. Il les décrivait comme étant «de vrais, pieux, saints enfants de Dieu». Après beaucoup d'hésitation, il finit par s'opposer à tout effort pour mettre en pratique ce qu'il avait si bien su dépeindre. Toutefois, il ne fit pas comme beaucoup de ses adhérents qui regardèrent l'Église luthérienne comme la meilleure forme possible de religion que l'on puisse concevoir. Il la décrivit comme «provisoire», comme le «parvis extérieur» et non le «sanctuaire», et il ne cessa point d'exhorter et d'avertir le peuple. «En examinant bien ce que font les gens qui se nomment évangéliques et savent parler de Christ, on s'aperçoit qu'il n'y a rien derrière cette profession. La plupart se trompent eux-mêmes. Le nombre de ceux qui commencèrent avec nous et prirent plaisir à notre enseignement a été dix fois plus grand que maintenant, où pas même le dixième d'entre eux est resté fidèle. Ils apprennent sans doute, comme le perroquet, à répéter des mots, mais ils n'en ont pas fait l'expérience dans leurs coeurs. Ils restent exactement ce qu'ils sont. Ils ne comprennent ni ne sentent combien Dieu est vrai et fidèle. Ils vantent beaucoup l'Evangile et le désirent d'abord avec sérieux, et ensuite il n'en reste rien. Car ils font ce qu'ils aiment, s'adonnent à leurs convoitises, deviennent pires qu'ils n'étaient auparavant et sont beaucoup plus indisciplinés et présomptueux que d'autres gens. Paysans, bourgeois et nobles, tous sont plus cupides et indisciplinés que sous la papauté.» - «Ah! Seigneur Dieu, si seulement nous pratiquions vraiment cette doctrine, ce ne serait pas, comme maintenant, un millier de personnes qui prendraient le sacrement, mais à peine une centaine. Il y aurait alors moins de ces horribles péchés dont le pape, par sa loi infernale, a inondé le monde; nous serions enfin une assemblée chrétienne, au lieu que maintenant nous sommes presque de vrais païens portant le nom de chrétiens. Nous pourrions séparer du milieu de nous ceux qui montrent par leurs oeuvres qu'ils n'ont jamais cru et n'ont jamais eu la vie, ce qui nous est maintenant impossible!»

Une fois la nouvelle Église placée sous l'autorité de l'État, il devint impossible de la transformer. Aussi Luther ne prétendit-il jamais que les églises qu'il avait établies étaient organisées d'après le modèle des Écritures. Tandis que Mélanchton parlait des princes protestants comme étant les principaux membres de l'Église», Luther les appelait des «évêques d'emprunt» et il exprimait fréquemment son regret de ne plus jouir de la liberté du simple chrétien et de l'indépendance de la congrégation chrétienne qui avait été jadis son but.


4. Loyola et les Jésuites

A l'époque où Luther brûla la bulle du pape (63), un autre homme se préparait à l'oeuvre qui allait devenir une arme puissante pour arrêter les progrès du protestantisme, organiser la contre-réformation et reconquérir pour l'Église romaine de vastes régions où le mouvement de la Réforme avait prospéré.

Ignace de Loyola (64), noble espagnol, naquit en 1491, devint page à la cour de Ferdinand et d'Isabelle, puis soldat. Il se distingua dès le début par son courage intrépide, mais une blessure, qu'il reçut à l'âge de trente ans, le rendit boiteux, et changea tout le cours de sa vie.

Durant la longue maladie causée par sa blessure, il lut quelques-uns des livres des Mystiques et désira ardemment être délivré des convoitises de sa vie passée. Il aspira à faire de grandes choses, non plus pour la gloire militaire au service d'un roi terrestre, mais pour Dieu et comme soldat de Jésus-Christ. «Montre-moi, Seigneur, prie-t-il, où je puis te trouver. je te suivrai comme un chien, si seulement je puis apprendre le chemin du salut.» Après de longues luttes, il se livra à Dieu, trouva la paix dans l'assurance du pardon de ses péchés et fut délivré de la puissance des désirs charnels. Au fameux monastère de Montserrat, environné de pics rocheux, ayant l'étrange apparence de flammes ardentes, Loyola, après une nuit de veille et de confession, suspendit ses armes devant une antique statue en bois de la Vierge et se consacra à son service et à celui de Christ. Il se dépouilla de tous ses vêtements et, adoptant le pauvre costume du pèlerin, se rendit au couvent dominicain voisin de Manresa. Il s'y adonna non seulement à l'introspection, comme les mystiques, mais il se mit encore à noter minutieusement tout ce qu'il observait en lui-même. méditations, visions et même attitudes extérieures, pour dé. couvrir ce qui était le plus favorable au développement des extases spirituelles. Il écrivit alors une grande partie de son livre, «Exercices spirituels», qui devait exercer plus fard une puissante influence.

En recherchant la communion immédiate avec Dieu, sans l'intervention des prêtres, les mystiques entraient constamment en conflit avec le clergé. Loyola, devenu suspect, fut plus d'une fois emprisonné par l'Inquisition et par les dominicains; mais il put toujours prouver qu'il n'était pas ce que l'on pensait et fut relâché. En fait, après avoir été d'abord très impressionné par les mystiques, Loyola élabora un système absolument opposé à leur enseignement. Au lieu de chercher à expérimenter la communion directe avec Christ, il plaça chaque membre de sa société sous la direction d'un homme, son confesseur, envers lequel il s'engageait à ne rien cacher des plus intimes secrets de sa vie et à obéir aveuglément. C'était le plan d'un soldat. Chacun était soumis à la volonté de son supérieur, et même le chef de tous était contrôlé par des hommes chargés d'observer chacune de ses actions et de juger chacun de ses motifs. Au cours de plusieurs années de voyages et d'études, d'enseignement et d'oeuvres charitables, durant lesquelles Loyola essaya vainement de se rendre à Jérusalem et eut des entrevues avec le pape, certains se Joignirent graduellement à lui et, en 1534, à Paris, Loyola organisa la «Compagnie de Jésus». Lui et six autres, dont l'un était François Xavier, firent voeu de pauvreté, de chasteté et d'activité missionnaire en 1540, le pape reconnut la «Société de Jésus», à laquelle le nom de «Jésuite» fut donné, d'abord par Calvin, puis par d'autres de ses adversaires. Les membres de cette société étaient choisis avec beaucoup de soin et ils passaient par une longue préparation, pour apprendre la soumission sans réserve de leur volonté à celle de leurs supérieurs. Cette éducation fit des jésuites une arme puissante, grâce à laquelle ils entravèrent les progrès de la Réformation, et même organisèrent une «contre-réformation» qui ramena à Rome beaucoup de ceux qu'elle avait perdus.

La Société travailla avec habileté et persévérance pour produire une réaction. Sa croissance rapide et ses méthodes dépourvues de scrupules lui firent beaucoup d'ennemis, même dans l'Église romaine. En divers pays, elle s'attira une vive opposition du fait de ses interventions tant dans le domaine politique que dans le domaine religieux. Elle eut une histoire orageuse. Parfois les jésuites parvenaient à dominer toute la politique de certaines nations. Puis ils étaient chassés et privés de tous leurs droits - quitte à revenir ensuite dès que les circonstances leur redevenaient favorables. L'archevêque électeur de Cologne, Hermann von Wied, qui avait essayé d'opérer une réformation catholique et une réconciliation avec les réformateurs, se vit joué par Canisius, habile représentant que la Société avait gagné en Allemagne. En outre, d'innombrables mouvements de réforme furent réprimés, ou rendus inefficaces par l'activité des disciples de Loyola. La domination de Rome en fut fortifiée. Des membres actifs et dévoués de la Société s'en altèrent chez les païens de l'Inde, de la Chine et de l'Amérique pour y propager leurs doctrines.


60) «A History of the Reformation», Thos. M. Lindsay. (T. & T. Clark, Edinburgh. 1906-7. 2 vol.)

61) «Die Reformation und die älteren Reformparteien», Dr Ludwig Keller.

62) «Life and Letters of Erasmus», J. A. Fronde.

62) «A History of the Reformation», Thomas M. Lindsay, M. A., D. D.

63) Encyclopaedia Britannica», article Loyola.

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